Déclaration de Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, sur le Haut-Karabakh, à Erevan le 3 octobre 2023.

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Circonstance : Conférence de presse conjointe avec son homologue arménien, M. Ararat Mirzoyan

Texte intégral

Merci beaucoup, Monsieur le Ministre,

Mesdames et Messieurs, bonsoir, merci de votre présence. Je crois qu'on vous a fait attendre un peu et je vous présente mes excuses pour cela. La raison en est que les conversations étaient riches, tant avec le Premier ministre Pachinian qu'avec mon homologue et ami ministre des affaires étrangères.

Cinq mois après ma visite, je suis revenue à Erevan pour manifester l'amitié, bien sûr, mais aussi la pleine solidarité et le soutien de la France à l'Arménie et au peuple arménien dans l'épreuve qu'il traverse aujourd'hui. En deux semaines, vous avez accueilli 100.000 Arméniens du Haut-Karabakh, forcés de quitter leur terre ancestrale, forcés de quitter leur foyer, après l'offensive militaire entreprise par l'Azerbaïdjan, avec, je le redis, la complicité de la Russie, et après, faut-il le rappeler, neuf mois de blocus illégal du corridor de Latchine ; illégal parce que chacun se souviendra que la Cour internationale de justice a demandé d'y mettre un terme depuis le mois de février dernier. Et Monsieur le Ministre, je veux vous dire, vous redire, je vous l'ai dit en particulier, tout à l'heure, l'émotion que cette situation suscite en France, mais aussi l'admiration qui a été la nôtre devant la dignité des Arméniens, devant leur capacité d'accueil, devant leur résilience, leur force et leur attachement aux valeurs démocratiques qui sont ici celles que nous partageons.

Et à ce titre, je veux aussi saluer le vote important aujourd'hui par le parlement arménien, intervenu ce matin, je crois, pour ratifier le Statut de Rome et permettre ainsi à l'Arménie de devenir État partie à la Cour pénale internationale. Je crois que, avec d'autres signes, c'est un signe fort, important, de l'engagement de l'Arménie en faveur de la justice, en faveur de la lutte contre l'impunité, en faveur de la paix, parce qu'il n'y a pas de paix sans justice, et en faveur de la démocratie.

L'attachement de la France à l'Arménie est séculaire, Monsieur le Ministre, vous le savez. Il a été, je crois, marqué par une réelle amitié profonde entre nos peuples. Et la France est fière d'être l'amie de l'Arménie et d'avoir manifesté un soutien constant à l'Arménie et aux Arméniens.

Bien sûr, je souhaiterais, dans la situation d'aujourd'hui, évoquer d'abord la situation au Haut-Karabakh. Et je veux redire une fois de plus que ce qui s'est passé est une violation flagrante du droit international. Je ressens le besoin de le redire parce qu'on a entendu à plusieurs reprises des propos en provenance d'Azerbaïdjan ou de Russie, expliquant qu'il s'agirait de départs volontaires. Non, ce ne sont pas des départs volontaires, ce sont des départs forcés. Il faut être très clair sur ce point : c'est faux, aucun départ n'est volontaire. Un choix qui est fait sous la menace, sous la menace de l'emploi de la force ou après l'emploi de la force, n'est pas un choix. Je me suis déjà exprimée sur ce point et je veux répéter que ces mensonges ne trompent personne.

Face à cette tragédie, cette tragédie humaine, la France a immédiatement renforcé son aide humanitaire. Vous vous en souvenez, Monsieur le Ministre, j'avais déjà été conduite à l'augmenter cet été. Nous en avions parlé au mois d'août, je crois. Et à l'Assemblée nationale l'autre jour, j'ai annoncé le triplement de notre aide humanitaire pour aider l'Arménie à accueillir les réfugiés déplacés dans de bonnes conditions de dignité, comme il le faut. Nous en sommes aujourd'hui à 12,5 millions d'euros déjà, qui passent par le CICR ou nos organisations non gouvernementales présentes - j'en ai vu une tout à l'heure, et j'ai vu le directeur du CICR également cet après-midi -, ou qui passent par la Croix-Rouge arménienne, ou directement qui vont au ministère de la santé arménien, pour ce qui est du matériel médical d'urgence que nous avons envoyé, aussitôt après l'explosion de la station-service, il y a quelques jours, à Stepanakert, et qui est arrivé. Et j'en prends l'engagement devant vous, Monsieur le Ministre, ce soutien se poursuivra et se manifestera à nouveau si cela était nécessaire. C'est un devoir d'humanité, un devoir de solidarité. C'est ce devoir qui nous a poussés à intervenir immédiatement à vos côtés, à vous proposer notre aide. Et nous poursuivrons cette action même dès ce week-end, en évacuant d'Erevan vers la France quatre grands blessés qui seront pris en charge dans les hôpitaux français. Je remercie mon collègue français de la santé de participer avec moi et avec mon ministère à cette opération.

Notre réponse, bien sûr, elle est aussi politique. Je veux le redire là aussi, peut-être qu'on ne le dit jamais assez : toutes les réunions du Conseil de sécurité qui ont permis d'évoquer la question du Haut-Karabakh, toutes ont eu lieu à l'initiative de la France. Et depuis plus d'un an, nous en avons obtenu plusieurs. Nous en avons demandé et obtenu encore une autre, l'autre jour - nous étions ensemble, cher collègue, à New York. Alors, lorsque j'entends dire que la France n'aurait pas été active ou qu'elle a vu la situation trop tard, je veux m'inscrire en faux contre cette assertion. Je crois qu'elle a été active plus que d'autres et depuis plus longtemps, et qu'elle est aux côtés de l'Arménie plus que d'autres et depuis plus longtemps. Elle l'est aux Nations unies, et ailleurs ; elle l'est par des contacts de haut niveau avec tant l'Arménie que l'Azerbaïdjan - et quand je dis de haut niveau, c'est jusqu'au plus haut niveau - ; elle l'a été par ses efforts au sein de l'Union européenne, et je les poursuis régulièrement, vous le savez ; elle l'a été et elle l'est par sa coordination avec les États-Unis d'Amérique ; par son action au sein de l'OCDE ; par la mission qu'elle a pu faire décider par l'Union européenne et qui permet d'avoir une mission européenne d'observation à la frontière, en territoire arménien. Je suis allée rendre visite à cette mission, très peu de temps après son installation, et je crois que nous n'avons pas été si nombreux à le faire - c'était fin avril. Et je peux vous informer du fait que nous travaillons à créer les conditions permettant un projet de résolution visant à garantir une présence internationale permanente au Haut-Karabakh et à préserver ainsi le droit des populations arméniennes qui le souhaiteront, à revenir sur leur terre, dans le respect de leur droit, de leur culture, de leur histoire. En parallèle, puisque je suis à nouveau amenée à m'exprimer sur le Haut-Karabakh et ce qui s'y passe, je voudrais rappeler le rôle qui est celui de l'UNESCO, pour assurer la préservation du patrimoine culturel arménien au Haut-Karabakh.

Pour ce qui est de l'Arménie proprement dite, nous en avons parlé tout à l'heure, mon programme a été riche, mais il aurait pu permettre de comporter aussi une étape à Goris, et malheureusement les conditions météo qui étaient défavorables ne m'ont pas permises, aujourd'hui, de me rendre à Goris, ce que je regrette parce que j'aurais aimé aller dans le Syunik, et que la France, qui y est déjà allée par la personne de l'ambassadeur, y aille par ma personne, tout simplement parce que cette région s'est mobilisée, la première, pour accueillir les réfugiés arméniens contraints de fuir leur terre. Et aussi, parce que j'y aurais installé notre nouvelle consule honoraire, qui a accepté de nous représenter, que je remercie d'avoir accepté de nous représenter, et qui, par sa présence, renforcera la présence de la France dans cette région si importante qu'est le Syunik. Mais le déplacement que j'effectue aujourd'hui en Arménie est une façon de marquer l'extrême vigilance qui sera celle de la France face à toute tentative de menacer, ou de songer à porter atteinte à la souveraineté et à l'intégrité territoriale de l'Arménie. Le Président de la République, vous le savez, Monsieur le Ministre, a été explicite sur ce point : la France sera vigilante quant à l'intégrité territoriale de ce pays ami qu'est l'Arménie. Je suis là aussi pour le manifester. Nous en avons parlé avec le Premier ministre Pachinian, nous en avons parlé tout à l'heure tous les deux, il y a un an, presque jour pour jour, il y a un an, le Président de la République et le Président du Conseil européen réunissaient le Premier ministre Pachinian et le Président Aliev à Prague, en marge de la première réunion de la Communauté politique européenne, et il en avait résulté ce qui reste la base de la poursuite de nos efforts. Il en est résulté la réaffirmation par les deux États du respect mutuel de leur intégrité territoriale, sur la base des frontières internationales de 1991 et des accords d'Alma-Ata. Et je crois que c'était un acquis important de Prague, que non seulement il faut conserver, mais qu'il faut maintenant amener plus loin. Nous voulons nous assurer collectivement à vos côtés, avec ceux qui partagent nos sentiments, que cet engagement sera respecté. Nous avons évoqué les questions de sécurité et de défense sur le plan bilatéral, et dans le prolongement de la visite que j'avais faite et des perspectives de renforcement de nos relations de défense, je voudrais indiquer publiquement que la France a donné son accord à la conclusion de contrats futurs, forgés avec l'Arménie, qui permettront la livraison de matériels militaires à l'Arménie pour qu'elle puisse assurer sa défense. Vous comprendrez que je ne puisse pas entrer dans plus de détails pour le moment. J'ai également demandé officiellement et par écrit, au Haut représentant de l'Union européenne, Josep Borrell, de renforcer les effectifs de la mission d'observation européenne et de renforcer son mandat, de façon à ce que cette mission soit encore plus utile qu'elle l'est, - elle l'est - mais nous pouvons faire plus. Je lui ai demandé aussi d'inclure l'Arménie dans le champ des bénéficiaires de la facilité européenne pour la paix, la FEP, comme nous le faisons pour la Moldavie, par exemple, qui subit le même type de menaces et de tentatives de déstabilisation pour ce qui concerne la Moldavie. Enfin, je dirais que l'objet de ces efforts est aussi européen, et je souhaite que l'Union européenne, ses États membres, adressent dès à présent un signal clair, de la même façon que nous adressons ce signal clair à tous ceux qui seraient tentés de mettre en cause l'intégrité territoriale de l'Arménie, toute action en ce sens donnerait lieu à des réactions robustes ; que personne n'en doute ; je veux le dire et nous devons l'affirmer tous ensemble. J'espère aussi que nous pourrons compter sur le soutien d'autres amis, partenaires et alliés en ce sens, et en disant cela, je pense bien sûr aux États-Unis d'Amérique. Voilà, Monsieur le Ministre, en quelques mots, résumés des échanges que nous avons pu avoir avec le Premier ministre et avec nos délégations. L'Arménie, le peuple arménien, le gouvernement arménien ont montré leur sens des responsabilités, depuis le début de cette grave crise, et pour cela, nous vous redisons que vous pouvez compter sur nous. Nous serons à vos côtés. Merci, Monsieur le Ministre.

[...]

Q (Radio France) - Vous n'utilisez pas le terme, Madame la Ministre, de nettoyage ethnique, qui est utilisé par la partie arménienne. Vous parlez de départs forcés. C'est un terme que vous ne voulez pas employer ?

R - En effet, j'ai parlé et je continue de parler de crimes pour ce qui s'est passé, de crimes graves. Je ne me prononce pas sur la qualification juridique des crimes qui sont commis, mais je redis qu'il s'agit de crimes, je les ai décrits, j'ai rappelé que ces départs n'étaient pas volontaires, mais des départs effectués sous la menace. J'ai par ailleurs, vous l'avez certainement remarqué, salué le fait que l'Arménie rejoignait la Cour pénale internationale qui est elle-même chargée d'un certain nombre de crimes graves, avec une échelle dans ces crimes. Le fait que cela ait eu lieu ce matin, par le vote du parlement, est à saluer, mais à placer peut-être aussi dans le contexte de l'épreuve que vit l'Arménie.

[...]

[Question en arménien]

R - Merci Madame. J'ai rappelé que la France avait été et est une amie constante et fiable de l'Arménie, qu'elle le demeurait, qu'elle le demeurerait. J'ai rappelé aussi, en énumérant ce que nous avons fait, que peut-être nous avons été soucieux de réunir le plus grand nombre, autour de ces principes, autour de cette vision, que nous défendons et que nous n'avons pas toujours réussi à voir au rendez-vous ceux que nous aurions aimé voir au rendez-vous. Cet effort se poursuit. Nous avons tenu une réunion d'urgence du Conseil de sécurité l'autre jour, et nous regardons ensemble, nous en avons d'ailleurs parlé tout à l'heure, comment nous pourrions tirer un certain nombre de conclusions au Conseil de sécurité des débats qui ont eu lieu jeudi, il y a maintenant une dizaine de jours, avec la perspective d'une résolution, si cela était possible. Je me suis exprimée prudemment, en veillant à choisir mes mots. Je crois que j'ai dit que nous travaillions à créer les conditions pour qu'une résolution puisse atteindre cet objectif. Nous travaillons toujours en ce sens. Nous avons, je pense, la même vision là-dessus et le sentiment que nous pouvons amener des membres du Conseil de sécurité à rejoindre cette vision.

Q (LCI) - Madame la Ministre, vous avez redit que l'offensive éclair de Bakou s'était effectuée sous l’œil complice de Moscou. Ma question est la suivante : pour vous, quelle est la responsabilité de la Russie, aujourd'hui ? Est-ce qu'il faut condamner Moscou et si oui, comment ?

R - Madame, c'est en effet la façon dont nous nous sommes exprimés, sur la base de l'observation des faits, qui conduit assez aisément à conclure que la Russie n'a pas respecté les obligations qui étaient les siennes au titre de l'accord de cessez-le-feu de 2020, soit a été d'une passivité que je qualifierais de coupable, soit s'est même livrée à d'autres activités, qui seraient encore plus répréhensibles s'il fallait les énumérer, mais il y en a quelques-unes que je peux avoir en tête. Et donc, hélas, oui, la Russie n'a pas joué son rôle, celui qu'elle devait jouer pour garantir le cessez-le-feu, pour garantir qu'une solution politique avance et permette de régler les questions qui restent en suspens entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie. C'était son devoir, elle ne l'a pas rempli.

[Question en anglais]

R - Je vais vous répondre en français, si vous le permettez. J'ai rappelé tout à l'heure les efforts que nous faisions, que nous faisions aussi au sein de l'Union européenne. J'ai rappelé les résultats que cela avait permis, notamment pour qu'une mission de l'Union européenne, – de l'Union européenne –, soit déployée en Arménie et fasse un travail utile d'observation et de compte rendu aux États membres. Ce travail se poursuit. J'étais hier à Kiev avec tous mes collègues européens, puisque les 27 ministres des affaires étrangères se sont déplacés hier en Ukraine. Et nous avons eu l'occasion de parler, les uns et les autres, de l'Arménie. Je pense pouvoir vous dire que les tragiques événements qui viennent de se dérouler au Haut-Karabakh conduisent un certain nombre de nos partenaires à changer leur vision sur ce qui se passe, de façon plus large, dans le Caucase et, j'espère, à les rapprocher de nos points de vue et à les rapprocher de cette unité qui est nécessaire entre Européens, mais aussi entre Européens amis, partenaires et alliés, de façon à être plus nombreux à nous ranger aux côtés de l'Arménie et à l'aider à ce qu'elle puisse trouver, ou retrouver les voies d'une solution politique et d'un accord de paix juste et durable, qui lui permette - parce que c'est cette solution que nous recherchons - de traiter de l'ensemble des questions qui restent en suspens avec l'Azerbaïdjan. Nous avons progressé, - je rappelais tout à l'heure Prague -, il y aura peut-être d'autres rencontres dans un autre format, ou dans un format approchant. Nous formons le vœu et nous y travaillons que cela permette aussi de continuer de progresser.

[Question en arménien]

R - Je viens de transmettre votre question au ministre, vous avez vu, parce que vous me posez toutes les questions et vous ne lui en posez aucune, donc il complétera ma réponse, il est aussi concerné que moi, puisqu'il s'agit de questions bilatérales. Je ne peux pas, à ce stade, vous donner beaucoup de précisions, je l'ai dit d'emblée. Mais si je dois m'avancer un peu plus, sachez qu'il y a des choses qui étaient déjà agréées entre l'Arménie et la France, qui sont en cours, donc qui progressent, et qu'il y a une deuxième catégorie, si je puis dire, de choses que nous pourrons faire avec l'Arménie, que nous envisageons désormais de faire, au-delà de ce qui avait déjà été agréé. Soyez assurés - je m'arrêterai là - que nous agissons bien sûr dans ce domaine avec esprit de responsabilité, de part et d'autre, et sans aucun esprit d'escalade, bien sûr, tout en notant qu'à côté de l'Arménie, un pays voisin, de son côté, n'a eu de cesse de s'armer pour entreprendre des actions offensives, comme on l'a vu encore, hélas, l'autre jour, un peu après la mi-septembre.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 octobre 2023