Texte intégral
Monsieur le sous-préfet,
Mesdames et messieurs les parlementaires,
Madame la (3e) vice-présidente du conseil départemental du Loiret,
Madame la maire de Lorris,
Monsieur l'officier général commandant l'école des transmissions et père de l'arme des transmissions, général,
Monsieur l'officier général commandant la brigade aérienne d'assaut et de projection, commandant la place d'armes d'Orléans et délégué militaire du département du Loiret, général,
Monsieur l'officier général, commandant en second de la région de gendarmerie Centre-Val de Loire, général,
Monsieur le commandant de la base aérienne 123 Orléans-Bricy, colonel,
Monsieur le président de l'amicale des anciens des services spéciaux de la défense nationale, cher Alain JUILLET,
Monsieur le président d'honneur, cher général Mermet,
Monsieur Jean-Georges JAILLOT-COMBELAS,
Madame la directrice par intérim de l'ONaC-VG,
Mesdames et messiers les porte-drapeaux,
Mesdames et messieurs, en vos grades et qualités,
Il me tardait d'inaugurer avec vous cette plaque à la mémoire d'Élisabeth Torlet, d'Eugénie Mélika Djendi et de toutes les autres Merlinettes que l'association des anciens des services spéciaux a fait apposer, sous l'impulsion du président Juillet et du général Mermet.
Je veux aussi remercier le maire de Lorris et le président du conseil départemental qui soutiennent avec ardeur la transmission de la mémoire résistante du Loiret et de ses enfants, comme Élisabeth Torlet.
Née ici, à Lorris, elle est une figure d'engagement pour la défense d'une certaine idée de la France. À travers elle, à travers ses camarades, c'est une grande, belle mais aussi discrète page d'histoire de notre armée et de nos services spéciaux que nous commémorons. Il est temps, et il est juste, que cette plaque vienne rappeler à notre pays tout ce qu'il doit aux Merlinettes.
J'ai depuis longtemps l'intime conviction que toutes celles et tous ceux qui aiment la France, qui l'aiment profondément et d'une façon authentique, sont appelés un jour à devenir ses serviteurs. Comme le rappelait le président de la République le 18 juin dernier en honorant le préfet Jean Moulin mais aussi Missak Manouchian : il suffit de savoir entendre l'appel. Que ce soit Passy, le 1er juillet 1940, ou les colonels Rivet et Paillolle, le 24 juin, tous entendent clairement l'appel à continuer le combat avec les armes qui sont les leurs.
Dans le centre de la France, au cœur du Loiret, née dans une famille de serviteurs de l'État, Élisabeth Torlet prend progressivement conscience qu'elle aussi a un rôle à jouer dans la libération de son pays. Engagée très tôt dans le cadre des travaux ruraux, elle rejoint ensuite les services spéciaux unifiés, en Afrique du nord, sous l'autorité du général de Gaulle. Une fois la Méditerranée traversée, elle s'engage dans le corps féminin de transmission.
Eugénie Djendi, elle, est née à Bône en Algérie. Elle s'engage auprès du général Merlin en janvier 1943, participe à la campagne de Tunisie avant de rejoindre l'Angleterre d'où elle est parachutée à proximité de Sully-sur-Loire avec d'autres camarades.
Les Merlinettes, ce corps de 1 275 opératrice est l'œuvre du général Merlin qui voit très vite l'intérêt de moderniser les communications de l'armée française car, en retour, c'est toute l'armée qui en tire un avantage stratégique.
De Lattre reconnaît d'ailleurs que : "les volontaires féminines de la Première Armée ont fait preuve d'un dévouement souriant, d'un zèle sans défaillance, certaines même d'un héroïsme magnifique. Elles peuvent être fières de la part qu'elles ont prise à notre victoire".
À travers les Merlinettes, celui qui allait devenir Maréchal de France ne reconnaissait pas seulement des femmes: il reconnaissait la valeur de ces soldats si particuliers de l'arme des transmissions.
Cette dernière est par excellence l'arme du commandement, de la coordination et de la transmission du renseignement. En un mot, elle est le baromètre précis et scientifique de la modernité militaire.
Elle est à la fois le témoin fidèle des évolutions des grandes armées mondiales et la condition de leur ambition.
La présence des Merlinettes est une contribution décisive à la modernisation stratégique des opérations car comme le rappelle l'historien Yann Lagadec, les transmissions sont paradoxalement restées les parents pauvres des opérations spéciales ou clandestines alliées jusqu'aux projets de libération de la France.
Élisabeth Torlet et Eugénie Djendi n'ont pas choisi de servir dans l'armée régulière. Elles préfèrent rejoindre les opérations clandestines au prix d'un risque immense. Le groupe d'Élisabeth Torlet, constitué de 30 volontaires, effectue 11 missions, qui entraînent 6 morts et 1 capture. Les deux femmes finirent exécutées, l'une sommairement dans un champ, l'autre au camp de Ravensbrück. Elles avaient 29 et 21 ans.
La fonction d'opérateur radio est une fonction essentielle. Elle permet de coordonner les actions, de maintenir le lien entre les équipes, réparties sur l'ensemble du territoire, et la direction des services spéciaux. En même temps, c'est aussi une mission profondément dangereuse car les capacités allemandes de détection des transmissions étaient redoutables. l'envahisseur savait qu'un poste radio clandestin, utilisé avec intelligence et discrétion, pouvait condamner un régiment entier le moment venu.
Quelle résolution a dû être celle d'Élisabeth Torlet et de ses sœurs opératrices clandestines parachutées en France, lorsqu'elles ont quitté leurs camarades avec, en tête, l'hypothèse de l'arrestation, de la torture ou de l'exécution. Mais pour la République, qu'elles aimaient plus que leur propre vie, elles n'ont pas hésité et ont su se montrer à la hauteur de la mission qui leur a été confiée.
Le général de Gaulle a su voir et reconnaître les éminentes qualités d'Élisabeth Torlet. Dans la citation qu'il lui accorde, il affirme qu'il y a en elle "une foi ardente dans les destinées du Pays".
Cette foi dans les destinées du pays est le moteur d'un courage très puissant, et en même temps elle explique ce qui peut pousser des femmes et des hommes, pourtant conscient de l'importance de leur tâche, à renoncer à la lumière.
L'exemple d'Élisabeth Torlet, d'Eugénie Djendi et de leurs camarades nous montre que dans l'effacement de soi, il y a une grandeur immense à servir son pays.
Les grandes choses peuvent se faire dans la lumière. Elles peuvent aussi se faire dans l'ombre, dans l'armée des ombres, et ce n'en est pas moins noble.
Il nous revient alors de faire connaître leur histoire, leur choix et leur combat car elles sont, pour les jeunes générations, des modèles absolus de bravoure et de fidélité.
Comme le rappelle le général Rivet : il s'agit d'une "périlleuse tentative que de vouloir parler ou écrire aux frontières de nos secrets nationaux".
Cette même tentative qui fait écho à la volonté du Président de la République le 13 juillet dernier, quand il appelait chacun à contribuer à l'augmentation des forces morales de notre pays. Celles-ci, vous le savez comme moi, ne sont pas faites de bons sentiments ou de jugements indulgents : elles se construisent avant toute chose dans la capacité à faire face, comme individu et comme société, à la réalité nue de notre monde.
D'Élisabeth Torlet et d'Eugénie Djendi, il nous reste leur histoire. L'histoire de femmes combattantes et résistantes, qui ont accepté de faire le sacrifice de la gloire et de la reconnaissance pour mieux accomplir leur mission. Par leur engagement, au mépris de leur propre vie, pour quelque chose de bien plus grand qu'elles, elles ont incarné ce que la République peut être de plus haut et de plus beau.
L'histoire d'Élisabeth Torlet et d'Eugénie Djendi est un exemple qui, par sa force et par sa grandeur, contribue à l'entretien des forces vives de notre Nation. Sachons nous en souvenir.
Vive la République, Vive la France.
Source https://www.defense.gouv.fr, le 10 octobre 2023