Interview de Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, à France 2 le 5 octobre 2023, sur la situation au Haut-Karabakh.

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Média : France 2

Texte intégral

Q - Avec nous la ministre des affaires étrangères, Catherine Colonna. Bonsoir Madame la Ministre.

R - Bonsoir.

Q - D'abord, les députés européens ont adopté aujourd'hui à une large majorité un texte dénonçant une "épuration ethnique" au Haut-Karabakh. Peut-on parler, selon vous, d'une "épuration ethnique" ?

R - Cela y ressemble, en tout cas. Un exode forcé, des gens qui doivent quitter leur terre ancestrale, leur foyer, après des opérations militaires ou sous la menace de nouvelles opérations militaires, ce ne sont pas des départs volontaires. Même s'il faut garder l'espoir bien sûr qu'ils reviennent un jour dans ce qui est leur foyer ancestral.

Q - Donc ce terme, vous le validez, cette expression ?

R - On peut le valider, j'ai employé souvent le mot de "crime", on peut employer celui de "tragédie" également, mais il faut garder l'espoir qu'ils puissent revenir, c'est le droit qui est le leur, ce droit a été réaffirmé d'ailleurs aujourd'hui par le Président de la République à Grenade, et donc je n'aime pas considérer que les choses sont faites, il ne le faut pas, nous nous battons pour un avenir meilleur.

Q - "Nous nous battons pour un avenir meilleur" ; est-ce que nous sommes vraiment "droit dans nos bottes" ? N'avons-nous pas été inertes, alors que ce drame se passait sous nos yeux ?

R - Non, on ne peut pas dire cela. La France est l'amie de l'Arménie, de longue date. Mais de longue date aussi, elle agit à ses côtés, les Arméniens le savent et le disent, et il faut que notre pays le sache et en soit fier.

Q - Et pourtant, il n'y a pas eu de sanctions contre l'Azerbaïdjan...

R - Ce n'est pas à l'ordre du jour...

Q - Pourquoi ?

R - Ce que nous faisons, c'est aider les Arméniens et l'Arménie ; l'aider sur le plan humanitaire, parce que vous avez vu ces réfugiés, -ces reportages sont émouvants-, et nous avons, en ce qui concerne la France, multiplié par six notre aide humanitaire depuis le début de l'année pour qu'ils puissent être accueillis dans de bonnes conditions. Nous avons apporté aussi...

Q - Mais en Ukraine, on sanctionne les crimes. Là, on ne sanctionne pas les crimes...

R - Je voudrais revenir sur la différence peut-être entre ce qui peut se passer et que nous voulons prévenir, et ce qui se passe et que nous condamnons. De surcroît, nous apportons une aide qui doit être apportée aux réfugiés, nous avons aussi apporté de l'aide médicale ; quelques jours à peine après la terrible explosion qui a eu lieu à Stepanakert, et qui a fait des centaines de blessés et de morts, nous avons pu faire arriver sur place, à Erevan, une aide médicale. J'ai pu m'en rendre compte, cinq tonnes d'aide médicale d'urgence, j'ai pu m'en rendre compte en rendant visite à des grands brûlés. Et nous allons demain procéder à une évacuation de quatre grands blessés de Stepanakert vers Paris.

Q - Mais là, je vous parle de sanctions. Par exemple l'eurodéputé qui représente la droite au Parlement européen, François-Xavier Bellamy, a suggéré de couper nos importations de gaz de Bakou, parce que le gaz d'Azerbaïdjan ne vaut pas vraiment mieux que celui de Russie.

R - Ce que nous faisons, c'est dire à l'Azerbaïdjan qu'il doit respecter ses engagements, qu'il doit respecter aussi le droit international, et nous appuyons diplomatiquement, politiquement l'Arménie de longue date. Et encore une fois, les Arméniens nous en sont reconnaissants. Nous le faisons aux Nations unies, nous l'avons fait chaque fois qu'il y a eu des réunions du Conseil de sécurité, c'était à l'initiative de la France, nous l'avons fait à l'OSCE, nous le faisons dans le cadre européen. Et c'est une bonne chose qu'alors que nous avons souhaité dans le passé que les Européens parlent plus clairement et plus fermement, disent les choses à nos côtés, désormais le Parlement européen s'est exprimé, la Commission européenne aujourd'hui a annoncé également qu'elle augmenterait son aide. Et puis vous avez vu à Grenade, la réunion entre le Président de la République, le Chancelier allemand, le Président du Conseil européen et le Premier ministre Pachinian, qui m'avait reçue avant-hier, pour, à ses côtés, rappeler l'inviolabilité des frontières, pour rappeler l'importance de l'intégrité territoriale, de la souveraineté et de l'indépendance de ce pays. Donc nous sommes...

Q - Mais vous avez annoncé des armes aussi pour garantir ses frontières...

R - Nous sommes à l'action, y compris avec, je l'ai évoqué après le ministre des armées Sébastien Lecornu, la possibilité pour la France, qui a déjà une relation de sécurité et de défense avec l'Arménie, de la prolonger...

Q - Mais quelles armes ?

R - De la prolonger, compte tenu de la situation dans un dialogue dont le Président arménien vous parlait, pour aider ce pays à mieux assurer sa protection.

Q - Quelles armes et quand ?

R - Vous savez que ces questions sont généralement couvertes par ce qu'on appelle le "secret Défense" ; d'autre part, une fois la décision de principe prise, et elle est prise, un dialogue s'engagera maintenant avec l'Arménie pour voir quels sont ses besoins, comment nous pouvons répondre...

Q - Parce qu'on craint une nouvelle attaque de l'Azerbaïdjan en Arménie ?

R - ... et c'est une façon aussi de prévenir, d'éviter d'être dans une situation encore plus difficile qui, cette fois, appellerait certainement des sanctions et une réaction très forte de l'Europe, de la France en tout cas, et de la Communauté internationale.

Q - Merci beaucoup, Madame la Ministre, d'être venue sur notre plateau.

R - Merci beaucoup.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 octobre 2023