Déclaration de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, sur la politique économique à mener face à l'inflation, à Paris le 16 octobre 2023 .

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Bruno Le Maire - Ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique

Circonstance : Conférence Sociale

Texte intégral

Bonjour à tous,

Je voudrais souligner l'importance de cette conférence sociale, parce qu'il me semble que c'est la bonne méthode. Une méthode dans laquelle nous partons d'un constat, partagé ou pas partagé, au moins qui sera fait, d'un diagnostic, d'un dialogue, et qui amène ensuite à des décisions sur lesquelles chacun peut se prononcer.

Il me semble que cette méthode de dialogue est la seule bonne méthode pour avancer. Avec au bout du compte, on soutient beaucoup des décisions, mais pas simplement un dialogue ou des discussions. Nous avons besoin de décisions pour tenir l'objectif qui est le nôtre, un objectif je crois qui est partagé, plus de travail en France, et un travail qui paye.

Je voudrais d'abord rappeler, en quelques mots, le contexte dans lequel nous sommes. Nous sortons d'abord de deux chocs économiques majeurs qui ont fatigué la nation, qui ont fatigué les salariés, qui ont été une épreuve pour beaucoup de nos compatriotes. Le premier, c'est le choc du Covid, qu'on relativise beaucoup trop. C'était le choc économique le plus grave qu'ait connu la France depuis 1929. Jamais il n'y avait eu un recul de la richesse nationale aussi fort que depuis 1929. Alors nous avons pris les décisions nécessaires, mais ce choc reste un choc brutal pour l'économie française.

Le deuxième, c'est le choc inflationniste. Là aussi je tiens à le rappeler que c'est le choc inflationniste le plus brutal que nous avons connu depuis celui des années 70, plus brutal encore que le double choc pétrolier, parce qu'à cette fois-ci il a touché toutes les énergies. Et c'est ce choc inflationniste qui aujourd'hui continue de peser ; même si l'inflation recule. La politique que nous menons est efficace pour faire reculer l'inflation et revenir d'ici 2024 à un peu plus de 2 % d'inflation. L'inflation qui est due, je le rappelle, principalement à la guerre en Ukraine et à la flambée du prix de l'énergie, et très marginalement aux marges des entreprises.

Deuxième remarque de contexte, nous entrons dans une période géopolitique particulièrement instable qui peut entraîner des conséquences économiques importantes. Si le conflit reste local, les conséquences seront locales. Si le conflit devient global, les conséquences économiques seront globales. Et nous aurons dans ce cas à faire face, après le Covid, après le choc inflationniste, à un troisième choc économique. Voilà pourquoi tout doit être fait pour éviter l'embrasement de la région.

Les faits ensuite. Les faits, c'est que la France a mieux protégé que les autres pays européens son économie, ses entreprises et ses emplois face à ce double choc du Covid et de l'inflation. Nous avons évité des dizaines de milliers de faillites. Nous avons évité des centaines de milliers de chômeurs supplémentaires pendant le Covid. Nous avons été, deuxième fait, le premier pays de la zone euro à retrouver son niveau d'activité d'avant-crise. C'est un fait.

Ce qui veut dire que la relance que nous avons mise en place, et que vous avez mise en place, parce que cette relance n'est pas que le fait de l'État, c'est les salariés, les entreprises, les PME, a été particulièrement efficace et je veux vraiment un hommage à tous ceux qui travaillent, à tous les salariés, à tous les entrepreneurs qui nous ont permis d'avoir une relance efficace.

Enfin, troisième fait, nous avons davantage amorti le choc inflationniste que dans la plupart des autres pays européens. D'autres pays européens ont connu des taux d'inflation à 10, 15, 17, 20, 25 %. Ça n'a jamais été le cas en France. Je ne mésestime pas la difficulté que représente en particulier l'inflation alimentaire pour des millions de nos compatriotes. Je veux juste dire que la France a été le seul pays en Europe à mettre en place un bouclier sur les prix du gaz et un bouclier sur les prix de l'électricité qui étaient les deux facteurs clés d'augmentation de l'inflation.

Enfin, quatrième fait, nous allons sortir de cette crise inflationniste sans passer par la case récession. Vous nous avez dit qu'en 2023 la case récession était inéluctable, nous aurons 1 % de croissance. Le Gouvernement tient sa prévision et le FMI a confirmé que nous ne serions pas loin des 1,4 % de croissance prévue par le Gouvernement français pour 2024. Nous tenons donc nos objectifs et nous avons réussi à sortir du choc inflationniste sans passer par la case récession, ce qui n'est pas le cas de toutes les grandes économies européennes. Je tiens là aussi à le rappeler.

Enfin, ça a été mentionné par beaucoup d'entre vous, cette protection a été très coûteuse pour nos finances publiques. De l'ordre de 150 milliards d'euros pour se protéger face au Covid. C'était un investissement, parce qu'on n'a pas perdu de compétences, pas perdu de savoir-faire, pas perdu d'usines. S'ajoute à cela 60 milliards d'euros pour le bouclier énergétique. Et je pense que c'était aussi un investissement pour protéger nos compatriotes, en particulier les plus modestes d'entre eux. Mais la conséquence de tout cela, elle est très simple : il n'y a plus de marge de valeur dans la dépense publique, plus aucune. On ne peut pas compter sur plus de dépenses publiques, ce serait une erreur. On ne peut pas compter sur plus de dette publique, ce serait une faute. D'autant plus que nous avons deux sortes d'investissement que nous devons impérativement continuer à financer : la transition climatique d'un côté, la défense de l'autre.

Chacun voit bien que, face à l'accélération du réchauffement climatique, face aux menaces géopolitiques et le retour de la guerre sur le sol européen, ces deux investissements sont des nécessités absolues.

Après je passe sur les convictions, parce que chacun a exprimé les siennes, je peux aussi exprimer les miennes. La politique de l'offre est efficace et, tant que je serai ministre de l'Économie, nous continuerons la politique de l'offre, je suis au regret de le dire à certains d'entre vous ici. Nous la menons depuis 2017. Nous la menons en veillant à ce que le partage entre capital et travail reste équitable. Nous sommes une des seules économies développées où le partage entre le capital et le travail n'a pas bougé. Et même depuis 2019, la répartition du partage de la valeur entre le travail et le capital s'est infléchie au profit du travail, et non du capital. Alors si certains préfèrent les résultats des politiques d'hier, avec un chômage de masse, avec 25 % de taux de chômage chez les jeunes, avec une désindustrialisation 3/5 accélérée, avec toujours plus de consommateurs, toujours moins de producteurs, libre à eux, mais ce ne sera pas ma politique, mais ce ne sera jamais notre politique.

Je crois à une politique qui fait de la France un pays producteur, un pays de producteurs, qui ouvre des usines et qui maintient ses exploitations agricoles là où se fait la valeur. C'est une conviction viscérale chez moi : nous devons redevenir une grande nation de production. Et pour ça, je constate que la politique de l'offre est la seule qui ait donné des résultats : 2 millions d'emplois créés depuis 6 ans, 300 usines ouvertes, 100 000 emplois industriels là où on avait perdu 2 millions d'emplois industriels depuis 30 ans, un pays qui est devenu le plus attractif de tous les pays de la zone euro pour les investissements étrangers, un pays qui est capable d'ouvrir de nouvelles chaînes de valeur en France… Nous aurons également 4 usines gigafactories. La première ACC qui a déjà été réalisée et vous dites : ça marche, c'est tangible. Ce sont des ouvriers, c'est des ingénieurs, c'est des techniciens. Ce sont des batteries électriques qui sont produites, ce sont des usines qui ouvrent. Donc nous maintiendrons cette politique de l'offre qui permet à la France de redevenir une grande nation de production et une grande nation de valeur, avec des ouvriers qui sont qualifiés et mieux rémunérés quand je rappelle qu'un ouvrier qualifié dans l'industrie est mieux rémunéré que dans les services.

Alors, est-ce que tout est parfait ? Non, évidemment. Sinon cette conférence sociale, il n'y aurait même pas de raison de la faire. Évidemment que tout n'est pas parfait. Mais à partir de là, la conférence sociale, elle a un intérêt d'ouvrir des pistes de travail sur lesquelles nous pouvons nous engager ensemble. Et je pense que le premier travail à faire, c'est de savoir dans quelles pistes de travail nous nous engageons. Et ça, ça prend du temps. Il vaut mieux bien choisir ses pistes de travail pour s'assurer qu'elles débouchent sur des résultats et éviter les impasses.

Je vois 3 impasses. Et comme je suis un esprit optimiste et volontariste, 5 pistes de travail, vous voyez qu'elles sont plus nombreuses que les impasses. La première impasse, c'est l'indexation des salaires sur l'inflation. Alors on cite la Belgique. Mais je rappelle qu'en Belgique, où effectivement les salaires sont indexés sur l'inflation, on a un taux d'emploi qui est à 66 % alors qu'on est à 68 % en France. Donc si on veut avoir un taux d'emploi toujours plus élevé, il faut éviter l'indexation des salaires sur l'inflation. Moi, mon objectif, c'est 80% de taux d'emploi pour la France d'ici 10 ans. Ce n'est pas de repasser à 65% parce qu'on a indexé les salaires sur l'inflation. Moi, je vous le dis avec franchise et clarté, c'est le mérite de ce débat, c'est une première impasse.

La deuxième impasse, c'est le coup de pouce au SMIC. On a tous envie de dire : on va donner un coup de pouce au SMIC, on va augmenter le SMIC. C'est sympathique mais les résultats économiques derrière, c'est de menacer l'emploi des plus fragiles et des non qualifiés. Méfions-nous des bonnes intentions. Chacun sait que l'enfer en est pavé, en particulier l'enfer du chômage de masse, dont nous sortons enfin pour la première fois depuis 30 ans.

Enfin, troisième impasse à mon sens : l'augmentation générale des salaires décidée par l'État. Je rappelle que nous sommes en économie de marché, l'État ne fixe pas les salaires, l'État ne fixe pas les prix.

En revanche, je vois 5 pistes de travail. La première, elle a été mentionnée par certains. Je pense qu'elle est absolument décisive, elle porte un nom qui est peut-être très technique, peut-être très lointain. Mais décisive tout simplement pour les fins de mois, les rémunérations 4/5 et les salaires. C'est la productivité. L'appauvrissement relatif de la France et l'appauvrissement relatif du continent européen par rapport aux États-Unis tient en un mot la perte de productivité de l'économie européenne. Je le dis dans ce cénacle. Comme je l'ai dit au G20, il y a quelques jours, comme je le redirai ce soir à la réunion des ministres des Finances européens à Luxembourg, l'Europe doit gagner en productivité, l'économie européenne doit doper sa productivité sinon, avec le vieillissement du continent européen, c'est toute l'Europe qui sera à bout. Et ça doit être un engagement de tous les États européens, toutes les nations européennes, de la Commission européenne et de chacune des grandes économies européennes d'augmenter sa productivité, par une meilleure formation, par plus d'innovation, par plus de vérification, par plus d'industries, plus d'usines, plus d'ingénieurs en prenant toutes les mesures nécessaires.

Quand je vois le nombre de femmes ingénieurs qui est plus faible aujourd'hui qu'il ne l'était il y a 20 ans, moi, je suis favorable à ce qu'on ait des quotas pour les femmes ingénieurs et s'assurer que ces métiers sont ouverts à toutes et tous dans notre pays. La productivité crée une forte prospérité future. C'est pour moi la première piste de travail sur laquelle je pense qu'il faut que nous nous engagions.

Deuxième piste de travail qui est le point d'accord avec la CGT ce qui nous arrive rarement souligner, c'est l'égalité femmes-hommes. Nos résultats ne sont pas à la hauteur des attentes. Nos résultats ne sont pas à la hauteur de la grande démocratie qu'est la démocratie française. Et il n'y a rien de révoltant de devoir se maintenir à de tels niveaux d'inégalités salariales entre les femmes et les hommes dans une entreprise, qu'un même niveau de qualification et plus encore dans des salaires qui soient plus faibles. C'est inacceptable. Une femme puisse perdre de l'avance dans sa carrière parce qu'elle a un enfant, c'est totalement inacceptable.

Troisième piste de travail : le taux d'emploi, nous devons augmenter ce taux d'emploi et fixer 80% taux d'emploi comme objectif d'ici 10 ans. Et je le dis là aussi avec clarté, avec conviction. Nous ne parviendrons pas mécaniquement à 5 % de taux de chômage. Il y a des freins dans le modèle social français qui font que si nous restons les bras croisés, si nous laissons un modèle social français en l'état, nous n'atteindrons jamais notre objectif politique de 5% de taux chômage en 2027. Je pense que cela mérite débat. Mais ne pensons pas qu'uniquement par je ne sais quel coup de baguette magique, nous arriverons à franchir ce pas de 7 à 5 que nous ne sommes jamais arrivés à franchir depuis un demi-siècle. Si nous voulons le plein emploi, il faut nous en donner les moyens et se donner les moyens, c'est repenser le modèle social français.

Quatrième piste de travail à mon sens, le partage de la valeur. On a déjà fait beaucoup, intéressement, participation, prix défiscalisé, on doit faire plus dans le projet de loi de finances pour 2024, par exemple, nous prévoirons que lorsqu'une entreprise fait un rachat d'actions, elle a l'obligation de distribuer plus d'intéressements, plus de participation ou plus de prix défiscalisé à ses salariés. Ça n'est à mon sens que justice. Est-ce qu'il faut aussi mieux associer des salariés à cette décision ? Je suis favorable à cette réflexion, également.

Enfin, ça a été mentionné par tout le monde, cinquième piste de travail qui me paraît importante, c'est le profil de l'allègement des charges. Il faut combiner l'équation à 3 inconnues très complexe : ne pas aggraver la charge pour les finances publiques, c'est déjà 70 milliards d'euros ; ouvrir une dynamique salariale qui doit être un objectif collectif et garantir le plein 5/5 emploi. Nous rencontrons tous des patrons de PME qui voudraient augmenter un salarié qui a un salaire modeste et qui se disent si je l'augmente de 100 euros, ça va me coûter 245 euros. Et tout le paradoxe de cela étant que si le salarié est mieux payé, ça lui coûtera moins cher de l'augmenter. Enfin là, très franchement, il y a un bug, quand il y a un bug, ça mérite d'être regardé et réparé.

Merci à toutes et à tous de votre attention et de votre présence ce matin.


Source https://www.economie.gouv.fr, le 18 octobre 2023