Texte intégral
Q - Notre invitée ce soir, la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, bonsoir Catherine Colonna, merci de votre présence ce soir, alors que des milliers de Palestiniens fuient vers le sud de Gaza après l'appel à l'évacuation lancé par Israël ; Israël où vous partirez demain, notamment pour évoquer la situation des otages français retenus par le Hamas.
Madame la Ministre, trois ans quasiment jour pour jour après l'assassinat de Samuel Paty, c'est à nouveau un professeur qui a été la cible d'une attaque terroriste ; une fois encore, c'est un symbole de la République, un enseignant au sein de son établissement, qui a été visé.
R - Oui, malheureusement. Le chef de l'État s'est rendu sur place aussitôt, accompagné du ministre de l'Intérieur et du ministre de l'Éducation et il a dit ce qu'il fallait dire en sa qualité de chef de l'État ; il a appelé à faire bloc, à faire bloc face à la barbarie du terrorisme islamiste. Je crois que ce sont des mots forts, des mots qui comptent. Je veux dire moi aussi, bien sûr, mon émotion et toute l'horreur qu'on ressent devant une telle barbarie.
Q - Emmanuel Macron qui a précisé qu'une tentative d'attentat avait été déjouée dans une autre région, probablement à Limay, dans les Yvelines, où un homme de 24 ans, fiché S, a été interpellé alors qu'il semblait suivre un groupe de lycéennes ; il était armé d'un couteau de cuisine d'une lame de 10 centimètres.
Faut-il sanctuariser l'école, Catherine Colonna ? Vous n'êtes ni ministre de l'Éducation, ni ministre de l'Intérieur...
R - Ce sont des questions difficiles, en effet, je ne suis pas ministre de l'Intérieur en charge de la sécurité des Français que nous devons néanmoins bien sûr collectivement assurer. Des mesures de précaution ont été prises, vous le savez, le Président de la République l'a rappelé hier soir ; beaucoup de forces sont déployées depuis plusieurs jours et bien avant ce terrible assassinat. Mais... comment dire... je crois que si le moment n'est pas à manquer de vigilance, c'est un euphémisme, le moment exige aussi que nous ne manquions pas de sens des responsabilités, d'unité et de respect ; de respect qu'on doit aux victimes, à ce professeur qui a été assassiné, à nos victimes qui ont été assassinées en Israël aussi - nous avons quinze compatriotes qui ont perdu la vie. Je pense que ce sont des moments où il faut que l'unité de la Nation et la fermeté marchent ensemble.
Q - Vous avez parlé de quinze victimes françaises.
R - Oui, malheureusement, au fil des jours et des heures et des identifications auxquelles peuvent procéder les autorités israéliennes, nous sommes parfois obligés de réviser le bilan humain que l'on donne, malheureusement, il y a quinze...
Q - Emmanuel Macron parlait hier de treize victimes ; donc désormais, le bilan... ?
R - ...Ce matin, je vous aurais parlé de quatorze décès, quatorze morts, assassinés par une organisation terroriste ; et aujourd'hui, je dois vous annoncer qu'une quinzième personne est décédée. Nous avons aussi, vous le savez, des disparus ; parmi eux, peut-être des otages.
Q - L'unité nationale cet après-midi à l'Assemblée nationale avec une minute de silence pour exprimer la solidarité de la Nation face à l'horreur de l'attaque mais des voix dissonantes à droite et à l'extrême droite.
L'appel à prendre ses responsabilités de la part de cette députée Rassemblement national, dont le président, Jordan Bardella, a demandé la démission immédiate de Gérald Darmanin, en rappelant que l'assaillant d'Arras était fiché S, étranger, dont la famille aurait dû être expulsée en 2014 ; il n'aurait pas dû être sur notre sol. Que lui répondez-vous, Catherine Colonna ?
R - Qu'il faut un peu de décence, je le redis, et de respect pour les victimes de ces actes. Ce n'est pas le moment d'aller se faire une popularité sur les malheurs du monde. Pardon d'être sévère, mais je crois que c'est un moment qui mérite plus de gravité, plus de réflexion, plus de raison aussi, et il est important que nous restions dans les valeurs de la République, celles qui ont été rappelées, celles que l'école représente précisément. Et ne cédons pas nous-mêmes à une mise en cause de ces valeurs, c'est extrêmement important.
Q - Il faudra quand même regarder de près ce qui s'est passé en 2014, au moment où cette procédure... ces procédures de reconduite à la frontière ont été interrompues, apparemment sur instruction ministérielle - vous n'y étiez pas - mais on regardera ça de près ; l'assaillant, le tueur pardon, est d'origine ingouche - l'Ingouchie, c'est une des républiques de Russie - et de nationalité russe ; aujourd'hui, il est absolument impossible d'expulser, de renvoyer dans leur pays des individus qui ont cette nationalité ?
R - Sur l'identité de l'assaillant et les circonstances de cette attaque, le Parquet national antiterroriste est saisi ; je comprends que le Procureur s'exprimera ou s'exprime au moment où nous nous parlons, et permettez-moi de vous renvoyer vers les informations qu'il nous donnera, qui seront précises, documentées et qu'il donnera officiellement.
Q - Sur le risque de l'importation du conflit israélo-palestinien sur le sol français, pourquoi est-ce qu'il est plus important en France que dans d'autres pays européens ?
[Réponse de M. Hugo Micheron, chercheur, spécialiste du djihadisme et enseignant à Sciences-Po]
Q - Et il y a les réseaux sociaux que vous avez scrutés ces derniers jours ; alors évidemment ce n'est pas la réalité de la société etc. mais c'est une loupe et il y a un bruit qui se dégage, il y a beaucoup de messages qui sont pro-Hamas.
[Réponse de M. Hugo Micheron]
Catherine Colonna - Peut-être une précision de mon côté : il y a des géographies, vous le dites, des histoires et des histoires souvent compliquées ; il y a des dynamiques mais il y a aussi Internet et l'espace numérique ; et pour moi, c'est moins la souveraineté sur les algorithmes - sujet important s'il en est - que l'appel à la responsabilité des plateformes qui doit être renforcée. La France a des dispositifs efficaces et rapides ; l'Europe s'est dotée de dispositifs qui seront pleinement mis en place dans peu de temps mais vous savez que le commissaire français, Thierry Breton, a mis en garde un certain nombre de plateformes, trois d'entre elles : Twitter, ex-Twitter...
Q - X...
R - ...Meta et TikTok, et documentent leurs manquements, et il ira plus loin s'il le faut. Il faut que les plateformes qui ont cette responsabilité, retirent les contenus antisémites, d'apologie du terrorisme, d'appel à la haine ; c'est leur responsabilité, il faut aussi le leur dire. L'irruption du numérique sur ces champs déjà assez bouleversés, est un facteur de fragilité supplémentaire et il faut traiter cette question plus clairement.
Q - Le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, a ordonné hier l'interdiction des manifestations pro-palestiniennes parce qu'elles sont susceptibles de générer des troubles à l'ordre public. Et pourtant, à Paris, plusieurs milliers de personnes se sont rassemblées place de la République.
(Extrait reportage) (...)
Q - Les manifestants ont été dispersés par la police et qui a dû faire usage de gaz lacrymogènes. Hugo Micheron, est-ce qu'on peut craindre la multiplication de ce type de manifestations pourtant interdites et est-ce que les réseaux sociaux aussi peuvent créer des manifestations comme ça en pleine rue, sans que l'on ne soit au courant, sans que les autorités ne soient au courant par exemple ? On l'a vu dans certaines villes, à Lyon il y a deux jours...
[Réponse de M. Hugo Micheron]
Q - Mais l'interdiction de ces manifestations, ça alimente la haine...
[Réponse de M. Hugo Micheron]
Catherine Colonna - Je veux bien qu'on parle de narratif et de manipulation, mais ce sont justement des manipulations ; l'interdiction à titre de précaution de ces manifestations pro-palestiniennes est raisonnable et justifiée, puisqu'on sait bien que, vous disiez vous-même, c'est un prétexte... on sait bien que derrière la défense de la cause palestinienne, en ce moment, peut cacher tout autre chose. Et s'il ne faut pas confondre les aspirations légitimes du peuple palestinien à la paix et à la sécurité et d'une façon générale les Palestiniens, avec le Hamas, certainement pas, qui le représente bien mal et qui fait le malheur du peuple palestinien, en ce moment, il est pleinement justifié d'interdire tout ce qui pourrait donner lieu à des troubles à l'ordre public et le ministre de l'Intérieur a eu raison de le faire. Que cela ne suffise pas à empêcher des mouvements, en effet, c'est là aussi qu'on retrouve un peu la problématique des réseaux sociaux et du numérique, et que je reviens à l'idée que cela doit être un sujet davantage au cœur de nos préoccupations.
Q - Toute une population qui semble prise au piège aujourd'hui, d'autant plus que le Hamas les a appelés à rester chez eux. Comment protéger les civils ? Dimanche, vous serez en Israël ; est-ce que vous allez demander aux dirigeants du pays que la riposte soit forte mais juste, comme l'a rappelé hier soir Emmanuel Macron dans son allocution ?
R - Nous le disons et nous le répétons aux Israéliens, mais je voudrais d'abord dire parce qu'on y a peu fait référence jusqu'ici, qu'Israël a le droit de se défendre, qu'Israël a le droit de se défendre après des attaques abominables qui ont fait 1.300 morts au moins et menées avec souvent une barbarie, là aussi, des atrocités documentées, connues. Dans l'exercice de ce droit, il lui revient de respecter évidemment le droit international, et en particulier le droit international humanitaire. Nous disons, et nos partenaires le font également tout à fait ouvertement à Israël, qu'il lui revient de protéger autant que c'est possible la vie des civils, y compris à Gaza. La situation est particulièrement complexe puisque la densité de population sur un territoire étroit comme la bande de Gaza, est particulière et rend les risques de toute opération militaire, extrêmement élevés. Mais c'est une question sensible. Israël doit en tenir compte et nous lui disons tout à fait ouvertement et les autres de nos partenaires les plus proches avec nous...
Q - Le droit humanitaire, vous le savez, interdit les sièges comme il est pratiqué aujourd'hui dans le territoire de Gaza.
R - Absolument, ce blocus ne respecte pas le droit humanitaire ; les Palestiniens, la population palestinienne a le droit de recevoir un accès normal à l'eau, aux vivres, à tout ce qui permet de répondre à ses besoins élémentaires. Nous le disons ouvertement, et nous ne sommes pas les seuls à le dire. Je crois qu'il faut considérer que dans son exercice de ce droit à se défendre, Israël a aussi cette obligation, en particulier comme démocratie qu'il est.
Q - Et donc ouvrir des corridors humanitaires...
R - Nous y travaillons avec beaucoup de nos partenaires ; l'accès humanitaire d'une part qui est le fait de pouvoir apporter un certain nombre de biens et le corridor humanitaire permettant à des populations vulnérables de quitter Gaza, si elles le souhaitent, sont l'objet de nos efforts avec nombre de nos partenaires dans la région.
Q - Avec les États-Unis notamment...
R - Les États-Unis notamment, les Égyptiens évidemment pour ce qui concerne le corridor humanitaire, et puis les organisations des Nations unies et l'ONU elle-même.
Q - Aujourd'hui les rues arabes ont donné de la voix en soutien aux Palestiniens, avec des manifestations de milliers de personnes au Moyen-Orient, notamment en Irak, en Jordanie ou au Liban. "Les États-Unis doivent contrôler Israël s'ils veulent éviter une guerre régionale", c'est ce qu'a déclaré aujourd'hui le chef de la diplomatie iranienne en visite à Beyrouth. Est-ce que vous craignez un embrasement régional ? Comment le prévenir ?
R - Vous me permettrez d'abord de me distancier sensiblement des déclarations du chef de la diplomatie iranienne, l'Iran se distinguant ces derniers temps, et de façon croissante, par des déclarations extrêmement préoccupantes. Oui, il y a un risque à prendre en compte, -et les pays de la région le prennent en compte- et c'est la raison pour laquelle nous disons et nous redisons, le Président de la République l'a refait lui-même tout récemment, qu'il est indispensable de redonner un horizon politique, de restaurer une perspective de paix, une dynamique de paix, précisément parce que, oui, il faut être très attentif à ce qui peut se passer dans les pays arabes. Les terribles événements de samedi dernier et des jours qui ont suivi ne font que rappeler la nécessité, je dirais même l'urgence, - même si c'est un discours difficile à entendre maintenant, sous le coup de l'émotion -, d'une perspective de paix. Tant que la paix ne sera pas là, il n'y aura pas de stabilité, ni pour les uns, ni pour les autres, et cette plaie restera ouverte. C'est l'intérêt des Israéliens, c'est l'intérêt des Palestiniens.
Q - À la veille d'une intervention d'Israël à Gaza, parler de paix, c'est vrai que ça semble...
R - Oui, mais cela ne diminue pas le droit d'Israël à se défendre ; je veux redire que ce pays et son peuple ont subi une attaque sans précédent visant à remettre en cause son existence même, parce que la charte du Hamas prône la destruction d'Israël. Je veux rappeler les abominations qui ont suivi ces attaques ; je veux rappeler que quinze de nos compatriotes ont perdu la vie ; quinze Français sont morts dans cet attentat terroriste...
Q - Et que dix-sept sont toujours portés disparus...
R - Seize à ce jour, parce que nous révisons les chiffres régulièrement.
Q - En savez-vous plus sur le sort de ces ressortissants français qui pourraient être retenus à Gaza ?
R - Une partie des seize disparus est peut-être otage. Nous nous exprimons toujours très prudemment parce que nous avons peu d'informations et les autorités israéliennes avec lesquelles nous travaillons de très près, main dans la main, ont elles-mêmes peu d'informations sur ce qui n'est pas le territoire israélien. Par différents canaux, bien sûr, nous cherchons à nous renseigner davantage, et nous ferons tout pour que ces personnes puissent être libérées. Néanmoins, je vous réponds tout à fait honnêtement, nous n'avons pas beaucoup d'informations fiables sur ce qui a pu leur advenir après que des témoins ont constaté leurs enlèvements.
Q - Vous êtes en contact, j'imagine, avec les familles de ces ressortissants...
R - Bien sûr... je devrais le dire, mais ça va tellement de soi. Nous sommes en contact avec toutes les familles aussi bien à Paris, que sur place, Jérusalem, Tel Aviv, où qu'elles soient, depuis le premier jour, depuis la première heure.
Q - Lors de son déjeuner, hier, avec les chefs des partis, le chef de l'État a révélé que la France avait entamé des discussions avec des intermédiaires. Confirmez-vous ces discussions et qui sont ces intermédiaires ?
R - Les États de la région, et ce sont des moments où il est important que tout le monde parle à tout le monde et nous le faisons ; je mettrai le cas de l'Iran tout à fait à part à nouveau, si vous le permettez, pour des raisons évidentes. Nos partenaires le font aussi. Certains de ces pays peuvent avoir une influence sur le Hamas, par des relations qu'ils peuvent avoir avec cette organisation terroriste, avec laquelle nous n'avons pas de relations...
Q - Le Qatar ?
R - Le Qatar notamment, mais d'autres pays peuvent pouvoir avoir une influence et il serait imprudent de ne pas les encourager à essayer d'aider nos compatriotes et de permettre, si cela est possible, qu'ils soient libérés rapidement sans condition pour des raisons humanitaires évidentes.
Q - La France a organisé hier un premier vol pour rapatrier ceux de nos compatriotes qui voudraient quitter actuellement Israël ; vous êtes d'ailleurs venue les accueillir...
(Extrait reportage)
(...)
Q - Vous aviez annoncé qu'il y aurait d'autres vols pour rapatrier ; est-ce que vous savez combien de vols et quand ils vont être mis en place ?
R - On a pu organiser hier soir un premier vol, c'est-à-dire un vol Air France affrété par le Quai d'Orsay avec, je crois, 391 personnes à bord, et vous l'avez vu, beaucoup d'enfants, des personnes âgées aussi, les personnes qui étaient les plus vulnérables. Un second vol est en route en ce moment même ; il doit atterrir je crois vers 22 heures. Puis pour ce qui est de samedi et dimanche, nous prévoyons deux à trois vols par jour, ce qui permettra à tous ceux qui voudraient quitter Israël de le faire par ce moyen-là.
Q - Ils sont nombreux à solliciter un retour en France ?
R - Quelques centaines qui sont devenus peut-être 1.500 ou 2.000. Et donc vous voyez qu'on devrait en être déjà ce soir à peut-être 650 ou 700, donc avec les rotations prévues demain et les jours suivants, je pense qu'on pourra tout à fait leur permettre de quitter Israël, s'ils le souhaitent.
Q - Encore un mot sur votre visite, celle que vous allez entreprendre dimanche en Israël - on en a parlé tout à l'heure - est-ce que ce déplacement, vous diriez qu'il est d'abord à visée humanitaire ou politique ? Humanitaire, on en a parlé, avec la situation des Palestiniens de Gaza et évidemment des Israéliens qui sont toujours sous la menace du Hamas ; mais politique, c'est-à-dire pour préparer une éventuelle solution politique, on en a dit quelques mots tout à l'heure.
R - Je me rendrai à compter de dimanche dans la région, et vraisemblablement en commençant par Israël, dimanche ; en Israël bien sûr, pour manifester le soutien de la France à Israël dans cette épreuve et le soutien à nos compatriotes. Nous avons une communauté importante en Israël qui est souvent sous le choc, qui a vécu des moments extrêmement difficiles, et donc je les rencontrerai, bien sûr. Et puis également avec cet objectif diplomatique, de parler à tout le monde, de passer des messages qui conviennent, de contribuer à la recherche d'une solution plus durablement et d'ores et déjà de contribuer à ce que la région ne s'embrase pas, parce qu'il y a, je le redis, des risques ; il faut être attentif à tout cela et agir maintenant pour prévenir autant que possible et de façon coordonnée avec nos partenaires européens, britanniques, -même s'ils ne sont plus dans l'Union européenne nous nous parlions tout à l'heure -, américains, et nos partenaires de la région pour que chacun passe le bon message maintenant, clairement, pendant qu'il est temps.
Q - Merci beaucoup Madame la Ministre de l'Europe et des affaires étrangères ; Catherine Colonna était ce soir l'invitée de "C à vous" ; merci de votre présence.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 octobre 2023