Interview de Mme Laurence Boone, secrétaire d'État, chargée de l'Europe, à France Info le 26 octobre 2023, sur l'Union européenne face à l'attaque terroriste du Hamas en Israël, le conflit en Ukraine et le prix de l'énergie.

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Média : France Info

Texte intégral

ALIX BOUILHAGUET
Laurence BOONE, bonjour.

LAURENCE BOONE
Bonjour Alix BOUILHAGUET.

ALIX BOUILHAGUET
On a vu l'Europe défiler un petit peu en ordre dispersée en Israël. Il n'y a pas eu de paroles fortes communes. Pire, il y a eu des paroles contradictoires. On a entendu un commissaire hongrois annoncer la suspension de l'aide aux Palestiniens. On a entendu Ursula VON DER LEYEN - la patronne de la Commission européenne - dire le contraire, enfin a oublié de mentionner la protection des Gazaouis. Est-ce que l'Union européenne n'a pas été inaudible ?

LAURENCE BOONE
Je ne le crois pas du tout, en fait. D'abord parce que chaque chef d'Etat y est allé évidemment avec sa sensibilité dès le début. Mais ce que vous avez vu aussi très très rapidement, c'est un communiqué des 27 Etats membres que Charles MICHEL a rédigé, et sur lesquels les Etats membres se sont mis d'accord. Et puis une réunion par Visio la semaine dernière, pour laquelle le message était unanime pour condamner les attaques brutales terroristes du Hamas et soutenir Israël et le droit à se défendre sont vus international et humanitaire

ALIX BOUILHAGUET
Oui, mais vous n'avez pas été non plus capables d'appeler à un cessez le feu humanitaire. Est-ce qu'il y aura un texte parlant d'une pause humanitaire ? C'est ce qui est en ce moment sur la table ?

LAURENCE BOONE
Oui, je voudrais dire une chose aussi, juste ajouter une chose : Ursula VON DER LEYEN y est allée en ses qualités propres, elle n'a pas été mandaté ; les affaires européennes ne font pas partie de son mandat. Donc il faut être clair sur ce que fait la Commission, ce qu'elle a le droit de faire et ce que font les Etats membres.

ALIX BOUILHAGUET
Donc, vous voulez dire qu'elle y est allée en roue libre ? Elle sait très bien que quand elle est là-bas, c'est la patronne de la Commission.

LAURENCE BOONE
Elle y est allée en son nom. Les affaires étrangères, comme vous le savez, c'est Josep BORRELL qui effectivement ensuite s'est exprimé. Maintenant, sur le conseil…

ALIX BOUILHAGUET
Mais vous savez que ça parle fort. On sait que Emmanuel MACRON a été passablement agacé par cette sortie de Ursula VON DER LEYEN. Est-ce que ça veut dire qu'il ne la soutiendra pas ? Il y a bientôt des élections.

LAURENCE BOONE
Je vais vous dire, c'est un drame épouvantable pour les Israéliens. Maintenant, comme le Président l'a dit, on pense aussi au peuple israélien en France et en Israël, aux Israéliens, aux otages qu'il faut libérer, donc on n'a pas vraiment de temps pour ces chicaneries. Ils vont en parler au Conseil européen, comme vous le disiez. Ils vont effectivement discuter parmi d'autres sujets d'une pause humanitaire pour laisser passer de l'aide aux civils.

ALIX BOUILHAGUET
Est-ce que Emmanuel MACRON a pris soin de concerter aussi avec ses partenaires européens concernant son annonce sur cette nouvelle coalition internationale régionale pour lutter contre le Hamas ? Il paraît que non.

LAURENCE BOONE
Il ne vous aura quand même pas échappé que le Président de la République a passé les dix derniers jours à téléphoner à un grand nombre de chefs d'Etat et de gouvernements, y compris ses homologues du G7, y compris des Européens.

ALIX BOUILHAGUET
Donc vous étiez au courant de cette annonce ?

LAURENCE BOONE
Et qu'il a fait un voyage absolument exceptionnel au Moyen-Orient pour justement parler à toutes les parties, ce qui, comme vous avez vu avec d'autres chefs d'Etat et de gouvernements, n'est pas facile.

ALIX BOUILHAGUET
Donc, les partenaires européens étaient au courant qu'ils allaient faire une annonce de cette nouvelle coalition internationale pour lutter contre le Hamas ?

LAURENCE BOONE
Il va en rediscuter avec eux et il voulait évidemment présenter d'abord les choses. Il ne s'appuie pas sur rien puisqu'il y a déjà eu... En fait, l'idée c'est quoi ? L'idée, c'est de mettre le plus de personnes de la Communauté internationale autour de la table pour s'attaquer au terrorisme et surtout pas montrer de fracture internationale.

ALIX BOUILHAGUET
Et vous, vous étiez au courant ?

LAURENCE BOONE
Mais moi, je m'occupe de l'Europe.

ALIX BOUILHAGUET
Oui, mais justement, vous auriez pu être mise dans la boucle de cette proposition.

LAURENCE BOONE
Vous ne croyez pas que la question est complètement décalée ? L'idée, c'est quand même d'arriver à faire quelque chose à la fois pour soutenir Israël et la fois…

ALIX BOUILHAGUET
Non, mais on parle de la concertation aussi…

LAURENCE BOONE
Il y a un Conseil européen, il va y avoir des discussions aujourd'hui, c'est le premier sujet sur la table.

ALIX BOUILHAGUET
Et vous avez déjà eu à ce stade des retours justement sur cette proposition de vos homologues européens, des Allemands, des Italiens ?

LAURENCE BOONE
En fait, vous le savez, ce qu'ils proposent existe déjà dans d'autres domaines. C'est quoi ce qu'ils proposent ? Ce sont les sanctions, ce sont supprimer, s'attaquer à l'approvisionnement à la fois financier et militaire des terroristes et c'est du partage de renseignements et d'informations. Ça se fait sur tous les sujets liés au terrorisme, donc ça, ce n'est pas une surprise.

ALIX BOUILHAGUET
Donc vous voulez dire qu'il n'y aura pas de soldats français, Il n'y aura pas de bombardements français sur Gaza notamment ?

LAURENCE BOONE
La question n'est évidemment pas celle-là ; la question est celle (comme je vous disais) à la fois du soutien financier ; pardon, de s'attaquer justement au soutien financier qu'ils reçoivent, à l'approvisionnement des munitions et de partager des informations.

ALIX BOUILHAGUET
On a le sentiment que…

LAURENCE BOONE
Ça a marché dans le passé, ça a marché contre l'Etat islamique.

ALIX BOUILHAGUET
Sauf que Daesh, ce n'est pas exactement le Hamas. Le Daesh, c'est une organisation qui vise à s'étendre sur des territoires et donc qui concerne beaucoup pays alors que le Hamas est une organisation qui ne vise exclusivement que Israël. Et d'ailleurs, quels dirigeants arabes seront derrière cette nouvelle coalition ?

LAURENCE BOONE
Le terrorisme repose sur les mêmes ressorts, il y a les mêmes types de financement. Et effectivement, c'est à ça qu'il faut s'attaquer absolument aujourd'hui.

ALIX BOUILHAGUET
Le front européen, il est aussi un petit peu fissuré en Ukraine, on l'a vu récemment. On a vu le Hongrois Viktor ORBAN serrer la main de Vladimir POUTINE. Et il y a aussi ce nouveau Premier ministre slovaque qui est prorusse. Comment est-ce que les 27 peuvent rester unis ?

LAURENCE BOONE
Eh bien, vous parlez du Hongrois et évidemment, ce n'est absolument pas un signe positif ou agréable de le voir serrer la main de POUTINE. Mais il ne vous a pas échappé non plus que ça fait maintenant 18 mois que la guerre en Ukraine dure et que le Hongrois n'a jamais empêché une sanction et n'a jamais empêché le soutien à l'Ukraine, qu'il soit militaire, financier, économique ou humanitaire. Donc il y a les postures et puis il y a les actes. Et sur les actes, les 27 ont été unis.

ALIX BOUILHAGUET
En revanche, le nouveau Premier ministre slovaque, lui, il dit clairement qu'il faut arrêter d'aider les Ukrainiens.

LAURENCE BOONE
On va voir, c'est à nouveau la posture. Comme vous le savez, la Présidente du Conseil italien, elle allait régler le problème des migrations toute seule avant d'être au pouvoir et de discuter avec ses homologues européens. Six mois plus tard, qu'est-ce qu'elle fait ? Elle règle et elle s'attaque aux problèmes d'immigration avec ses homologues européens et à ce qu'ils disent en campagne et à ce qu'ils font quand ils sont au Conseil.

ALIX BOUILHAGUET
C'est vrai que depuis les événements au Proche-Orient, on a le sentiment que le conflit en Ukraine est totalement sorti des radars. Est-ce que c'est une guerre qui s'enlise ?

LAURENCE BOONE
Je ne dirais pas qu'il est sorti des radars, je dirais, et c'est parfaitement justifié vu le drame atroce que c'est, qu'il y a eu effectivement beaucoup d'attention portée aussi sur Israël et la bande de Gaza, ce qui est totalement normal. Maintenant, il n'y a pas eu d'affaiblissement, d'amoindrissement de l'attention qui est portée à l'Ukraine. Ça sera le deuxième sujet au Conseil européen avec cette idée de soutenir l'Ukraine de façon économique, militaire, humanitaire et financière dans la durée. C'est ça qui importe.

ALIX BOUILHAGUET
Si on rentre dans le détail ; depuis le début de la guerre, l'Union européenne a déjà versé 83 milliards d'euros. Est-ce que cela veut dire qu'elle va continuer de s'investir ? C'est-à-dire continuer de donner des armes au même rythme, il n'y aura pas la main sur le frein ?

LAURENCE BOONE
Je suis sûr que Vladimir POUTINE aimerait que ce soit le cas et ce ne sera évidemment pas bien le cas. Les raisons pour lesquelles on soutient l'Ukraine sont toujours les mêmes : c'est soutenir son intégrité territoriale et plus largement. Ce qu'on voit aujourd'hui, c'est des attaques contre la démocratie et notre réponse contre ça doit être extrêmement ferme.

ALIX BOUILHAGUET
Donc ça veut dire concrètement, vous savez combien de milliards vous allez remettre sur la table demain ?

LAURENCE BOONE
Cela fait partie... Non, demain, ils ne vont pas donner un chiffre, mais ça fait partie des discussions qui sont en cours, notamment avec le budget européen aussi. Vous savez qu'on est en train de revoir le budget européen, c'est ce qu'on appelle la révision de mi-parcours, à mi-chemin. Et évidemment, les priorités sont l'Ukraine, les priorités sont aussi l'immigration, et puis, les priorités sur la politique industrielle.

ALIX BOUILHAGUET
Comment, ou plus exactement combien l'Union européenne est prête à mettre sur la table pour conserver sur le sol européen ses entreprises ? On sait qu'il y a une grosse concurrence de la part des Américains qui mettent beaucoup de milliards pour le coup pour conserver leurs entreprises. Jusqu'où peut aller l'Europe ?

LAURENCE BOONE
Mais l'Europe peut aller très très loin. D'abord, la base de la compétitivité, c'est le prix de l'énergie. Et comme vous le savez, il y a eu un accord sur le prix de l'énergie donc on va pouvoir avoir des prix de l'énergie compétitifs. Ça, c'est la première chose. La deuxième chose ; ce que font les Etats-Unis, c'est de baisser des impôts quand il y a des énergies vertes. La Commission autorise à baisser effectivement les impôts, donner des subventions sur les énergies vertes, ce qu'elle ne fait pas assez encore aujourd'hui. D'abord, si elle a fait une évaluation qui, franchement, n'est pas à la hauteur des mesures prises. Et la deuxième chose, c'est qu'elle ne peut pas laisser les Etats faire. Nous, ce qu'on demande, c'est qu'il y ait des fonds européens qui soient alloués à ça pour que tous les Etats membres puissent en bénéficier et pas seulement les gros.

ALIX BOUILHAGUET
Mais concrètement, là encore je vais vous demander peut-être des chiffres, ça se chiffre à combien cette aide ?

LAURENCE BOONE
Vous avez à peu près 400 milliards aujourd'hui aux Etats-Unis, et la dernière fois qu'on a regardé les chiffres c'était à peu près 400 milliards, mais ce n'est pas 400 milliards de fonds européens, c'est 400 milliards d'aides d'Etat, de chaque Etat cumulées, par chaque Etat, pardon, en cumulé dans l'Union européenne.

ALIX BOUILHAGUET
Et ça vous pensez que cela permettra de concurrencer, ou en tout cas d'être au niveau de la concurrence américaine ?

LAURENCE BOONE
On est largement au niveau, la concurrence ce n'est pas que des d'Etat, c'est le prix de l'énergie, c'est les cerveaux que vous formez, et on en forme des très beaux en Europe, c'est la capacité à faire des affaires avec des bonnes infrastructures. Je suis sûre que vous êtes allée aux Etats-Unis et que vous avez pris le train, ce n'est quand même pas la même chose que chez nous, on est mieux loti là-dessus.

ALIX BOUILHAGUET
Merci beaucoup Laurence BOONE, bonne journée, bon conseil européen.

LAURENCE BOONE
Merci.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 26 octobre 2023