Entretien de Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, à RTL le 27 octobre 2023, sur l'intervention militaire israélienne à Gaza après l'attentat terroriste du Hamas en Israël.

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Média : RTL

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Q - Catherine Colonna, l'armée israélienne a annoncé hier avoir mené un raid ciblé avec des chars dans le nord de la bande de Gaza. Israël a le droit de se défendre dans le respect des règles internationales. C'est ce qu'a martelé, toute la semaine, le président Emmanuel Macron. Est-on toujours, d'après vous, ce matin, dans le respect des règles internationales ?

R - En tout cas, c'est indispensable, et comme le président, comme nous tous, comme nos alliés, nos amis, nos partenaires, nous rappelons à la fois qu'Israël, comme tout Etat, a le droit de se défendre et de défendre sa population qui a été victime d'attaques terroristes massives accompagnées, vous le savez, d'atrocités abominables ; mais qu'il a le devoir, comme tout Etat, de le faire dans le respect du droit international, et notamment du droit international humanitaire. Le président a distingué ce qu'il peut être fait dans ce cadre, avec l'obligation pour Israël de protéger les populations civiles autant que possible. Et donc des opérations ciblées ne sont pas la même chose que des opérations massives indiscriminées qui toucheraient fortement la population, qui auraient des conséquences absolument négatives.

Q - La ligne rouge, c'est ça, une opération massive sur Gaza ?

R - C'est la protection des populations civiles qui s'applique à tout le monde, à tout Etat qui combat, à toutes forces armées ; il y a un droit de la guerre. Israël est une démocratie, donc respecte, doit respecter, comme nous tous, le droit de la guerre, faire extrêmement attention. C'est un impératif moral que de protéger les civils innocents. Et c'est aussi une règle internationale. Donc il faut distinguer des opérations ciblées, que nous comprenons et qui sont légitimes pour faire face à la menace terroriste, d'opérations indiscriminées qui toucheraient trop les populations civiles comme, par exemple, les bombardements sans doute font trop de victimes civiles.

Q - Alors, à l'instant l'AFP, l'Agence France-Presse annonce une incursion au sol de l'armée israélienne dans le secteur central de la bande de Gaza. Un communiqué de l'armée israélienne. On y reviendra dès qu'on aura un tout petit peu plus de détails. Madame la Ministre, la priorité, Emmanuel Macron l'a répété à plusieurs reprises, ces derniers jours, ce sont les otages. 9 otages français ; vous nous le confirmez ce matin ?

R - Nous avons 9 compatriotes, en effet, qui ont disparu, dont on est sans nouvelle précise, à ceci près que l'on sait pour certains d'entre eux qu'ils ont été pris en otage. Nous travaillons avec évidemment les Israéliens, avec les Egyptiens, avec le Qatar aussi, avec tous ceux qui peuvent non seulement avoir des informations, mais aider à leur libération. Evidemment, nous demandons la libération de tous les otages et pas seulement des otages français. Vous savez qu'il y en a eu plusieurs dizaines, peut-être plusieurs centaines, qui ont été pris en otage. Il est difficile de donner plus de détails. Nous avons des indications qui nous font penser que certaines de ces personnes sont toujours retenues en otage. Et comme il le faut, comme il se doit, non seulement on partage l'angoisse des familles, mais on est à leurs côtés régulièrement. Le président les a reçues. Je les avais moi-même reçues lorsque j'étais en Israël, une semaine après la première attaque. Et notre consul général, je l'ai eu encore hier, maintient un contact très régulier avec eux pour leur donner tout ce que nous savons, tout ce que nous avons comme informations, mais ne pas non plus les laisser envisager qu'il y a des choses que nous saurions et que nous ne leur disons pas. Transparence et honnêteté.

Q - Je comprends que, bien sûr, vous ne pouvez sans doute pas tout nous dire et c'est bien normal. Mais quand vous parlez d'indications, ce sont des preuves de vie ? On se souvient qu'il y avait une vidéo, une vidéo d'une des jeunes femmes enlevées.

R - Exactement. Il y a eu des preuves de vie...

Q - Donc il y en a eu d'autres que cette vidéo ?

R - ...même si celle-ci date d'il y a un peu plus d'une semaine, et il y a des informations que nous partageons entre les autorités dont je viens de vous parler, au premier rang desquelles les autorités israéliennes, qui ont fait un certain nombre d'opérations de reconnaissance et qui nous informent.

Q - Vous préférez parler de personnes portées disparues, est-ce que vous pouvez nous dire combien ont été enlevées par le Hamas, en tout cas à un moment donné, sur ces 9 ?

R - Avec certitude quelques-unes, et je préfère ne pas donner le chiffre. Les familles le connaissent. Nous leur disons tous ce que nous savons.

Q - Vous évoquiez les discussions avec plusieurs pays, l'Egypte, le Qatar. Dans le journal Le Parisien ce matin, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères du Qatar, justement, dit avoir bon espoir que les otages soient libérés prochainement. Vous y croyez ? Vous pensez à une libération rapide ?

R - Le Qatar fait partie des pays qui s'efforcent de convaincre le Hamas de relâcher tous les otages et de les relâcher tous, et non pas au compte-gouttes. Il y a eu déjà quelques libérations. C'est très insuffisant. Le Qatar et l'Egypte poursuivent leurs efforts. Nous-mêmes, nous avons des contacts avec le Qatar. Et puis, ce sont des périodes où tout le monde se parle, essaie de mettre en commun les quelques informations qu'ils peuvent avoir, de les partager et d'en déduire une ligne d'action. C'est en tout cas une priorité pour la France que d'obtenir la libération des nôtres. C'est normal, mais nous le demandons de façon pressante.

Q - Et j'imagine que vous redoutez, dans ce contexte-là, une offensive terrestre. En tout cas, on sait que beaucoup de familles s'inquiètent ; des familles d'otages.

R - Bien sûr, toute opération militaire peut avoir des conséquences. Et c'est aussi vrai pour les personnes qui sont otages, mais également pour les Français qui sont à Gaza, parce que je voudrais rappeler qu'il y a des Français qui sont à Gaza...

Q - Combien ?

R - Il y a une cinquantaine de Français, soit des gens qui étaient établis, qui vivaient là-bas, soit des Français qui travaillent dans des organisations non gouvernementales humanitaires, qui sont basées souvent à Jérusalem, mais dont la mission est à Gaza. Et donc si l'on compte nos compatriotes, leurs familles, mais aussi les agents de la France - nous avons un institut culturel français à Gaza - cela fait environ 170 personnes dont nous voulons assurer la protection, que nous suivons de près. Moi-même hier, j'ai encore appelé deux de nos agents locaux, qui étaient auparavant à Gaza, à l'Institut français, qui sont déplacés dans le sud, près de Khan Younès, et qui manquent de tout. Il n'y a pas d'eau, il n'y a pas d'électricité, quelques chargeurs solaires pour les téléphones, pas de médicament, pas de couverture, les nuits deviennent fraîches. Donc il est indispensable de faire entrer maintenant l'aide humanitaire à Gaza le plus rapidement possible, de façon durable et dans des volumes beaucoup plus importants, donc sans entrave. Les contrôles sont une entrave réelle. Il y a quelques camions qui sont passés, il en faudrait des centaines chaque jour. Des centaines chaque jour.

Q - Des centaines chaque jour. On sait que le Tonnerre est en route, ce navire hôpital de la Marine française ; il a quitté Toulon mercredi soir. Est-ce que vous savez quand il arrivera sur place ?

R - C'est un navire porte-hélicoptères qui a des capacités médicales, que nous voulons amener avec tout l'ensemble de ses capacités au plus près de la zone. Donc il navigue...

Q - Ça va être compliqué. Il va pouvoir stationner comment ?

R - ... vers Chypre, et sur les modalités opérationnelles de la façon dont il pourra opérer, nous sommes en train de les travailler avec le ministère des Armées, puisque c'est un navire militaire. En attendant, nous gagnons du temps et nous le rapprochons de la zone, comme disent les militaires. Par ailleurs, un avion avec plus de 50 tonnes d'aide humanitaire va partir demain matin à destination de l'Egypte, et là aussi arriver ensuite, soit qu'il se pose au Caire, soit qu'il se pose à el-Arich, arriver au plus près, comme les Nations unies l'ont fait, comme l'Union européenne l'a fait, pour que cette aide passe à Gaza. Les gens manquent de tout. La situation humanitaire est d'ores et déjà catastrophique. Elle peut l'être plus encore. J'avais à New York, l'autre jour, une conversation avec la présidente du CICR qui fait un plaidoyer émouvant pour que les conditions d'entrée de l'aide soient assouplies. Hier, je l'ai demandé aussi au ministre israélien des Affaires étrangères. À l'heure actuelle, l'aide n'arrive pas de façon suffisante. Les gens sont en danger. Il n'y a aucune raison de maintenir des innocents en danger.

Q - C'est une question d'heures ou de jours, nous disent les humanitaires qui sont sur place ?

R - Chaque jour qui passe, il y a des gens qui meurent ou qui peuvent mourir...

Q - Mais vous espérez que le Tonnerre soit "opérationnel", ce n'est sans doute pas le bon mot, quand ?

R - C'est une question de quelques jours.

Q - Début de semaine prochaine ?

R - Je pense peut être qu'il sera sur zone en fin de semaine.

Q - En fin de semaine, donc d'ici dimanche...

R - Et ensuite les modalités opérationnelles sont en cours de définition avec nos collègues des Armées.

Q - Je voulais qu'on revienne, un mot, sur les otages. Le Hamas estime que près de 50 otages israéliens ont été tués depuis le début des raids israéliens. C'est un communiqué qui a été publié hier soir. Bien sûr, l'information n'est pas confirmée, c'est invérifiable, on le sait. On est quoi, dans une guerre psychologique qui est encore montée d'un cran, c'est ça ?

R - Il y a aussi cette dimension psychologique. Rien ne permet de dire que c'est exact. Nous n'avons pas spontanément tendance à croire une organisation terroriste, car le Hamas est une organisation terroriste, lorsqu'elle dit telle ou telle chose. On la juge à ses actes et pas à ses dires.

Q - Vous rappelez que le Hamas est une organisation terroriste. L'enjeu de la visite d'Emmanuel Macron, c'était aussi un enjeu national. On sait à quel point ce sujet divise aussi, crée des tensions en France. La France insoumise a demandé en début de semaine un cessez-le-feu. Que leur répondez-vous, ce matin ? On ne fait pas de cessez-le-feu avec un groupe terroriste ?

R - On leur répond surtout, d'abord, qu'on aimerait les entendre qualifier le Hamas pour ce qu'il est, une organisation terroriste qui a commis des actes terroristes et des atrocités contre des civils, en allant les pourchasser chez eux. Et je ne veux pas appuyer davantage le message, mais chacun sait ce qui s'est passé, y compris La France insoumise. Donc c'est honteux et indigne de ne pas être capable de qualifier de terroristes des actes terroristes. Pour ce qui est de leur proposition, elle reviendrait à nier à un Etat qui doit protéger sa population, Israël, mais cela vaudrait pour tout autre Etat, le droit de défendre sa population ; c'est aussi son devoir de défendre sa population. Donc nous demandons des pauses, des trêves, on peut employer un mot ou l'autre, ils sont absolument équivalents, de façon à faire passer l'aide humanitaire, à améliorer la situation pour la population civile de Gaza. Nous devons aussi penser à la Cisjordanie d'ailleurs, mais le cessez-le-feu est une perspective. Donc nous préférons dire pause. Il peut y en avoir plusieurs, il peut y avoir des périodes où les combats cessent. Cela permet aux convois de passer, et si une certaine désescalade s'installe, à terme, cela peut mener à un cessez-le-feu. Nous n'en sommes pas là aujourd'hui.

Q - Des pauses, des trêves, c'est ce qu'a demandé l'Union européenne...

R - L'Union européenne, hier soir.

Q - Hier soir, à l'issue, enfin, pendant ce sommet qui a lieu à Bruxelles. On a eu l'impression en tout cas que les Vingt-Sept avaient eu du mal, justement, à se mettre d'accord sur ces termes-là. J'imagine que vous le regrettez. Vous êtes aussi ministre de l'Europe, qu'il n'y ait pas une voix ?

R - Au contraire, les pays européens ont souvent des positions nuancées. C'est des questions sensibles, des questions complexes, et les positions nationales ne sont pas toutes alignées ou accordées. Il est heureux, nécessaire, indispensable, mais c'est une bonne chose, qu'hier, et relativement rapidement, les Vingt-Sept se soient mis d'accord sur un texte qui rappelle les grands principes : la condamnation du terrorisme, la protection des populations, la nécessité absolue de relancer un processus de paix, de retrouver un horizon politique, de sortir de l'impasse. Un certain nombre d'éléments, les pauses humanitaires, un certain nombre d'éléments que la France portait, et qui ont été partagés par tous. Encore une fois, il faut que ce message soit clair et uni.

Q - Catherine Colonna, le risque d'embrasement de la région, on le sait, c'est une des grosses inquiétudes, des grosses craintes. Est-ce que vous diriez que ce risque pour l'instant est, je n'allais pas dire écarté, mais en tout cas peut-être moins fort qu'il y a quelques jours ?

R - Il est réel. Il y a une volatilité de la situation, une dangerosité même, qui justifient qu'on fasse tout pour éviter une escalade qui pourrait mener à un engrenage et peut-être, oui, à un embrasement de la région. Alors, les efforts sont conjoints. Il y a depuis quelques jours, je crois, une meilleure convergence des messages qui sont passés à Israël et aux autres parties prenantes, non seulement par la France, mais elle a été, je crois, présente, et présente depuis le premier jour et active, mais par ses partenaires américains, par ses partenaires au Conseil de sécurité.

Q - Mais quand vous voyez la Russie qui dit parler à l'Iran et au Hamas ?

R - J'allais en venir à la Russie ou peut-être à la Turquie, dont le président a tenu quelques propos qui sont particulièrement regrettables. Mais la meilleure convergence des positions et des demandes qui sont faites à Israël a conduit peut-être à tempérer son action. Cela ne veut pas dire que tout risque est écarté. Il faut au contraire redoubler d'efforts, rester beaucoup plus actifs et beaucoup plus unis pour maintenant trouver le moyen de sortir de cette impasse politique. Bien sûr, priorité à la lutte contre le terrorisme. C'est un acte de terrorisme qui déclenche la situation actuelle. Assurer la protection des populations, mais redonner un horizon politique. Il n'y aura pas de sécurité durable sans paix, et c'est cela qu'il faut maintenant établir, avec beaucoup plus d'énergie qu'on ne l'a fait jusqu'ici collectivement.

Q - On l'a peut-être un peu oublié, c'est ça ?

R - La France ne l'avait jamais oublié. La solution à deux Etats a toujours été...

Q - La communauté internationale peut-être ?

R - ...ce qu'elle a prôné, parfois trop seule, c'est vrai. Je crois que maintenant tout le monde revient sur la pleine conscience que le problème palestinien est central et qu'il faut le résoudre.

Q - Merci beaucoup, Madame la Ministre.

R - Merci beaucoup.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 novembre 2023