Entretien de Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, avec France Info le 12 novembre 2023, sur l'antisémitisme et la situation au Proche-Orient.

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Média : France Info

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Q - Bonjour Catherine Colonna, ministre des affaires étrangères, merci d'être notre invitée ce matin sur France Info. Est-ce que vous serez-vous aussi cet après-midi dans la marche ?

R - Oui bien sûr. L'antisémitisme est un fléau qui est contraire aux valeurs de la République, qui est contraire aux valeurs de notre pays donc il faut être là, unis, tous.

Q - La présence du Rassemblement national n'est pas dissuasive pour vous ?

R - Non, je pense qu'il y a de l'opportunisme chez certains des partis politiques dont nous connaissons les convictions. Les nôtres sont que l'on défend la République, on défend ses valeurs. On ne peut pas voir des actes antisémites monter dans notre pays sans réagir et sans dire que ces actes portent atteinte à notre République. Alors il faut s'unir autour de ce message.

Q - Emmanuel Macron a fait le choix de ne pas se rendre au cortège mais il a adressé une lettre aux Français hier soir pour condamner l'antisémitisme et appelé à l'unité. Est-ce que ce message sous cette forme-là peut être entendu par les Français ?

R - Il a raison, il le faut. Ce qui est en jeu ce sont les valeurs de la France et l'antisémitisme est contraire aux valeurs de la France. Donc la lettre du Président de la République, diffusée la veille de ce jour important où nous devons tous dire non à l'intolérable. Ne pas tolérer l'intolérable donne la direction qui doit être celle que toutes les forces vives de notre pays suivent. Il faut s'unir sur ces sujets.

Q - Catherine Colonna, vous vous êtes rendue en Israël, vous avez rencontré des familles des otages français. Huit Français sont portés disparus, 40 Français sont morts en Israël selon un dernier bilan. Est-ce que ce bilan a évolué ?

R - Pas à ce jour. Mais vous savez que nous avons dû déplorer déjà le décès de 40 de nos compatriotes. Ce terrorisme du Hamas a frappé aussi la France et les Français. Il y a en effet 8 personnes dont nous sommes sans nouvelles précises, 8 disparus. Parmi ces personnes, quelques personnes otages. C'est vraiment notre première priorité : la protection de nos compatriotes. J'étais en Israël une semaine après les horribles attentats du 7 octobre. Mais j'étais juste, il y a une semaine également, dimanche dernier, dans la région, notamment pour traiter de ces questions, pour faire le point avec le Qatar et avec d'autres Etats de la région qui nous aident à obtenir, à demander, avec force, la libération de tous les otages.

Q - Mais est-ce que l'on a d'autres preuves de vie des otages ?

R - Il y en a eu certaines. Vous comprendrez qu'on ne peut pas entrer dans des détails opérationnels. Evidemment, personne ne le fait par souci de protection de ce que nous sommes en train de faire. C'est la condition de la réussite. Je peux vous assurer vraiment que nous sommes très nombreux à cette tâche qui est vraiment la priorité et c'est normal, il s'agit de nos compatriotes.

Q - Aux familles des otages qui s'inquiètent, qu'est-ce que vous pouvez leur dire aujourd'hui ?

R - Nous les tenons au courant de tout ce que nous savons, de façon privée. Le Président de la République les a vus. Moi-même, le premier geste que j'avais fait en arrivant en Israël, c'était de les recevoir. Il m'est arrivé de parler à plusieurs de ces familles depuis. Nous sommes en contact avec elles, par notre Consulat à Jérusalem, par le Centre de crise du Quai d'Orsay à Paris, à tous les niveaux.

Nous ne leur cachons rien, y compris lorsque nous manquons d'informations précises. Nous avons convenu, et c'est normal, d'être absolument transparents et en ligne directe avec eux. Sans pouvoir tout dire sur la place publique, mais nous leurs disons tout ce que nous savons.

Q - Certaines familles ont le sentiment d'être abandonnées. Qu'est-ce que vous pouvez leur dire ?

R- Non, elles ne sont pas abandonnées, évidemment, et elles le savent. En revanche, il est difficile d'obtenir d'une organisation terroriste, le Hamas, et d'une autre organisation terroriste, le Djihad islamique - qui sans doute a également pris des personnes en otage -, qu'elles coopèrent et qu'elles libèrent sans condition et immédiatement l'ensemble des otages. Et sans égrener les libérations - on a pu voir qu'il y en avait eu deux, puis deux autres. Ce qui est l'objet de tous nos efforts, et des efforts de nos amis dans la région, c'est vraiment d'obtenir la libération de l'ensemble des otages par des groupes terroristes sur place à Gaza.

Nous n'y sommes pas. Les conditions sont difficiles. Les conditions sur le terrain sont celles d'opérations militaires. Et nous déployons en ce sens des efforts incessants, vraiment.

Q - La France, par la voix d'Emmanuel Macron, a appelé une nouvelle fois à une trêve humanitaire immédiate devant conduire à un cessez-le-feu. Il l'a dit lors d'une interview à la BBC diffusée vendredi soir. Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou ne veut pas l'entendre tant que les otages du Hamas n'ont pas été libérés. Est-ce qu'on est dans une impasse pour l'instant ?

R - Il faut seulement rappeler que bien sûr, Israël a le droit de se défendre face aux attaques terroristes abominables qui l'ont frappé. Mais le devoir, en même temps que ce droit, de se défendre dans le plein respect du droit international. On sait que la situation humanitaire à Gaza est catastrophique, que les civils palestiniens n'ont pas à payer pour les crimes des terroristes du Hamas, qu'une vie vaut une vie, que nous sommes des démocraties, que nous devons tous respecter le droit international humanitaire. Donc oui, la France rappelle la nécessité de lutter contre le terrorisme, qui nous a frappés. Vous avez rappelé que nous avons, hélas, quarante compatriotes décédés.

Nous devons protéger les Français ; obtenir la libération des otages ; demander le respect du droit de la guerre, du droit international humanitaire, qui s'impose à tous ; et obtenir pour cela une pause humanitaire immédiate pour faire entrer dans Gaza les biens de première nécessité, pour en permettre la distribution, mais aussi pour que cette pause puisse mener ensuite à un cessez-le-feu auquel il faut travailler le plus vite possible. Et restaurer ainsi une perspective politique. C'est la seule solution.

Q - Benyamin Netanyahou accuse Emmanuel Macron de faire une grave erreur. Dans une interview, il dit que c'est le Hamas qui empêche les civils de quitter Gaza. Il considère que le chef de l'Etat français donne des leçons de morale. Qu'en pensez-vous ?

R - Nous n'avons pas le même point de vue, bien évidemment. J'ajouterais que nous sommes nombreux - la France mais aussi les Etats-Unis d'Amérique ou d'autres pays - à rappeler l'importance pour une démocratie comme l'est Israël de respecter pleinement le droit international humanitaire. C'est même son intérêt. Le contraire serait contre-productif. Il faut le dire.

Q - Merci Catherine Colonna d'avoir été l'invitée de France Info ce matin.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 novembre 2023