Interview de Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'Etat chargée de la citoyenneté et de la ville, à France Info le 15 novembre 2023, sur le plan national de lutte contre les dérives sectaires, le projet de loi immigration et la manifestation contre l'antisémitisme.

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Média : France Info

Texte intégral

ALIX BOUILHAGUET
Bonjour Sabrina AGRESTI-ROUBACHE.

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Bonjour Alix BOUILHAGUET

ALIX BOUILHAGUET
Je disais à l'instant, le plan national de lutte contre les dérives sectaires est présenté ce matin en Conseil des ministres. Il va permettre de changer le code pénal avec la création de nouveaux délits. Le premier, c'est l'assujettissement psychologique et physique. Qu'est-ce que ça veut dire et qu'est-ce que ça va permettre de faire ?

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Alors, ça va permettre de faire une première chose, depuis la loi de 2001 ABOUT-PICARD, il n'y a plus eu de texte sur les dérives sectaires et il n'y a plus eu de grand plan de lutte contre les dérives sectaires. Donc dans l'article 1, nous introduisons un nouveau délit qui est l'assujettissement psychologique et physique des personnes, sachant que dans cet article 1, on a déjà l'abus de faiblesse.

ALIX BOUILHAGUET
Mais ça va permettre quoi concrètement ?

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
De punir pénalement des personnes, des gourous 2.0. Parce qu'en réalité, ce sont les chiffres qui nous ont amenés à mener ce grand plan de lutte contre les dérives sectaires et donc de faire un projet de loi qui est... Depuis 2015, les chiffres ont doublé. Sur la Miviludes, donc c'est l'organe qui est chargé de référencer et de recevoir tous les signalements. Nous sommes passés de 2015 à maintenant, à 4 000.

ALIX BOUILHAGUET
Petite parenthèse ; comment vous expliquez que le chiffre ait doublé ? Est-ce qu'il y a un contexte particulier ?

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Les réseaux sociaux.

ALIX BOUILHAGUET
Les réseaux sociaux.

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Les réseaux sociaux le montrent très largement. Mais comme on l'a vu (je fais une petite digression sur les violences urbaines), les réseaux sociaux démultipliés, ces gourous 2.0. Et la réalité, c'est que ce texte de loi arrive donc avec cet article - l'assujettissement psychologique et physique - des personnes qui en fait, font de ces personnes des gens très fragiles et qui font des choses graves pour elles-mêmes. Et la réalité, c'est que l'abus de faiblesse ne suffisait pas à encadrer et à punir dans le code pénal. Et le deuxième...

ALIX BOUILHAGUET
Il y a un deuxième délit qui est l'abandon de soins. Là encore, quelles conséquences, quel impact ?

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Alors, c'est l'article 4 de ce projet de loi et donc on crée un délit d'abandon de soins. Je prends un exemple simple : quelqu'un qui est atteint d'un cancer, à qui un gourou viendrait expliquer qu'abandonner sa chimiothérapie et ses soins et à la place boire un bouillon de légumes pour se soigner, la personne décède ; la famille peut porter plainte et donc traîner au tribunal ces gourous et donc avoir une sanction pénale. Parce que la réalité, c'est que les victimes n'étaient pas... tout n'était pas encadré dans cette loi ABOUT-PICARD, qui en réalité n'était plus d'actualité. Donc nous renforçons la lutte contre les dérives sectaires.

ALIX BOUILHAGUET
Est-ce que vous renforcez quelque chose dans le domaine scolaire, à l'école ? Est-ce que vous notez une multiplication des, là aussi, des dérives sectaires ?

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Absolument. Justement, quand on parle dans l'article premier d'assujettissement psychologique et physique, ça concerne aussi les mineurs ; ce qui n'était pas le cas avant. L'abus de faiblesse ne concernait pas les mineurs. Cet article 1 va permettre justement de protéger les enfants. Et encore une fois, les réseaux sociaux étant ce qu'ils sont, je l'ai souvent dénoncé ; la dérive est en premier sur les réseaux sociaux. Qui sont les premières victimes de ce fléau ? Les enfants, les mineurs.

ALIX BOUILHAGUET
Vous me disiez que les chiffres avaient doublé. Est-ce que vous avez un objectif chiffré ?

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Alors, on a déjà un objectif chiffré puisque la dérive sectaire et la Miviludes dépendaient de Matignon, donc du Premier ministre à l'époque, en passant au ministère de l'Intérieur. On double les effectifs. Nous sommes passés de huit effectifs pour traiter ces sujets en 2020, nous sommes maintenant à quatorze. Et j'ai demandé donc un gendarme non plus, un policier en plus et je demande à mon collègue aussi Gabriel ATTAL, un effectif de l'Education nationale justement pour pouvoir nous occuper des enfants et de pouvoir mieux encadrer et mieux signaler et mieux prendre en charge.

ALIX BOUILHAGUET
Et objectif chiffré en termes de résultats ?

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Le résultat, on ne peut pas le chiffrer, mais ce qui est sûr, c'est que dans les mois qui arrivent, nous lançons un grand plan de prévention parce qu'il y a un mot qui a disparu aussi sur la dérive sectaire : la prévention. Donc, dans les mois qui arrivent, dans les deux ou trois mois qui arrivent, nous lancerons un grand plan national. Et si vous me permettez, une dernière chose sur la Miviludes ; nous allons permettre à cet organe d'agréer des associations qui luttent et qui accompagnent, qui luttent contre la dérive sectaire, qui accompagnent les victimes des dérives sectaires. Et je mets à disposition 1 million d'euros en financement pour aider ces associations agréées.

ALIX BOUILHAGUET
On vous a entendu sur ce sujet. Un autre dossier, c'est le Sénat qui a adopté hier le projet de loi immigration. Alors, c'est un texte qui a été considérablement durci par la droite, mais avec la bénédiction de Gérald DARMANIN. On va parler du fond, mais d'abord sur la méthode ; certains dans votre camp, dans la majorité, disent que Gérald DARMANIN, il a fait trop de concessions à la droite.

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Non, écoutez, le texte a été voté majoritairement au Sénat, merci de le rappeler ; il arrive à l'Assemblée nationale.

ALIX BOUILHAGUET
Oui mais il a été voté majoritairement grâce à la majorité de droite au Sénat.

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Absolument, majoritairement avec la majorité sénatoriale, puisque nous n'avons pas de majorité au Sénat. La réalité, c'est que nous sommes une majorité toute relative soit-elle, nous avons une majorité à l'Assemblée nationale ; et que le débat parlementaire. Moi, je crois beaucoup... J'ai été députée, et que ce texte est commissaire aux lois. Donc, ça tombe bien, cela va arriver à la commission des lois, cette magnifique commission. Le texte va être retravaillé.

ALIX BOUILHAGUET
Oui, mais la majorité dit déjà qu'elle veut retrouver le texte initial.

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Ecoutez, retrouver le texte initial... Par exemple, on va reprendre les fondamentaux... La première chose, c'est de pouvoir simplifier en réalité le droit d'asile. La réalité, c'est qu'on arrive à avoir douze contentieux, douze recours possibles auprès de la CNDA. Donc cette fameuse instance qui nous permet de faire des recours, nous voulons diviser par trois. Parce que plus vous laissez la possibilité à un demandeur d'asile de rester sur le territoire de manière illégale, plus il est compliqué de l'expulser.

ALIX BOUILHAGUET
Je reviens sur deux points concrets. Le premier, c'est Gérald DARMANIN qui a validé la transformation et la transformation de l'aide médicale d'État en aide médicale d'urgence, qui ont réduit considérablement les champs d'intervention. Il a même affirmé qu'il était, lui, d'accord à titre personnel, sur cette transformation en aide médicale d'urgence. Est-ce que vous, vous trouvez que l'aide médicale est la bonne réponse ?

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Il n'a pas dit ça. Alors, vous savez quoi, il n'a pas dit ça.

ALIX BOUILHAGUET
Si, il l'a dit.

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Il a dit trouver... Non, non. Sur le texte final (on parle du texte final, on parle de ce qui a été voté), il a dit qu'il n'y a pas de tabou à parler de l'AME. C'est ce que je pense aussi.

ALIX BOUILHAGUET
Oui, mais il a dit à titre personnel que ça ne le gênait pas que ça devienne une aide médicale d'urgence.

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Puisque nous répondons aux mêmes urgences. La réalité, c'est comment est-ce qu'on... Est-ce que vous pensez que nous, en France, on va laisser des étrangers sans soins ? C'est la grandeur de la France. C'est même ce qui a fait notre ADN. Alors je reviens sur l'AME ; la réalité, c'est que cela risque d'être un cavalier législatif. Je m'explique ; un texte hors la loi dans le cadre de la loi que nous présentons. Et la réalité aussi, c'est que ça risque d'être retoqué par le Conseil constitutionnel et que de dire qu'il n'y a pas de tabou à discuter et à ouvrir le débat sur ce sujet de l'AME...

ALIX BOUILHAGUET
Si je vous en parle quand même, Sabrina AGRESTI-ROUBACHE, je sens que vous préférez l'aide médicale d'état (l'AME) à l'AMU.

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Moi, je dis que l'AME n'a pas sa place en réalité dans ce texte. Je suis d'accord avec le ministre de l'Intérieur quand il l'a dit parce que sincèrement je pense que…

ALIX BOUILHAGUET
Il a changé d'avis entre-temps.

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Non, non, non. Dire qu'on est d'accord d'ouvrir le débat et de dire... Moi, je le dis, je l'ai dit. Alors je vais vous dire, je l'ai dit quand j'étais porte-parole de mon groupe à l'Assemblée nationale. Je pense que c'est la grandeur de la France de pouvoir soigner les gens qui en ont besoin pour toutes les raisons sanitaires qui ont été évoquées. Donc ça risque d'être un cavalier législatif, il n'a pas sa place dans ce texte de loi. Et les parlementaires et les députés ; je compte sur…

ALIX BOUILHAGUET
Affaire réglée donc pour l'AME. Le deuxième, Deuxième point, c'est l'article 3 qui permet la régularisation de clandestins qui travaillent dans les métiers en tension. Le principe, il figure toujours dans le projet de loi, mais ce n'est l'article trois, c'est l'article 4 bis, mais donc effectivement davantage encadré, davantage à la main du préfet. Est-ce que vous pensez, vous, que ce compromis peut être accepté par les députés de votre majorité à l'Assemblée nationale ? Est-ce que vous leur dites de le faire ?

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Oui, oui. Non, mais moi, je m'étais prononcée très tôt. Je vais vous dire, ce texte est arrivé l'année dernière, je vous le répète, j'étais encore députée. Ce que change cet article de manière fondamentale... Vous savez, pour que les Français comprennent bien, c'était l'employeur qui devait faire la démarche pour régulariser un travailleur sans papiers. Maintenant, c'est le travailleur qui est autonome. Et je trouve que sur le plan humain et sur le plan fondamental de nos valeurs, c'est un texte très important.

ALIX BOUILHAGUET
Donc l'article 4 bis est suffisant pour vous ?

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Je pense que l'article 4 bis peut être revu. Vous savez, j'ai été encore une fois parlementaire ; évidemment qu'il a vocation à être amélioré, à être retouché ; c'est pour cela qu'il arrive à l'Assemblée nationale. Et le chemin législatif…

ALIX BOUILHAGUET
Donc ça veut dire que la droite ne votera pas. La droite à l'Assemblée, elle ne votera pas.

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Non, ça veut dire... On appelle ça le consensus, on appelle ça la discussion politique. Et je répète quelque chose, vous savez, ce projet de loi, c'est quand même le projet de loi sur lequel tous les Français sont d'accord, sauf encore un peu les partis politiques. Donc j'aimerais qu'on soit à la hauteur des enjeux et que mes collègues, mes anciens collègues à l'Assemblée nationale, comme les sénateurs, c'est l'heure... Vous savez, c'est le travail parlementaire.

ALIX BOUILHAGUET
Ça sent quand même le 49.3.

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Non, ça, c'est vous qui le dites.

ALIX BOUILHAGUET
Vous êtes optimiste ?

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Vous savez quoi ? Je suis une grande optimiste devant l'Éternel et je suis assez reconnue pour dire relativement tout ce que je pense, de manière assez loyale. Je pense que ce texte peut trouver un vrai consensus à l'Assemblée nationale.

ALIX BOUILHAGUET
30 secondes, juste sur ce qui s'est passé hier ; l'Imam de la Grande Mosquée de Paris a semblé remettre en cause la recrudescence des actes antisémites ; il est revenu sur ses propos. Mais qu'est-ce que cela dit du climat français ? Est-ce qu'on peut assister à un début de fracture interreligieuse ?

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Non, non, non, moi, je crois beaucoup au dialogue interreligieux. J'ai beaucoup travaillé sur ces sujets-là. Il s'en est excusé, il est revenu sur déclaration. Je salue en tout cas le courrier du recteur de la Grande Mosquée de Paris, Chems-Eddine HAFIZ, qui a justement recadré tout ça en disant… Il n'a pas bien exprimé ce qu'il voulait dire. La recrudescence des actes antisémites, j'étais à la marche de dimanche, je me tenais de l'autre côté de…

ALIX BOUILHAGUET
Il n'y avait pas beaucoup de Français musulmans ?

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Non, mais ça c'est vous…

ALIX BOUILHAGUET
Ce n'était pas très populaire comme le disait Rachida DATI hier ?

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Ecoutez, ce n'était peut-être pas très populaire, mais c'est un premier pas vers des combats en réalité qui nous touchent à tous, parce que le président de la République l'avait dit : " Toucher à un juif en France, c'est toucher à la France ". Donc, moi, vous savez, pareil, on me connaît, on connaît mes origines. Je pense qu'on ne peut rient laisser passer et que la lutte contre l'antisémitisme et la lutte contre le racisme, c'est notre combat. Moi, en tout cas, c'est mon combat et je crois beaucoup au dialogue interreligieux.

ALIX BOUILHAGUET
Merci beaucoup Sabrina AGRESTI-ROUBACHE. Bonne journée à vous. Au revoir.

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Merci à vous Alix.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 17 novembre 2023