Interview de M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, à France Info le 15 novembre 2023, concernant les conséquences des inondations dans le Pas-de-Calais sur l'agriculture, l'état de catastrophe naturelle reconnu pour 244 communes, la sécheresse, l'inflation alimentaire, la production céréalière et le glyphosate.

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Média : France Info

Texte intégral

SALHIA BRAKHLIA
Bonjour Marc FESNEAU.

MARC FESNEAU
Bonjour.

JEROME CHAPUIS
Bonjour.

SALHIA BRAKHLIA
Vous étiez hier en déplacement avec Emmanuel MACRON dans le Pas-de-Calais. Depuis plusieurs jours maintenant, les habitants font face à des intempéries dévastatrices, l'eau monte encore. Dans quel état sont les agriculteurs que vous avez rencontrés ?

MARC FESNEAU
Dans l'état de personnes qui ont vu l'eau monter, ont commencé à voir l'eau monter au tout début novembre, le 3 ou le 4, et qui depuis n'ont pas vu l'eau descendre et voient les précipitations continuer à s'accumuler. J'ai vécu ça dans ma commune, quand j'étais maire en 2016, il y a un sentiment d'impuissance qui est terrible dans ces cas-là, en se disant que le jour est sans fin et que ça n'arrêtera jamais. Deuxième élément, j'ai trouvé qu'il y avait beaucoup de solidarité entre les habitants, entre les agriculteurs et les habitants, c'est ce que l'on a constaté avec le président de la République. Ce n'est pas une surprise, on connaît les Français dans ces moments-là, d'extrême solidarité, et puis une grande lassitude morale et une fatigue. D'abord une fatigue physique, parce que vous passez nuit et jour, quand vous avez des animaux, et puis on ne dort pas en fait dans ces moments-là, donc une grande fatigue physique, qui confine maintenant à la fatigue psychologique, avec en plus l'espoir que ça redescende quand même, parce que ça finira bien par redescendre, mais le sentiment que quand ça va, quand l'eau va rentrer dans son lit, si vous me permettez cette expression, ou retourner à la mer, une partie du dur continue, parce qu'il faut nettoyer les maisons, il faut nettoyer les équipements des agriculteurs, il faut vérifier si les machines marchent, si on a des frigos qui sont hors service etc. Donc la remise en route, elle-même, est longue, pour l'avoir connu moi-même, je le répète, et je vois très bien à quel point ça peut frapper les esprits.

SALHIA BRAKHLIA
Vous avez tenté de faire un état des lieux, vous savez combien d'exploitations par exemple, ont été touchées ?

MARC FESNEAU
Non. Alors on a des dénombrements, aujourd'hui, qui sont de l'ordre d'une centaine, mais ça dépend de quel degré, c'est celles qui sont avec les bâtiments inondés, mais il y a aussi des terres qui sont inondées, des cultures qui sont inondées, on ne peut pas y accéder. Quand vous avez 1,50 m d'eau, vous ne savez pas ce qu'il y a dessous ou ce qui reste dessous et dans quel état c'est.

JEROME CHAPUIS
C'est-à-dire qu'on ne connaît pas l'état des cultures aujourd'hui.

MARC FESNEAU
On ne peut pas le savoir. Quand vous avez 1 m d'eau, on peut imaginer ce que ça va donner, il faut juste laisser le temps de la décrue et à partir de la décrue, on aura une vision plus complète de l'étendue des dégâts.

JEROME CHAPUIS
De quels types de cultures il s'agit ?

MARC FESNEAU
Il y a des grandes cultures, des cultures qui ont été semées, qui ont pu être semées, du colza par exemple. Il y a des cultures qui étaient encore en place, je pense à la betterave, qui ne pourra pas être récoltée.

JEROME CHAPUIS
La betterave, c'est important, parce que c'est une région très importante pour…

MARC FESNEAU
C'est une grande région betteravière, vous avez raison, avec des cultures qui manifestement, à l'heure où je vous parle, il faut toujours être prudent parce que la météo joue parfois des tours et parfois des tours positifs, mais aujourd'hui, on voit bien que ce sont des betteraves qui ne sont pas récoltées. C'est plusieurs milliers d'hectares, sans doute de betteraves, qui ne pourront pas être récoltées, puisqu'on était au début, au milieu de la saison de récolte de la betterave. Et puis vous avez des cultures maraîchères, alors là, on était dans un moment intermédiaire, mais vous avez quand même des choux, pour rentrer dans le détail, qui étaient au moment où on commençait à les récolter et qui seront perdus pour un tiers ou les deux tiers d'entre eux.

SALHIA BRAKHLIA
Donc ça va toucher à court terme les récoltes qui devaient avoir lieu dans les prochaines semaines, les prochains mois. Comment ça se passe aussi pour les élevages ? On a entendu des témoignages d'éleveurs qui disaient : « J'ai dû essayer de sauver mes bêtes de la noyade ».

MARC FESNEAU
Alors, le décompte, on le connaît mieux. Il y a eu des opérations absolument incroyables de sauvetage d'élevages, avec des éleveurs, avec des pompiers, avec enfin bref, des animaux qui étaient en train de se noyer, qu'on a pu sauver. Il y a sans doute 200 bovins qui ont été perdus et qui ont été noyés par la montée des eaux trop brutale et qui n'a pas permis de les évacuer. Donc ça, c'est documenté. Alors après, vous avez, pour dire des choses très concrètes, vous avez des éleveurs qui ont des robots de traite ou des matériels de traite qui étaient inopérants chez eux parce qu'il est inondé, donc on déplace tous les jours les bovins pour aller les faire traire dans d'autres structures. Donc c'est beaucoup de logique qu'il faut mettre en place. Après, on a un deuxième sujet d'inquiétude, c'est un animal qui reste, c'est comme vous et moi, un animal qui reste 24, 48, 72 heures, avec de l'eau jusqu'au cou, il n'est pas impossible qu'on ait des maladies qui apparaissent. Mais ça, c'est aussi des surcoûts, avec des difficultés qu'on verra et qu'on découvrira au gré…

SALHIA BRAKHLIA
Ça veut dire que les dégâts, en fait, qu'on va, qu'on va découvrir avec la décrue…

MARC FESNEAU
Il y a ce que l'on va voit tout de suite…

SALHIA BRAKHLIA
Voilà, c'est ça.

MARC FESNEAU
... ce que l'on va voir à moyen terme, et sur le long terme, des coûts. Donc, c'est tout ça qu'il faut essayer de mesurer avec les agriculteurs et leurs organisations.

JEROME CHAPUIS
Vous étiez aux côtés d'Emmanuel MACRON hier, quand il a annoncé la création d'un fonds de soutien de 50 millions d'euros pour le Pas-de-Calais. Quelle part pour les agriculteurs ?

MARC FESNEAU
Alors ça, c'est un fonds de soutien pour les collectivités locales, en supplément de ce que seront les autres dispositions assurantielles. Pour ce qui est du monde agricole, alors, je cumule Bretagne, Normandie, Hauts-de-France, c'est un fonds…

JEROME CHAPUIS
Parce qu'en Bretagne, il y a eu la tempête aussi.

MARC FESNEAU
Oui, parce que malheureusement on a aussi ces épisodes, et je serai en Bretagne jeudi et vendredi. Là c'est un fonds de 80 millions d'euros qui permettra de couvrir à la fois les pertes de récoltes, mais aussi les pertes d'investissement qui ne seraient pas couvertes par les sujets d'assurances. On a fait un fonds qui permet d'éviter, pardon de l'expression, les trous dans la raquette, pare qu'on voit bien qu'il y a toujours des sujets. Certains perdent plutôt des investissements et du matériel, mais il y a un taux d'usure, donc ils sont mal couverts par les assurances, et comment on peut les accompagner, c'est avec des investissements. Et puis on est beaucoup en dialogue avec les régions. Je voudrais quand même souligner l'engagement des régions, hier avec Xavier BERTRAND, Loïg CHESNAIS-GIRARD ou Hervé MORIN, pour travailler à regarder comment, dans leurs propres compétences en termes d'investissements, ils peuvent travailler sur les indemns... pas les indemnisations, mais le fait de relancer la machine économique.

SALHIA BRAKHLIA
Dans le Pas-de-Calais, l'état de catastrophe naturelle a été reconnu dans 244 communes. C'est ce qu'a annoncé le président de la République hier.

MARC FESNEAU
Une première série de communes, oui.

SALHIA BRAKHLIA
Voilà. Vous vous rendez demain et après-demain dans le Finistère, la Bretagne, on le disait, suite aux dégâts causés par la tempête Ciaran. Emmanuel MACRON avait aussi promis l'état de catastrophe naturelle partout où on pourra le faire, c'est ce qu'avait dit le président. Le but étant là aussi que les agriculteurs soient vite indemnisés. Mais finalement, rien. Pas de catastrophe naturelle en Bretagne. Comment vous l'expliquez, ça ?

MARC FESNEAU
Les dispositions, alors, il y a d'autres instructions. Eh bien, l'état de catastrophe naturelle, il peut être activé dans très peu de cas, mais dans un certain nombre de cas, quand il y a de la tempête, mais plutôt pas en métropole, plutôt dans les Outre-mer. Manifestement, les critères…

SALHIA BRAKHLIA
Là c'est ce que l'on fiait dans le Pas-de-Calais.

MARC FESNEAU
Oui, mais c'est des inondations, donc ce n'est pas un phénomène tempétueux. Donc…

SALHIA BRAKHLIA
Et donc là, les Bretons ils n'y ont pas droit.

MARC FESNEAU
Donc, on a d'autres dispositifs. Le système des calamités agricoles, il fonctionne sans les catastrophes naturelles, donc il s'activera de même nature…

JEROME CHAPUIS
Ce sont des dispositifs différents.

MARC FESNEAU
Le système des catastrophes naturelles, il permet principalement de regarder dans quelle caisse c'est pris, est-ce que ce sont les assureurs ou la caisse mutualisée des assureurs. Ça n'empêchera pas qu'en Bretagne aussi, les risques ou les dégâts soient couverts. Ce n'est simplement pas le même mécanisme.

JEROME CHAPUIS
On se souvient tous de la sécheresse. Il y a quelques mois, quelques semaines seulement, on parlait de la sécheresse. Quand on voit toute cette eau qui tombe, quels enseignements vous en tirez en termes de gestion de l'eau ?

MARC FESNEAU
Eh bien, les enseignements que j'en tire, c'est d'abord qu'on est un pays qui était plutôt un pays à climat tempéré, plutôt, et que nous découvrons depuis une quinzaine d'années, parce que ce n'est pas simplement depuis quinze jours, vous avez raison, mais le fait que nous avons une arythmie climatique avec d'abord une arythmie en soit et par ailleurs des phénomènes exceptionnels, ça me fait penser que l'eau va être rare et/ou trop abondante, et que donc on a besoin de penser le cycle dans sa durée, courte et longue d'ailleurs, et de regarder quand il y a beaucoup d'eau, toute l'eau qu'on a dans le Pas-de-Calais, c'est de l'eau en trop. Manifestement, c'est de l'eau en trop puisque les sols ne peuvent pas l'absorber…

JEROME CHAPUIS
Il faudrait pouvoir la mettre dans des réserves ?

MARC FESNEAU
Il y a quelque chose à penser, de réserve de substitution qui permettraient de les remplir quand il y a trop d'eau, de limiter, alors on n'évitera jamais tout, mais de limiter les effets des inondations et de pouvoir, parce que, je le rappelle, cette zone du Pas-de-Calais, cet été, elle était en alerte sécheresse, parce qu'il y avait trop peu d'eau qui était tombée. C'était une des zones où il était tombé le moins d'eau cet été. Alors que l'on a plutôt une année, un été plus pluvieux, en tout cas sur la partie Nord du pays. Et donc, si on pouvait réfléchir simplement les choses, en se disant, c'est quelque chose d'assez de bon sens, au fond de se dire, il y a trop d'eau…

JEROME CHAPUIS
Donc des méga bassines par exemple, comme dans les Deux-Sèvres, alors qu'on sait que le débat est très vif ?

MARC FESNEAU
Le débat est très vif, et c'est dommage parce que je pense que les méga bassines, c'est exactement ça. C'est une nappe d'affleurement qui se remplit très vite et qui donc déborde très vite. D'ailleurs, dans les Deux-Sèvres, en Vendée, on a beaucoup d'eau, on est en limite d'ailleurs, il ne faudrait pas qu'on ait beaucoup de pluviométrie supplémentaire pour avoir des difficultés, ça permet de remplir ces ouvrages. Méga bassines, si on veut les appeler ainsi, ou réserves de substitution, moi je pense que c'est, la logique est une réserve de substitution. On prend l'hiver ce qu'on évite de pomper l'été. C'est comme ça qu'il faut raisonner. Et je pense qu'on a besoin de penser notre cycle de l'eau en dérèglement climatique. Nos outils, aujourd'hui, ils sont peu pensés en dérèglement climatique et c'est ça qu'il faut qu'on travaille.

JEROME CHAPUIS
Ministre de l'Agriculture, Marc FESNEAU vous êtes avec nous jusqu'à 09h00 sur France Info. On vous retrouve juste après le Fil Info, puisqu'il est 08h41. Maureen SUIGNARD.

Fil info

SALHIA BRAKHLIA
Toujours avec le ministre de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire Marc FRESNEAU. Face au début de polémique, le gouvernement a décidé hier soir de prolonger d'un an la dérogation qui permet aux salariés bénéficiaires de titres restaurant de faire leurs courses avec, décision prise un mois et demi avant la fin. Pourquoi ça n'a pas été anticipé vu l'inflation alimentaire qui est toujours présente ?

MARC FRESNEAU
D'abord c'est une disposition législative donc ça ne se fait pas comme ça, si je peux dire.

SALHIA BRAKHLIA
Ça s'anticipe.

MARC FRESNEAU
Deuxième élément, c'est une disposition qui avait été soutenue par le gouvernement, qui était d'origine sénatoriale si j'ai bonne mémoire, et qui visait à pouvoir utiliser le Ticket restaurant pour d'autres usages que ceux pour lesquels ils sont prévus. Ça s'appelle ticket restaurant et pas ticket alimentaire, si je peux dire. Simplement, le bon sens que nous avons aussi au gouvernement a imposé que, même si on est dans une phase de stabilisation d'une inflation déjà élevée, il y avait utilité pour un certain nombre de nos compatriotes, de nos concitoyens, à pouvoir utiliser ces tickets-restaurant pour l'alimentation courante, si je peux dire, et donc dans les usages qui sont ceux aujourd'hui prévus par la loi.

JEROME CHAPUIS
Vous parlez du bon sens, pour les restaurateurs ce n'est pas du bon sens, ils ne sont pas contents.

MARC FRESNEAU
Oui, ils trouvent que… Alors quand il y a une mesure, il y a toujours des gens qui considèrent que mais à la vérité, il y a quand même des gens, il y a un certain nombre de nos concitoyens… On a des réunions ce matin au ministère de l'Agriculture sur des questions d'aide alimentaire. On a un certain nombre de nos concitoyens qui sont en difficulté pour l'alimentation, donc il faut aussi se confronter à la réalité, même si je comprends la situation des restaurateurs. Reconnaissons aussi que sous la crise Covid, nous avons beaucoup aidé les restaurateurs, donc chacun doit comprendre aussi qu'on doit chacun faire sa part. Et donc il me semble que c'est une mesure de bon sens que de faire en sorte que nos concitoyens puissent l'utiliser à d'autres usages.

SALHIA BRAKHLIA
Mais là encore, on a l'impression que c'est de l'improvisation.

MARC FRESNEAU
Non, non !

SALHIA BRAKHLIA
Je le redis, c'est une décision prise un mois et demi avant la fin de cette dérogation. Symboliquement, est ce que vous craignez en fait de refaire une erreur équivalente à la baisse de 5 euros des APL ? Que ça reste dans les esprits ?

MARC FRESNEAU
Non, non. Mais là, c'est plus compliqué que ça, pardon de le dire. Parce ce qu'il y a des effets, les restaurateurs peuvent légitimement dire… Ça n'est pas l'objet. D'abord, je rappelle que le ticket-restaurant, c'est un sujet paritaire parce que c'est entre les employeurs et les salariés, c'est comme ça que c'est construit. On pourrait d'ailleurs se poser la question pourquoi à chaque fois on vient voir le gouvernement pour dire : il faut arbitrer, il faut faire ceci parce que c'est alimenté par vous et moi quand vous en bénéficiez et par les patrons, par les entreprises. Bref, qu'on puisse se poser la question avant de prendre une décision hâtive et qu'on puisse réfléchir et un mois et demi avant le terme, les tickets-restaurant fonctionnent, ils refonctionneront à partir du 1er janvier, il y a toute latitude pour le faire dans une disposition législative.

JEROME CHAPUIS
L'inflation alimentaire, vous en parliez, et vous parliez aussi tout à l'heure des cultures de betteraves qui étaient dévastées dans la première région productrice en France, sachant que le sucre est l'une des denrées alimentaires qui augmente le plus. Ça va avoir des conséquences, ces inondations, sur les prix du sucre ?

MARC FRESNEAU
Alors 2 000 hectares, peut-être pas quand même, mais il me semble qu'il faut toujours être vigilant et c'est vrai que c'est une des difficultés. Dans le dérèglement climatique - là, on a une inflation qui est liée à d'autres sujets : énergie, emballages et autres - mais dans le dérèglement climatique, on peut avoir des effets qui soient liés à ça et qui produisent de l'inflation. Je vous donne un deuxième exemple, c'est l'exemple de l'huile d'olive. La récolte en Espagne d'huile d'olive a diminué de quasiment 50 %. C'est le premier producteur, de tête, d'huile d'olive du monde. Eh bien ça, ça va se voir sur les prix. On a des prix qui ont été multipliés par deux ou trois. C'est une inflation d'une autre nature que celle qu'on a connue à partir de 2022. Donc oui, il faut qu'on ait une vigilance et c'est pour ça que la question de la souveraineté alimentaire est une question importante. Il faut qu'on ait une vigilance parce qu'il faut qu'on assure nos besoins, y compris dans du dérèglement climatique, parce que sinon on aura des difficultés…

SALHIA BRAKHLIA
C'est important ce que vous dites parce qu'on est en pleine négociation commerciale entre distributeurs et industriels et donc producteurs aussi. Les aléas climatiques vont avoir une incidence directe, là, sur les négociations ?

MARC FRESNEAU
Dans la négociation immédiate, là on parle de deux sujets qui sont visibles, qui sont le sucre. Alors c'est des sujets mondiaux, le sucre en plus c'est un marché…

SALHIA BRAKHLIA
Mais là, les producteurs vont y perdre ?

MARC FRESNEAU
Non. Non, les producteurs non, puisque la question c'est de la rémunération et que la loi EGalim a permis de garantir ça. Après, on est plutôt sur une baisse sur un certain nombre de produits. Je pense aux céréales en particulier où les prix ont plutôt baissé structurellement. Mais je signale juste que dans certains cas, il peut s'avérer que, compte tenu du dérèglement climatique, ça puisse sur certains produits faire des effets que je viens d'évoquer, par exemple sur l'huile d'olive.

JEROME CHAPUIS
Et les agriculteurs, les producteurs, ils doivent se préparer à y perdre dans cette négociation qui est en cours ?

MARC FRESNEAU
Ce n'est pas la volonté du gouvernement. Je rappelle que depuis 2017-2018, avec mes prédécesseurs, Stéphane TRAVERT, Julien DENORMANDIE, Didier GUILLAUME, on a fait en sorte de mieux rémunérer la matière première agricole et de faire en sorte qu'à chaque fois, le sacrifice ne soit pas demandé aux agriculteurs. Donc, il ne peut pas y avoir une négociation qui fasse en sorte qu'on perde notre souveraineté alimentaire par la perte de nos agriculteurs parce qu'à la fin, on dépendra des autres. Et alors pour le coup, l'inflation sera encore plus forte parce qu'elle sera dans la main de gens qui sont nos amis ou parfois pas nos amis d'ailleurs, on va dire les choses comme elles sont. Donc la souveraineté alimentaire et donc la rémunération des agriculteurs, c'est un élément de long terme de lutte contre l'inflation. J'invite la grande distribution à penser le long terme et pas le court terme, et à penser souveraineté et pas intérêts du moment privé.

SALHIA BRAKHLIA
Vous parliez à l'instant des céréales. Vous étiez la semaine dernière en Ukraine. À ce propos, l'entrée de l'Ukraine dans l'Union européenne serait une catastrophe, ce sont les mots d'Arnaud ROUSSEAU, le patron de la FNSEA. Pour lui, l'agriculture ukrainienne ne joue pas avec les mêmes règles que nous donc ça va forcément impacter nos agriculteurs. Est-ce qu'il a raison ?

MARC FRESNEAU
À date, il y a une grande différence entre l'agriculture ukrainienne et l'agriculture européenne. Deuxième élément, il y a un élément de solidarité vis-à-vis d'un pays qui est en guerre. Enfin, il faut aller voir sur place pour constater… D'ailleurs il y a des entreprises, y compris de l'agroalimentaire ou agricoles…

SALHIA BRAKHLIA
Mais là, je parle de l'entrée dans l'Union européenne.

MARC FRESNEAU
Non mais attention au message qu'on envoie. Deuxième élément, vous savez très bien que les entrées dans l'Union européenne, c'est un processus de négociation et un processus de convergence, y compris des réglementations. On n'en est pas là si je peux dire, mais l'Union européenne a ouvert la boîte, si je peux dire, de la négociation, de la capacité d'adhésion, de demande d'adhésion. Travaillons là-dessus, me semble-t-il, et c'est vrai qu'il y a des distorsions de concurrence

JEROME CHAPUIS
On parle du plus grand, d'un des plus grands, sans doute même le plus grand producteur agricole en Europe.

MARC FRESNEAU
C'est ce que je voulais vous dire. En revanche, c'est le plus grand producteur, c'est 25 % de la production agricole européenne, l'équivalent. C'est 5 % du marché mondial des céréales.

JEROME CHAPUIS
C'est un déséquilibre absolument énorme.

MARC FRESNEAU
Et donc, il faut se poser la question de l'Ukraine dans l'Europe si l'Ukraine dans l'Europe – mais on n'en est pas là, je le répète, il y a des nécessités de convergence - mais ça ne peut pas être une concurrence avec les pays européens. Ça ne peut être qu'une puissance agricole européenne qu'il faut construire avec eux parce que si c'est pour venir sur le marché européen, à ce moment-là on aurait tout perdu. D'abord l'Ukraine, pas grand-chose, et nous beaucoup parce que nos agriculteurs seraient exposés à une concurrence qui serait déloyale. Donc on a besoin de penser l'adhésion ou la coopération avec l'Ukraine dans une perspective de puissance européenne mondiale, sur la scène de la souveraineté et de la sécurité alimentaire.

JEROME CHAPUIS
L'Europe, on va en parler parce qu'elle va proposer demain la prolongation… Enfin, la Commission européenne propose la prolongation pour dix ans du glyphosate sur le sol européen et c'est demain qu'a lieu un nouveau vote important, celui des 27 membres, sur cette proposition. Le mois dernier, la France s'était abstenue. Que va voter la France demain à propos du glyphosate ?

MARC FRESNEAU
On attend les derniers éléments de propositions de l'Union européenne. S'il n'y a pas de changement, il n'y a pas de raison que le vote change.

JEROME CHAPUIS
Donc toujours une abstention ?

MARC FRESNEAU
S'il n'y a pas de changement, il n'y a pas de raison que le vote change.

JEROME CHAPUIS
Ça veut dire que le glyphosate sera prolongé.

MARC FRESNEAU
Mais on l'a dit depuis le début. 1/ L'interdiction totale, ça n'est pas possible. Alors pardon, je sais que ce n'est pas forcément populaire de le dire ainsi mais…

JEROME CHAPUIS
C'est surtout contradictoire par rapport à…

SALHIA BRAKHLIA
Le président de la République Emmanuel MACRON qui l'a promis en 2017.

MARC FRESNEAU
On a regardé aussi s'il y avait des alternatives. On a constaté d'ailleurs qu'il n'y avait pas d'alternative. Je pense par exemple à ce qu'on appelle l'agriculture de conservation. L'agriculture de conservation, c'est une agriculture sans travail du sol. Cette agriculture est très performante d'un point de vue du stockage carbone - très performante - et de la qualité des sols. On n'a pas d'alternative aujourd'hui donc…

SALHIA BRAKHLIA
Six ans après, Marc FRESNEAU, on n'a toujours pas d'alternative.

MARC FRESNEAU
Si vous trouvez une alternative à labourer par autre chose qu'un produit de cette nature…

SALHIA BRAKHLIA
Pardon, mais moi je ne suis pas agricultrice. Je vous pose la question parce que vous êtes ministre de l'Agriculture.

MARC FRESNEAU
Vous avez raison mais demandez aux chercheurs. Mais il y a des maladies sur lesquelles on n'a toujours pas de médicaments, ok, donc c'est pareil. Donc il y a des maladies humaines sur lesquelles ça fait 30 ans qu'on cherche et on a des difficultés, parfois 40 ans, parfois 70 ans, et il y a parfois des impasses techniques qui existent en agriculture sur lesquelles on n'a pas d'alternative.

SALHIA BRAKHLIA
Mais il y a des pays européens qui s'en passent du glyphosate.

MARC FRESNEAU
Non, aucun pays européen…

SALHIA BRAKHLIA
Le Luxembourg par exemple refuse, se refuse, est pour l'interdiction du glyphosate.

MARC FRESNEAU
Non, le Luxembourg ne se passe… Il n'y a aucun pays européen qui se passe du glyphosate. Et par contre, il y a un seul pays européen qui a réduit l'utilisation de glyphosate, c'est la France. C'est ça la réalité. Donc on peut toujours déclamer, si je peux dire, des choses mais le Luxembourg a une position du moment. Mais le Luxembourg aujourd'hui, tous les usages du glyphosate, les usages du glyphosate sont plus importants qu'en France. Donc la position de la France, elle est simple : c'est là où il y a des alternatives, il faut qu'on continue à les pousser pour avoir une trajectoire de réduction et là où il n'y a pas des alternatives, on cherche pour essayer de trouver avec la volonté de trouver. Mais là où il n'y a pas d'alternative, il faut continuer à pouvoir l'utiliser parce que sinon on va mettre en impasse complète les agricultures française et européenne.

SALHIA BRAKHLIA
Mais diminuer l'utilisation du glyphosate, est-ce suffisant ? Non clairement si on lit le spécialiste mondial de la maladie de Parkinson Bas BLOEM, qui s'est adressé à vous dans le journal Le Monde. Je le cite : il existe aujourd'hui un faisceau de preuves scientifiques indiquant que le glyphosate est une cause possible de Parkinson ; une étude récente a montré que l'exposition au glyphosate était associée à des signes de lésion cérébrale des maladies de Parkinson et d'Alzheimer. Ces effets ont été observés dans la population générale. Il vous demande, et ce n'est pas le seul scientifique à le demander, de voter contre l'utilisation de l'herbicide.

MARC FRESNEAU
Pardon madame, j'essaie d'être cohérent avec moi-même. Déjà, c'est une chose importante. Les décisions qui sont celles de l'Europe, elles sont appuyées sur un organisme qui s'appelle l'EFSA, qui parfois produisent des décisions d'interdiction. Laquelle EFSA d'ailleurs produit des analyses qui sont le produit de ce que dit l'ANSES. Alors, ce n'est pas à la carte en fait. Soit ce que dit l'ANSES, ce que dit l'EFSA, on considère que ça a du crédit scientifique, et quand ils disent quelque chose avec parfois des doutes - c'est pour ça d'ailleurs qu'on ne dit pas " réutilisation générale " - avec parfois des interrogations, des études complémentaires qu'on demande, on les suit mais on ne peut pas dire q : c'est à la carte en fonction de ce qu'on pense soi-même. L'EFSA, dans une étude combinée européenne avec plusieurs autorités dont l'ANSES, dit qu'à date le sujet n'est pas celui que vous évoquez par d'autres scientifiques. Il faut suivre aussi les autorités parce que sinon, si à chaque fois…

SALHIA BRAKHLIA
Et être cohérents avec nous-mêmes, Monsieur le Ministre. En France le Fonds d'indemnisation…

JEROME CHAPUIS
On va laisser passer. Je vous propose qu'on laisse passer juste le Fil Info parce que ce débat est important. On va le poursuivre dans quelques secondes. Vous êtes avec nous jusqu'à 9 heures, on a encore quelques minutes et on va parler, on va approfondir ce sujet, notamment la controverse scientifique avec vous, Marc FRESNEAU. Le Fil Info, c'est avec Maureen SUIGNARD à 08h52.

Fil info

SALHIA BRAKHLIA
On revient avec le ministre de l'Agriculture, Marc FESNEAU. Le Fil Info est important, mais le sujet du glyphosate l'est encore plus. En France, le Fonds d'indemnisation, c'est ce que je vous disais juste avant le Fil Info, le Fonds d'indemnisation des victimes de pesticides créé par l'Etat, a retenu le lien entre les malformations congénitales d'un adolescent, qui s'appelle Théo, et l'exposition de sa mère, donc pendant qu'elle était enceinte au glyphosate. Ils sont même indemnisés aujourd'hui pour ça. Vous dites : " Soyons cohérents avec ce que disent les agences sanitaires ". Soyons cohérents avec ce qui se passe aussi sur notre sol. Qu'est-ce que vous répondez à ceux qui pensent que vous êtes en train de sacrifier la santé de milliers de Français pour les intérêts agro industriels ?

MARC FESNEAU
Non mais regardez-moi, je vous assure que moi je m'intéresse aussi à la santé des Français…

JEROME CHAPUIS
Et notamment des agriculteurs, parce qu'ils sont…

MARC FESNEAU
Des agriculteurs, j'ai une famille, j'ai des enfants, donc oui, pardon, je n'accepterai jamais qu'on me fasse la leçon sur le fait que moi aussi je défends les intérêts de la santé des Français et je m'en préoccupe. Ce qui fait d'ailleurs que parfois on a des décisions qui sont compliquées sur un certain nombre de molécules, mais que je tiens, parce que je considère qu'il faut les tenir. Sur le cas particulier, d'abord, il n'y a pas de décision de justice, c'est le Fonds d'indemnisation. Donc…

SALHIA BRAKHLIA
Payé par l'Etat qui reconnaît.

MARC FESNEAU
Oui, le Fonds d'indemnisation en première intention l'a fait. Deuxième élément, je rajoute que c'est un usage qui est interdit désormais en France, que c'est un usage domestique, qui…

SALHIA BRAKHLIA
Oui mais les agriculteurs…

Brouhaha

MARC FESNEAU
Non, mais les conditions d'utilisation, les conditions d'usage, on sait très bien d'ailleurs que MONSANTO, à l'époque, s'est fait condamner pour les conditions d'usage. La façon dont on alertait ou pas. Qu'est-ce qu'il faut faire ? Quelles sont les précautions qu'il faut prendre ? Comme quand vous prenez un médicament, vous avez sur la boîte les conditions d'usage et ce qu'il faut faire et ce qu'il ne faut pas faire. Et donc c'est comme ça qu'il faut le regarder. Donc ne tirons pas d'un cas particulier qui est un cas d'usage, sur une molécule, mais qui est en combinaison avec d'autres. Le produit lui-même a été interdit en 2006. Ce n'est pas moi, il y a 17 ans qu'il a été interdit. Et donc on regarde à chaque fois s'il y a des controverses, on regarde à chaque fois s'il y a des effets. Mais globalement, ce que dit l'EFSA, ce que dit l'ANSES, c'est de confirmer la position qui a été la sienne depuis toujours sur la question du glyphosate. Et donc, essayons. Si on commence à remettre en cause, ça veut dire que ceux qui diront au fond il ne faut pas interdire parce que moi je pense qu'il n'y a pas de danger, et que l'EFSA et l'ANSES disent il y a danger, il faut interdire. On remettra en cause de la même façon. Donc il faut qu'on essaie de tenir une position qui est une position, d'écouter les scientifiques. Alors, il y a toujours des scientifiques qui disent : ceci je ne suis pas d'accord. Ça, c'est la…

SALHIA BRAKHLIA
Les scientifiques et beaucoup de médecins qui vous disent…

MARC FESNEAU
... Mais pardon, l'EFSA et l'ANSES, c'est des dizaines de scientifiques, c'est des centaines de scientifiques. Alors, si on ne les écoute pas, et que chacun peut dire ce qu'il pense, je comprends qu'on puisse avoir des convictions, mais il faut que ce soit appuyé sur la science.

JEROME CHAPUIS
Pardon, mais ce que disaient les scientifiques, ils le disaient déjà en 2017, quand Emmanuel MACRON a dit qu'il allait interdire le glyphosate en trois ans.

JEROME CHAPUIS
Oui, mais on a travaillé avec les équipes de chercheurs, des instituts techniques, on a regardé partout où on pouvait réduire, ce qu'on pouvait faire, et partout. Mais c'était à l'époque une volonté qui avait été exprimée et on est au rendez-vous. Je répète, sur le glyphosate, nous sommes le seul pays du monde à avoir baissé de 30% les usages.

JEROME CHAPUIS
Donc on a bien compris : abstention demain, de la France…

MARC FESNEAU
C'est ... une modification de la proposition communautaire. On a encore... Comme vous le savez, c'est toujours au dernier moment que les choses se nouent parfois.

SALHIA BRAKHLIA
Marc FESNEAU, dans le Sud-ouest ils appellent ça une tempête sanitaire. Les bovins sont touchés par une maladie qui les affaiblit. Elle provoque fièvre, amaigrissement, lésions buccales. Le plus souvent, les vaches survivent, mais les échanges commerciaux avec l'étranger notamment, sont évidemment perturbés. Comment éviter que ça continue ?

MARC FESNEAU
Alors c'est le produit aussi du dérèglement climatique. Tout ça me fait dire ici à votre micro ce matin, qu'il va falloir continuer à oeuvrer pour anticiper, pour rendre les systèmes plus résilients à des maladies, à des phénomènes climatiques, parce qu'on va avoir des difficultés majeures. Le statu quo, c'est la mort de l'agriculture. Si on fait le statu quo des pratiques, il faut qu'on prépare nos agriculteurs et qu'on les accompagne dans la grande transition, qui sur les réserves d'eau pour assurer un minimum, et qui sur les sujets sanitaires. Alors, je réponds à votre question sanitaire. C'est une maladie qui vient du Sud, Nord Afrique et qui vient de l'Espagne puisqu'elle était un peu présente en Espagne. C'est transmis par les moustiques, donc une maladie transmise par les moustiques, il n'y a pas grand-chose à faire en dehors d'essayer de regarder ce qu'on peut faire d'un point de vue économique. Premier élément, on a libéré tout de suite les frontières avec l'Espagne et l'Italie, qui est 95% du marché des jeunes bovins, il part dans ces deux pays. Ça a permis d'éviter que les prix s'effondrent. Et je tiens à saluer, c'est aussi la coopération européenne. C'est les bonnes relations qu'on entretient avec l'Italie et l'Espagne qui ont permis qu'en moins de dix jours, ce qui est un record, on ne freine pas les exportations. Ça peut avoir un effet sur les prix, mais c'est plutôt marginal. L'effet principal pour les producteurs, ce sont les animaux qui sont malades. J'étais l'autre jour dans les Pyrénées-Atlantiques avec une vache qui avait perdu 200 kilos en un mois, et qui avait du mal à se tenir encore sur ses pattes, si vous me permettez cette expression, là c'est une perte qui peut à terme être très lourde pour l'éleveur. Et donc on va prendre en charge, aujourd'hui, on est en train de documenter les choses pour prendre en charge les bovins qui vont mourir. Il y a quand même un taux de mortalité, et deux, les surcoûts vétérinaires, pour faire en sorte que ce surcoût-là ne soit pas principalement à la charge de l'éleveur. Après, on risque d'avoir une accalmie avant une résurgence au printemps, et c'est ça auquel il faut se préparer. Et il faut globalement se préparer à un système sanitaire qui va être très sollicité. Cette maladie est apparue au moment où on commençait la vaccination sur la grippe aviaire. C'est vous dire à quel point les services du ministère, qu'il faut saluer les équipes terrain, les vétérinaires sont hyper mobilisés sur des sujets qui sont quand même des sujets parfois très dramatiques pour les éleveurs.

JEROME CHAPUIS
Marc FESNEAU, le ministre de l'Agriculture, vous étiez l'invité de France Info ce matin. Merci d'avoir été avec nous.

MARC FESNEAU
Merci.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 17 novembre 2023