Texte intégral
PAUL BARCELONE
Bonjour Monsieur le Ministre.
SEBASTIEN LECORNU
Bonjour.
PAUL BARCELONE
Merci de me recevoir ici à Kiev où vous achevez une visite à la rencontre notamment de votre nouvel homologue et de Volodymyr ZELENSKY. C'est à la demande du président ukrainien que vous arrivez avec une telle délégation n'est-ce pas ?
SEBASTIEN LECORNU
Deuxième déplacement ici effectivement pour rencontrer le nouveau ministre de la Défense mais surtout pour inscrire notre soutien à l'Ukraine dans la durée. On voit bien que le conflit s'installe et donc il va nous falloir faire preuve d'endurance et cette endurance passe aussi bien sûr par les industries de défense françaises pour fournir des équipements à l'Ukraine. Et c'est pour ça qu'il y a des parlementaires qui m'accompagnent parce que les députés et les sénateurs prennent des décisions importantes sur le soutien à l'Ukraine, mais aussi une vingtaine d'industriels français représentant des secteurs du cyber, de l'intelligence artificielle, des drones, des robots mais aussi bien sûr des équipements terrestres ou des munitions et donc pour une rencontre inédite, il est vrai, entre l'armée ukrainienne et les différentes entreprises ukrainiennes qui peuvent sous-traiter ou être sous-traitantes de nos industriels français.
PAUL BARCELONE
Parce que vous proposez à l'armée ukrainienne et aux industriels français un changement de stratégie, un changement de philosophie, un changement de paradigme ; est-ce que c'est un tournant ?
SEBASTIEN LECORNU
On s'adapte en tout cas ; la guerre va durer et les cessions de matériels au sein des armées françaises, mais pas que françaises, ont par définition des limites. Est-ce qu'on va continuer à le faire ? Oui parce que grâce à notre programmation militaire, on va retirer plein de vieux matériels de l'armée française, au bénéfice de matériels beaucoup plus neufs, qu'on va pouvoir donner à l'Ukraine et d'ailleurs à d'autres pays qui sont des pays partenaires. Néanmoins, si on veut durer, on doit être capable de brancher en quelque sorte directement les industries françaises à l'armée ukrainienne ; ça a un intérêt aussi pour l'avenir parce que si la guerre devait s'arrêter vite - ce que je souhaite - l'armée ukrainienne aura besoin de se reconstruire, aura besoin de se défendre et donc ce sont aussi des opportunités pour les industries françaises – pardon de le dire comme ça mais il faut l'assumer.
PAUL BARCELONE
C'est un marché, l'Ukraine aujourd'hui, pour les industriels français, pour les fleurons français ?
SEBASTIEN LECORNU
Oui et non parce que c'est un pays en guerre qui se défend, est en légitime défense et donc notre devoir, il est avant tout pour nos valeurs et sur le terrain humanitaire ; quand on met à disposition de la défense sol-air, ça protège et ça préserve des vies humaines ukrainiennes avant tout. En tout cas, il y a une réalité, c'est que les industries françaises ont un rôle à jouer pour aujourd'hui mais il est vrai aussi pour demain et ça, cette perspective-là, les Anglo-saxons l'ont compris et donc aussi à nous de défendre le pré-carré francophone dans cette affaire.
PAUL BARCELONE
Sébastien LECORNU, est-ce que ça veut dire que bientôt, il y aura des salariés français (coupure son)….
SEBASTIEN LECORNU
… Un certain nombre d'industries françaises ont trouvé des partenaires locaux, des industries locales qui sont capables de venir dans la chaîne de production des sous-traitants. Et ça, évidemment, ça rapproche le matériel les équipements de l'armée ukrainienne notamment pour l'entretien. Regardez, l'entretien des canon César, on ne va pas renvoyer les canons César en France, on ne va pas non plus les envoyer en Pologne comme ce fut le cas au début du conflit, il faut désormais être en capacité de les réparer sur place.
PAUL BARCELONE
Parfois vu de France, on a l'impression que la contre-offensive… que ce conflit s'enlise sur le front ukrainien ; pour autant, c'est une guerre d'endurance qui se joue aux portes de l'Europe.
SEBASTIEN LECORNU
Oui, il faut quand même rappeler qu'on parle d'un front de 1.200 kilomètres de long. Il faut quand même rappeler que l'on parle d'un échec invraisemblable de la Russie qui, au regard de sa puissance militaire, selon tous les commentateurs, aurait dû dominer le champ de bataille dès le début et qu'il n'en est rien. Bon. Donc de fait il y a une situation tactique qui est en train de se produire avec en plus le sujet à chaque fois de l'hiver qui n'est pas neutre dans cette région, on le sait très bien, de l'Europe ; et donc on a un conflit qui s'installe avec des variations d'intensité, parfois la ligne de front est gelée, parfois elle bouge un peu. La contre-offensive fonctionne plutôt mais très lentement et donc par définition, il faut s'inscrire dans la durée.
PAUL BARCELONE
Qu'est-ce que la France et les industriels français que vous amenez dans vos bagages, ils sont une vingtaine au total, peuvent vendre à l'Ukraine et quel est le savoir-faire français qui est mis à disposition si j'ose dire ?
SEBASTIEN LECORNU
Je pense qu'il y a des choses rustiques sur lesquelles nous sommes leaders : l'artillerie, le canon César, les munitions qui vont, la formation qui va avec. Après, ce qui est intéressant, c'est que dans cette vingtaine d'entrepreneurs, on a aussi des grandes PME innovantes. Voyez, l'entreprise Delair sur les drones, qui est capable de mettre à disposition des drones bon marché, c'est évidemment l'avenir et pour nous, l'armée française, ça nous intéresse aussi très directement parce que de cette expérience Ukrainienne, on en tire aussi des conclusions pour l'armée française. Le déminage : l'Ukraine va être un champ de mines au sens strict du terme ; ça veut dire que même pour percer la ligne de front, il faut déminer et même demain, la guerre terminée, pour reprendre une activité agricole dans ce grand pays agricole, il faudra être en capacité de déminer les champs ; ça veut dire qu'il y a un marché pour le déminage et en France, on a une expertise particulière. Vous avez dans cette délégation, un industriel français qui produit des drones… des robots en quelque sorte, qui sont capables d'avancer sur le champ de bataille et de déminer en protégeant le démineur.
PAUL BARCELONE
Est-ce que vous assumez qu'avec ce processus, ce changement de stratégie si j'ose dire, la France pourrait être prise pour cible encore plus et ces entreprises, naturellement, celles qui viennent s'installer en Ukraine, pourraient être prises pour cibles alors qu'on le sait, la Russie va reprendre, avec l'approche de l'hiver, ses frappes ciblées probablement sur des infrastructures énergétiques ?
SEBASTIEN LECORNU
Il ne faut pas se laisser intimider même si je sais que parfois, il y a des voix y compris au sein de la classe politique française, qui veulent faire croire qu'aider un pays en guerre, participe à l'escalade. Non y compris en droit international, le fait d'aider un pays en guerre y compris avec notre industrie de défense, n'est pas être cobelligérant. Il faut redire cette vérité parce que ça fait partie du narratif russe et donc il faut le contrer ; évidemment après, c'est aux industriels de mesurer le niveau d'engagement qu'ils veulent avoir mais vous les avez interrogés, vous les avez vus, vous voyez qu'il y a beaucoup d'engagement et beaucoup de volonté de faire.
PAUL BARCELONE
Monsieur le Ministre, vous ne vous êtes pas exprimé sur le sujet du Niger depuis qu'Emmanuel MACRON a annoncé le retrait progressif jusqu'à la fin de l'année des derniers soldats qui figurent encore sur place depuis le putsch ; est-ce que la situation au Sahel, la situation qu'on connaît au Niger aujourd'hui signe l'échec en quelque sorte de la diplomatie militaire française ?
SEBASTIEN LECORNU
Clairement non, ce n'est pas l'échec de la diplomatie française ; la réalité, c'est que quand il y avait une volonté de combattre le terrorisme, nous étions là ; les différentes juntes et putschs, ce qui n'est pas un phénomène nouveau en Afrique, là aussi certains feignent de le découvrir cette semaine, leur priorité n'est pas de combattre le terrorisme ; donc nous n'avons plus rien à faire au Niger, c'est pour cela que nous nous en allons.
PAUL BARCELONE
Monsieur le Ministre, une deuxième guerre s'est immiscée en Europe ou aux portes de l'Europe depuis quelques jours, quelques semaines, entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie ; est-ce que la France est prête à intervenir militairement, est-ce que la France va intervenir militairement pour sauvegarder - je ne sais pas si le mot est le bon - l'intégrité territoriale de l'Arménie ?
SEBASTIEN LECORNU
Le président de la République l'a dit, il suit d'ailleurs lui-même ce dossier, il est important pour la France, il est important pour beaucoup de Françaises et de Français d'ailleurs qui aiment l'Arménie ou qui ont des liens avec l'Arménie ; figurez-vous qu'on a ouvert une mission de défense en Arménie qui n'existait pas jusqu'à présent et qui permet de dialoguer au quotidien avec l'armée arménienne, avec les autorités arméniennes. Votre question, c'était : intervenir militairement… je ne le crois pas. C'est au président de la République évidemment, au Chef des armées, de répondre à cette question ; en tout cas de regarder les demandes qui viennent de l'Arménie pour qu'elle puisse se défendre, c'est évidemment quelque chose que nous faisons.
PAUL BARCELONE
Merci beaucoup.
SEBASTIEN LECORNU
Merci à vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 22 novembre 2023