Déclaration de M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, sur le projet de budget de son ministère pour 2024, au Sénat le 14 novembre 2023

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  • Marc Fesneau - Ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

Circonstance : Audition devant la Commission des affaires économiques du Sénat

Texte intégral

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Dans le cadre de nos auditions budgétaires, après le ministre de l'économie, nous entendons M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, qui vient nous présenter le projet de budget de son ministère pour 2024. Nous le remercions de sa venue, alors qu'il arrive à l'instant après un déplacement dans le Nord-Pas-de-Calais, aux côtés du Président de la République.

Monsieur le ministre, la commission des affaires économiques est d'autant plus heureuse, bien sûr, de vous entendre que nous sommes à la veille d'une très riche actualité pour le monde agricole, y compris législative - vous nous donnerez, je l'espère, quelques précisions.

Je dois vous faire part, en préambule, de la circonspection grandissante que je perçois chez plusieurs de mes collègues quant au devenir du projet de loi d'orientation et d'avenir agricoles, dont le Gouvernement parle depuis bientôt deux ans, mais qui, de plus en plus, a des allures d'arlésienne.

Un avant-projet d'une vingtaine d'articles a circulé à la rentrée, mais l'on a appris depuis lors que le volet ô combien crucial sur l'eau ne figurerait plus dans le projet, puis l'on a vu une proposition de loi, adoptée au Sénat, sur les groupements fonciers agricoles d'investissement, sujet qui devait être partie intégrante de ce projet de loi d'orientation et d'avenir agricoles.

Pourriez-vous donc nous en dire plus sur le champ et sur le calendrier de ce texte, qu'on annonce maintenant à la rentrée 2024 à l'Assemblée nationale puis au Sénat ? Ne voyez pas dans ma question de l'impatience, mais voyez-y plutôt la très grande motivation de mes collègues de tous bords, dont je me fais ici l'écho, pour traiter de la question du renouvellement des générations en agriculture, si stratégique pour notre ferme France.

Pour en venir à notre sujet du jour, à savoir le budget 2024 de l'agriculture, la presse spécialisée a pointé justement l'absence de mesures spécifiques au projet de loi d'orientation et d'avenir agricoles et plus généralement au renouvellement des générations, dans le PLF initial, pas suffisamment prêtes semble-t-il pour y figurer.

À l'Assemblée, un amendement du Gouvernement reconduit sous une forme légèrement différente le fonds de garantie « INAF », initiative nationale pour l'agriculture française, visant cette fois-ci jusqu'à 2 milliards d'euros de prêts des banques notamment pour l'installation des jeunes agriculteurs.

J'aurais quelques questions sur ce sujet : comment ce dispositif s'articulera-t-il avec les fonds similaires mis en place dans au moins quatre régions en lien avec le fonds européen d'investissement ? Pourquoi ne pas avoir à nouveau mobilisé le Fonds européen d'investissement alors que l'expérience précédente avait été semble-t-il concluante ? Et êtes-vous bien certain que votre dispositif sera compatible avec le régime général d'exemption sur les aides d'État alors que l'État apporte sa garantie à titre gratuit et pourrait être appelé, dans l'hypothèse d'un défaut massif, à renflouer 25% du total des prêts, sur 80% de chaque prêt, soit jusqu'à 400 millions d'euros ?

Pour le reste, la mission Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales est en nette augmentation, de 23 % en crédits de paiement. C'est demain que la commission se prononcera, mais nos collègues rapporteurs ont noté que 22 points sur ces 23% sont liés aux seuls crédits de la planification écologique. Les informations ont manqué à nos collègues rapporteurs sur l'affectation précise de ces crédits, c'est pour eux un motif d'insatisfaction.

Par ailleurs, plus que jamais, d'autres institutions que votre ministère ont laissé leur empreinte sur ce budget : le Secrétariat général à la planification écologique avec cette enveloppe supplémentaire ; le ministère de l'économie et des finances avec la réduction de l'avantage fiscal sur le gazole non routier négociée directement avec la FNSEA ; le ministère de la transition écologique avec la hausse de la redevance pour pollutions diffuses. C'est le signe que l'agriculture est traversée par des enjeux stratégiques pour notre pays. Nous nous demandons comment dans ce contexte vous parvenez à faire votre place et à faire entendre la voix singulière du ministère de l'agriculture. Certains craignent que la rue de Varenne ne soit progressivement cantonnée à la gestion de crise, en laissant les orientations stratégiques se décider à Matignon, à Bercy ou à l'hôtel de Roquelaure. Si ce ne sont pas des spécialistes du monde agricole qui conçoivent les politiques agricoles, le risque est fort qu'elles ne soient pas adaptées.

Enfin, vous vous doutiez bien, Monsieur le Ministre, qu'en tant que sénatrice des Alpes-Maritimes, je ne vous aurais pas cédé la parole avant d'avoir pu vous interroger sur la prédation. Mon département est le plus prédaté de France depuis 1992, année qui a vu la réapparition du loup sur notre territoire national. Pourriez-vous nous rappeler ce que vous portiez en interministériel dans le cadre de l'élaboration du plan national d'actions loup et activités d'élevages et ce que vous avez obtenu ? Et nous dire quelles sont nos marges de manoeuvre supplémentaires avant que le plan national d'actions sur le loup et les activités d'élevage 2024-2029 ne prenne effet ? Il semble qu'à cette date toutes les possibilités en matière de " prélèvements " ne soient pas utilisées : comment l'expliquez-vous ? Enfin, j'aimerais bien connaître la traduction budgétaire de ce plan loup, puisque je constate qu'il est mentionné dans le dossier de presse de votre ministère sur ce budget. Quelles sont nos marges de manoeuvre, par exemple, en termes d'indemnisations en cas de pertes directes et, j'insiste également, en cas de pertes indirectes ?

Je vous cède maintenant la parole pour répondre sur ce budget 2024 et sur la prédation, Monsieur le Ministre, pour une douzaine de minutes, après quoi mes collègues, à commencer par les trois co-rapporteurs sur le budget, vous poseront leurs questions, chacun en moins de deux minutes, pour un temps de réponse identique si vous en acceptez le principe.

M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. - Je vous remercie de m'accueillir une nouvelle fois devant votre commission et de me permettre de présenter le budget du ministère pour 2024. Je vais essayer de me tenir aux grandes orientations qui tournent autour de trois axes : la planification, le soutien aux filières, ainsi que la sécurité sanitaire de nos aliments et la santé de nos élevages. Puis je vais tenter de répondre aux questions.

Ce budget donne à notre agriculture les moyens de mener les transitions nécessaires et importantes, qu'elles soient de nature économique, écologique et d'adaptation au dérèglement climatique. Il est nécessaire, y compris pour assumer notre souveraineté, de conserver des moyens de production qui soient en adéquation avec les transitions à effectuer. Je l'ai affirmé à plusieurs reprises, y compris devant votre Commission, une partie de la transition permettra de garantir notre souveraineté.

Force est de constater qu'un certain nombre d'agriculteurs sont parfois en situation d'impasse face aux grands dérèglements climatiques ou économiques. C'est pourquoi, afin de relever ce défi, un montant de 1,3 milliard d'euros supplémentaires en autorisations d'engagement, seront mobilisés, principalement pour déployer les démarches de planification écologique et de transition. Cela constitue un virage important puisque ce sont près de 4 milliards d'euros sur trois ans que nous allons mobiliser dans cette perspective. Très concrètement, ce plan et cette mobilisation permettront, sans ordre protocolaire d'intérêt, de financer six politiques publiques.

Premièrement, la replantation de 50 000 kilomètres linéaires de haies d'ici 2030, dans le cadre du " Pacte haies »"qui démontrera le rôle essentiel et central de nos agriculteurs ainsi que l'intérêt des haies dans la préservation de la biodiversité, la rétention de l'eau, et la lutte contre les inondations.

Deuxièmement, la poursuite du déploiement de la stratégie nationale pour les protéines végétales. Cette reconquête de la souveraineté constitue aussi un élément de diversification des cultures, pour rendre notre agriculture moins dépendante en protéines et en engrais minéraux.

Troisièmement, l'abondement d'un fonds en faveur de la souveraineté alimentaire et des transitions aux fins de valoriser et développer les "reconceptions de systèmes", à l'échelle des filières et des territoires en raison de leurs difficultés face au dérèglement climatique.

Quatrièmement, la mise en oeuvre de la stratégie de réduction des produits phytosanitaires, soit 250 millions d'euros, qui pour la première fois pose une méthode visant à identifier les impasses techniques et à investir dans la recherche et l'innovation. Les observations sur les trajectoires ne sont pas nouvelles. Elles datent généralement du Grenelle de l'environnement. Toutefois, il convient de se donner les moyens de cette trajectoire et d'identifier les impasses afin d'essayer de trouver des solutions et des alternatives.

Cinquièmement, le renouvellement forestier à hauteur de 250 millions d'euros ainsi que le développement du bois-construction pour 200 millions d'euros pour la filière aval. C'est un élément important. Cette trajectoire que nous assumons, renforcera la résilience économique des forestiers. La succession de crises les a, en effet, fragilisés.

Sixièmement, le renforcement de la compétitivité. Je pense aux allégements de fiscalité sur les entreprises agricoles, qui sont également prévus dans ce projet de loi de finances, dans la logique de compensation des dispositions sur le gazole non routier (GNR). Je mentionnerai le relèvement du plafond de micro-bénéfice agricole (micro BA) ou à la provision octroyée à l'élevage bovin pour limiter l'imposition des éleveurs. Je sais que c'est une préoccupation constante de beaucoup d'entre vous, et du rapporteur pour avis, M. Laurent Duplomb, en particulier.

Le financement de ces priorités politiques liées à la planification porte le budget qui vous est présenté, à 7 milliards d'euros, ce qui représente une augmentation de 17% par rapport à 2023 sur le périmètre de mon ministère. Le budget de 2023 était lui-même un budget en forte augmentation, en dépit des reproches émis l'an dernier, y compris par le Sénat, principalement liés à l'assurance récolte. Nous pourrons évaluer dans les jours qui viennent à quel point le dispositif d'assurance récolte est opérant et utile pour un certain nombre d'agriculteurs touchés par les grands épisodes climatiques.

En dehors des crédits de la planification écologique, ce budget nous permet également de disposer de moyens pour soutenir les filières. Ici encore, sans entrer dans le détail, je voudrais citer trois éléments en ce sens.

Le déploiement de la réforme de l'assurance récolte qui se poursuit avec l'accroissement significatif du nombre d'assurés qui en atteste, y compris en prairies, malgré les craintes exprimées l'an dernier. Le système assurantiel est l'un des outils de gestion du risque dont l'importance pour protéger le revenu agricole, va être croissante. Ce budget le permettra.

Le soutien à l'agriculture biologique au-delà des fonds de crise et d'urgence qui sont déployés, avec 10 millions d'euros supplémentaires qui permettront de porter le montant du Fonds avenir bio à 18 millions d'euros et de financer des actions de communication pour relancer la consommation. En effet, nous sommes confrontés à une crise immédiate ainsi qu'à un problème de relance de la consommation. Ces crédits viendront donc compléter le plan que j'ai annoncé cette année, avec à la fois les montants de 60 millions d'euros et de 10 millions d'euros d'aides face à la crise, complétés par le soutien à la filière via la poursuite des objectifs d'Egalim, dans le cadre de la commande publique de l'État.

Le soutien à notre politique forestière qui répond à une attente forte. Au-delà de ce que j'ai dit sur le renouvellement forestier et la filière aval, comme je m'y étais engagé, les effectifs de l'Office national des forêts (ONF) sont préservés pour la deuxième année consécutive. Des moyens supplémentaires sont prévus pour la création de la nouvelle mission d'intérêt général relative à l'adaptation au changement climatique et à la défense de la forêt contre l'incendie. J'ajoute que les débats à l'Assemblée nationale ont permis deux avancées : l'augmentation du budget dédié à la défense des forêts contre les incendies ainsi que l'augmentation des effectifs du Centre national de la propriété forestière (CNPF), établissement public qui gère les forêts privées afin de porter la hausse initiale de 5équivalents temps plein (ETP) à 16 ETP. Cette augmentation vise à permettre à l'établissement d'assumer les nouvelles missions qui sont les siennes, conférées notamment par la loi dite incendies du 10 juillet 2023. Avec l'abaissement du seuil obligatoire de plan simple de gestion, de nouvelles surfaces seront concernées.

L'ensemble de ces mesures viennent conforter le soutien apporté à nos agriculteurs avec les aides de la Politique agricole commune (PAC) dont le calendrier de versement a été respecté, je le souligne. Elles viennent également prolonger le soutien de l'État aux côtés de nos filières, face aux crises qu'elles ont connues. Ce n'est pas dans le budget mais je tiens à signaler que le projet de loi de finances de fin de gestion qui vient d'être présenté, prévoit 825 millions d'euros d'ouverture de crédits pour financer ces mesures d'aides notamment en matière de distillation, d'arrachage, de vaccination contre l'influenza aviaire, de bio ou des fonds d'urgence qui ont été déployés pour faire face aux différentes situations de crise que nous connaissons.

Après avoir évoqué la planification et le soutien aux filières, je souhaite aborder le troisième axe de ce budget, la sécurité sanitaire de nos aliments et la santé de nos élevages. Nous y consacrerons 650 millions d'euros cette année, soit une augmentation des crédits de 100 millions d'euros par rapport à 2023. Je voudrais citer deux priorités : la fin du déploiement de la police unique en charge de la sécurité sanitaire des aliments et l'engagement de l'État dans le cadre de la campagne de vaccination contre l'influenza aviaire, qui a débuté et sur laquelle nous avons strictement respecté les délais.

J'achèverai mon propos en évoquant deux ou trois sujets sur lesquels vous m'avez interrogé, Madame la Présidente, lors de votre propos liminaire. Le premier porte sur le plan national d'actions sur le pastoralisme et le loup qui entrera en vigueur 2024. En dépit de certains reproches de part et d'autre, selon lesquels il irait trop loin ou pas assez, ce plan est équilibré et comporte de nombreuses avancées, plutôt portées par le ministère de l'agriculture.

D'abord, la reconnaissance de la non-protégeabilité d'un certain nombre de troupeaux. C'est notamment le cas de certains fronts de colonisation en Bourgogne-Franche-Comté vers le Massif central avec des modes d'élevage qui ne sont pas protégeables. On ne peut pas demander à des éleveurs de protéger ces troupeaux. En conséquence, cela les exonère d'un certain nombre de mesures de protection qu'ils ne peuvent pas mettre en oeuvre. Cela concerne principalement des élevages bovins, des élevages équins.

Ensuite, l'abondement à hauteur de 2,5 millions d'euros sur 5 ans pour la recherche en matière de solutions innovantes de protection des troupeaux. Les solutions classiques sont connues, telles que les chiens de protection, les clôtures et les bergers. Il existe peut-être d'autres solutions. Il ne faut pas renoncer à les identifier.

Troisième point, l'accélération de la délivrance des autorisations de tir, en cas d'attaque, constitue une demande récurrente. Je m'y suis attelé en tant que ministre de l'agriculture, de façon frontale, même si le loup ne relève pas du périmètre de mon ministère, car l'élevage, lui, est bien de mon ressort.

De même, une simplification des protocoles de tir est prévue, avec le passage de deux, voire à trois tireurs.

Cinquième point, la capacité donnée aux éleveurs qui le souhaiteront d'accéder au statut de louvetier leur permettra de bénéficier de conditions de tirs simplifiées.

Concernant la prise en compte des dommages indirects, les avortements ou les pertes génétiques. Madame la Présidente, vous me demandez une enveloppe, mais je dois dire que cette enveloppe n'est pas fermée. Ces indemnisations se poursuivent tant que les besoins existent. Il n'y a pas de plafond. Le montant estimé est de 5 à 6 millions d'euros pris sur le budget du ministère de la transition écologique. C'est plutôt 40 millions d'euros sur les mesures de protection, pris, je le précise sur le budget de la PAC ; il y a donc un enjeu pour mon ministère à limiter le coût de ces mesures, qui est important.

Enfin, deux éléments complémentaires doivent être précisés, en termes de stratégie de prélèvement.

Le premier est que 209 loups doivent être prélevés cette année, compte tenu de l'augmentation de la population constatée. Alors que nous avions tendance à prélever un douzième par mois, il me semble plus efficient de prélever au moment des attaques, peu importe que ce soit tôt ou tard en saison. Il n'est pas pertinent de prélever quatre douzièmes les quatre derniers mois de l'année, lorsque les attaques sont moins nombreuses. Le nombre de loups prélevés aujourd'hui s'établit à 175. Je ne ménage pas mes efforts pour que nous atteignions l'effectif prévu, et je suis très attentif à l'attention des préfets, si vous me le permettez. Je vous rappelle que l'an dernier nous aurions dû en prélever 209 puisque le comptage final nous a montré qu'il y en avait plus que ce que nous pensions initialement.

Deuxième point, et c'est peut-être le plus important à terme : pour la première fois, nous avons ouvert la question du statut de l'espèce, ce qui était considéré comme une boîte de Pandore pour certains. Si l'espèce est à un niveau génétique et démographique satisfaisant, il convient de se poser la question de son statut. Je le dis tranquillement, très pacifiquement. C'est une question de bon sens. En outre, pour la première fois également, aucun objectif de population n'a été fixé dans ce plan loup, ce qui n'était pas le cas des quatre ou cinq plans loup précédents.

Vous avez évoqué le Pacte et le projet de loi d'orientation et d'avenir agricoles (PLOAA), sur le sujet renouvellement des générations. L'annonce définitive a en réalité été faite par le président de la République à Terres de Jim, pas il y a deux ans. Nous avons réalisé un travail de concertation de qualité sur le terrain afin de recueillir les différents besoins. Notre horizon législatif est le premier trimestre 2024, ce qui n'empêche pas de déployer d'ores et déjà, un certain nombre d'éléments du Pacte, dont certains figurent dans le budget qui vous est présenté, tels que les avancées sur la diversification de l'autonomie protéique, le fonds Entrepreneurs du vivant. Ce sont autant d'éléments du Pacte, indépendants de la loi.

S'agissant du PLOAA, vous évoquez deux sujets, l'eau et le foncier. Sur le premier point, les éléments ne sont pas encore tranchés. Quant au sujet foncier, on ne peut évidemment pas poser la question du renouvellement des générations sans aborder celle du foncier. Je rappelle que la proposition de loi sur les groupements fonciers agricoles (GFA) est une initiative sénatoriale, ce qui n'interdit pas au Gouvernement de s'en saisir d'une façon ou d'une autre. La question foncière est importante, non pas pour réinventer le sujet car je n'ai jamais dit que cette loi serait une loi foncière. Ce n'en est d'ailleurs pas l'objet parce des lois ont déjà été votées en ce domaine, dont une récemment.

Nous présenterons le Pacte dans les semaines à venir. Sa portée est très concrète car il est constitué de moyens budgétaires, d'éléments réglementaires, y compris sur la question de l'eau ainsi que des éléments de stratégie de planification territoriale qui permettront de prévoir des mesures concrètes au-delà de la loi. Pour avoir été ministre des relations avec le Parlement, je n'ai pas changé d'avis sur l'idée qu'il faut recourir au meilleur véhicule normatif, que ce soit la loi, si elle est nécessaire ou, en cas contraire, une autre voie.

D'autres éléments figurent également en dehors de la mission, que ce soit le fonds garantie évoqué plus tôt ou plusieurs mesures dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), sans oublier l'augmentation des moyens du compte d'affectation spécial développement agricole et rural (Casdar) ainsi que le renforcement du crédit d'impôt pour les dépenses liées au service de remplacement qui est mis en œuvre dès cette année, car particulièrement attendu dans le secteur de l'élevage, eu égard à ses rudes conditions de travail.

En ce qui concerne le lieu d'élaboration de la politique agricole, c'est bien rue de Varenne. En outre, vous reconnaîtrez que le budget qui a le plus augmenté, c'est le budget agricole. S'agissant de la question de l'eau, c'est une bataille de tous les jours que nous menons afin de déployer les projets de territoire ou encore d'avancer sur telle ou telle retenue de substitution, telle qu'elle a été prévue. Affirmer qu'il n'existe pas de vents contraires serait inexact, mais je défends pied à pied l'agriculture pour chaque décision. Si 90% des augmentations de crédits sont consacrées à la planification écologique, il n'empêche que c'est dans l'intérêt des agriculteurs. J'observe aujourd'hui trop d'agriculteurs en situation d'impasse économique et climatique pour ne pas assumer ma responsabilité de traiter des sujets environnementaux afin de les engager dans la transition écologique, avec une volonté de trouver un équilibre économique, sinon, cela ne sert à rien. Nous parlons d'une transition écologique pertinente du point de vue économique.

Quant à la question de la planification sur les sujets phytosanitaires, il n'y a pas de solution facile, il faut se mettre autour de la table afin d'examiner les impasses, les alternatives, et les moyens dont ont besoin les agriculteurs. Je constate que la transition écologique a provoqué un regain d'intérêt pour l'agriculture, dont on peut se féliciter. En effet, la souveraineté et la décarbonation passeront par l'agriculture, ignorée pendant des années. C'est pourquoi nous devons encourager les agriculteurs dans cette voie.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je vous remercie Monsieur le Ministre. Je vais laisser la parole à nos trois rapporteurs pour avis, Messieurs Laurent Duplomb, Franck Menonville et Jean Claude Tissot, puis au rapporteur spécial de la commission des finances, Monsieur Christian Klinger.

M. Laurent Duplomb. - Madame la Présidente, Monsieur le Ministre, je vous entends parler d'impasses liées aux évolutions climatiques. Il ne faut pas passer sous silence celles qu'on s'est proprement imposées par la surtransposition de certaines normes qui aujourd'hui ont malheureusement plus de conséquences que les évolutions climatiques.

Je souhaiterais aborder, Monsieur le Ministre, la planification écologique prévue à hauteur de 1,3 milliard d'euros. Notre exercice de rapporteur est particulièrement complexe car nous devons rapporter sur tel un budget sur la base d'une dizaine de lignes explicatives. Ce montant de 1,3 milliard d'euros à l'échelle de la France n'est pas négligeable. Il me semble qu'il aurait été intéressant de disposer d'informations sur les objectifs, les moyens, les attentes et les unités de mesure afin de procéder à une évaluation. Cet exercice budgétaire est donc un peu difficile pour nous, compte tenu de la forte progression du budget.

Revenant sur la réduction de l'avantage fiscal sur le GNR, je me félicite de voir que, finalement, les propositions qui ont été retenues sont celles que nous avions écrites dans notre proposition de loi (PPL) pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France, que ce soit le relèvement du seuil de l'exonération des plus-values, l'évolution du micro-BA, ou celle de la déduction pour épargne de précaution. C'est exactement ce que nous avions préconisé dans la PPL. Je m'en félicite donc. Il n'en reste pas moins vrai, comme vous le savez, que cela ne s'appliquera pas de façon linéaire sur les agriculteurs. Ceux qui vont subir une baisse de l'exonération ne vont pas bénéficier obligatoirement de la compensation par l'exonération fiscale de ces trois mesures. Il faudra donc veiller à ce que les agriculteurs ne soient pas lésés.

Concernant l'augmentation de la redevance pour pollutions diffuses payée par les agriculteurs, sans vouloir remettre en cause son principe, il me semble qu'on ne peut pas accepter aujourd'hui, de façon arbitraire, une augmentation de 20% de cette redevance. Le montant qui est versé par les agriculteurs aujourd'hui s'élève à 180 millions d'euros. En comptant l'augmentation de 37 millions d'euros, celui-ci s'établirait à 217 millions d'euros. Cette redevance doit conduire à améliorer le travail des agriculteurs dans la réduction de l'utilisation des produits phytosanitaires. Or, hormis 71 millions d'euros affectés au plan Ecophyto, nous constatons que le produit de cette redevance n'est pas entièrement utilisé pour la réduction des produits phytosanitaires.

Quant à l'utilisation des fonds du plan Ecophyto, nous n'en connaissons pas véritablement les résultats concrets, à l'exception de la diminution de 25 % du volume des produits phytosanitaires, les faisant passer de 54 000 tonnes à 42 000 tonnes. Une démarche qui donne de bons résultats également est celle des fermes Dephy. Il me semble qu'aujourd'hui, après quinze ans d'Ecophyto, il faut changer de braquet et pour ce faire, il convient de cesser d'utiliser ces fonds pour financer, les agences de l'eau sur des politiques en partie différentes de celle de la réduction de l'usage des produits phytosanitaires. La solution pour réduire l'utilisation des produits phytosanitaires et atteindre cet objectif de 50 % réside dans la valorisation, la vulgarisation et la massification des progrès réalisés dans les fermes Dephy.

Nous ne parviendrons pas une diminution du volume des produits phytosanitaires avec des principes dépassés. Nous disposons aujourd'hui d'intelligence embarquée, de nouvelles capacités de résolution des problèmes avec notamment du matériel qui pourrait permettre de diminuer de 80 % à 90 % le volume de produits phytosanitaires utilisé dans certaines cultures. Il convient, avec ce plan de 1,3 milliard d'euros, de massifier les progrès acquis dans les fermes Dephy sur les dix dernières années, et de faire connaître les alternatives qui ont émergé. Je ne suis pas favorable à l'utilisation de produits phytosanitaires s'il existe une alternative technique, mécanique ou autre. Toutefois, la seule solution ne peut pas consister à interdire les molécules. Il faut commencer par diminuer le volume des produits utilisés, en espérant trouver des alternatives qui permettront peut-être, par la suite, d'interdire la molécule. Procéder de manière inverse serait de nature dogmatique.

Monsieur le Ministre, pourrions-nous prendre du recul pour examiner comment réorganiser les financements et les politiques liées à la réduction des produits phytosanitaires afin de disposer des moyens permettant d'atteindre les objectifs fixés, sans stigmatiser les agriculteurs, mais en travaillant ensemble, en les accompagnant, parce qu'ils sont tous favorables, pour des raisons économiques, à la réduction des produits phytosanitaires ?

M. Franck Menonville. - Monsieur le Ministre, s'agissant de la réduction de l'avantage fiscal sur le GNR, nous avons eu l'impression d'un flottement, avec un montant annuel annoncé initialement de 70 millions d'euros, et finalement révisé à 90 millions d'euros. Pouvez-vous expliquer cet écart et nous rassurer, en prenant l'engagement que des ajustements seront effectués si le constat s'éloigne des prévisions, afin de compenser équitablement nos agriculteurs, en loi de finances rectificative.

Par ailleurs, un passage rapide au biocarburant B100 vous paraît-il réaliste ? Ne faudrait-il pas privilégier dans un premier temps par réalisme un carburant intermédiaire comme le B30 ?

En ce qui concerne les problématiques liées à la forêt, force est de reconnaître que le Gouvernement a pris la mesure de l'enjeu d'un inventaire forestier en outre-mer, car il en finance la préfiguration avec 6 millions d'euros parmi les 15 millions d'euros de la planification écologique dédiés à la forêt en outre-mer. Il était temps : rappelons que cette mesure a été votée dès 2014 dans la loi d'Avenir, et re-précisée dans la loi Climat et résilience par le Sénat en 2021. Toutefois, quatre ou cinq années seront nécessaires pour réaliser un tel inventaire forestier, selon l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN) et l'ONF qui en seront les maîtres d'œuvre. Or, aucun des 24 ETP associés à ce projet ne figure dans ce budget. Nous craignons que cela reporte cet inventaire à 2030. Pourquoi ne pas accélérer sur cet outil dont nous avons un besoin crucial au plus vite, surtout quand on sait que la forêt guyanaise, pourtant deux fois plus réduite, stocke autant de carbone à elle seule que la forêt hexagonale ?

En ce qui concerne le renouvellement forestier, ce budget en maintient les moyens et les accentue dans le temps. Le renouvellement forestier est un enjeu qui doit s'inscrire dans le temps long, et c'est l'objet de ce budget avec également le maintien des effectifs de l'ONF pour la deuxième année consécutive, avec toutefois le bémol que constitue l'enjeu de redéploiement de ses moyens pour assurer ses nouvelles missions. Il convient d'être vigilant afin que ce redéploiement ne s'effectue pas au détriment des territoires.

M. Jean-Claude Tissot. - Monsieur le Ministre, de manière globale, une fois n'est pas coutume, nous pouvons collectivement nous satisfaire de l'augmentation des crédits accordés à cette mission budgétaire. Néanmoins, il est de notre devoir de législateur de rappeler que cette augmentation est un peu en trompe-l'œil avec des engagements qui seront ventilés sur plusieurs années.

Pour ma part, je me suis intéressé à la question du fonds Entrepreneur du vivant annoncé il y a près d'un an par le Président de la République, censé être doté de 400 millions d'euros, dans le but de " porter dans les premières années le foncier pour permettre de lisser la charge pendant plusieurs années et d'aider à mener les transformations indispensables pour que la reprise soit aussi un moment d'accélération ".

Plus d'un an après, ce fonds reste nimbé de mystère et apparaît surtout comme un conglomérat de mesures disparates. Nous nous interrogeons en particulier sur le montant de 400 millions d'euros, qui ne nous a jamais été expliqué, ni détaillé, ainsi que sur le rattachement de ce fonds d'investissement dans le foncier à France 2030, censé pourtant financer l'innovation de rupture. L'imputation de ce fonds à France 2030 nous laisse craindre une sous-consommation, puisque seulement 17% des crédits agricoles, alimentaires et forestiers de France 2030 ont été engagés à ce stade, en raison de sa forte sélectivité et de la complexité des règles d'attribution.

Plus inquiétant encore, en l'absence d'une offre suffisamment mature de fonds de portage du foncier, il sera en réalité difficile de consacrer plus de 60 millions d'euros, soit environ 15% du fonds Entrepreneurs du vivant, à ce sujet, alors que les besoins en portage du foncier et des capitaux sont considérables. 12 millions d'euros par an pendant 5 ans, c'est moins que ce que la Banque des territoires y consacre chaque année.

Confirmez-vous cet ordre de grandeur de 15% ? De manière concrète, à quoi serviront les 340 millions restants ? Pouvez-vous nous en donner quelques orientations et nous en préciser le calendrier ? Pour ma part, je considère que ce fonds doit être bâti et conçu pour accompagner le monde agricole dans la transition écologique avec un juste équilibre entre conditionnalité et efficacité.

Enfin, Monsieur le Ministre, je souhaiterais vous interroger sur les crédits accordés aux mesures agroenvironnementales et climatiques (MAEC), qui apparaissaient particulièrement sous-financées alors que la France est l'État membre de l'Union européenne qui alloue la plus faible part du second pilier aux MAEC, soit 22 %. Ce sous-financement met en grande difficulté les agriculteurs qui ont pris des engagements vertueux tandis que les régions sont contraintes de refuser des dossiers pourtant éligibles. Monsieur le Ministre, comptez-vous renforcer significativement les moyens alloués aux MAEC ?

Je souhaiterais vous livrer un dernier propos, hors loi de finances, sur la tempête subie récemment par nos concitoyens et nos agriculteurs. Je sais que vous êtes allé sur place, Monsieur le Ministre. Il nous faudrait une aide d'urgence, en dérogeant aux règles relatives aux aides d'État, afin de faire face à la situation très difficile que vivent nos collègues éleveurs et, plus encore, maraîchers. Une prise en charge des cotisations de la Mutualité sociale agricole (MSA) est nécessaire ainsi qu'un accès au chômage partiel car les exploitations maraîchères de ces territoires emploient beaucoup de personnes.

M. Christian Klinger. - J'ai deux questions dont une a déjà reçu une réponse partielle. Un certain nombre de mesures du projet de Pacte et d'orientation agricole en discussion, se retrouvent dans le projet de loi de finances. Quelles sont-elles ? Vous les avez en partie mentionnées. A contrario, quels sont les points demeurant en discussion, qui ne figurent pas dans le projet de loi de finances et qui nécessiteraient peut-être l'adoption d'un projet de loi de finances rectificatif ?

M. Marc Fesneau, ministre. - Votre dernière question me prend au dépourvu. Le projet de loi de finances contient les crédits habituels du ministère de l'agriculture et les trajectoires qui ont été fixées. On y trouve également l'assurance récolte. Ce que nous ignorons, en revanche, ce sont les aléas et les crises. À titre d'illustration, personne ne l'a encore évoqué mais nous sommes particulièrement vigilants sur la crise de la maladie hémorragique épizootique (MHE), en tant que nouvelle crise sanitaire qui peut avoir des effets de déstructuration économique très puissants. Il y a ce que l'on sait aujourd'hui et malheureusement ce que l'on ignore. Nous avons été très réactifs à l'égard des effets de cette crise puisque les marchés espagnols et italiens ont été rouverts à l'importation des jeunes bovins français en seulement 10 jours, un défi qui semblait quasiment impossible. La réglementation nous interdisait totalement d'exporter ces jeunes bovins, ce qui aurait pu nous entraîner dans une chute des cours qui aurait été absolument dramatique. Sur les questions sanitaires, la pression devrait toutefois baisser compte tenu de l'arrivée de l'automne et l'hiver. En revanche, il faudra se préparer dans la perspective du printemps. Un travail européen devra être effectué pour déréglementer sur certains aspects de cette maladie. Une autre question se pose, celle de l'indemnisation, autant de points sur lesquels je n'ai pas d'éléments à vous donner aujourd'hui.

Monsieur le sénateur Laurent Duplomb, vous avez raison. Il convient de regarder ce que nous avons produit collectivement comme normes ou surrèglementation depuis 15 ou 20 ans. Chaque fois qu'on me demande d'ajouter une norme, je réponds : " Europe ou rien ". L'enjeu est d'élaborer des règles ensemble. On ne peut aller voir les 26 États membres et imposer des clauses miroir au reste du monde à partir de normes qui n'existent qu'en France.

S'agissant de la réduction de l'avantage fiscal sur le GNR, vous avez raison. Vous l'aviez évoqué dans la proposition de loi que nous avions débattue ici au Sénat. Il convient de travailler ensemble, sous l'œil des rapporteurs. Premièrement, je pense que le coût de cette réforme fiscale pour les agriculteurs sera de l'ordre de 70 à 80 millions d'euros mais, par sécurité, nous avons calibré les compensations pour qu'elles atteignent 80 millions d'euros, même si le coût de la réforme serait plus proche de 70 que de 80 millions d'euros a priori. Deuxièmement, je suis d'accord avec vous et je l'avais d'ailleurs indiqué aux équipes du ministère de l'économie et des finances, sur le fait qu'il convient de s'assurer que cela bénéficie à tous ceux qui verront leur avantage fiscal réduit. Or, en particulier pour le secteur de l'élevage, il y a encore, sinon des trous dans la raquette, au moins des questions qui se posent. Nous continuons à travailler avec les équipes de Bercy afin d'identifier les possibles ajustements des trois mesures fiscales de compensation, permettant de mieux intégrer certains secteurs qui pourraient être plus pénalisés que d'autres par cette baisse de l'avantage fiscal. La compensation ne sera jamais à l'euro près, mais nous devons nous assurer de ce que le risque de déséquilibres excessifs, identifié notamment dans l'élevage et les grandes cultures, ou d'un territoire à l'autre, soit aussi limité que possible.

Vous avez également évoqué la redevance pour pollutions diffuses. J'évoquerai le grand paquet fiscalité de l'eau. Tout d'abord, un montant de 145 millions d'euros sur les 400 millions d'euros du plan eau seront destinés à l'agriculture. Cela signifie que des moyens supplémentaires sont alloués, en net, pour les problèmes de l'eau en agriculture, pour la question des produits phytosanitaires, de la sobriété, des équipements et des ouvrages. Il est également primordial que les crédits prélevés sur l'agriculture soient consacrés à des projets agricoles, vous avez raison de le dire. J'ai engagé un dialogue en ce sens avec le ministère de la transition écologique ainsi qu'avec les agences de l'eau. Je les ai réunis la semaine dernière afin de leur rappeler que ces moyens doivent être consacrés aux agriculteurs pour les aider à réaliser les trajectoires prévues. Cette vigilance quant au déploiement des crédits en faveur de l'agriculture doit aussi associer la profession agricole et les parlementaires afin de parvenir à l'objectif assigné. J'ajouterai qu'une partie des crédits fléchés dans le plan eau sont dédiés au ministère de l'agriculture, j'y ai veillé personnellement pour les raisons que je viens d'évoquer car, sans mauvais jeu de mots, il faudrait parfois faire du génie rural pour savoir où sont partis les crédits mis dans la tuyauterie. Ces fonds viendront revaloriser les MAEC. Par ailleurs, le nouveau fonds hydraulique relève du ministère de l'agriculture. À cette fin, nous avons dialogué avec les comités de bassin et les agences de l'eau afin de nous assurer de la conformité de leurs mesures aux trajectoires en matière d'utilisation des phytosanitaires et de sobriété des usages, pour éviter ainsi une incompréhension du monde agricole, dans laquelle nous sommes déjà pour être honnête, face aux prélèvements qui ne bénéficieraient pas à l'agriculture.

Vous avez demandé à accélérer le traitement de la problématique des produits phytosanitaires. N'ayant pris mon poste que depuis 18 mois, j'ai remarqué qu'un grand nombre de déclarations avaient été effectuées depuis le Grenelle de l'environnement sans y mettre les moyens ni en définir la stratégie. C'est pourquoi nous sommes en train d'examiner filière par filière, usage par usage, la situation juridique des molécules ainsi que les risques de retrait qui pèsent sur elles. Pour répondre à la crainte du milieu agricole que nous identifiions les molécules en vue de les interdire, je précise que tel n'est pas notre objectif. Seulement, nous savons qu'il existe un processus de réhomologation européen avec des évaluations qui emportent le risque d'une interdiction. Nous étudions donc les usages par filière pour identifier les éventuelles impasses.

Nous continuerons à déployer ce qui a déjà été mis en œuvre pour la betterave afin de parvenir à des solutions, qui viendront principalement sans doute des semences mais peut-être également des pratiques. De même, des moyens seront alloués à la culture de la cerise, pour laquelle il est désespérant que, depuis 10 ans, nous soyons dans une impasse. Nous devons mettre en place un Plan national de recherche et innovation (PNRI), face à ces impasses techniques redoutables qui mettent en péril la pérennité de la production.

M. Laurent Duplomb. - Et sur la lentille verte du Puy !

M. Marc Fesneau, ministre. - Je ne l'avais pas tout à fait dans le scope, mais je suis prêt à en parler avec vous. Il y a aussi les endives et, chaque jour, une nouvelle culture. Il n'y a parfois pas besoin d'énormes moyens pour ce que l'on appelle les usages mineurs, qui ne sont évidemment pas mineurs pour les agriculteurs concernés.

Autre élément important, les 250 millions d'euros consacrés au dossier des produits phytosanitaires bénéficieront à la recherche, mais aussi aux équipements. Je suis entièrement d'accord avec vous sur le fait que plutôt que de dire de façon binaire que c'est soit interdit, soit autorisé, nous sommes capables pour un certain nombre de produits avec du matériel sophistiqué pour le traitement des cultures, par exemple des buses anti-dérive, de réduire les doses, parfois de 50% à 70%. Je porte l'espoir que les moyens ainsi dédiés vont mettre tout le monde au pied du mur et permettre une prise de conscience générale pour s'engager dans la réduction de l'usage de ces produits.

Monsieur le sénateur Menonville, j'ai répondu sur le chiffrage qui était avancé pour le GNR. Quant à l'inventaire forestier, j'essaierai de vous répondre en séance sur les moyens humains nécessaires. Nous sommes en train de l'affiner et y travaillons avec le ministère des outre-mer. Il est vrai que cela prendra quatre à cinq ans, et j'aurais préféré que cela fût fait il y a quinze ans. En réponse à votre question sur le renouvellement forestier, sachez que je suis de ceux qui regrettent la fin du Fonds forestier national (FFN) en 1999, qui fut une erreur tragique, remettant en cause la viabilité des filières de pépiniéristes ainsi que la dynamique de renouvellement forestier. Cela a duré vingt ans et cela a été vingt ans d'inertie forestière, alors que pendant ce temps, le dérèglement climatique faisait son œuvre. La trajectoire que je vous expose est une trajectoire pluriannuelle mais elle risque de buter sur les graines et plants. Il est nécessaire de développer les pépinières publiques et privées, des graines publiques et privées, compte tenu de l'appauvrissement de la ressource avec le dérèglement climatique. La main-d'œuvre en forêt, notamment au niveau des entreprises de travaux forestiers, est également un verrou.

En outre, je tiens à préciser que la trajectoire de 1,3 milliard d'euros, d'une part représente près de 4 milliards d'euros sur trois ans, et d'autre part, ne comprend que des crédits supplémentaires. C'est du net budgétaire, sans recyclage. En effet, ces crédits sont nécessaires pour la transition écologique ainsi que pour crédibiliser notre démarche vis-à-vis des agriculteurs. Je ne veux pas leur demander des efforts sans leur donner de moyens supplémentaires. C'est tout à fait délié d'autres dispositifs. Je pense au 400 millions d'euros du fonds Entrepreneurs du vivant qui, vous l'avez dit, relève de France 2030. Le fonds qui n'est pas encore à l'œuvre va maintenant se déployer avec, en particulier, un certain nombre d'établissements publics fonciers, notamment les Sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer). Ce sera 100 millions d'euros la première année. Je reconnais volontiers que nous avons besoin d'affiner le dispositif, car il est assez complexe. Des éléments vous seront donnés avec la présentation du Pacte.

S'agissant des MAEC, les moyens budgétaires de l'État sont supérieurs de 5 millions d'euros par rapport à la période précédente. Les enveloppes n'ont donc pas été réduites. La nouveauté est la forte demande supplémentaire. En outre, je tiens à insister sur le fait qu'elles ne répondent pas à une logique de guichet, où l'on s'arrête seulement quand il n'y a plus de dossier. Nous avons demandé aux régions d'élaborer des critères et, sans faire de griefs à quiconque, il faut aussi que chacun effectue un peu de régulation budgétaire. L'État est au rendez-vous financièrement et, dans les régions Centre-Val de Loire et Pays de la Loire, par exemple, il n'y a pas de problème d'enveloppe.

Par ailleurs, des moyens budgétaires de l'ordre de 70 millions d'euros étaient prévus par les agences de l'eau. Je ne les ai pas sur la table mais nous sommes en train de valider cette enveloppe, et cela va commencer à répondre à la demande. Nous verrons également si des redéploiements sont possibles. Un montant de 50 millions d'euros est aussi prévu pour les MAEC dans le plan eau. Cela fait donc une centaine de millions d'euros pour répondre à un certain nombre de besoins mais je répète que ce n'est pas un guichet ouvert sans limites. Je suis convaincu de l'intérêt des MAEC dans l'accompagnement de la transition, ayant bien connu ce dispositif dans d'autres fonctions. Toutefois, les arbres ne montent pas jusqu'au ciel, si vous me permettez cette expression.

Nous devons cependant dire aux agriculteurs qu'ils ne se sont pas engagés en vain, à l'heure où l'instruction des dossiers se poursuit : il y a ceux qui ont renseigné des intentions, au mois d'avril et de mai, dans la déclaration PAC, et nous allons vérifier si ces intentions se sont concrétisées, ce qui nous permettra peut-être d'ajuster les moyens budgétaires. Enfin, les enveloppes peuvent être un peu fongibles à l'intérieur des piliers de la PAC en cas de sous-consommation des crédits, et nous regarderont s'il y a un moyen d'introduire une telle fongibilité.

Le sujet de l'indemnisation des pertes dues aux tempêtes est complexe. Il faut distinguer les pertes de fonds et les pertes de récolte. Le système assurantiel, adopté ici au Sénat, couvre l'assuré pour les pertes de récolte, moyennant une franchise de 20%. Mais la question se pose, pour ce que l'on appelle le troisième étage, l'Indemnité de solidarité nationale (ISN), de son déclenchement. En effet, certaines cultures telles que les fraises donnent lieu à plusieurs récoltes dans l'année : en Bretagne, les maraîchers avaient fini de produire les fraises et, de ce fait, risquent de ne pas atteindre le seuil de 50% de pertes de récolte le déclenchement de ce dernier étage, quand bien même ils subiront sans doute une perte de récolte pour l'année qui vient. C'est pourquoi un fonds d'urgence sera mis en place ; il ne pourra pas déroger aux règles relatives aux aides d'État et devra donc être inclus dans les seuils de minimis, car il s'agit là de trésorerie.

Par ailleurs, ces mêmes producteurs de fraises ont pu voir leurs serres en verre détruites. Elles sont normalement assurées dans le cadre d'un système d'assurance classique mais, dès lors qu'une franchise s'applique et, qu'en dix ou quinze ans il y a un taux d'usure, ces producteurs seront rapidement plafonnés. Nous travaillons donc avec les régions sur la création d'un fonds d'aide à l'investissement, qui sera affranchi des règles européennes relatives aux aides d'État, nous permettant d'envisager un taux de subvention jusqu'à 65%, en additionnant les aides du Feader, de l'État et des régions. Pour résumer, le fonds d'urgence pour la trésorerie, sur la partie perte de récolte, entre dans le cadre des aides de minimis, tandis que les subventions pour l'équipement du fonds d'investissement, qui vont concerner un grand nombre d'agriculteurs, n'y entrent pas.

Le Président de la République a annoncé ce midi qu'un montant de 80 millions d'euros cumulés sur le fonds d'urgence et le fonds d'investissement serait consacré à indemniser les victimes des deux tempêtes et les inondations, sachant que des cofinancements du Feader sont possibles jusqu'à 65%. La question qui se pose dès lors est de mettre en œuvre ces dispositifs rapidement ; c'est une course contre la montre. Si tout pouvait être documenté et déclaré aujourd'hui, le paiement pourrait intervenir dès fin décembre voire début janvier. Toutefois, les problèmes auxquels nous faisons face sont complexes et couvrent un large spectre de situations. À titre d'illustration, l'ensemble des dommages causés par les inondations ne seront connus qu'au moment de la décrue. Les producteurs de fraises à Plougastel, qui doivent remettre en culture au 15 décembre, devront, eux, obtenir préalablement l'autorisation de réinvestir pour rebâtir leur serre, avant de toucher les indemnisations du fonds d'investissement. La situation de ceux qui n'ont pas perdu de récolte mais qui ne pourront pas mettre en culture pendant six mois ne doit pas être oubliée. La situation en Bretagne est complexe car la tempête a causé des pertes immenses qui ne sont pas toujours couvertes par les assureurs. Ce n'est pas le cas, par exemple, des petites serres, de moins de 80 centimètres. C'est pourquoi c'est prioritairement une aide à l'investissement qui y sera mise en œuvre. Dans le cas des inondations dans les Hauts-de-France, le mécanisme est bien connu, c'est celui des régimes d'indemnisation des catastrophes naturelles (dit Cat nat) et des calamités agricoles. La question qui se pose est celle de la date du déblocage des fonds et donc de la remise en culture.

J'ajoute un dernier élément, en m'adressant au sénateur Pierre Cuypers, qui connaît parfaitement ce problème, nous allons bien évidemment activer l'ensemble des mécanismes qui sont liés à la dérogation sur les obligations de cultures intermédiaires et de rotation. Nous faisons face à un cas de force majeure, ne permettant pas d'entrer dans les champs pour la mise en œuvre de certaines des obligations de la PAC. Cela relève de l'action des préfets.

M. Jean-Marc Boyer. - Un sujet inquiète très sérieusement les maires des communes rurales, le " zéro artificialisation nette " (ZAN). Malgré un recours au Conseil d'État par l'Association des maires de France (AMF) et un travail très important effectué par le Sénat qui a introduit en particulier une garantie rurale d'un hectare par commune, le ZAN est l'exemple même d'une décision verticale imposée par la volonté d'une convention citoyenne, au détriment de la concertation en amont avec les principaux acteurs concernés, les agriculteurs, les ruraux, les conseils régionaux et d'autres. La Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), principal syndicat agricole, est opposée à l'application du ZAN sans territorialisation et sans différenciation. À titre personnel, il me semble essentiel de laisser plus de liberté aux zones rurales et de faire confiance au bon sens paysan des maires ruraux et des agriculteurs. Monsieur le ministre, quelle est votre position sur le ZAN, qui, je le répète, suscite les plus grandes inquiétudes dans nos campagnes ?

Que pensez-vous par ailleurs des préconisations de la Cour des comptes qui préconise une diminution de 15 % du cheptel bovin français, sous prétexte que les vaches libèrent du méthane et du CO2 et mettent en danger la planète ?

M. Christian Redon-Sarrazy. - Mon premier point concerne l'indemnisation pour abattage des troupeaux, en particulier dans les cas de tuberculose bovine : un niveau de fiscalité relativement élevé s'applique à ces indemnisations, qui couvrent une partie du différentiel entre la valeur du stock et celle de vente. Dans le cas de l'abattage, un grand nombre de dépenses annexes viennent grever l'activité si bien que cette fiscalité est perçue par les agriculteurs comme une injustice. Existe-t-il une possibilité de modulation ?

Mon second point porte sur une autre injustice, celle des agriculteurs, en particulier dans les départements d'élevage et les zones de bocage, qui ont conservé les haies. Ils n'ont pas été aidés pour les arracher et ne le sont pas pour les replanter. Cela constitue une sorte de double peine alors qu'en réalité, ce sont peut-être eux les plus vertueux.

M. Daniel Laurent. - Monsieur le Ministre, en juillet dernier, j'attirais l'attention du Président de la République sur les fortes inquiétudes de la filière viticole quant à une éventuelle augmentation de la fiscalité appliquée sur les boissons alcoolisées. J'ai eu une excellente nouvelle, dont je vous en remercie : il n'est pas prévu d'augmentation de taxe et c'est une bonne chose. En revanche, où en est-on de la taxe dite Trump ? En novembre 2021, un accord avait été conclu avec l'administration du président américain, Monsieur Joe Biden. Sauf erreur de ma part, il n'y a toujours pas de solution pérenne. C'est inquiétant. L'année prochaine se dérouleront des élections américaines. Qu'en est-il sur ce sujet ?

Chaque année, la filière viticole nous fait part de ses propositions dans le cadre de la discussion budgétaire portant sur la fiscalité de la transmission des exploitations, le soutien aux exploitations viticoles face à l'inflation ou sur l'élargissement du périmètre des échanges de biens ruraux. Entendez-vous répondre favorablement à ces attentes ?

Concernant le projet européen de règlement sur l'usage durable des pesticides (SUR), les viticulteurs considèrent que les objectifs proposés par la Commission européenne sont déconnectés des réalités du terrain et auront des conséquences pour l'ensemble de la viticulture européenne. Ils demandent que les ambitions réglementaires soient équilibrées et accompagnées de mesures concrètes de compensation.

S'agissant du décret encadrant l'agrivoltaïsme qui va être mis en consultation publique, les jeunes agriculteurs notamment, sont hostiles au maintien d'un taux de 40% de couverture maximum d'une parcelle agricole et demandent un taux de 20 % ainsi qu'une application immédiate du décret pour éviter toute dérive.

Vous avez évoqué la MHE. Pourriez-vous nous donner quelques préconisations en la matière ?

Enfin, les chambres d'agriculture nous font part de leur mécontentement sur les moyens qui leur sont alloués et qui ne sont pas à la hauteur des enjeux de leur mission.

M. Marc Fesneau, ministre. - Vous m'interrogez le ZAN ; les décrets d'application sont en cours d'élaboration. Je ne reviens pas sur les débats mais, ayant été maire d'une commune rurale de 700 habitants, je vois à peu près le sujet qui est devant nous, et je suis d'accord que nous avons besoin de différenciation territoriale. Si je voulais être très honnête, je vous dirais qu'en vingt ans, nous n'avons même pas consommé un hectare, même si la crise liée au covid-19 fait que nous avons peut-être de nouveaux besoins. Le ZAN constitue un outil formidable d'aménagement et de rééquilibrage du territoire, pour limiter la concentration urbaine qui s'opère depuis soixante-dix ans en France. Cela demeure un objet de débat avec les régions : en tant que conseiller municipal et conseiller communautaire, je me réjouis par avance du débat que j'aurai avec le président de région sur le sujet, car la mise en œuvre du ZAN ne peut pas être totalement déconnectée de la stratégie territoriale, y compris pour les territoires ruraux.

Quant au secteur agricole, les décrets d'application contiendront des dispositions visant à respecter la philosophie générale que vous avez notamment portée au Sénat et à éviter toute conséquence malthusienne sur les bâtiments d'élevage, au risque sinon de leur disparition. À titre d'illustration, très peu de bâtiments d'élevage se construisent en Bretagne en raison des nombreux recours. Nous travaillons donc sur la simplification. Les mêmes associations qui vous disent que l'élevage, les haies et les prairies sont formidables, forment des recours contre tous les projets. Une partie de l'artificialisation doit être réservée à des projets de nature agricole, sans oublier la transformation agroalimentaire.

Pour répondre à votre question sur les préconisations de la Cour des comptes, je l'ai dit publiquement et je le redis, je trouve que le rapport est de qualité mais que les préconisations sont sans objet et n'ont pas de sens. Je ne comprends pas cette stratégie qui consiste à proposer une baisse massive de cheptel et de l'élevage, tandis qu'on nous explique qu'il faut des haies et des prairies et que, par ailleurs, nous ne sommes pas autosuffisants en viande. Il me semble que cette trajectoire constitue une stratégie de décroissance, que je ne comprends pas ; je m'en suis entretenu avec le président de la Cour des comptes. Le rapport est intéressant, notamment sur la question de la réorganisation de la filière toujours reportée, jamais réalisée, ou de la valorisation des différents morceaux de la carcasse. En revanche la préconisation de réduction du cheptel bovin est une stratégie toxique. Je n'enverrai jamais un tel message aux agriculteurs, pas pour leur faire plaisir, mais parce que je le pense, tant que nous ne sommes pas autosuffisants. Je faisais récemment part de ma position à des représentants d'une association écologiste, en expliquant que nous aurons besoin de bâtiments car, dans le domaine de la volaille, nous dépendons des importations pour nos besoins à hauteur de 50%.

En matière d'indemnisations des agriculteurs pour pertes dues à la tuberculose bovine, une revalorisation, demandée depuis longtemps, est prévue au mois de février. En outre, je suis prêt à examiner avec vous les problèmes éventuels de déductions fiscales. J'ai également initié des travaux au sein du ministère, avec la direction générale de l'alimentation, afin de repenser notre système d'indemnisation sanitaire en raison des conséquences de plus en plus lourdes du dérèglement climatique. Cette démarche est nécessaire afin d'éviter que les éleveurs ne deviennent rétifs aux mesures sanitaires. Par ailleurs, la lutte contre la tuberculose doit conduire à l'élaboration de mesures de prophylaxie pour empêcher toute épizootie. Face aux réticences de certains d'abattre par exemple un animal atteint d'une maladie très grave, j'alerte les consciences sur la gravité de la question sanitaire, pour les éleveurs mais également pour l'ensemble de la population. J'ai en tête le cas d'un particulier propriétaire d'un cheval malade, pour lequel nous en sommes à la cinquième procédure, sans être parvenus pour l'heure à un abattage.

La fin du moratoire sur la taxe dite " Trump " est fixée à 2026. Ce n'est pas immédiat. Toutefois, dans la perspective des échéances électorales américaines, que nous ne maîtrisons pas et dont je ne me permettrais pas de me mêler, il convient d'éviter toute nouvelle taxe, en sachant que les difficultés de notre filière viticole ont d'abord résulté de cette disposition.

Nous avons commencé à procéder à une revalorisation des moyens des chambres d'agriculture dans le texte qui va être transmis au Sénat. J'ajoute qu'une partie des fonds supplémentaires du Casdar sont dédiés aux chambres et que des moyens leur seront également accordés sur les sujets phytosanitaires. Je suis vigilant parce les chambres représentent des acteurs primordiaux dans les missions de vulgarisation au côté des instituts techniques, filières animales et filières végétales. Elles constituent en effet des tiers de confiance auprès des agriculteurs souvent rétifs aux annonces du ministre de l'agriculture. Nous devrions donc parvenir à doter les chambres d'agriculture des moyens suffisants pour l'accomplissement de leurs missions.

S'agissant du dossier de l'agrivoltaïsme, nous prenons le temps de trouver un accord avec la profession parce qu'elle est elle-même partagée. Le pourcentage maximum de couverture des terres agricoles par les panneaux photovoltaïques est lui-même débattu. Le taux 20% ou 40% a un impact différent selon que vous êtes en viticulture, en arboriculture, en grande culture ou en prairie avec des moutons. Le sujet principal ne me semble pas tant être le taux de couverture que la destination de l'argent généré par les panneaux photovoltaïques. La répartition de la valeur permettra d'éviter les projets opportunistes, sans les agriculteurs, et sans résoudre cette question, nous aurons du mal à atténuer la pression. Cet axe de réflexion fait l'objet de travaux du ministère. C'est aussi une question de responsabilité : on ne peut pas vouloir promouvoir les énergies renouvelables, sans accepter des méthaniseurs ou de l'agrivoltaïque et simplifier un peu les choses.

En ce qui concerne la directive SUR, j'ai dit publiquement et, au sein du Conseil de l'Union européenne, à la commissaire en charge de la santé, compétente sur ce texte, qu'il n'était pas acceptable de lire dans un document qu'une réduction de 20 à 30% de la production viticole n'était pas un problème. Selon moi, c'est un problème, car la viticulture est un élément de l'influence européenne, notamment du sud de notre continent, au-delà de notre seul pays. C'est pourquoi, le texte SUR n'est pas encore adopté. Je m'oppose à cette stratégie qui consiste à assumer, y compris dans le moment géopolitique que nous traversons, une forme de décroissance de la viticulture ou encore des grandes cultures. Il serait prudent d'être prudent et de cesser d'être naïf en matière de souveraineté parce que la souveraineté, qu'elle soit énergétique, alimentaire ou sanitaire, est un enjeu de sécurité ; l'ignorer, c'est prendre un risque mortel. Une prise de conscience est nécessaire. Je ne veux pas entendre de la part de la Commission que la décroissance n'est pas grave car nous ne pouvons pas nous livrer dans les mains des autres, Brésiliens ou Ukrainiens, pour nous nourrir. Cette année, l'Union européenne va importer du blé dur à l'Ukraine mais, je l'espère, pas plus à l'Est. C'est pourquoi la semaine prochaine je proposerai de travailler à la dérogation " jachère ".

Parallèlement, nous essayons de mettre en corollaire la portée des nouvelles techniques génomiques NGT (New Genomic Techniques) et NBT (New Breeding Techniques) parce que celles-ci constituent un élément de réponse à nos impasses techniques. Je dis donc : s'il y a SUR, il y a NBT ; s'il n'y a pas NBT, il n'y a pas SUR. Il convient de trouver un point d'équilibre. Ce sera l'objet d'une négociation.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Monsieur le Ministre, vous n'avez pas répondu sur les haies.

M. Marc Fesneau, ministre. - C'est la question des nouveaux convertis. Mais enfin, nous ne pouvons pas leur reprocher d'être convertis. Je comprends le sentiment d'injustice, mais je rappelle que ceux qui n'ont pas arraché leurs haies ne seront pas pénalisés. Ils doivent disposer de souplesse dans la gestion de leurs haies. Il convient également de les aider à valoriser ces haies, y compris dans le cadre de la PAC avec le bonus dans le cadre des écorégimes.

M. Rémi Cardon. - Je reprends vos propos, Monsieur le Ministre : " le bio a de l'avenir, il faut qu'on lui donne les moyens de son avenir. " Ce sont vos mots. Comment comptez-vous articuler la politique dirigée vers l'agriculture biologique pour lui donner les moyens de son avenir, sans oublier d'ailleurs les petites structures bio alternatives ? J'ai constaté effectivement que le budget pour le bio avait été renforcé à hauteur de 10 millions d'euros.

Nous allons débattre sur la vision de l'agriculture française, lors de l'examen du projet de loi de finances et celui du projet de loi d'orientation et d'avenir agricoles. Quels moyens allez-vous mettre en œuvre dans les prochains mois et prochaines années pour atteindre l'objectif de 18% de surfaces en agriculture biologique d'ici 2027 ?

M. Daniel Salmon. - Je participais tout à l'heure à un rassemblement devant l'Assemblée nationale en faveur des MAEC. Je vous confirme que nombreux Bretons étaient présents sans doute parce que nous partons de très loin en Bretagne et que les MAEC y sont essentielles. Seules 3% des masses d'eau d'Ille-et-Vilaine sont en bon état, par exemple. L'État s'est engagé. Ces agriculteurs ont besoin d'être rassurés et d'être certains qu'ils percevront ces MAEC sur lesquels ils sont engagés depuis mai dernier.

Je souhaiterais connaître la position de la France sur le règlement SUR, relatif à l'usage durable des pesticides. C'est un règlement controversé, qui peut être qualifié d'illusionniste, faisant croire parfois que l'usage des pesticides diminue, alors qu'ils ont simplement été remplacés par d'autres molécules. Il convient d'étudier ce dossier afin d'éviter de partir sur des bases faussées, puisqu'en ce domaine beaucoup de choses sont décidées au niveau européen.

Quant au renouvellement des générations, qui constitue une question centrale, je remarque que le budget du programme pour l'accompagnement et la transmission en agriculture (AITA) est stable, à 12 millions d'euros. Ne devrait-il pas être augmenté ?

Nous avons abordé le problème des moyens des chambres d'agriculture qui demandent un déplafonnement de la taxe additionnelle à la taxe sur le foncier non bâti (TATFNB). Quelle est votre position sur ce sujet ? Le cas échéant, l'augmentation des moyens des chambres d'agriculture sera-t-elle accompagnée d'une forme de conditionnalité, notamment en termes de pluralisme au sein des chambres ? Selon moi, ce serait bienvenu.

Enfin, je me permettrais de formuler une dernière observation sur certains raccourcis ou caricatures. Sur internet, on parle des importations de poulets en omettant de mentionner les exportations. Ces dernières ont augmenté de 21 % entre 2020 et 2021, atteignant une valeur totale de 500 millions d'euros. Quand on parle des importations, il convient également de mentionner les exportations.

M. Jean-Jacques Michau. - Monsieur le Ministre, ma question complète celle de mon collègue Rémi Cardon sur la filière bio. Vous avez effectivement prévu dans ce budget des aides pour la filière, mais destinées surtout à la promotion des aliments bio, alors que les entreprises du bio ont aujourd'hui surtout besoin de trésorerie. Pourquoi le Gouvernement n'a-t-il pas retenu, dans le texte sur lequel il a engagé sa responsabilité, l'amendement transpartisan adopté à l'Assemblée nationale, portant sur des aides supplémentaires ?

M. Marc Fesneau, ministre. - Vous me pardonnerez ma franchise : je serai probablement un jour dans l'opposition, et si c'est le cas j'espère que je n'aurai pas recours à ce genre d'amendements. Je rappelle que dans le débat qui a conduit à l'adoption de l'aide au bio, avaient été discutés un amendement à 800 millions d'euros, puis un autre à 500 millions d'euros pour, à la fin, retenir celui à 200 millions d'euros. On a même parlé d'un besoin d'un milliard d'euros. Je vous le dis très franchement : ce n'est pas sérieux. Chacun sait très bien que des aides à la trésorerie de 15 000 euros par exploitation se heurteront à l'interdiction des aides d'État au-dessus des seuils de minimis. Discuter et voter un tel amendement revient à se faire plaisir et à vendre du rêve mais cela va décevoir beaucoup de monde. Je regrette donc ce genre de procédé.

Je vous rappelle que le crédit d'impôt bio représente une dépense de 100 millions d'euros, que les aides à la conversion s'élèvent à 340 millions d'euros, soit 40% de plus que la précédente programmation, et que les aides d'urgence se montent au total à 70 millions d'euros, auxquels il faut encore ajouter 50 millions d'euros de bonus via les écorégimes du premier pilier. J'ai en effet veillé, pour les écorégimes, et y compris parfois contre certains, à ce qu'il existe un différentiel de 30 euros par hectare au bénéfice de ceux qui cultivent du bio. Certains me disent qu'il aurait fallu un différentiel de 50 euros par hectare. Mais au total toutes ces mesures représentent un soutien à hauteur de 560 millions d'euros.

Il n'en demeure pas moins un risque de déconversion ou d'arrêt des conversions, que nous ne pourrons mesurer qu'en décembre. Il faudra se demander en quoi les aides à la conversion servent à la cause du bio, et faire en sorte que ceux qui sont aujourd'hui convertis au bio ne se déconvertissent pas ; je reçois de nombreux témoignages à ce sujet. La réponse appropriée à ce problème ne réside pas dans des aides d'urgence mais dans une perspective de consommation soutenue du bio. La perte de chiffre d'affaires du secteur bio s'élève à entre 1 à 1,5 milliard d'euros en 2022, et autant en 2023. Sans être un ultralibéral, je considère que ce n'est pas à l'État de compenser cela. En revanche, il doit soutenir la consommation à moyen terme par le biais de la communication. La grande distribution, qui ne joue pas le jeu aujourd'hui, doit également participer à cette action. Force est de constater que si les produits bio étaient présents dans les étals, les clients en consommeraient davantage. Je m'interroge également, pour contenter cette fois les sénateurs à ma gauche : pourquoi la grande distribution réalise-t-elle plus de marges sur les produits bio que sur les autres ?

En matière de communication, il faut premièrement insister sur le fait que le bio est aussi du local, car la baisse de consommation du bio survient en 2021, après la covid-19, au bénéfice des produits locaux ; deuxièmement, il faut combattre l'image un peu faussée selon laquelle le bio n'est pas accessible, bien qu'il soit plus onéreux.

Outre l'aide d'urgence et la communication, le troisième axe d'action s'agissant du bio, consiste pour l'État à atteindre l'objectif de 20 % de produits bio dans la restauration scolaire prévu par la loi Egalim, puis à encourager les collectivités territoriales en ce sens, sans leur donner de leçons. J'étais récemment à Dijon où la métropole et le département, pourtant pas de même obédience politique, atteignent les objectifs d'EgaliM. Je ne suis pas de ceux qui restent assis sur le bord du chemin et disent que le bio n'a pas d'avenir. Force est d'observer, toutefois, que partout en Europe, le bio vit une crise. Nous devons respecter la trajectoire prévue, ne serait-ce que pour des raisons budgétaires : des crédits ont été consacrés au secteur bio ; toute déconversion serait donc un échec collectif.

Ce que j'ai dit plus tôt sur les amendements sur le bio vaut aussi pour les MAEC. Il faut que chacun, y compris les organisations syndicales, œuvre avec responsabilité.

S'agissant de la position de la France sur le règlement SUR, je constate qu'à gauche on me dit que le règlement est tronqué et, à droite, qu'il va trop loin. Première remarque : je ne veux de débats sur l'utilisation des produits phytosanitaires qu'au niveau européen et plus jamais en France, car nous ne sommes pas plus malins que les autres. Deuxième remarque : c'est notre intérêt car on ne fermera jamais la frontière aux Allemands, Italiens ou Espagnols ; les clauses miroirs ne s'appliquent qu'aux pays hors Union européenne. En outre, nos trajectoires doivent être crédibles économiquement. En effet, la mise en œuvre du règlement sur la restauration de la nature, de la directive sur les émissions industrielles (IED) et du règlement sur les pesticides pèsera lourdement, parfois sur les mêmes exploitants. Sauf à promouvoir des stratégies décroissantes, il faut donc vérifier que le projet de règlement SUR, qui soutient une trajectoire de réduction des usages, soit économiquement viable, même s'il présente par ailleurs un intérêt en termes d'harmonisation des procédures d'homologation ou d'interdiction. De telles décisions d'homologation doivent être prises au niveau européen afin d'éviter toute perte de temps et toute initiative non concertée des États. Nous sommes par exemple un peu lents pour homologuer des produits de biocontrôle, et quand certaines start-ups françaises vont homologuer leurs produits ailleurs, c'est un crève-cœur.

Vous avez mentionné le programme AITA, nous allons pouvoir en reparler dans le cadre du débat budgétaire au Sénat. À date, il couvre les besoins actuels. Des moyens supplémentaires pourront être étudiés, si besoin est, ultérieurement, notamment dans le cadre du Pacte et du projet de loi d'orientation et d'avenir agricoles. Il faut toutefois procéder dans le bon ordre, en doublant le nombre d'installations avant de doubler le budget de l'AITA, et non l'inverse.

Je suis très attaché au pluralisme au sein des chambres d'agriculture, mais pour être décisionnaire il faut obtenir des voix, et une voix égale une voix.

Si vous parlez de pluralisme dans l'accompagnement de l'installation, je réitère mon objectif d'un guichet unique, imposant à tout le monde de passer à la toise : les exploitants qui s'installent sans considérer la question climatique ou évaluer la résilience de leur système prennent le risque de voir leur rêve brisé quelques années plus tard. Des modèles alternatifs, de diverses natures, peuvent exister tant qu'ils sont soutenables économiquement. Le corollaire de ce guichet unique réside dans l'autorisation de toutes les formes d'accompagnement, mais requiert aussi que les structures qui se mettent volontairement en marge décident, elles aussi, de jouer le jeu. On peut conserver son identité en passant par Terres de lien, les Civam ou par le réseau classique des chambres d'agriculture en acceptant un certain pluralisme et en acceptant les autres modèles. Or, certains souhaiteraient imposer leur modèle alors qu'ils sont minoritaires.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Merci Madame la Présidente. Tout d'abord, je tiens à saluer les efforts du Gouvernement en faveur de la forêt et de la filière bois, qui en a véritablement besoin. Vous avez évoqué, Monsieur le Ministre, la forêt privée qui bénéficiait de singulièrement peu de moyens, au regard de son importance géographique et de son potentiel économique lié au matériau bois.

S'agissant de la forêt publique et notamment des communes forestières, il serait important d'au moins stabiliser les moyens de l'ONF et d'enlever cette épée de Damoclès que représente le schéma d'emplois qui était initialement programmé jusqu'en 2026. Je rappelle qu'aujourd'hui 900 000 hectares de forêt publique demeurent sans document de gestion. Les communes forestières ont acquis plus de 100 000 hectares par leur travail sur les biens sans maître ; ces surfaces sont, elles aussi, dépourvues de document de gestion durable.

Des efforts d'accompagnement et de soutien aux élus sont donc nécessaires pour leur permettre de faire face à ces difficultés d'exploitation forestière, notamment en raison de l'explosion du coût moyen du renouvellement forestier, qui dépasse les 8 000 euros par hectare. Or les plafonds d'aide pour ce renouvellement sont tels que le taux des aides ne s'élève pas à 80%, comme mentionné dans les documents mais de facto de l'ordre de 50%, compte tenu de cette explosion des coûts. Je salue donc l'effort budgétaire, mais j'en souligne également les difficultés et notamment le coût des protections contre le gibier.

Je m'interroge sur la ventilation du fonds « tempête » voté par le Sénat à l'initiative du rapporteur général, Jean-François Husson, en 2021. Il serait intéressant de déterminer comment il a été utilisé, ce qu'il devient aujourd'hui et comment le mobiliser pour la suite des opérations.

Je souhaiterais évoquer la taxe additionnelle à la taxe sur le foncier non bâti (TATFNB) afin de s'assurer que sa désindexation bénéficiera également aux acteurs forestiers, puisque 30% de la TATFNB émane des propriétaires forestiers.

Enfin, en ce qui concerne le GNR, Monsieur le Ministre, nous l'avons rapidement évoqué mais je tiens quand même à souligner le fait que les entreprises de la filière bois, à ma connaissance à ce jour, ne bénéficient pas des dispositifs qui sont ceux des entreprises agricoles. Cela augure donc pour elles de grandes difficultés pour assumer les charges qui sont devant elles.

M. Daniel Gremillet. - Pour prolonger la question posée à l'instant de notre collègue Anne-Catherine Loisier sur le plan de renouvellement forestier, en effet sans précédent. Cependant, pour 1 euro investi, près de 40 centimes vont à la protection du plant contre les dégâts de gibier. C'est l'exemple même du gaspillage, qui s'explique par le déséquilibre sylvocynégétique, à cause duquel un plant devient difficilement une tige adulte. Vous avez la responsabilité des comités paritaires sylvocynégétiques en région. Par ailleurs, au-delà des aides au renouvellement, il faudrait que l'entretien des parcelles soit financé à la hauteur.

Vous avez répondu à une autre préoccupation que je voulais évoquer, celle des nouvelles techniques génomiques, NTG. La France doit être au rendez-vous en ce domaine.

En ce qui concerne le bio, je vais utiliser un exemple pas si lointain, celui des produits allégés : il fut un temps, celui qui ne vendait pas de produits allégés disparaissait des rayons ; or, les produits allégés ont depuis disparu, parce que le consommateur n'en voulait plus, en dépit de toute la publicité que l'on a pu faire sur ces produits. Monsieur le Ministre, il ne faut pas opposer les systèmes, bio et conventionnel.

Mon dernier point porte sur les bâtiments d'élevage. Je trouve regrettables l'inertie et l'absence de perspective sur le traitement des toitures amiantées, qui permettrait pourtant de régler un problème sanitaire mais également de produire de l'énergie par du photovoltaïque et de stocker de l'eau. Le Sénat est très mobilisé sur ce sujet, des amendements y ont été déposés. Nous avons demandé au Gouvernement d'agir, y compris dans le cadre du texte sur les énergies renouvelables. Nous ne voyons rien venir alors qu'il y a urgence à traiter ce problème.

M. Henri Cabanel. - Je me félicite de l'augmentation du budget. Je ne vais pas revenir sur la question du bio, mais je partage les craintes de mes collègues malgré les efforts fournis. Pourrez-vous réellement atteindre les objectifs de 18% de surfaces bio en 2027 et de 21% en 2030 ?

Depuis la création de l'assurance récolte, seul un faible pourcentage d'exploitations est couvert, certaines filières étant confrontées au problème de la moyenne olympique. Avez-vous avancé sur ce sujet comme vous l'aviez, me semble-t-il, annoncé l'année dernière ?

Une fraction de la taxe sur la cession à titre onéreux des terrains nus rendus constructibles est consacrée à l'installation des jeunes ; pourriez-vous nous détailler les actions qu'elle finance ? Enfin, seriez-vous favorable à une taxe sur foncier non bâti différente suivant que la terre soit cultivée ou non, afin d'éviter les friches agricoles ?

M. Marc Fesneau, ministre. - S'agissant des aides au renouvellement, le point principal d'inquiétude, au-delà du coût à l'hectare, porte sur la complexité des procédures. J'entends de nombreux propriétaires forestiers s'en plaindre. C'est pourquoi j'ai demandé que les moyens budgétaires de 250 millions d'euros soient sous pavillon du ministère de l'agriculture afin d'éviter que le système, aussi parfait soit-il, ne conduise à ce que plus personne ne plante et que l'on n'en retire pas les bénéfices associés en termes de stockage carbone, de préservation de la biodiversité ou encore de production de bois. Le risque est qu'à force d'avoir les mains propres, nous n'ayons plus de mains.

En matière de chasse, reconnaissons que le sujet est compliqué. Je vois toutes les réticences d'un certain nombre de personnes à atteindre les objectifs qui sont fixés. Il est nécessaire de rappeler aux chasseurs que réguler la population de grand gibier est dans leur intérêt. Sinon, on va consacrer 40% des 250 millions d'euros à la protection contre le gibier pour financer notamment des clôtures parce qu'on est incapable de prélever les quotas, notamment en cervidés. J'en ai parlé publiquement à l'ONF. Certes, le prélèvement n'est pas une science exacte, mais ne pas atteindre sa cible peut relever d'une stratégie d'augmentation des populations qui risque de nous amener dans le mur. Nous sommes confrontés à une densité de certaines espèces qui n'est pas soutenable. Je vais par ailleurs regarder le sujet de la TATFNB, dont vous m'avez saisi, Mme Loisier, il y a quelques jours.

En complément, sur le GNR forestier, nous sommes en train d'étudier les voies et moyens afin d'alimenter un fonds pour moderniser les équipements des forestiers à des fins de décarbonation. Ce fonds pourrait être doté d'environ 20 millions d'euros, ce qui représente la part d'accise supplémentaire dont s'acquitteront les forestiers. Nous aurons l'occasion d'en reparler lors du débat budgétaire.

Je ne peux malheureusement pas vous répondre immédiatement sur le fonds " tempête ", qui date de 2021. Je reviendrai vers vous avec les éléments demandés.

En réponse au sénateur Daniel Gremillet, je sais que le sujet des bâtiments d'élevage vous tient à cœur. Pour l'instant, nous n'avons pas la martingale. Nous nous sommes interrogés sur la répartition de la valeur du photovoltaïque dont une partie pourrait éventuellement alimenter un fonds qui serait alors dédié aux bâtiments d'élevage. Cela permettrait de régler les problèmes de modernisation des bâtiments d'élevage tout en installant du photovoltaïque dans une logique de préservation des terres agricoles. Sur ce point, il semble que certains assureurs ne veuillent pas couvrir les bâtiments équipés de panneaux photovoltaïques. C'est un sujet que nous devons traiter.

S'agissant du bio, une trajectoire est fixée mais, pour ne pas vous raconter d'histoires, nous allons prendre du retard.

Le nouveau système d'assurance récolte fonctionne contrairement à ce qui a été dit, malgré un retard dans le maraîchage et dans l'arboriculture, nous sommes passés de 0,5% de couverture des surfaces à 9 % en prairies, et en viticulture et grandes cultures, nous étions déjà assez haut. Toutes cultures confondues, on enregistre une augmentation de 36% des surfaces entre 2022 et 2023, ce qui représente une couverture de près de 2 millions d'hectares supplémentaires, pour atteindre 6,5 millions au total. Quant au problème de la moyenne olympique, nous poursuivons nos travaux au niveau européen, tout en interrogeant la pertinence du modèle avec la Direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises (DGPE), en tentant d'imaginer d'autres solutions. Par exemple, dans le Pas-de-Calais, qui vient de connaître quatre inondations en quatre ans, la moyenne olympique ne semble pas le bon temps.

Enfin, la taxe sur le foncier non bâti que vous proposez sur les terres non cultivées constituerait une sorte de taxe pour vacance, à l'instar de la taxe sur les logements vacants. Un tel projet requiert d'étudier l'ensemble des effets collatéraux, qu'ils soient incitatifs ou désincitatifs.

Sur la gestion forestière, il existe un sujet de mise à jour cadastrale. Au-delà des biens sans maître, l'essentiel des surfaces forestières est détenu par des propriétaires qui possèdent un ou deux hectares, qu'ils ne savent pas toujours précisément localiser, ce qui nuit à sa valorisation. Nous devons faire mieux en ce domaine.

M. Guislain Cambier. - Monsieur le Ministre, je souhaite vous interroger sur le programme 149 de la mission budgétaire dans le cadre du cofinancement du Feader. La dimension régionale de la mise en œuvre de la PAC a été réduite : les régions sont désormais en charge des mesures non surfaciques tandis que l'État gérera les mesures surfaciques. Dans le passé vous avez pu constater qu'on a su parfois adapter les fonds européens, tant pour le Feader que pour le fonds React EU. Or, la difficulté de cette nouvelle répartition des compétences est que l'on ne pourra pas adapter notre intervention Feader régionale aux graves inondations subies dans la région Hauts-de-France. Pouvez-vous préciser quelle place l'État laissera aux régions pour maintenir leur proximité avec la Commission européenne, d'autant plus que sa présidente a annoncé le lancement d'un dialogue stratégique sur l'avenir de l'agriculture dans l'Union européenne ? Comment participer à ce dialogue ? Comment vous pensez mobiliser et adapter le Feader aux réalités territoriales comme celles que vous avez pu voir ce matin ?

Mme Martine Berthet. - Je souhaite aborder une autre impasse technique qui impacte la filière des plantes à parfums aromatiques et médicinales (PPAM). Les propositions de la Commission européenne de juillet 2022 fixent des teneurs limites en alcaloïdes pyrrolizidiniques dans les compléments alimentaires à base de plantes. Ces alcaloïdes sont émis par certaines mauvaises herbes très communes présentes depuis toujours dans les cultures de plantes. Quelques pieds dans une parcelle d'un hectare peuvent contaminer un lot de plusieurs tonnes de plantes médicinales sèches, si l'on se réfère à la valeur de 400 microgrammes par kilo qui a été fixée. Les producteurs intègrent dans leurs pratiques agricoles de plus en plus de méthodes alternatives, encore insuffisantes. Même le désherbage manuel ne suffit pas. De plus les méthodes de dosages de ces alcaloïdes sont imprécises et les résultats analytiques varient selon les laboratoires. Les autres pays européens n'appliquent pas de façon aussi stricte cette réglementation, ce qui engendre une concurrence déloyale.

Ces producteurs souhaitent l'instauration d'une période transitoire dans laquelle on appliquerait la teneur limite de 1 000 microgrammes par kilo, qui est celle appliquée pour le médicament et qui permettrait pendant ce temps d'affiner les méthodes de dosage et de calcul, ainsi que d'évaluer l'exposition des consommateurs et des cultures. Il y a, en effet, peu de consommation régulière. Elles sont de nature ponctuelle, en tisane ou en complément alimentaire.

M. Bernard Buis. - En ce qui concerne la prédation, il est très important de disposer d'un comptage qui soit validé par tous parce qu'on ne peut pas chaque année, avoir trois mois après le comptage initial, une demande de prélèvement de 150, voire 200 gibiers supplémentaires. La méthode doit être adaptée et incontestable.

Ma seconde question porte sur la mission d'intérêt général " Adaptation au changement climatique " confiée à l'ONF. Pouvez-vous apporter des précisions sur les critères d'accès à cette mission ?

M. Lucien Stanzione. - Comme mon collègue, Jean-Claude Tissot, je me félicite de l'augmentation des crédits. C'est une bonne nouvelle. Mon premier sujet, que vous connaissez très bien, Monsieur le Ministre, porte sur la lavande. Nous avons voté l'an dernier un montant de 10 millions d'euros dont 5 millions ont été affectés à l'indemnisation de la campagne de 2022 et 1 million d'euros pour la recherche. Qu'en est-il du delta de 4 millions d'euros ? Comptez-vous mettre en place une aide à l'écoulement du stock des deux années passées ?

Ma seconde question concerne la cerise, que vous connaissez également très bien. La lutte contre la drosophile, sans les produits phytosanitaires qui sont interdits, est difficile. La solution des filets se révèle être peu efficace et satisfaisante. Pensez-vous adapter les critères d'éligibilité du dispositif d'indemnisation qui vient d'être annoncé à la filière ? En effet, il apparaît malheureusement que la moitié des cerisiculteurs ne satisfont pas les critères d'éligibilité. Par ailleurs, pensez-vous éventuellement augmenter la dotation du fonds d'indemnisation ?

M. Sebastien Pla. - Le défi de la viticulture dans certains bassins de notre territoire n'est pas de surmonter la crise actuelle mais clairement d'assurer sa survie. C'est le cas, dans l'Aude et sur le pourtour méditerranéen, voire au-delà, de Bordeaux à la Provence. Une manifestation unitaire sur la viticulture aura lieu à Narbonne le 25 novembre pour alerter les consciences. Vous avez également reçu un certain nombre de revendications de la part des têtes de réseau de la filière.

Je souhaiterais donc avoir des précisions très claires sur les mesures que vous comptez mettre en œuvre pour résoudre la situation dans ses aspects conjoncturels. Vous avez évoqué le fonds d'urgence « mildiou » dont la portée est en réalité réduite en raison de la règle de minimis. En effet, ces entreprises qui ont investi ces trois dernières années et qui doivent faire face au remboursement de leurs emprunts et à l'amortissement du matériel, ne pourront pas bénéficier de ces fonds exceptionnels de financement alors qu'elles ont des besoins de trésorerie. C'est dommage, mais c'est la règle.

J'ai surtout besoin d'éclaircissements sur les aspects d'ordre structurel de la crise, portant notamment sur les demandes d'arrachage sanitaire. En lien avec la problématique de l'installation et de la transmission, je rappelle, à titre d'exemple, qu'on ne dénombre, dans l'Aude, aucune installation en viticulture l'année dernière. Si vous déclenchez l'arrachage aujourd'hui, cela risque de conduire 1 000 exploitants hors du système. Où en sommes-nous ? Qu'en est-il de l'accompagnement de l'après-retraite ? Je m'interroge également sur la gestion de l'eau ainsi que sur la prise en compte de nouveaux zonages pour intégrer des zones viticoles, en zone ICHN (indemnité compensatoire de handicaps naturels), au regard de l'enjeu de la protection contre le risque incendie.

Je crois beaucoup à une diplomatie économique pour répondre à la problématique de la viticulture, en conquérant des marchés à l'exportation. Force est de constater l'ampleur de la déconsommation en France. Il va donc falloir chercher des parts de marché à l'étranger. Nous devons être aidés dans cette stratégie.

Mme Sylviane Noël. - Les mesures de protection contre la prédation sont prises en charge à hauteur de 80 % par l'État, sur le budget de la PAC. Or le délai d'obtention de ces aides peut s'élever entre six à douze mois, ce qui fragilise grandement la situation financière de certains agriculteurs, qui parfois y renoncent. Le projet de loi de finances prévoit-il un mécanisme d'avance de trésorerie pour y remédier ?

Je souhaite également compléter les propos qui ont été tenus sur le comptage, qui est fondamental. Il fait débat dans de nombreux départements. Le conseil départemental de Haute-Savoie a financé un dispositif expérimental de comptage, plus fiable à l'aide de caméras thermiques, de pièges photographiques et d'enregistrements sonores, qui a permis de dénombrer près du double de loups sur notre territoire que ce qui nous avait été annoncé. Le comptage nécessite des moyens importants qui ne doivent pas incomber au département. Le projet de loi de finances prévoit-il des moyens supplémentaires à cette fin ?

M. Franck Montaugé. - Je m'inscris dans le prolongement des propos de notre collègue, Sébastien Pla. M. Vincent Piquemal, président des Vignerons indépendants d'Occitanie a, pour la troisième année consécutive, été concerné par des phénomènes climatiques, après le gel et la grêle. Le système assurantiel ne fonctionne pas en raison de la moyenne olympique. Les vignerons sont à l'agonie. Certaines exploitations pourtant installées de longue date, sont proches du dépôt de bilan. La situation est absolument dramatique.

Les viticulteurs demandent des mesures d'urgence de soutien, notamment auprès des assureurs, sous forme de gestes commerciaux pour les aider à faire face. Dans de telles circonstances dramatiques, l'État ne peut-il pas instaurer des structures de soutien d'urgence, à l'instar des comités départementaux d'examen des problèmes de financement des entreprises (Codefi) ? Il doit être possible d'inventer un nouveau dispositif pour répondre à cette situation. Des drames humains se jouent, au-delà de la dimension économique du sujet. Ce sont des professionnels qui produisent des vins de qualité, bio ou sous le label Haute valeur environnementale (HVE).

M. Marc Fesneau, ministre. - Vos questions sur la nouvelle programmation du Feader mériteraient que l'on prolonge le débat. L'essentiel des mesures non surfaciques sont restées aux régions. En conséquence, les capacités d'adaptation, y compris pour l'investissement, demeurent valables. Quant aux MAEC qui ont été transférées à l'État, elles ne font l'objet d'aucune capacité d'adaptation, y compris quand il y a des inondations. Je n'identifie donc pas où se situent les obstacles à l'application des mesures. Je demanderai à mes équipes de prendre contact avec vous pour identifier les blocages. Par ailleurs, je vais faire appel aux régions dans le cadre du Feader, pour accompagner le soutien aux agriculteurs. Je pense donc que la souplesse existe.

En réponse à la question sur les impasses techniques concernant les teneurs limites en alcaloïdes pyrrolizidiniques, nous allons regarder avec les producteurs les possibilités de dérogation.

S'agissant de la question du comptage du loup, celui-ci doit être scientifiquement crédible et partagé, pour ne susciter aucune défiance. Or depuis le début, la défiance est présente. C'est pour cela qu'il y a eu cette expérimentation en Haute-Savoie. Un point de consensus doit être trouvé. En outre, la crédibilité requiert d'éviter tout écart important entre le comptage provisoire et le comptage définitif. Je souhaite également qu'on ait un comptage tôt en saison pour écarter toute annonce de prélèvement supplémentaire à effectuer en quelques mois. J'ai donné des instructions aux préfets sur ce point.

Vous avez raison sur le sujet de l'indemnisation : un problème de délai mais également de simplification se pose. Nous sommes en train d'examiner comment verser des acomptes. Ils ne peuvent être nationaux en raison de la mécanique du fonds européen. Le problème est clairement identifié et nous sommes à la recherche d'une solution afin de raccourcir le délai de paiement. J'ai également demandé de nouveaux développements afin de simplifier le logiciel censé simplifier les déclarations des prélèvements, Safran, dont l'utilisation est en fait plus complexe que le précédent.

Sur les 4 millions d'euros non consommés pour la lavande, nous y travaillons actuellement avec la filière. J'insiste sur le programme de recherche car il serait regrettable de se voir reprocher une absence de résultat. Il faut chercher pour se donner une chance de trouver car les interdictions ne produisent pas en elles-mêmes des solutions.

En réponse à votre demande d'adaptation des critères d'éligibilité du dispositif d'indemnisation pour la cerise, en lien avec la filière, nous avons déjà baissé le taux de spécialisation à 25%, ce qui est extrêmement bas, et le critère de perte de chiffre d'affaires à 20%. C'est aussi bas que possible pour justifier une indemnisation. Certains agriculteurs en viticulture ou autres perdent 40%, 50% voire 80% de leur chiffre d'affaires.

Je vais conclure sur la question viticole. Vous avez raison, la situation est empreinte de beaucoup de désespoir. C'est pourquoi il est crucial d'inscrire ces exploitations dans une trajectoire de résilience et de transition pour qu'elles ne deviennent pas les victimes annoncées du dérèglement climatique. Je tiens à souligner que nous disposons des outils nécessaires. Des fonds d'urgence existent. Je propose d'élaborer des projections à 5 ou 10 ans dans les départements les plus à risque. Puis il convient de les aider à l'investissement et à la transition, dans le cadre d'un paquet global qui sera plus efficient qu'un abondement annuel du fonds d'urgence. Il est également nécessaire que l'ensemble des acteurs se mettent autour de la table, et vite : banque, assurances, collectivités, etc.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Monsieur le ministre, nous vous remercions infiniment pour le temps que vous nous avez consacré ainsi que pour la précision de vos réponses. Nous vous donnons rendez-vous pour le débat sur la mission agriculture le 8 décembre.


Source https://www.senat.fr, le 29 novembre 2023