Texte intégral
SONIA MABROUK
Et place donc à la Grande interview sur CNEWS et Europe 1. Bonjour à vous, Sébastien LECORNU.
SEBASTIEN LECORNU, MINISTRE DES ARMEES
Bonjour Sonia MABROUK, et merci de votre invitation.
SONIA MABROUK
Vous êtes le ministre des Armées. Merci à vous et merci d'avoir accepté notre invitation dans ce moment particulièrement intense. Ministre des Armées, je le disais, vous êtes également l'homme que le Président a missionné pour les déplacements au Proche-Orient, et donc au plus près de ces négociations. Hier, la libération du quatrième groupe d'otages par le Hamas a suscité évidemment un énorme soulagement pour toutes les familles concernées, y compris pour les familles des trois otages français libérés. Trois mineurs : Eitan, 12 ans ; Erez, 12 ans, et sa sœur Sahar, 16 ans. Tout d'abord, monsieur le ministre, la question évidemment qu'on se pose tous, " Comment vont-ils ? "
SEBASTIEN LECORNU
Ils vont bien. Ils ont retrouvé leur famille. Ils vont faire l'objet d'un suivi médicalisé important. Vous avez rappelé leur âge, plus de 50 jours de détention, imaginez l'impact en matière de nutrition, de sommeil. Le suivi psychologique, évidemment, sera très important. Et donc évidemment, ce suivi-là va se faire dans la durée, et c'est bien assuré. Alors c'est compliqué de parler de joie parce qu'en fait, on parle de familles qui ont été parfois décimées, qui sont dans un deuil, dont parfois d'autres membres de la famille sont toujours détenus otages. Donc c'est sûr qu'il y a quelque chose de curieux à la fois. On a sorti les plus jeunes de nos otages, et donc ça ne peut être qu'une bonne nouvelle. Après, il y a toujours de l'espérance et un travail diplomatique, politique, sécuritaire important qui va continuer pour les cinq autres otages français dont, je rappelle, une jeune fille majeure. Une jeune fille et quatre hommes.
SONIA MABROUK
La précision des mots est essentielle. Vous dites cinq otages, monsieur le ministre, ou cinq otages et peut-être des disparus ?
SEBASTIEN LECORNU
Toujours la même chose, otages ou disparus. Et la précaution oratoire vient de quelque chose de terrible, elle remonte évidemment à la question. Elle repose sur la question des preuves de vie. Et pour un certain nombre de ces personnes disparues, on a des preuves de vie, - Je ne donnerais évidemment pas le détail. - et donc on peut estimer qu'elles sont otages, même si parfois, ces preuves de vie peuvent remonter à quelques temps. Pour d'autres personnes, malheureusement, nous n'avons pas forcément de preuve de vie. Donc ça, évidemment, ça se fait en transparence avec les familles. C'est-à-dire que là, on a eu une preuve de vie, on la partage systématiquement avec la famille. Donc à chaque fois, la diplomatie française et les autorités politiques, ou de renseignement, d'ailleurs, dont j'assure la tutelle, précisent toujours " Disparues ou otages. "
SONIA MABROUK
On va parler de la suite. Que sait-on, avec la prudence qui se doit et la gravité qui sciait quand même à ce moment, des conditions de détention de ces trois mineurs ? Ont-ils vécu dans des tunnels sans voir le jour ? Quels traitements physiques et psychologiques ? Est-ce que vous pouvez nous renseigner sur ces points-là ?
SEBASTIEN LECORNU
Alors c'est un peu tôt, parce que pour le coup, les familles évidemment passent en priorité avant tous les débriefing qui vont être réalisés par les différents services de renseignement israéliens, évidemment. Il y a des protocoles qui sont prévus, y compris entre pays alliés pour ce faire. Ce qu'il faut bien comprendre aussi, c'est que les conditions de détention sont très variables parfois d'un otage à l'autre. Ils sont parfois disséminés dans la bande de Gaza. Ce n'est pas toujours le Hamas qui les a en détention. Ce qui explique aussi ce pourquoi il y a eu ces péripéties de jour en jour. Pour être honnête avec vous, nous savions depuis plusieurs jours maintenant, - D'où aussi la formule que nous avions employée en parlant d'espoir, d'espérance. - Nous savions qu'il y avait évidemment ces otages français qui étaient dans ces listes, qui étaient échangées entre Paris, entre Washington, entre Le Caire, Doha bien évidemment, et j'enverrai un hommage peut-être au Qatar sur leur rôle.
SONIA MABROUK
On va en parler.
SEBASTIEN LECORNU
Et évidemment Tel-Aviv. Mais effectivement, ce que nous redoutions, c'était que la trêve ne tienne pas, que n'importe quel prétexte soit utilisé par le Hamas pour venir mettre en cause justement cette trêve. Ce qui aurait pu mettre en cause la libération de ces otages. Donc c'est pour ça aussi que la prudence a dominé, et elle va continuer à la dominer puisqu'il y a cinq otages.
SONIA MABROUK
Elle a dominé, si je vous entends bien, en sachant que vous aviez déjà des garanties sur ces trois mineurs déjà depuis quelques jours.
SEBASTIEN LECORNU
En fait, les discussions, vous le voyez bien, au regard des profils qui sont libérés, sont essentiellement autour des enfants, - C'est bien naturel. - ou des jeunes femmes. Enfin, essentiellement les enfants. Et donc dans les différentes discussions que le Président de la République a eues avec les différentes autorités de la région, ce qu'a fait Catherine COLONNA, ce que j'ai fait moi-même effectivement, en passant par des canaux plus défense militaire sécuritaire, c'était évidemment de nous assurer que les enfants ont été correctement traités dans cette discussion-là. Le vrai sujet, c'est la fragilité de la trêve, puisque c'est la trêve humanitaire qui permet évidemment non seulement d'obtenir la sortie des otages avec le Hamas, mais tout simplement de la mettre en œuvre, cette sortie des otages.
SONIA MABROUK
Encore une fois, est-ce que la France a plus de difficultés que d'autres pays, comme les Etats-Unis ou l'Allemagne, justement à libérer les otages aux mains du Hamas ?
SEBASTIEN LECORNU
Non, je ne crois pas. Objectivement, je ne crois pas. D'ailleurs, les paramètres des discussions sont des paramètres très globaux. Parfois, il y a eu des difficultés liées tout simplement aux réseaux de communication entre la bande de Gaza, et de un. Donc en fait, il y a eu cet ascenseur émotionnel et ces incertitudes. Mais j'ai vu que certains pseudos experts se disant proches du dossier disaient : " Oui, c'est de la politique, Le Hamas… ". Ils grainent les choses, etc. Non, la réalité, c'est qu'il y a plus de difficultés logistiques – Pardon de le dire comme ça. - que de difficultés politiques. Après, il faut rester mobilisé puisque je vois bien, effectivement, il y a un moment d'espoir et de joie en ce moment, mais je pondère sur le volet joie. Les familles que j'ai pu rencontrer, comme Catherine COLONNA, comme le Président de la République, sont des familles qui sont en deuil et qui, même si elles viennent de récupérer leurs enfants, sont des familles qui ont encore des otages ou des disparus parmi leurs proches.
SONIA MABROUK
À l'heure actuelle, est-ce que c'est confirmé qu'il y a une nouvelle liste d'otages qui serait en cours de préparation par le Hamas ?
SEBASTIEN LECORNU
Alors vous avez vu cette annonce effectivement, et du Hamas et du Qatar, d'une nouvelle trêve de 48 heures qu'Israël doit confirmer. Et évidemment… Pourquoi, d'ailleurs, la France aussi a parlé très tôt de trêve humanitaire, en disant : " Mais pourquoi le Président de la République dit ça ? etc. " ? C'était aussi parce que nous savions… Evidemment, maintenant, on peut le dire de manière plus lisible, plus claire, nous savions que c'est un des paramètres clés dans la Libération d'otages. Donc oui, des listes continuent de circuler. Après, une fois de plus, chaque jour suffit sa peine. Chaque soir, il y a des libérations d'otages depuis quelques jours. Ça reste quelque chose de très fragile, mais l'engagement va continuer, et c'est pour ça qu'il faut que la trêve humanitaire puisse se poursuivre, parce que…
SONIA MABROUK
Jusqu'à quand, monsieur le ministre ? Parce que là, la trêve, c'est jusqu'à jeudi. Pour Israël et l'armée israélienne, ça semble très clair, ce n'est pas une trêve reconductible. Est-ce que la France demande à ce que ce soit une trêve reconductible ?
SEBASTIEN LECORNU
Une fois de plus, je pense qu'il faut résumer les choses de la manière la plus simple qui soit. Israël a le droit de se défendre, et Israël doit mettre hors d'état de nuire le Hamas. Après, il y a des conditions à cela pour que l'opération militaire et l'opération de sécurité soit efficace. Pardon, je parle comme un ministre de la Défense peu diplomatiquement, mais pour qu'elle soit efficace, il y a évidemment la prise en compte des otages. Enfin, je veux dire, il n'y a pas de schéma dans lequel un pays comme Israël ou un pays comme la France abandonne les siens. Et d'ailleurs, c'est évidemment ce que nous avons travaillé avec les autorités israéliennes. Et puis il y a la question de la prise en compte des populations civiles dans la bande de Gaza, femmes, enfants.
SONIA MABROUK
Bien sûr.
SEBASTIEN LECORNU
Et donc cette trêve, en même temps que la question des otages, est en train de progressivement se traiter. Enfin, il en reste beaucoup. Il y a évidemment la question de l'aide humanitaire qui doit rentrer…
SONIA MABROUK
Nous allons en parler. Mais soyons précis, trêve reconductible pour la France ? C'est-à-dire, il faut que cette trêve dure plus longtemps ?
SEBASTIEN LECORNU
Il reste 177 otages.
SONIA MABROUK
Mais donc votre réponse appelle à…
SEBASTIEN LECORNU
Mais le chiffre est déjà… Enfin, il fait réfléchir, 177 otages. Il doit rester quelque chose comme 18 ou 20 enfants, je crois, parmi ces 177 otages. Il est clair que depuis le début, nous sommes constants, et nous affirmons que la libération des otages, et accessoirement des otages français, pardon de le dire comme ça, comme ministre français, est une priorité absolue. Donc oui, la question de la trêve humanitaire doit se poursuivre parce qu'elle permet de régler progressivement, on l'a vu hier soir, la question des otages.
SONIA MABROUK
Sébastien LECORNU, vous dites ce matin que la trêve, donc, doit se poursuivre, eu égard évidemment à la présence encore nombreuse des otages. Je pose la question différemment parce que l'armée israélienne n'est pas, semble-t-il, pour une trêve qui dure, parce qu'elle a cet objectif d'éradication du Hamas. Donc est-ce que la reprise des combats est légitime pour la France ?
SEBASTIEN LECORNU
Non, mais que Israël soit légitime, et dans une action légitime à mettre hors d'état de nuire le Hamas, il n'y a pas de débat là-dessus, la réponse est oui. Mais une fois de plus, on ne parle pas de trêve sans condition. On ne parle pas de trêve sans condition. D'ailleurs, le Président de la République n'a jamais parlé de trêve sans condition.
SONIA MABROUK
On va parler de cette position.
SEBASTIEN LECORNU
Et dans les conditions, il y a, de toutes les évidences, la libération des otages. Qui peut dire que c'est secondaire ? Ou alors il faut aller jusqu'au bout, il faut que celles et ceux qui pensent cela disent : " Ben non, on abandonne les otages ". Ce n'est certainement pas la position de la France, je pense que…
SONIA MABROUK
Qui a cette position ? Personne.
SEBASTIEN LECORNU
Non, mais peut-être certains extrémistes. Malheureusement, l'anonymat des réseaux sociaux…
SONIA MABROUK
Au sein du Gouvernement israélien ?
SEBASTIEN LECORNU
Non, mais l'anonymat des réseaux sociaux font parfois circuler des positions un peu curieuses. Donc dès lors qu'on dit que la libération des otages est une priorité, il est évident que la trêve doit se poursuive. Et j'insiste, je le dis comme ministre des Armées, il n'y a pas d'opération de sécurité contre un groupe terroriste armé. Pardon de venir aussi avec notre expérience Français, puisque nous n'avons malheureusement pas découvert le terrorisme de 7 octobre dernier et que nous avons connu suffisamment d'attaques nous aussi, mais aussi de lutte contre des groupes terroristes armés. C'est vrai au Sahel, c'est vrai évidemment au Levant, sur lequel on a été très engagé pendant l'opération Chammal, et c'est toujours le cas aujourd'hui. On a quand même perdu trois soldats en Irak à la fin du mois d'août dans une forme d'indifférence globale. La question de la prise en compte des populations civiles et de la libération des otages sont des conditions à la soutenabilité de l'opération de sécurité. Israël…
SONIA MABROUK
Monsieur, mais je vous repose la question. Vous insistez sur ce point, on dirait que vous craignez que certains perdent de vue aujourd'hui qu'il reste encore des otages.
SEBASTIEN LECORNU
Oui, parce que je…
SONIA MABROUK
Donc une reprise des combats à la fin de cette trêve, là, jeudi, pourrait mettre en danger la vie des otages, y compris des Français ?
SEBASTIEN LECORNU
Vous voyez que la trêve se reconduit petit à petit, ça dit quelque chose. Et il faut mesurer aussi l'état d'émotion qui règne en Israël. Vous savez, avoir une famille en otage, c'est la poursuite de l'attaque du 7 octobre. Vous pleurez vos morts, mais après, vous êtes plongé dans l'incertitude de savoir ce qui se passe pour vos proches. On parle d'enfants, ce que fait le Hamas est abominable. D'ailleurs, ce n'est pas parce que le Hamas libère des otages que le Hamas a le beau rôle.
SONIA MABROUK
Parlons-en.
SEBASTIEN LECORNU
Le Hamas reste le responsable de ce qui se passe.
SONIA MABROUK
Sauf que, Monsieur le ministre, il y a des images qui circulent. On voit ces otages libérés, on voit des prisonniers palestiniens également qui retrouvent leurs familles, et certains pourraient être enclins à dire : « Eh bien, c'est le maître finalement qui a gagné. C'est le maître du jeu, il a gagné la bataille de la propagande. »
SEBASTIEN LECORNU
Alors je ne pense pas que le Hamas va arriver à faire croire à nos opinions publiques qu'ils ont le bon rôle.
SONIA MABROUK
Les opinions peut-être, mais d'autres.
SEBASTIEN LECORNU
Non, mais je crois que…
SONIA MABROUK
Vous le craignez ?
SEBASTIEN LECORNU
Mais c'est là où à nous, après, de nous déployer et d'aller dans un chemin politique et diplomatique aussi pour dire que la cause palestinienne n'est pas le Hamas. Ça, je pense que c'est quelque chose de clé qu'il nous faut absolument répéter. En tout cas, je crois que la sécurité des otages, nous, nous l'assumons, c'est une priorité importante. Personne ne peut dire qu'on s'en moque. Et j'insiste, pour l'efficacité de l'opération militaire israélienne, la question des populations civiles, de l'impact humanitaire et sanitaire, comme la libération des otages, sont des conditions de la soutenabilité. Je vous le répète à l'envie parce que je vois bien que parfois, dans nos systèmes médiatiques, on va d'un extrême à l'autre. Et je pense que cette ligne d'équilibre, elle est tout simplement de bon sens.
SONIA MABROUK
Dans tout ce processus inédit et très complexe de libération des otages, le Qatar est très présent. Comment vous qualifiez son rôle ? Et est-ce une victoire diplomatique pour le Qatar aujourd'hui ?
SEBASTIEN LECORNU
Oui, en tout cas, le Qatar tient parole. Moi je suis ministre en charge de la Sécurité extérieure des Français, là où le ministre de l'Intérieur s'occupe de la sécurité intérieure du peuple français. Et il y a des alliés. Il y a des pays qui sont des partenaires stratégiques importants, qui n'ont pas les mêmes modèles politiques que nous, qui ne défendent peut-être pas les mêmes systèmes de valeurs que nous, mais qui sont des pays avec lesquels nous avons des intérêts convergents. Et le Qatar, qui est un tout petit pays, riche par ses productions d'hydrocarbures, mais coincé entre l'Arabie Saoudite, l'Iran, qui regarde de près ce qui se passe à Washington en cette période de campagne présidentielle américaine, évidemment, mène une diplomatie pour défendre son autonomie et donc cherche à être utile à ses alliés. Et donc c'est le rôle…
SONIA MABROUK
Donc c'est un partenaire fiable, qu'il faut saluer aujourd'hui la ténacité et le respect de la parole.
SEBASTIEN LECORNU
Parfois il y a les jugements moraux, les phrases à l'emporte-pièce sur les plateaux etc. Moi, je constate que tout ce qui nous a été dit, la parole a été respectée et donc que là, une fois de plus, on ne peut pas se réjouir de voir ces enfants sortir de leur des mains de leur geôlier et ne pas reconnaître le rôle qu'a pu jouer l'Egypte d'une part, je veux le citer aussi, et le Qatar d'autre part.
SONIA MABROUK
L'Egypte, et le Qatar. Y a-t-il d'autres pays ? La Turquie est souvent citée Sébastien LECORNU.
SEBASTIEN LECORNU
Doha, Doha et Le Caire.
SONIA MABROUK
Est-ce que vous avez des craintes sur le front avec le Liban ? Ce serait alors un second front conséquent pour Israël, avec le Hezbollah. Nous avons des militaires sur place. Quel est leur rôle alors que les tensions restent vives et qu'on n'en parle pas assez ?
SEBASTIEN LECORNU
Oui, c'est une mission qui est trop méconnue des Français. Pourtant, c'est la plus ancienne et c'est la dernière grande mission des Casques bleus qui revient à un contingent français. On a 700 militaires français à la frontière entre le Liban et Israël, sur deux camps, Deir Kifa et Naqoura, et en fait, c'est une mission des Nations Unies, dont la France tient la plume au Conseil de sécurité chaque année, qui est là pour faire de l'observation, de la décomplexion entre la partie libanaise d'un côté…
SONIA MABROUK
La désescalade.
SEBASTIEN LECORNU
Alors, ce n'est pas une force d'interposition, c'est pour ça que je dis "déconfliction". Dans la grammaire onusienne, vous avez deux crans, si vous voulez.
SONIA MABROUK
Et sur le terrain, plus concrètement ?
SEBASTIEN LECORNU
Donc, de l'observation, du renseignement, de la dissuasion, pour éviter…
SONIA MABROUK
Que voient-ils, alors, Monsieur le Ministre ? Est-ce qu'ils voient que les choses peuvent s'envenimer ?
SEBASTIEN LECORNU
Oui. Vous avez effectivement depuis maintenant le début du conflit à Gaza, vous avez une montée en pression lente, progressive, mais malheureusement certaine, même s'il y a une petite accalmie en fin de semaine dernière de tirs du Hezbollah vers Israël, qui entraînent des ripostes en légitime défense d'Israël, mais qui sont des ripostes particulièrement importantes et qui donc d'ailleurs peuvent parfois menacer la sécurité de nos emprises et de nos soldats français. Donc la question de ce second front éventuel de la maîtrise de l'escalade avec cette frontière avec le Liban est un sujet clé, on connaît notre histoire, on se rappelle de la guerre en 2006. On se rappelle aussi, évidemment du rôle que le Hezbollah et que l'ensemble des proxys iraniens peuvent jouer dans la région. Et donc la France a un attachement particulier pour le Liban, un lien particulier, une diplomatie particulièrement efficace. Encore une des plus grosses ambassades que nous pouvons avoir à Beyrouth. Et donc il est vrai que nous déployons énormément.
SONIA MABROUK
Mais c'est quoi le risque ? On a du mal... Je vous pose la question directement : demain matin, on peut se réveiller avec un nouveau front ?
SEBASTIEN LECORNU
Oui, et une escalade régionale qui serait absolument épouvantable. Je crois qu'il faut dire aussi la vérité à nos concitoyennes et concitoyens, au Proche et au Moyen-Orient, on danse sur un volcan et donc les trêves humanitaires qui sont aussi demandées, la manière dont aussi nous demandons à nos amis Israéliens de prendre en compte les populations civiles à Gaza, tout cela forme un tout. On défend nos valeurs, mais on cherche aussi à maîtriser toute forme d'escalade qui serait absolument épouvantable, y compris pour notre sécurité.
SONIA MABROUK
J'entends. Vous venez de dire " nos amis israéliens, de la manière dont ils prennent en compte les civils palestiniens à Gaza ". Comment prennent-ils en compte ? Parce que si je regarde les termes de l'ONU, l'ONU a mis en garde contre un nettoyage ethnique.
SEBASTIEN LECORNU
Non, mais moi je regarde les choses sur le terrain purement militaire de là où je suis. Il est clair que les populations civiles doivent être épargnées. Et pour cela, il y a des précautions à prendre…
SONIA MABROUK
Quelles sont-elles ?
SEBASTIEN LECORNU
Il y a des précautions à prendre, sans doute à prendre…
SONIA MABROUK
Le sont-elles ?
SEBASTIEN LECORNU
Il y a des précautions à prendre, sans doute à prendre davantage…
SONIA MABROUK
Le sont-elles, Monsieur le Ministre, c'est important, vous avez toutes les informations du terrain.
SEBASTIEN LECORNU
Non, pas toutes justement. Vous savez, enfin, cette zone de Gaza, elle est très dense. Vous avez, par définition, vous n'avez pas de moyens militaires français d'observation immédiats. Vous avez donc du renseignement de deuxième niveau. Je n'entrerai pas dans tous les détails. Donc tout ça pour dire que c'est absolument clé dans la maîtrise de l'escalade, et il faut le redire, il en va aussi de nos valeurs, mais aussi de nos intérêts.
SONIA MABROUK
Le président de la République, je le disais en début de cet entretien, Sébastien LECORNU, vous a envoyé vous, et pas quelqu'un d'autre, en service commandé au Proche-Orient, du Caire, en passant par Abou Dhabi, Riyad, Doha, Tel-Aviv, vous êtes quasiment allé partout dans la région, vous êtes un habile négociateur, beaucoup louent cette qualité Ô combien essentielle en ce moment, mais la question c'est : quelle politique défendez-vous, celle du président, mais quelle ligne aujourd'hui, on a du mal à comprendre ? Je vais le résumer en deux mots, on est passé de la coalition contre le Hamas, au droit à Israël de se défendre, à finalement un cessez-le-feu sans condition.
SEBASTIEN LECORNU
Pourtant c'est toujours la même position, elle est cohérente…
SONIA MABROUK
On a du mal à l'entendre, Sébastien LECORNU.
SEBASTIEN LECORNU
Depuis le 12 octobre, date à laquelle le président de la République a pris la parole. La difficulté de la position française, depuis le Général de GAULLE, c'est que, par définition, elle est équilibrée, c'est-à-dire qu'elle ne s'aligne pas complètement sur les uns, les autres…
SONIA MABROUK
Est-ce que l'équilibre c'est la confusion ?
SEBASTIEN LECORNU
Non. Où est la confusion ? Israël a le droit de se défendre, et la question sécuritaire est prioritaire, elle englobe d'ailleurs la question des otages, elle englobe aussi la question de la lutte contre le terrorisme, là aussi il faut dézoomer, mais c'est l'avenir de la coalition contre le terrorisme, y compris contre Daesh en Irak, on voit bien qu'il y a des vents contraires qui peuvent peser sur l'opération Chammal ou sur l'opération Inherent Resolve, bref, il y a une diplomatie importante, y compris sur la lutte contre les financements des groupes terroristes, il y a toute une action à faire. La deuxième des choses c'est le volet humanitaire, je le redis, et les armées françaises jouent un rôle important dans cette affaire. Quatre vols A400-M…
SONIA MABROUK
…Le Dixmude.
SEBASTIEN LECORNU
Alors, quatre vols A400-M, l'essentiel du fret humanitaire et sanitaire que le Quai d'Orsay a apporté a été amené en Egypte par l'Armée de l'air et de l'Espace, effectivement vous avez ce bateau transformé en bateau hôpital, le Dixmude, qui est arrivé hier, 40 lits…
SONIA MABROUK
Qui reçoit des patients ?
SEBASTIEN LECORNU
Ça va démarrer, j'espère, dans cette semaine, vous avez une première équipe de préfigurateurs de sept militaires français qui sont en train de faire le lien entre la partie israélienne et la partie égyptienne, on a commencé à affiner le besoin sanitaire, on voit bien qu'il y a des sujets d'orthopédie, il y a des sujets d'ophtalmologie pour les enfants notamment, donc on est en train de faire monter l'expertise justement sur ce bateau, qui va être un pôle en fait de… qui va permettre aussi de stabiliser des patients, et comme c'est un porte-hélicoptères, le cas échéant de faire des liaisons avec d'autres hôpitaux, donc c'est ce qu'on appelle être « nation cadre » en matière sanitaire. Et puis enfin, troisième pilier quand même de notre action, elle est plus politique, soit la maîtrise de l'escalade, je vous ai parlé du Liban, mais aussi la question de la solution à deux Etats qui doit rester sur la table.
SONIA MABROUK
Donc c'est une cohérence que vous défendez.
SEBASTIEN LECORNU
Oui, après la difficulté c'est que dans le monde…
SONIA MABROUK
C'est la rue, certains disent « la rue arabe en France. »
SEBASTIEN LECORNU
Non, c'est aussi…
SONIA MABROUK
Emmanuel MACRON n'a-t-il pas sa rue arabe ?
SEBASTIEN LECORNU
Je pense que si le Général de GAULLE avait eu les chaînes d'information, si je puis me permettre, et les réseaux sociaux, et tous les outils que nous connaissons, sans compter nos compétiteurs russes, et autres, qui n'hésitent pas aussi à manipuler l'information, et tout ça est largement documenté, la position serait parfois plus facile à tenir jadis qu'elle ne l'est aujourd'hui, mais moi j'assume et je prends ce rendez-vous avec vous dans le temps long, que la position de la France, par la voix du Président de la République le 12 octobre dernier, est une position qui s'inscrit dans notre histoire et qui vieillira bien, à coup sûr, et qui est sans surprise pour nos différents interlocuteurs.
SONIA MABROUK
Merci Sébastien LECORNU.
SEBASTIEN LECORNU
Merci à vous.
SONIA MABROUK
Merci d'être venu dans ce moment particulièrement intense, avec aussi du soulagement pour ces familles françaises, c'était votre " Grande interview " ce matin.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 1er décembre 2023