Texte intégral
NICOLAS DEMORAND
Et avec Léa SALAME nous recevons ce matin dans " Le grand entretien " le ministre de l'Economie et des Finances, vos questions et réactions au 01 45 24 7000 et sur l'application France Inter. Bruno LE MAIRE, bonjour.
BRUNO LE MAIRE
Bonjour Nicolas DEMORAND.
LEA SALAME
Bonjour.
BRUNO LE MAIRE
Bonjour Léa SALAME.
NICOLAS DEMORAND
Bienvenue sur Inter. Beaucoup de questions à vous poser ce matin, alors qu'on saura demain si l'agence de notation Standard & Poor's abaissera ou non la note de la France, des questions aussi sur vos déclarations sur le chômage des seniors, qui ont suscité beaucoup de réactions. Mais d'abord un mot sur la décision de la Cour de justice de la République qui jugeait, et c'est une première, un ministre de la Justice en exercice, la Cour de la justice de la République a décidé de la relaxe d'Eric DUPOND-MORETTI, considérant que l'élément matériel de la prise illégale d'intérêts était bien constitué, mais pas son intentionnalité, vous êtes soulagé de cette décision Bruno LE MAIRE, qui concerne votre collègue garde des Sceaux ?
BRUNO LE MAIRE
C'est une bonne nouvelle pour Eric DUPOND-MORETTI, moi je suis heureux pour lui, je me réjouis pour lui, pour le gouvernement, ça va permettre au garde des Sceaux de reprendre ses activités et c'est pour moi ce qui compte le plus.
LEA SALAME
Il ne les avait pas arrêtées !
BRUNO LE MAIRE
Ça va lui permettre de reprendre plus sereinement, et c'est bien d'être serein en politique.
LEA SALAME
Les Insoumis et les Verts ont dénoncé une décision politique, critiqué la partialité, à leurs yeux, de la Cour de justice de la République composée partiellement de plusieurs parlementaires, ils appellent à sa suppression, vous en dites quoi, justice partiale, justice politique ?
BRUNO LE MAIRE
Je leur dis que je ne commande pas les décisions de justice…
LEA SALAME
Non, sur la Cour de justice de la République ?
BRUNO LE MAIRE
Je pense que si la décision avait été inverse ils auraient dit exactement l'inverse. Après qu'on ait une réflexion plus globale sur nos institutions, certainement, mais je pense qu'il y a d'autres sujets que la Cour de justice qui seraient plus urgents.
LEA SALAME
L'économie à présent. La puissante agence de notation Standard & Poor's doit se prononcer sur la note de la dette française, qui s'élève, on le rappelle, à plus de 3000 milliards d'euros, en juin dernier S&P avait maintenu la note de la France, craignez-vous que demain il en soit autrement ?
BRUNO LE MAIRE
Tout est possible, c'est eux qui décident, mais je pense que nous avons apporté des arguments solides sur la crédibilité de notre détermination à baisser la dette, à ramener les déficits sous les 3 % et à tenir la dépense publique, ça fait un an que j'alerte sur la nécessité impérative de redresser les comptes publics, à un moment où les taux d'intérêt augmentent, nous avons pris des décisions fortes avec la Première ministre, nous tiendrons nos 4,9% de déficit en 2023, nous avons engagé des revues de dépenses publiques, nous avons gelé un certain nombre de dépenses que nous n'estimons pas utiles…
LEA SALAME
Et vous n'avez pas convaincu la Commission européenne qui vous a tancé la semaine dernière, la France et trois autres pays, estimant qu'on n'est pas bons sur les dépenses budgétaires, Monsieur LE MAIRE…
BRUNO LE MAIRE
Elle nous a tancés sans grande fermeté, sinon elle aurait envoyé une lettre, ce que je constate…
LEA SALAME
Oui, mais enfin elle dit que, clairement, la France n'est pas en ligne avec les recommandations budgétaires l'an prochain à cause de dépenses publiques excessives.
BRUNO LE MAIRE
Mais les dépenses publiques nous les réduisons, les déficits nous les faisons baisser, et la dette publique nous accélérerons le désendettement, et tout ce qui doit être fait pour revenir…
LEA SALAME
Suffisamment ?
BRUNO LE MAIRE
On peut toujours faire mieux, toujours, mais il faut faire très attention à tenir la balance équitable entre le rétablissement des finances publiques, qui est indispensable, et donc je suis le garant, et croyez-moi je ferai preuve de toute la fermeté nécessaire pour tenir la réduction des dépenses publiques et la réduction de la dette, que nous avons fixée d'ici 2027, mais il faut tenir la balance juste entre cette réduction, qui est nécessaire, et les investissements que toutes les Françaises et tous les Français réclament à juste titre, que ce soit sur l'école, sur l'éducation, ou sur la transition climatique. Faisons très attention, à un moment où se joue probablement l'avenir des trente prochaines années, en France et en Europe, à ne pas perdre de vue, non plus, la nécessité des investissements, dans les nouvelles technologies, dans l'intelligence artificielle, et dans la décarbonation de notre économie, c'est cet équilibre qu'il faut trouver.
NICOLAS DEMORAND
Plus généralement, les prévisions économiques pour la zone euro pour l'an prochain ne sont pas bonnes, elles ont été revues à la baisse, l'économie européenne s'est contractée au troisième trimestre, alors que celle des Etats-Unis croissait de 1,2%, depuis quinze ans l'écart entre l'Europe et l'Amérique ne cesse de grandir et ça s'accélère. La zone euro, Bruno LE MAIRE, est-elle en train de décrocher face aux Etats-Unis ?
BRUNO LE MAIRE
Je pense que la situation est économique est totalement insatisfaisante en zone euro, et insatisfaisante en Europe de manière générale. Pourquoi ? Parce que nous perdons en productivité, et nous perdons productivité parce que nous n'innovons pas suffisamment. Et je redis, avec beaucoup de force, qu'il est indispensable que tous les pays européens, et en particulier les pays de la zone euro, et en particulier l'Allemagne, qui est une des grandes puissances économiques de la zone, réalisent l'impératif absolu qu'il y a à investir massivement dans l'intelligence artificielle pour ne pas dépendre des technologies américaines, investir massivement dans l'industrie verte, dans les énergies renouvelables, dans les éoliennes, dans le nucléaire pour ce qui nous concerne, et investir massivement dans l'éducation, dans la science, dans l'intelligence collective.
LEA SALAME
Vous dites l'Allemagne, ça veut dire que l'Allemagne ne le fait pas assez et nous on le fait suffisamment ?
BRUNO LE MAIRE
Je trouve que la prise de conscience collective n'est pas suffisante…
LEA SALAME
En Allemagne ?
BRUNO LE MAIRE
Il y a un risque de décrochage de l'économie européenne, par rapport à l'économie américaine, pour une raison, qui est la perte de productivité de l'économie européenne, et cette perte de productivité elle tient à un chose, nous n'innovons pas assez.
LEA SALAME
C'est la seule raison Bruno LE MAIRE ?
BRUNO LE MAIRE
Mais c'est la raison principale, nous n'innovons pas assez, nous n'avons pas suffisamment la culture de l'innovation, nous n'avons pas réussi à mettre en place, pour financer ces investissements dans l'innovation, une union des marchés de capitaux, ça va être un des grands combats que je vais livrer dans les trois prochaines années, qu'il y ait une union de marchés de capitaux pour que lorsqu'une entreprise comme MISTRAL, qui fait de l'intelligence artificielle, lève de l'argent, elle puisse lever non pas dix ou 100 millions d'euros, mais des milliards d'euros. Je vous donne juste un chiffre sur l'investissement que vient de réaliser MICROSOFT en termes d'intelligence artificielle, 100 milliards d'euros, aucun pays européen n'est capable de faire ça, toute la zone euro rassemblée n'est pas capable de faire le même montant d'investissement que MICROSOFT, à elle seule, sur l'intelligence artificielle.
LEA SALAME
Donc le nouveau laboratoire de Xavier NIEL et Rodolphe SAADE, il était là la semaine dernière pour nous en parler, Xavier NIEL, c'est picrocholin à côté de… ?
BRUNO LE MAIRE
Mais c'est une formidable initiative, moi je la soutiens…
LEA SALAME
Oui, mais c'est rien… oui, vous la soutenez, mais…
BRUNO LE MAIRE
Totalement, ce n'est pas rien.
LEA SALAME
Oui, mais par rapport au chiffre que vous donnez de MICROSOFT, c'est rien.
BRUNO LE MAIRE
Moi je salue cet état d'esprit, qui est un état d'esprit conquérant, qui a beaucoup de panache, qui est de dire la bataille n'est pas perdue, ils ont raison, nous avons les meilleurs scientifiques, nous avons des bons laboratoires, nous avons des très belles entreprises, nous avons des initiatives comme celles de Rodolphe SAADE et de Xavier NIEL, mais il y a besoin que les Etats, derrière, soutiennent, et qu'ils puissent lever de l'argent, non pas en millions, non pas en centaines de millions, mais en dizaines de milliards.
NICOLAS DEMORAND
On sait que vous n'aimez pas les mauvaises nouvelles, Bruno LE MAIRE, le pessimisme, mais tout de même…
BRUNO LE MAIRE
Ce n'est pas trop mon caractère, effectivement.
LEA SALAME
Oui, mais les nouvelles ne sont pas très bonnes.
NICOLAS DEMORAND
Mais tout de même, voilà, il y a des zones d'inquiétude, l'OCDE a fortement réduit sa prévision de croissance pour la France en 2024, la faisant passer à 0,8% contre 1.2 en septembre, révision sévère, convenez-en, dans ce contexte est-ce que vous maintenez toujours vos prévisions de croissance à 1.4 ?
BRUNO LE MAIRE
D'abord il faut comprendre ; oui, je maintiens mes prévisions de croissance. Nous aurons une croissance positive en 2023, là où on nous avait prédit une récession, et nous aurons une croissance plus élevée en 2024 qu'en 2023. Mais, ce qu'il faut bien comprendre, c'est que…
LEA SALAME
Donc vous restez sur 1.4 ?
BRUNO LE MAIRE
Je reste sur 1.4, et d'ailleurs…
LEA SALAME
Quand l'OCDE, l'OFCE, sont à 0,8 ?
BRUNO LE MAIRE
Oui, mais le FMI par exemple, ou la Commission européenne, ont réévalué leurs prévisions de croissance, donc, vous savez, tout ça n'est pas de la certitude, ce n'est pas de la science, ce sont des évaluations. Mais il faut bien comprendre ce qui s'est passé. Nous sortons d'abord de la crise économique la plus grave depuis 1929, le Covid, nous sortons, en deuxième lieu, de la crise inflationniste la plus grave depuis les années 70, et là où il avait fallu dix ans dans les années 70 pour sortir de la crise inflationniste, nous aurons mis deux ans. Nous sortons de la crise inflationniste, je le confirme, nous serons sous les 4% d'inflation d'ici la fin de l'année 2023, ce qui est un véritable exploit économique, qui est dû aux politiques économiques des Etats de la zone euro…
LEA SALAME
A la fin de cette année donc, à la fin, en décembre là, demain ?
BRUNO LE MAIRE
D'ici la fin 2023 nous serons sous les 4%…
LEA SALAME
On est sur les 4%, parce qu'on est toujours au-dessus.
BRUNO LE MAIRE
D'inflation, donc nous aurons réussi à maîtriser l'inflation en deux ans, c'est effectivement un vrai succès économique collectif. Mais, Nicolas DEMORAND, il y a un prix à payer, c'est vrai, le prix à payer de l'inflation qui disparaît, c'est des taux d'intérêt plus élevés, donc moins de financements pour l'économie, et du coup, effectivement, un ralentissement économique. Mais si on regarde un tout petit peu plus loin, en 2024, 2025, nous aurons beaucoup moins d'inflation, des taux d'intérêt qui seront stabilisés, et donc, j'en suis convaincu, une croissance qui pourra redémarrer.
LEA SALAME
Les prix vont baisser, vous nous le dites là, dans l'alimentaire aussi, Bruno LE MAIRE, parce que les…
BRUNO LE MAIRE
Oui, c'est plus lent.
LEA SALAME
Oui, c'est plus lent, c'est le cas de le dire…
BRUNO LE MAIRE
C'est plus lent dans l'alimentaire, c'est pour ça qu'on a pris un certain nombre de décisions. Quand on annonce qu'on va anticiper les négociations commerciales…
LEA SALAME
Oui, d'accord…
BRUNO LE MAIRE
Que nous multiplions les opérations, ça permet d'avoir des prix qui ralentissent, ce n'est jamais suffisamment rapide, j'en ai conscience…
LEA SALAME
Bah, là, les négociations entre les distributeurs et les industriels, vous avez avancez l'agenda, mais elles sont extrêmement tendues. Vous aviez promis, et ça fait des mois que vous promettez une baisse générale des prix de l'alimentation, mais ça ne suit pas Bruno LE MAIRE, les industriels demandent encore, ce matin, hier, une hausse des tarifs de 4 à 5%. COCA, par exemple, j'en prends un seul, COCA-COLA, veut augmenter ses prix de 7 % l'an prochain, alors qu'ils ont déjà augmenté de 15 à 20% cette année, en fait vos menaces, parce qu'à chaque vous les menacez, vous venez avec le doigt levé en disant…
BRUNO LE MAIRE
Non, Léa SALAME.
LEA SALAME
« Oui, oui, il va falloir baisser », eh bien ils n'écoutent pas.
BRUNO LE MAIRE
Léa SALAME, moi je ne menace personne, mais je prends des engagements et je les tiens, et j'ai dit aux Français que nous maîtriserions l'inflation, je vous confirme que nous serons sous 4% de taux d'inflation en 2023, c'est un vrai succès d'avoir réussi à maîtriser l'inflation qui pénalise les plus modestes, en deux ans, là où il a fallu dix ans dans les années 70. Pourquoi ? parce que nous avons fait des choix responsables, qu'on n'a pas cédé à la facilité de l'augmentation générale des salaires, qu'on n'a pas cédé à la facilité d'un blocage artificiel des prix, les résultats…
LEA SALAME
Oui Bruno LE MAIRE, mais les gens qui font leurs courses ne le sentent pas là, et ça va continuer à augmenter…
BRUNO LE MAIRE
Mais vous avez des produits, prenez le Coca…
LEA SALAME
Les produits alimentaires.
BRUNO LE MAIRE
Prenons le Coca, le Coca c'est plein de sucre, le sucre c'est un des produits, effectivement, dont le prix ne bouge pas, même chose sur les tablettes de chocolat, vous pouvez prendre le chocolat, le prix ne baisse pas, parce que le prix du cacao reste très élevé. Vous avez d'autres produits les huiles, les volailles, d'autres produits alimentaires, dont les prix baissent. Moi je continuerai à livrer ce combat, les résultats sont là, sans doute pas sur tous les produits, mais globalement l'inflation, aujourd'hui, elle est vaincue, et c'est un vrai succès économique.
NICOLAS DEMORAND
Mais selon un sondage ELABE, de septembre, 78% des Français déclarent se serrer la ceinture, 46% ont renoncé au shopping dans les derniers mois. Dominique SCHELCHER, le PDG de SYSTEME U, disait dans " Ouest-France " il y a deux semaines qu'il n'a jamais connu ça, je le cite, " la situation est très tendue pour les 30% de Français les plus modestes, dès le 10 du mois ils renoncent à des produits plaisirs comme le croissant, la pâtisserie, avant c'était plutôt autour du 20 ou du 25 du mois. " La conséquence c'est aussi la vraie montée d'un sentiment de déclassement chez les classes moyennes, que pointe une autre enquête de l'IFOP, ce sentiment de déclassement, est-ce qu'il vous inquiète ?
BRUNO LE MAIRE
Il n'est pas là pour m'inquiéter, nous sommes là pour y apporter des réponses. Le déclassement il tient à une réalité qui est que, avec son boulot, avec son travail, avec son salaire, on peut vivre moins bien aujourd'hui qu'on vivait il y a dix ans et on n'arrive pas à se projeter. C'est bien pour ça que toute notre politique, elle consiste à faire en sorte que chacun puisse trouver un emploi, et à faire en sorte que cet emploi soit mieux rémunéré. C'est le partage de la valeur, c'est l'intéressement, c'est la participation, c'est l'actionnariat salarié, c'est le développement des primes défiscalisées, c'est la défiscalisation des heures supplémentaires, et c'est toute la question que nous avons ouverte aussi sur la question des charges, comment est-ce qu'on peut avoir un salaire net plus élevé et moins éloigné de son salaire brut. Donc, oui, c'est un combat que nous menons, je suis convaincu que le sentiment de déclassement il se combat par le travail et par l'emploi.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 4 décembre 2023