Texte intégral
SALHIA BRAKHLIA
Bonjour Gabriel ATTAL.
GABRIEL ATTAL
Bonjour…
JEROME CHAPUIS
Bonjour.
SALHIA BRAKHLIA
Vous venez d'annoncer un vaste plan pour rehausser le niveau des élèves, on va le détailler avec vous. Mais justement, un mot d'abord sur ce niveau qui est loin d'obtenir les félicitations dans la dernière enquête PISA, des résultats sans précédent, notamment en mathématiques où on parle carrément de chute. Ça fait six ans que vous êtes au pouvoir avec Emmanuel MACRON. Est-ce que c'est la conséquence de votre politique ?
GABRIEL ATTAL
On a fait le choix dans le premier quinquennat d'investir massivement sur l'école primaire parce que c'est là que beaucoup se joue. Les 80% des élèves qui sont en difficulté au collège, au lycée étaient déjà en difficulté en CP. Les élèves qui ont passé PISA, classement qui a été diffusé hier…
SALHIA BRAKHLIA
Ils sont plus âgés ?
GABRIEL ATTAL
Ils ont quinze ans, ils étaient en sixième quand le président de la République a été élu et donc ils n'ont pas bénéficié de ces mesures. Est-ce que ça veut dire pour autant que l'on peut dire que ce n'est pas grave ce classement ? Evidemment non.
JEROME CHAPUIS
Ça veut dire que le prochain classement PISA sera de ce point de vue-là, plus significatif ?
GABRIEL ATTAL
C'est mon souhait, évidemment. Ce qu'on voit, en tout cas dans les évaluations nationales qui sont faites chaque année et qui ont été réalisées encore une fois à la rentrée avec cinq millions d'élèves, c'est que le niveau des élèves qui arrive en sixième progresse. La génération 2017, celle qui a été, qui est entrée en CP quand le président de la République a été élu et qui a bénéficié des mesures de réinvestissement dans l'école primaire avec le dédoublement des classes, la formation continue des enseignants, réinvestissement budgétaire, elle s'en sort mieux que la génération précédente. Il y avait en 2017, quand le président a été élu, un élève sur trois qui avait de grandes difficultés en lecture et en écriture à l'entrée en sixième. On est aujourd'hui à un sur quatre. Ça reste beaucoup trop, mais on voit que ça progresse. Et évidemment, le sens de mon action et du plan que j'ai présenté hier, c'est de poursuivre l'investissement sur l'école primaire, mais aussi d'investir au collège, parce que ce que nous montre le classement PISA, c'est qu'on a une vraie zone de fragilité dans l'organisation du collège. On a un niveau en mathématiques qui chute très fortement et moi, ce qui me frappe aussi, c'est que nos meilleurs élèves baissent dans ce classement PISA.
SALHIA BRAKLIA
Justement, les mathématiques ?
JEROME CHAPUIS
Les mathématiques, concrètement, vous appelez à un sursaut ? Vous dites qu'il faut des groupes de niveau ? Vous allez donc en créer l'an prochain pour la sixième et la cinquième, ça va s'organiser comment ? Qu'est-ce qu'on va faire dans ces groupes ?
GABRIEL ATTAL
Très concrètement, les élèves en début d'année passeront un test de positionnement et en fonction de leur niveau, leur niveau de difficulté vis-à-vis de la matière, ils seront répartis dans des groupes de niveau. Si vous avez beaucoup de difficultés et que vous êtes donc dans le groupe des élèves les plus en difficulté, le nombre d'élèves sera réduit dans le groupe. L'idée, c'est qu'il y ait une quinzaine d'élèves maximum pour que les enseignants puissent les faire davantage progresser. Et donc l'idée, c'est que ces groupes puissent s'adapter au niveau de chacun pour faire progresser tout le monde. Parce que moi, ce que me disent beaucoup d'enseignants sur le terrain, c'est quand vous avez une classe avec une partie des élèves qui ne sait pas compter et une partie des élèves qui sont très bons en mathématiques, vous n'arrivez plus à faire progresser tout le monde.
JEROME CHAPUIS
On a entendu l'inverse ce matin sur France Info. Des professeurs qui disent : « L'hétérogénéité, c'est-à-dire, les bons élèves, ça tire vers le haut ceux qui sont moins bons ».
GABRIEL ATTAL
Mais c'est pour ça qu'on gardera des classes hétérogènes. Vous aurez des groupes classe pour les autres matières que le français et les mathématiques dans lesquelles il y aura des élèves de niveaux différents.
SALHIA BRAKLIA
Mais pour ces deux matières qui sont fondamentales, monsieur le ministre, ça ne risque pas justement de creuser l'écart et de créer au contraire un enseignement à deux vitesses ?
GABRIEL ATTAL
Mais au contraire, Salhia BRAKLIA, dans une organisation où vous avez une telle différence de niveau entre les élèves, à la fin, vous n'arrivez plus à faire progresser tout le monde. Et c'est ce que montre le classement PISA. On voit que nos meilleurs élèves régressent. La part des meilleurs élèves en mathématiques, c'était 12%, ça passe à 7%, précisément parce que parfois, ces élèves sont dans des classes où ils n'ont pas la possibilité de progresser, de s'envoler parce qu'il y a une vraie hétérogénéité niveau. Et pour les élèves les plus en difficulté, eux aussi, leur nombre progresse.
JEROME CHAPUIS
Les bons élèves, ils s'envolent ?
GABRIEL ATTAL
Parce que parfois, ils sont dans des classes où on n'a pas suffisamment de temps à leur consacrer à eux pour les faire progresser. L'objectif, c'est de faire progresser tout le monde et de relancer l'ascenseur scolaire. Il y a des pays qui ont des groupes de niveau et qui s'en sortent bien : la Suisse, la Suède, le Danemark.
SALHIA BRAKLIA
Mais on s'organise comment, concrètement ? C'est un seul prof qui va gérer deux groupes différents ? Ou alors c'est plus de profs ?
GABRIEL ATTAL
Alors, on va devoir recruter, on va recruter des enseignants en français, en mathématiques précisément pour pouvoir réduire le nombre d'élèves par classe, notamment dans le groupe des élèves les plus en difficulté. Et c'est cette organisation qui va ce qui va s'appliquer. Je veux insister sur un point, c'est qu'évidemment ces groupes, ils seront flexibles : si en cours d'année, un élève voit son niveau s'améliorer nettement et c'est l'objectif.
SALHIA BRAKLIA
Il peut basculer dans le…
GABRIEL ATTAL
Il pourra évidemment passer dans un groupe qui est plus adapté à son niveau et inversement d'ailleurs. Si on voit qu'un élève a un niveau qui se dégrade fortement, il pourra passer dans un autre groupe. L'objectif, c'est de faire progresser tout le monde et faire du sur mesure.
JEROME CHAPUIS
Et vous avez entendu cette critique ? La peur de la stigmatisation, c'est-à-dire que vous mettez à la place des ados, ils sont tous pareils. Ils vont dire : « Ah voilà, je suis dans le groupe un, le groupe des nuls ». Qu'est-ce que vous répondez à ça ?
GABRIEL ATTAL
J'ai entendu cette critique, mais c'est quoi la situation aujourd'hui ?
SALHIA BRAKLIA
Mais c'est un problème dans la confiance en soi. Ça crée ça aussi…
GABRIEL ATTAL
Un élève qui est très en difficulté aujourd'hui, qui est dans une classe avec des élèves qui le sont moins ou qui ne le sont pas, vous ne croyez pas qu'il se sent stigmatisé ? En général, il n'ose même pas poser de questions en cours, précisément parce qu'il est le plus en difficulté. Un élève qui chaque année est en échec scolaire a les moins bonnes notes. Les élèves, ils se partagent leurs notes entre eux. Vous croyez qu'ils ne sont pas stigmatisés ? Au contraire, il sera dans un groupe avec des élèves qui, comme lui, ont des difficultés et on lui dira que ce n'est pas grave, mais que l'important c'est de travailler et on lui expliquera comment progresser, c'est ça l'objectif. Et encore une fois, des pays qui le font montrent qu'ils arrivent à avoir des meilleurs résultats que nous, l'OCDE, PISA, monsieur SCHLEICHER, qui est le père de PISA avec qui j'ai beaucoup travaillé, lui-même, recommande cette pratique des groupes de niveau dès lors que ce n'est pas des classes de niveau, mais des groupes de niveau en français, en mathématiques en l'occurrence.
JEROME CHAPUIS
Combien d'heures par semaine d'ailleurs ?
GABRIEL ATTAL
Alors le français, les mathématiques, c'est un tiers de l'emploi du temps d'un élève au collège.
JEROME CHAPUIS
Non mais pour ces groupes de niveau, il y a combien d'heures ?
GABRIEL ATTAL
Sur l'ensemble.
JEROME CHAPUIS
Sur l'ensemble…
GABRIEL ATTAL
Sur l'ensemble de l'enseignement des mathématiques et du français, donc c'est un tiers de l'emploi du temps.
SALHIA BRAKLIA
Vous vous dites : « Il va falloir recruter des profs pour assurer ces groupes de niveau ». Les derniers chiffres au concours de 2022, 1 035 postes offerts au concours, 558 admis, la note nécessaire pour être admis…
JEROME CHAPUIS
Pour les profs de maths ?
SAHLIA BRAKLIA
Oui, pour les profs de maths, la note nécessaire pour être admis, c'est 5,13 sur 20, là aussi, on n'a pas un problème de niveau chez les profs carrément ?
GABRIEL ATTAL
Alors, on a, il y un enjeu d'attractivité du métier d'enseignant qui ne concerne pas que la France. J'ai été, il y a quelques jours, en Allemagne, j'en ai échangé avec ma collègue allemande. Ils estiment qu'il leur manquera des dizaines de milliers d'enseignants dans les années qui viennent. Au Québec, il manque 5 000 profs. Aux États-Unis, certains États ont commencé à réduire la taille des programmes par manque de profs…
SALHIA BRAKLIA
C'est spécifique aux maths ça ?
GABRIEL ATTAL
Comment ? Non, pas du tout, pas du tout. Et d'ailleurs, les mathématiques, ce n'est pas le concours pour lequel on a le plus de mal à recruter.
SALHIA BRAKLIA
Oui, mais ça veut dire que pour recruter, en fait, on recrute moins bien ? On baisse le niveau aussi ?
GABRIEL ATTAL
Non. On est en train d'agir pour renforcer l'attractivité du métier. Pour moi, il y a trois sujets : premier sujet, c'est évidemment la rémunération et je rappelle qu'on a permis la plus grande revalorisation pour les enseignants depuis vingt ou trente ans. Alors, beaucoup vous disent : « Ce n'est pas suffisant », je l'entends parfaitement, mais en tout cas, il n'y a pas eu d'équivalent depuis le début des années 1990. Un enseignant, en début de carrière, il y a trois ans, il gagnait 1 700 euros nets par mois, un néo titulaire, aujourd'hui, il est à 2 100 euros nets par mois, 2 500 euros nets s'il est dans un établissement d'éducation prioritaire, ça fait 400 euros de plus qu'il y a trois ans. Donc on a eu un investissement massif pour la rémunération, notamment en début de carrière, pour renforcer l'attractivité. Mais ce n'est pas le seul sujet. La formation initiale des enseignants, la manière dont la formation est organisée aujourd'hui avec un concours à bac plus cinq qui épuise des étudiants qui ont une année de M2 très difficile avec les cours, la préparation du mémoire, la préparation du concours, l'alternance est aujourd'hui un frein à l'attractivité. Donc, je vais la réformer, je présenterai des mesures pour réformer la formation initiale des enseignants dans le début de l'année 2024. Et enfin, troisième point, les conditions d'exercice, beaucoup de difficultés au quotidien sur lesquelles je travaille, j'échange avec les organisations syndicales. Donc oui, un enjeu sur l'attractivité du métier d'enseignant, on n'est pas les seuls à l'avoir mais on travaille et on prend des mesures pour y répondre.
JEROME CHAPUIS
Gabriel ATTAL, vous êtes avec nous jusqu'à 9h sur France Info. On vous retrouve dans une minute juste après le Fil Info, 8h40 Maureen SUIGNARD.
(…)
JEROME CHAPUIS
Toujours avec le ministre de l'Education, Gabriel ATTAL. Il faut que vous nous en disiez plus sur une autre annonce que vous avez faite hier, toujours à propos de l'enseignement des maths, vous nous annoncez une nouvelle épreuve du Bac en mathématiques et culture scientifique, en Première, à partir de l'année scolaire 2025/2026. Elle va consister en quoi cette épreuve ?
GABRIEL ATTAL
Il faut un sursaut mathématique en France. Parce qu'une grande Nation, c'est un Nation mathématique, et on voit dans ce classement PISA, que le niveau en mathématiques a très fortement baissé pour nos élèves. Et c'est un enjeu majeur…
SALHIA BRAKHLIA
Mais c'est votre gouvernement qui a rendu facultative…
JEROME CHAPUIS
Oui, c'est Jean-Michel BLANQUER.
GABRIEL ATTAL
Alors, j'y viens, mais si on veut que notre pays puisse garder sa souveraineté, son indépendance, notamment en matière technologique, numérique, et qu'on veut des bons ingénieurs, formés en France, qui restent en France, il faut un sursaut mathématique. Donc j'ai annoncé une série de mesures très fortes : à l'école primaire, l'adoption de la méthode de Singapour, les groupes de niveaux au collège en maths, pour faire progresser tout le monde. Et effectivement, depuis cette année, on a le retour d'une heure et demie de mathématiques pour tous les élèves de Première, qui avaient, c'est vrai, été supprimés dans la précédente réforme du lycée, on les a fait revenir pour tous les élèves depuis cette année, et j'ai annoncé que, à partir de l'année scolaire 2025/2026, il y aura désormais une épreuve anticipée de maths en fin de Première, comme vous avez le Bac français aujourd'hui.
JEROME CHAPUIS
Mais on ne voit pas bien en quoi une épreuve anticipée de mathématiques en Première, c'est de nature à améliorer le niveau des élèves.
GABRIEL ATTAL
Eh bien, d'abord, ça rehausse le niveau d'exigence en amont, parce que quand vous êtes un élève, vous devez préparer, vous voulez avoir votre Bac, vous préparez votre Bac, vous savez que vous avez une épreuve de maths, vous allez davantage travailler les maths. Ça, c'est quand même quelque chose de factuel. Ensuite, il y a pour moi un élément que j'assume être aussi très fortement symbolique. Pourquoi est-ce que tous les élèves ont une épreuve de français en fin de première ? Parce qu'on considère que la maîtrise du français, à juste titre, c'est central dans notre culture commune. Mais pour moi, notre culture commune, elle est aussi scientifique, et donc c'est très important qu'il y ait cette épreuve désormais mathématiques, culture scientifique, en fin de Première, pour tous les élèves.
JEROME CHAPUIS
Et il y en aura une aussi en Terminale ?
GABRIEL ATTAL
Alors, vous en avez une en Terminale si vous choisissez la spécialité maths, de la même manière que si vous ne choisissez pas la spécialité littérature, vous n'avez pas d'épreuve de français en Terminale, vous n'avez pas de philo par contre.
JEROME CHAPUIS
Et vous n'avez pas de ... sur le contenu de cette épreuve, pour l'instant évidemment, c'est un travail…
GABRIEL ATTAL
Eh bien, précisément, si on prévoit...
JEROME CHAPUIS
C'est un oral, c'est un écrit ?
GABRIEL ATTAL
... une entrée en vigueur à la rentrée 2025/2026, c'est pour travailler avec les enseignants de mathématiques à cette épreuve. Ça sera une épreuve écrite. Et mon souhait, c'est évidemment qu'il puisse y avoir deux sujets d'épreuves, selon que vous avez choisi l'enseignement spécialité maths ou pas.
SALHIA BRAKHLIA
Gabriel ATTAL, pour vous, le redoublement ne doit pas être un tabou. Et sur le sujet, vous voulez laisser la décision aux enseignants désormais, mais eux font face aux parents. Comment ça se passe s'il y a désaccord ?
GABRIEL ATTAL
Aujourd'hui, quand il y a un désaccord, le dernier mot est pour les parents. C'est les parents qui décident si leur enfant redouble ou pas. Demain, puisque je vais changer le code de l'éducation, je prendrai un décret en début d'année, ce sera le dernier mot à l'équipe pédagogique. Et je vais vous dire, là aussi, il y a une dimension symbolique qui me semble importante. Il n'y a personne d'autre qu'un enseignant qui connaît mieux le niveau d'un élève, et ce qui est bon pour lui, pour le faire réussir. Et ça a une conséquence aussi très importante en termes pratiques, c'est que ça doit permettre de faire réussir nos élèves, notamment dans les petites classes. Je vous le disais tout à l'heure, la plupart des élèves qui sont en échec scolaire au collège, au lycée, ils étaient déjà en difficulté en classe de CP et en fin de…
SALHIA BRAKHLIA
Sauf que vous connaissez, Gabriel ATTAL, les critiques sur le redoublement, ça coûte déjà très cher à l'Etat, ensuite on a constaté son inefficacité pédagogique, et en plus, là encore pour le développement de l'estime de soi, ce n'est pas top non plus.
GABRIEL ATTAL
D'abord, il y a toujours des critiques quand vous prenez des décisions, et notamment quand vous êtes ministre de l'Education, il y a toujours des critiques. Je reprends les trois points que vous venez d'évoquer. Sur le premier, sur le coût. Je n'accepte pas cet argument. Parce que ça veut dire quoi ? Ça veut dire que ça coûte moins cher d'avoir des élèves en échec scolaire que de les faire redoubler. C'est ça qui est derrière. Excusez-moi, mais nous, ce qu'on souhaite, c'est ne pas avoir d'élèves en échec scolaire. Réduire au maximum l'échec scolaire.
SALHIA BRAKHLIA
Mais ça marche ou pas le redoublement ? Parce que ça marche l'année du redoublement, mais après ?
GABRIEL ATTAL
C'est votre deuxième question. Est-ce que ça marche ? Vous avez des études scientifiques, des chercheurs, je pense notamment à monsieur DRAELANTS, de l'Université de Louvain, qui a fait une étude en 2019, qui est un des spécialistes du monde francophone sur le redoublement, qui dit que dans certaines conditions, notamment quand c'est fait dans les petites classes, il y a évidemment une utilité. Et moi je le dis, il vaut mieux réussir son école primaire en 6 ans, qu'en sortir en 5 ans avec des lacunes qu'on n'arrive ensuite pas à rattraper. Et troisième point sur l'estime de soi, ça rejoint un peu ce que je disais tout à l'heure, personne n'a l'air de se préoccuper de l'estime de soi d'un élève qui sort de son CP avec des graves lacunes et qui enchaîne ensuite 11 ans d'échec scolaire. Qu'on laisse glisser d'une année à l'autre, à chaque fois en difficulté, en retard par rapport aux autres élèves, à chaque fois en échec scolaire jusqu'au moment où il décroche. Qui parle de l'estime de soi de ces élèves-là ? L'objectif, précisément, c'est de réduire ces situations-là, en prenant des mesures dès le plus jeune âge et notamment le redoublement. Il y a un certain nombre d'années, on avait en France une pratique du redoublement plus importante.
SALHIA BRAKHLIA
Ce n'était pas la doctrine, oui.
GABRIEL ATTAL
Effectivement, il y a eu un changement de doctrine. J'assume de prendre cette décision, qui pour moi est bonne pour nos élèves.
JEROME CHAPUIS
Gabriel ATTAL, dès l'année prochaine, l'obtention du brevet sera nécessaire pour passer au lycée. Est-ce que vous avez une idée du nombre d'élèves qui pourraient, à l'été 2025, être concernés par l'échec au brevet des collèges ?
GABRIEL ATTAL
Aujourd'hui, il y a 11, 12 % d'élèves qui n'ont pas leur brevet et aujourd'hui, ils passent tous au lycée, quand bien même ils n'ont pas leur brevet. Pardon, mais moi je considère qu'un examen qui a du sens, c'est un examen qui a des conséquences. A quoi ça sert d'avoir un brevet qui est censé valider le fait que vous avez les acquis qui sont nécessaires à la sortie du collège, si même si vous ne les avez pas, vous passez au lycée dans les mêmes conditions ?
JEROME CHAPUIS
Donc ça devient l'examen d'entrée au lycée.
GABRIEL ATTAL
Oui, je souhaite faire du brevet, un examen d'entrée au lycée.
JEROME CHAPUIS
Au lycée général comme au lycée technologique ?
GABRIEL ATTAL
Comme au lycée technologique et comme au lycée professionnel. Bien sûr.
JEROME CHAPUIS
Ceux qui ne l'ont pas, ils vont redoubler. Alors hier, vous avez dit que ce serait dans des classes prépa lycée. Là encore, ça va consister en quoi ces classes ?
GABRIEL ATTAL
Eh bien ça ne sera pas un, on va dire, un redoublement sec, ils ne refont pas leur année de troisième dans les mêmes conditions qu'ils l'ont faite l'année. Ça sera effectivement un nouveau dispositif qu'on va construire, qui s'appelle les prépas lycées.
JEROME CHAPUIS
Ils seront tous ensemble ?
GABRIEL ATTAL
Oui, ils seront tous ensemble, pour les faire progresser. Et il y aura notamment une remédiation scolaire très forte sur les savoirs fondamentaux français, mathématiques, mais qui s'adaptera aussi aux difficultés et aux lacunes qu'ils ont en sortant du collège sur les différentes matières.
SALHIA BRAKHLIA
Mais là aussi, c'est des profs supplémentaires, puisque ce n'est pas des troisièmes classiques.
GABRIEL ATTAL
Alors, sur cette mesure-là, en tant que telle, pas nécessairement, puisque ce sont des élèves qui aujourd'hui passent au lycée. Et donc vous avez des enseignants au lycée aujourd'hui qui sont chargés de les accueillir quand ils sont au lycée. Donc il y aura des créations de postes, évidemment, mais c'est moins un sujet que sur les groupes de niveaux.
JEROME CHAPUIS
Il y a un point très important, parce qu'hier, vous avez parlé du correctif académique. Alors, c'est un peu technique, mais en gros c'est le gonflement des notes, non seulement pour le brevet, mais aussi pour le Bac. Et alors sur le Bac, ça veut dire que mécaniquement, vous êtes presque que le taux de réussite baisse ?
GABRIEL ATTAL
Eh bien oui, parce que c'est quoi le correctif académique qui existe chaque année ? Ça veut dire que vous avez des élèves qui ont leurs notes de contrôle continu, qui passent les épreuves. Ils ont des notes à leurs épreuves, qui sont délivrées par des enseignants qui ont évalué la qualité de leurs copies. Et derrière, vous avez ce qu'on appelle un correctif académique. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire le ministère qui arrive et qui dit : « Vous rehausser toutes les notes de deux points ou trois points, parce qu'on veut améliorer le taux de réussite au Bac ». Encore une fois, je reviens sur « c'est quoi un examen qui a du sens » ? Un examen qui a du sens, c'est un examen qui reflète le niveau réel de nos élèves.
JEROME CHAPUIS
Le Bac aujourd'hui n'a plus de sens ?
GABRIEL ATTAL
Ce n'est pas ce que je dis. Ce que je dis, c'est que…
JEROME CHAPUIS
91 % de taux de réussite au dernier Bac. L'objectif qui était fixé par Jean-Pierre CHEVENEMENT, on s'en souvient, en 1985, 80 % d'une classe d'âge au Bac. Vous pensez qu'on est allé trop loin ?
GABRIEL ATTAL
Non, moi, ce que je dis, c'est que je souhaite que les résultats à nos examens reflètent la réalité du niveau de nos élèves. Et c'est aussi la reconnaissance du travail et du mérite des élèves qui se donnent toute l'année pour réussir leur baccalauréat ou leur brevet. Donc j'assume dès cette année de supprimer le correctif académique, et pour répondre très concrètement…
JEROME CHAPUIS
Dès cette année, dès 2024.
GABRIEL ATTAL
Oui, et pour répondre très concrètement à votre question, j'assume effectivement qu'on aura probablement un taux de réussite au brevet et au Bac, qui diminuera par rapport aux années précédentes. Mais en réalité, pourquoi ? Parce qu'il se rapprochera de la réalité du niveau de nos élèves. Moi, je suis pour une école de la sincérité. On arrête…
JEROME CHAPUIS
Ça veut dire…
GABRIEL ATTAL
On arrête l'hypocrisie et on arrête de faire croire à des familles que leur élève peut passer dans la classe supérieure, leur enfant peut passer dans la classe supérieure et réussir, alors que ce n'est pas le cas. On arrête de faire croire à des élèves qu'ils ont le niveau pour avoir leur brevet, alors que ce n'est pas le cas, ou leur Bac…
SALHIA BRAKHLIA
Mais sur le brevet, juste, Gabriel ATTAL, juste sur le brevet, ajouter un échelon, ou du moins un échelon de sélection, vous entendez les critiques, notamment à gauche, qui disent : quand on ajoute la sélection à nouveau, eh bien, c'est surtout les classes populaires, les enfants des classes populaires qui ont du mal à suivre, qui vont devoir se retrouver plus vite sur le marché du travail.
GABRIEL ATTAL
Mais enfin, c'est terrible comme phrase. Ça veut dire quoi ? C'est-à-dire qu'aujourd'hui, quand vous êtes un enfant de classes populaires, vous ne pouvez pas réussir votre brevet ? Vous ne pouvez pas réussir à l'école ? Heureusement qu'on a de très beaux exemples d'élèves qui réussissent. Et surtout, ça veut dire quoi ? Ça veut dire que nous, on a une responsabilité de les faire encore mieux réussir. C'est pour ça que je fais les groupes de niveaux, c'est pour ça qu'on renforce…
SALHIA BRAKHLIA
Il faut tout faire pour qu'ils ne soient pas largués.
GABRIEL ATTAL
Mais attendez, c'est pour ça qu'on renforce les moyens comme jamais dans les écoles, les établissements dits d'éducation populaire, précisément là où il y a des élèves qui viennent des milieux sociaux les plus difficiles. Depuis 2017, on aura doublé le budget de l'éducation populaire. C'est dans ces établissements qu'on dédouble les classes en école primaire, justement pour que ces enfants, qui effectivement ont peut-être moins d'accompagnement scolaire à la maison, puissent être mieux accompagnés à l'école, avec davantage d'enseignants…
SALHIA BRAKHLIA
C'est ce que révèle aussi le classement PISA, la différence entre les…
GABRIEL ATTAL
Ce qui est certain, c'est qu'on a en France un système scolaire qui reproduit beaucoup trop les inégalités sociales. Et les inégalités sociales se muent beaucoup trop en inégalités scolaires. Mais pour moi, la réponse à ça, c'est précisément de sortir d'une forme d'uniformisation et d'accompagner chacun selon ses besoins.
JEROME CHAPUIS
C'est la fin du collège unique ?
GABRIEL ATTAL
C'est la fin du collège uniforme, en tout cas. On garde un collège unique, mais le collège uniforme, c'est-à-dire celui qui ne tient pas compte de l'hétérogénéité du niveau, du fait que vous avez des élèves qui ont totalement le niveau, d'autres qui arrivent avec beaucoup de lacunes au collège, ça doit permettre de faire progresser tout le monde. Aujourd'hui, on le voit et encore une fois des enseignants me le disent sur le terrain, ils ne sont peut-être pas tous d'accord, enfin beaucoup d'enseignants me le disent sur le terrain, avec l'organisation actuelle, vous avez des élèves qui sont condamnés à stagner et d'autres qu'on empêche de s'envoler. Moi, ce que je souhaite, c'est que tout le monde puisse progresser. Relancer l'ascenseur scolaire, c'est le sens de ces mesures.
JEROME CHAPUIS
Gabriel ATTAL, ministre de l'Education, avec nous jusqu'à 09h00 sur France Info. On vous retrouve juste après le fil info. 08h52 Maureen SUIGNARD.
(…)
JEROME CHAPUIS
Et Gabriel ATTAL, le ministre de l'Éducation. Concernant l'usage des écrans à la maison, nous sommes proches d'une catastrophe sanitaire et éducative. C'est ce que vous avez dit récemment, Gabriel ATTAL. Pourquoi ne pas en avoir parlé hier ?
GABRIEL ATTAL
Parce que j'en parle très régulièrement. Hier, c'était vraiment l'annonce de mesures pour élever le niveau à l'école. Mais ce qui est certain, c'est que, notamment pour les tout-petits, j'ai une vraie préoccupation et on a une vraie préoccupation.
JEROME CHAPUIS
Les écrans, ils sont très présents à l'école.
GABRIEL ATTAL
Oui. Je pense que l'important, c'est qu'ils le soient toujours au service de la pédagogie et de l'élévation du niveau. Pour être plus clair, un écran qui ne sert « qu'à lire un texte » ou qui ne fait que remplacer un manuel, effectivement, non seulement il y a peu d'intérêt, mais en plus vous avez maintenant des études scientifiques assez sérieuses qui montrent que le niveau de mémorisation de ce que vous lisez sur un écran est beaucoup moins fort que ce que vous lisez sur du papier. Par contre, vous pouvez avoir des écrans qui sont utilisés avec des outils numériques qui sont très utiles pour élever le niveau.
SALHIA BRAKHLIA
Donc il ne faut pas oublier les livres. C'est ce que vous dites ce matin ?
GABRIEL ATTAL
Bien sûr, au contraire. Et moi, ce qui me frappe, c'est qu'il y a une récente étude qui a montré qu'un enfant de moins de six ans passe en moyenne 830 heures devant un écran sur l'année. Vous savez combien de temps il passe à l'école sur l'année ? 860 heures. Ça veut dire qu'il passe quasiment autant de temps dans son année devant un écran qu'à l'école.
JEROME CHAPUIS
Et les profs, est-ce qu'ils ne donnent pas trop de devoirs sur les interfaces par smartphone ?
GABRIEL ATTAL
Alors maintenant, effectivement, on a beaucoup d'interfaces avec notamment Pronote et des logiciels pour faire le lien entre les enseignants et les élèves. Mais encore une fois, je ne suis pas « technophobe ». Je ne suis pas là à dire « il ne faut pas numérique du tout. » il faut du numérique quand c'est utile.
JEROME CHAPUIS
Oui, mais quand un enfant demande un smartphone à ses parents, il y a le risque qu'il fasse autre chose que ses devoirs.
GABRIEL ATTAL
Absolument, c'est vrai. Mais en tout cas, encore une fois, on a des outils numériques qui sont utiles et qui ont fait leur preuve. Je donne un exemple sur l'apprentissage de l'anglais et notamment pour la fin du primaire, on a un outil qui s'appelle le Captain Kelly, via l'intelligence artificielle, qui a montré une vraie efficacité pour élever le niveau en anglais de nos élèves. Ça c'est utile. Mais encore une fois, un écran où juste on vous fait lire des textes sur l'écran, je pense que c'est néfaste. C'est néfaste parce qu'il y a des études, encore une fois, qui montrent l'impact de la lumière de l'écran sur le sommeil et donc sur l'attention, la concentration. Ce n'est pas utile en terme pédagogique et c'est ça qu'on doit être arrivé à faire. Moi, je suis conscient qu'on doit continuer à clarifier les choses à l'école sur la question.
SALHIA BRAKHLIA
Donc vous alertez les parents, là, sur la question.
GABRIEL ATTAL
Oui, et on a aussi une responsabilité, notamment pour les plus petits. Moi, je souhaite qu'il puisse y avoir le plus possible et je sais que des écoles ont commencé à le faire, des réunions le soir qui sont proposées aux familles dans l'école primaire de leurs enfants pour leur expliquer l'impact des écrans sur les enfants et pour leur proposer des alternatives. Il y a des alternatives. Vous avez des livres d'éveil à la lecture qu'on peut tout à fait prêter à des familles. Il y a aussi des offres audio. Et d'ailleurs, RADIO FRANCE a une offre... je ne fais pas la pub parce que je suis chez vous.
SALHIA BRAKHLIA
C'est vrai, en podcast.
GABRIEL ATTAL
Non mais RADIO FRANCE a une offre de podcast éducatif que je recommande à tous les auditeurs qui ont des enfants, notamment en bas âge. C'est très bien fait. Vous rentrez à l'âge de votre enfant et on vous offre la possibilité d'avoir gratuitement des podcasts éducatifs. Et on sait que l'écoute stimule aussi beaucoup l'activité cérébrale et donc la créativité de nos enfants.
JEROME CHAPUIS
Ensuite, on ne vous a rien demandé.
SALHIA BRAKHLIA
Gabriel ATTAL, vous avez commencé l'année scolaire en parlant des vêtements des élèves. Vous avez annoncé une expérimentation à grande échelle de l'uniforme, de la tenue unique. Qu'est-ce que vous pouvez nous dire dessus ce matin ?
GABRIEL ATTAL
Moi, comme beaucoup de Français, je suis partagé sur la question de l'uniforme. En tout cas, je me pose la question. Je ne suis pas encore convaincu que ce soit une solution qui permettrait de tout régler et je ne suis pas non plus convaincu, comme certains, qu'il ne faut absolument pas en parler et l'essayer. Et donc, comme beaucoup de Français, je pense que je serais intéressé de voir ce qu'une expérimentation à grande ampleur donnerait comme résultats en matière de climat scolaire et en matière d'élévation du niveau de nos élèves.
SALHIA BRAKHLIA
Mais une expérimentation, ça veut dire donc acheter la tenue en question ? L'uniforme ou la tenue unique…
GABRIEL ATTAL
Donc, ce que je vais faire…
SALHIA BRAKHLIA
Est-ce que ça va être aux parents de le payer ?
GABRIEL ATTAL
Ce que je vais faire, c'est que je vais prendre la peine de l'annoncer très prochainement, ici, les faits, une expérimentation d'ampleur avec un certain nombre d'établissements dans des collectivités locales différentes qui expérimenterons l'uniforme dans notre pays à grande échelle.
JEROME CHAPUIS
À quel âge ?
GABRIEL ATTAL
Ça, ce sera… Ça fera partie de mes annonces, mais moi je souhaite…
SALHIA BRAKLIA
Mais est-ce que les parents vont devoir payer ? C'est la question que tout le monde se posent, là, en vous écoutant ce matin.
GABRIEL ATTAL
Je travaille avec les collectivités locales concernées pour que l'expérimentation puisse se faire sans reste à charge pour les familles qui sont concernées. Parce qu'encore une fois, on teste la solution, les familles n'auront peut-être pas… Le choix d'utiliser l'uniforme, donc c'est normal qu'il n'y ait pas de reste à charge pour cette expérimentation. L'idée c'est de tester et de voir si ça marche. Est-ce que ça a un impact sur l'autorité à l'école ? Sur le harcèlement scolaire ? Sur les questions de laïcité ? Sur globalement les questions de climat scolaire ? Est-ce qu'on constate une amélioration de la performance et du niveau de nos élèves ? Moi, je souhaite qu'il y ait un vrai suivi et on est en train de mettre ça en place. Il y aura un vrai suivi de recherche pour mesurer l'efficacité et si on voit que c'est efficace, à ce moment-là, on pourra avoir un vrai débat sur la généralisation de l'uniforme en France, mais au moins, ça se fera sur une base scientifique, avec une vraie expérimentation de grande ampleur qui aura été réalisée.
JEROME CHAPUIS
Donc, des précisions très prochainement sur l'uniforme à l'école et cette expérimentation à grande échelle que vous nous annoncez ce matin, Gabriel ATTAL. Merci beaucoup d'avoir été notre invité sur France Info.
GABRIEL ATTAL
Merci.
JEROME CHAPUIS
Je vous dis à demain et je vous laisse en compagnie de Salhia BRAKHLIA, dans cinq minutes Les Informés, Salhia BRAKHLIA.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 7 décembre 2023