Texte intégral
Madame la Présidente,
Messieurs les Rapporteurs,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Dans notre pays, dans notre société toute entière, et depuis un certain nombre d'années - pour ne pas dire de décennies -, l'immigration est un sujet qui cristallise les tensions. Les débats qui se tiennent régulièrement dans cette Assemblée, jusqu'à celui qui nous réunit aujourd'hui, en sont évidemment l'une des expressions.
Depuis 2017 et sous l'impulsion du Président de la République, les gouvernements successifs ont fait en sorte de prendre en la matière des positions équilibrées. Le projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, actuellement à votre étude, en est un parfait exemple. Il vise à nous permettre à la fois de mieux expulser les individus qui n'ont pas vocation à rester sur notre territoire, et à mieux intégrer ceux qui ont vocation à y rester. Le ministre de l'Intérieur a d'ailleurs résumé le projet de la façon suivante : "simplification, intégration, fermeté".
Mais il est un autre sujet, Mesdames et Messieurs les Députés, qui en France attise les passions. Il s'agit de la relation forte - et c'est le fruit de notre histoire - que nous entretenons avec l'Algérie. C'est le cas d'ailleurs, aujourd'hui, dans notre hémicycle, où l'accord de 1968 est remis en question et montré du doigt par certains comme la source de tous les maux liés à l'immigration en France. Ce débat m'amène aujourd'hui devant vous, au sein de cette assemblée, pour vous répondre.
Mesdames et Messieurs les Députés qui appelez à dénoncer cet accord, vous prétendez qu'il s'agirait là d'un moyen de mettre fin à un "droit automatique à l'immigration" et à une "immigration de masse". Or, on ne peut décemment affirmer que mettre fin à l'accord de 1968, c'est arrêter l'immigration. L'équation, Mesdames et Messieurs les Députés, ne saurait être si simple. Ceux qui présentent cette équation comme telle, à des fins idéologiques, politiques, électoralistes, cherchent en fait à faire adhérer notre société à un leurre. Il y a dans cette équation de nombreux facteurs à prendre en compte, de nombreux faits et de nombreux chiffres à manier avec prudence. Pourquoi ? Essentiellement parce que cet accord ne donne pas - je vous cite - un "droit automatique à l'immigration". Cet accord n'est pas la porte ouverte - je cite encore une fois vos mots - à "une immigration de masse". Pourquoi ? Il n'y a pas de droit automatique au visa ni de court séjour, ni de long séjour pour les Algériens. C'est une réalité. Dénoncer cet accord ne réglerait donc en aucun cas la question de l'immigration illégale à laquelle notre pays et une grande partie des pays européens font face, cette immigration illégale que nous combattons.
Le Gouvernement s'oppose donc à la dénonciation de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 et défend au contraire la nécessité de l'ajuster à la fois à la réalité de notre relation avec l'Algérie et à nos objectifs en matière d'immigration. En premier lieu, je voudrais vous assurer que dénoncer cet accord ne réduirait pas l'immigration légale en provenance d'Algérie. Dans l'hypothèse d'une dénonciation, les Algériens seraient simplement soumis aux dispositions du droit commun des étrangers. Si dans certains cas le droit commun est plus restrictif que l'accord de 1968, il peut dans d'autres cas être plus libéral. Admettons que l'accord soit dénoncé. Les demandes de visa déposées seraient tout simplement examinées selon de nouveaux critères, c'est tout. Aucun argument sérieux ne permet d'affirmer que le volume des titres de séjour diminuerait automatiquement. J'ajoute qu'il est illusoire de penser que c'est l'existence de cet accord qui pousse les migrants algériens à faire le choix de la France. La dénonciation de cet accord n'aurait donc aucune incidence sur les migrations irrégulières.
Ensuite, n'écartons aucun élément de l'équation et n'oublions pas que la dénonciation de l'accord nous exposerait à une réaction des autorités algériennes, qui aurait de sérieuses conséquences et pourrait conduire à geler notre dialogue migratoire. Or, la fin de notre dialogue migratoire, ce serait la fin de la délivrance des laissez-passer consulaires par les consulats algériens en France, et donc la fin de la possibilité pour la France de faire réadmettre les ressortissants algériens en séjour irrégulier. La fin des laissez-passer consulaires, cela veut dire aussi qu'il faudrait envisager une sortie en masse des ressortissants algériens se trouvant dans les centres de rétention administrative. Ce serait fortement préjudiciable, en particulier pour les profils les plus signalés. Nous avons donc besoin de ce dialogue migratoire, et même si nous pouvons et nous devons toujours mieux faire, notre coopération en la matière avec l'Algérie est en amélioration, en particulier s'agissant de la délivrance des laissez-passer consulaires.
J'en viens à un autre élément déterminant de cette équation complexe, que vous nous proposez en réalité de résoudre si simplement. Nos relations militaires et sécuritaires avec l'Algérie pourraient être affectées, avec des conséquences directes sur la sécurité de notre pays et des Français, notamment en matière de lutte contre le terrorisme, les réseaux criminels et l'immigration illégale. Ces coopérations, aujourd'hui, elles fonctionnent bien. Et en tant qu'élus, vous savez combien elles sont importantes pour la sécurité de nos compatriotes. Elles nous permettent d'arrêter des personnes qui ont appartenu à des groupes terroristes et menacent directement notre sécurité. Ces questions sécuritaires, Mesdames et Messieurs les Députés, elles nous permettent d'arrêter des personnes qui ont appartenu à des groupes terroristes et qui menacent directement notre sécurité. Privés de l'occasion d'échanges, nous détecterions moins vite et moins bien ces profils dangereux qui pourraient rejoindre la France.
Comme ministre chargé du commerce extérieur, je rappellerais enfin que l'Algérie est notre deuxième partenaire commercial en Afrique et que la France est le deuxième partenaire commercial de l'Algérie. Ce sont donc aussi indirectement, Mesdames et Messieurs, des entreprises et des emplois français qui seraient menacés par une dénonciation, comme vous l'envisagez, de cet accord.
Mesdames et Messieurs les Députés, vous le voyez, cette dénonciation n'est pas pertinente, tant pour des raisons juridiques que pour des raisons politiques. Vous proposez de mettre fin - je vous cite - à "l'immigration de masse", à "un droit automatique à l'immigration" qui, en réalité, n'existe pas dans le droit. La dénonciation de cet accord serait donc contre-productive par rapport aux résultats que vous fixez.
J'en viens maintenant à un second point. Ce que nous nous proposons en revanche, c'est de travailler avec les autorités algériennes pour ajuster l'accord de 1968 et l'adapter à la réalité des circulations humaines entre la France et l'Algérie et à nos objectifs en termes d'immigration. Cet accord offre un cadre utile aux mobilités et au séjour des ressortissants algériens en France. Il est un outil qui permet la mise en place de nouveaux modèles de mobilités et une meilleure régulation des migrations avec l'Algérie. Nous souhaitons désormais tendre vers davantage de migrations professionnelles, économiques, étudiantes, qui dynamisent la relation bilatérale et bénéficient à la France. Cette adaptation, Mesdames et Messieurs, elle est possible. L'accord n'est pas resté figé en 1968. En bonne entente avec les autorités algériennes, nous avons négocié trois avenants à l'accord en 1985, en 1994 et en 2001. Nous avions d'ailleurs précisé de concert, à chaque avenant, les dispositions de l'accord, dans un sens plus restrictif et plus exigeant. En 1985, nous avions renforcé les exigences pour l'admission de ressortissants algériens sur le territoire français, en introduisant par exemple des conditions de ressources et précisant les conditions de délivrance des certificats de résidence. En 1994, nous avons rendu obligatoire la présentation d'un passeport et d'un visa pour les Algériens souhaitant se rendre en France et avons précisé les conditions de péremption des certificats de résidence. En 2001, nous avons explicité les conditions de regroupement familial, y compris pour les cas pour lesquels il pouvait être refusé. L'accord de 1968, je le répète, n'est donc pas figé. Quel intérêt aurions-nous donc à le dénoncer, alors que nous pouvons l'améliorer ? Quand il s'agit de réguler les relations migratoires, Mesdames et Messieurs les Députés, ne vaut-il pas mieux avoir un outil que l'on peut faire évoluer que pas d'outil du tout ?
Nous souhaitons, en ce qui nous concerne, faire de cet accord de 1968 un outil au service du rééquilibrage de l'immigration. Nous voulons ainsi promouvoir les nouvelles mobilités économiques, professionnelles, étudiantes. Nous souhaitons également renforcer les exigences républicaines d'intégration, notamment en matière linguistique et civique. Plutôt que de dénoncer l'accord et d'aller ainsi droit vers une crise politique, diplomatique et migratoire, travaillons, Mesdames et Messieurs les Députés, au contraire, à l'amender. C'est la voie de la responsabilité. C'est celle que nous nous engageons à suivre, que nous vous engageons à suivre en rejetant cette proposition de résolution.
Je vous remercie.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 décembre 2023