Texte intégral
JOURNALISTE
Bonjour Elizabeth NOUAR.
ELIZABETH NOUAR
Bonjour Nicolas.
JOURNALISTE
Un invité exceptionnel ce matin, puisque vous recevez le ministre des Armées, Sébastien LECORNU.
ELIZABETH NOUAR
Monsieur le Ministre, bonjour.
SEBASTIEN LECORNU
Bonjour Elizabeth NOUAR, merci pour votre invitation.
ELIZABETH NOUAR
Merci d'avoir accepté cette présence matinale, sur Radio Rythme Bleu, que vous connaissez déjà et que vous connaissez bien…
SEBASTIEN LECORNU
J'ai l'impression que rien n'a changé ici, c'est rassurant.
ELIZABETH NOUAR
Alors, vous venez, vous, de – ça a changé – vous êtes maintenant ministre des Armées, vous venez de présider le SPDMM, le Sommet des ministres de la Défense du Pacifique Sud. Alors, pourquoi à Nouméa ? Est-ce que la levée de l'hypothèque institutionnelle, sur l'avenir de la Nouvelle Calédonie, a rendu cette réunion possible ici ?
SEBASTIEN LECORNU
Oui, clairement, enfin ça, pour le coup, la levée de l'hypothèque institutionnelle, je ne me prononcerai pas complètement dessus, puisque j'ai l'impression que les discussions continuent, et Gérald DARMANIN, on y reviendra on y reviendra peut-être, mais les mène avec beaucoup d'engagement, mais enfin de fait, quand je suis devenu ministre des Armées, j'ai vu l'existence de ce Sommet, je l'avais déjà vu auparavant, et je me suis dit : c'est quand même le moment où on peut l'organiser. Et donc j'en ai parlé au vice-Premier ministre australien, qui est ministre de la Défense, que je connaissais bien, en lui disant : voilà, écoute, tu connais bien la Nouvelle-Calédonie, très franchement c'est le moment de faire quelque chose. Il faut se projeter, il y a des énormes sujets que les Forces armées de Nouvelle-Calédonie traitent avec les pays de la région, mais on doit aller plus loin. Et donc l'Australie d'ailleurs a tenu parole en nous aidant à l'organiser. C'est la première fois qu'on organise un sommet de ce niveau-là, donc qu'on puisse commencer à refaire aussi de la diplomatie régionale et internationale depuis Nouméa, c'est bon pour tout le monde, c'est bon pour l'image de la Nouvelle Calédonie, c'est bon pour l'économie locale aussi, parce que les hôtels ont fonctionné, ont travaillé, et puis on va y revenir, mais enfin c'est bon sur le fond, puisque quelques décisions ont été prises, et ça participe aussi au rayonnement de la France dans l'ensemble de la sous-région Pacifique Sud.
ELIZABETH NOUAR
Alors, justement, deux jours de Sommet, la première présidence française en plus, mais alors, quel est le bilan ? Il y a eu une déclaration, une sorte de déclaration d'intention, un communiqué commun qui été publié, concrètement qu'est-ce qu'il en ressort, dans quel domaine est-ce qu'on a pu progresser ?
SEBASTIEN LECORNU
Comme souvent dans ce genre de sommet avec ces déclarations, il faut lire entre les lignes. Et ce qui est intéressant, c'est de voir au fond…
ELIZABETH NOUAR
Voilà, et encore on ne comprend pas toujours tout, il y a quelques termes un peu…
SEBASTIEN LECORNU
Oui, tout ça est un peu codé, mais si je le vulgarise un peu à votre micro ce matin, je pense que là il y a un thème qui a bien avancé, c'est la question de la lutte contre la pêche illégale. Les lettres qui ont été signées, pour le coup, donnent du concret, notamment sur le partage d'informations. Parce que, ça peut paraître bizarre aujourd'hui, mais il se passe des choses, mais qui ne sont pas toujours faites dans un cadre formel. Quand vous avez de la pêche illégale qui vient du Pacifique Nord, on le sait tous, faire le suivi de ces bateaux, être capable de voir quelles sont les flottilles qui rentrent dans les zones économiques exclusives des uns et des autres, être capable de faire le suivi, d'autant plus que des pays comme l'Australie ou la France, on dispose de moyens maritimes importants, enfin aussi de moyens spatiaux, et donc être capable justement d'avoir une coopération de renseignement beaucoup plus fine, ça c'est quelque chose d'important. L'information va aussi se partager davantage sur le volet scientifique, parce qu'il y a aussi des recherches en matière de défense, les choses évoluent beaucoup en matière de technologie, en matière d'innovation, et donc ça aussi on va le partager, y compris pour lutter contre la pêche illégale, et c'était vraiment une bonne chose. Et puis la France a mis une proposition sur la table, qui peut paraître un peu anecdotique, mais qui va vraiment changer les choses, ça s'appelle les embarquements croisés, c'est-à-dire la capacité à, dans des patrouilles maritimes, de prendre en fait un officier marinier d'une autre armée à bord, donc là aussi, ça crée une intimité stratégique, entre les différentes marines.
ELIZABETH NOUAR
En l'occurrence, sur la Marine nationale, c'est nous qui embarquerions ou…
SÉBASTIEN LECORNU
Eh bien, imaginez nos bateaux... Exactement, sur un bateau militaire français, nous pourrions embarquer demain un officier fidjien ou de Papouasie Nouvelle-Guinée, donc ça, ça a énormément de valeur. Mais l'inverse est vrai aussi, alors à la mesure évidemment de ce que sont leurs flottes, mais de mettre à disposition des militaires français pour embarquer. Donc voyez, on est en train de recréer un maillage aussi dans l'ensemble de la région, qui crée évidemment, je le disais, de l'intimité, donc ça c'est une dimension d'influence française que j'assume complètement dans ce que nous faisons, mais aussi, les militaires parlent d'interopérabilité, voilà, et apprendre à bosser ensemble, pour dire les choses de manière plus triviale, c'est aussi un gage de bonne réussite, de gestion de crise éventuellement demain, parce que l'autre volet, sur lequel on a aussi avancé, c'est évidemment les manières d'être solidaire entre nous sur le terrain très militaire, en matière de lutte contre les effets du réchauffement climatique, en clair, les catastrophes naturelles.
ELIZABETH NOUAR
Voilà, en gros, il y a trois volets essentiels qui sont concernés, c'est donc la sécurité avec notamment la lutte contre la pêche illégale mais la sécurité maritime globalement, la lutte contre les effets du réchauffement climatique et puis la lutte contre les catastrophes naturelles. Mais il y avait déjà quand même une solidarité, enfin une coopération internationale dans le domaine…
SEBASTIEN LECORNU
France, notamment.
ELIZABETH NOUAR
Elle va être accrue à l'issue de ce sommet ?
SEBASTIEN LECORNU
Oui, en fait ce qu'on voit depuis malheureusement quelques temps, enfin y compris en Nouvelle-Calédonie, lors de mon avant-dernier déplacement, j'ai quand même souvenir d'un cyclone très important, j'en ai oublié le nom d'ailleurs, je m'en excuse, mais on voit bien que ces crises, en fait, elles sont de plus en plus fortes, ensuite elles sont de plus en plus récurrentes, c'est-à-dire que vous n'avez même pas le temps de réparer ou de reconstruire, que vous reprenez parfois un phénomène climatique très très grave sur la figure, pardonnez-moi cette expression, et en plus vous avez un risque de concomitance de ces crises, c'est-à-dire qu'en fait vous pouvez en avoir une ici et une plus au Nord dans le Pacifique, et avoir un problème de solidarité, de saturation des moyens. Je vais même plus loin. Concomitance des crises, malheureusement, entre elles, par exemple crise sanitaire type Covid 19, avec un cyclone ou un phénomène climatique très grave. Eh bien, comment on fait ? Donc nous ça nous pose des questions en franco-françaises d'ailleurs, je fais une parenthèse, comment on fait pour avoir suffisamment de moyens ici à Nouméa et à Papeete, d'ailleurs, comment on fait aussi pour être capable de projeter des moyens depuis Paris, s'il le faut. Ça c'est nos affaires à nous, entre nous, mais enfin à un moment donné il y a aussi un sujet évidemment à plusieurs, confère ce que nous avons fait avec le Vanuatu, parce que là les pays qu'on a réunis, ce sont des pays qui ont une armée, lors de ce sommet, pardon, de cette évidence, mais vous avez aussi des pays qui n'ont pas d'armée, et le Vanuatu en est un exemple.
ELIZABETH NOUAR
Voilà, et en revanche, dans ces, bon on parle de France, à part la France, la Nouvelle-Zélande et l'Australie, il y a d'autres pays de la région qui sont capables de prendre en compte, d'assumer une partie de cette charge ?
SEBASTIEN LECORNU
Alors, en fait, en solidarité parfois oui, Fidji est un partenaire important et intéressant. Vous avez aujourd'hui des soldats fidjiens qui sur un autre registre, les missions de maintien de la paix de l'ONU, servent au côté des contingents, du contingent français, de la FINUL, au Liban à la frontière entre Israël. Donc vous avez quand même aussi des pays qui ont une culture militaire. Fidji pour le coup est intéressant, c'est pour ça d'ailleurs que j'ai annoncé hier que la France va rouvrir une mission de défense à Fidji, parce qu'il est temps aussi de resserrer les liens et de réinvestir sur le partenaire. La Papouasie Nouvelle-Guinée est aussi un pays qui nous intéresse énormément dans les partenariats qui peuvent être menés, typiquement eux en matière d'équipement ils ont regardé de près ce que nous avions comme solution de drones, de drones français, pour faire de la surveillance maritime, là je reviens plutôt sur la lutte contre la pêche illégale. Donc vous voyez, le sommet il a permis, au-delà des déclarations diplomatiques, au-delà du fait même de l'organiser, quand même, il n'y a pas plus régalien que les questions de défense et donc le faire ici à Nouméa, c'est quand même quelque chose, je n'en dirais pas plus, tout le monde m'a compris. Donc quand on sait d'où on vient et ce qui se passe aujourd'hui, ça a quand même beaucoup de valeur, mais surtout derrière on est loin des remilitarisations que certains décrivent, au contraire, on est on est sur un agenda de paix, de stabilité et de lutte contre les menaces hybrides que sont par exemple la pêche illégale et aussi contre malheureusement le dérèglement climatique. Il est là, il faut bien lutter contre ses effets.
ELIZABETH NOUAR
Sur le plan diplomatique, justement, vous avez l'impression aujourd'hui, vous y faisiez allusion, que la place de la France, la France a sa place dans le Pacifique et que cette place est acceptée, qu'elle n'est plus contestée, comme ça a pu être le cas par le passé ?
SEBASTIEN LECORNU
Oui, c'est clair, enfin moi j'ai senti quand même des délégations qui étaient heureuses d'être là à Nouméa, certaines d'entre elles, c'était la première fois d'ailleurs, qu'elles mettaient les pieds en Nouvelle-Calédonie, et ça je pense que ça a beaucoup de prix. Je pense qu'on a réussi l'organisation. Je dis « je pense », parce qu'étant l'organisateur, je ne suis pas le mieux placé, mais enfin, à travers votre micro moi je vais quand même remercier les équipes du Haut-commissariat, des Forces armées de Nouvelle-Calédonie, la patience de la population de Nouméa, parce que ça crée des bouchons avec les cortèges, la sécurité, mais enfin c'est normal, je veux dire, on accueille des ministres de la Défense, on est la France, on ne va quand même pas faire ça n'importe comment. Donc évidemment, voilà. Les équipe des hôtels etc., de la CPS. Donc tout le monde, de manière remarquable, s'est mobilisé, et effectivement ça faisait plutôt plaisir à voir. Après, on a tenu cet équilibre aussi comme nous le faisons d'habitude, les honneurs militaires à Bir-Hakeim, l'accueil coutumier au Sénat coutumier, et c'est aussi ce que nous sommes et ce fonctionnement qui a plu aussi je le crois à nos invités.
ELIZABETH NOUAR
Il y a besoin de rattrapage tout de même, on a parfois à l'inverse reproché à la France de ne pas être assez présente dans le Pacifique ou dans le Pacifique Sud ces dernières années ?
SEBASTIEN LECORNU
Moi je pense qu'on a deux choses. L'agenda et les difficultés institutionnelles calédoniennes nous ont quand même parfois conduites à nous replier beaucoup sur nous-mêmes, ici en Nouvelle-Calédonie, et le poste essais nucléaires en Polynésie, a pu aussi créer un sentiment de repli sur cette question. Tout ça est très respectable, mais enfin ça n'a pas forcément aidé à ouvrir grand ses yeux et ses oreilles, et se projeter sur l'ensemble de la région, en ayant tout simplement l'intention nécessaire portée à d'autres partenaires, qui parfois nous attendaient. Donc ça je pense que c'est très clair. Il y a le sujet de la relation avec l'Australie, AUKUS ça avait quand même laissé des traces, il ne faut pas se raconter d'histoires, avec la dénonciation du contrat de sous-marins, mais enfin le fait que le gouvernement qui nous avait manqué à la parole et donc un peu manqué de respect, il faut bien le reconnaître, a été tellement sanctionné par les électeurs et la nouvelle équipe, et objectivement francophile…
ELIZABETH NOUAR
Ils se sont fait les porte-parole des électeurs de la France ?
SEBASTIEN LECORNU
Eh bien, en tout cas la réalité c'est que la manière dont le gouvernement australien s'est comporté à l'époque, a laissé des traces dans la vie diplomatique de l'Australie, et pas que vis-à-vis de la France. On se dit les choses. Et voilà. Et le nouveau ministre de la Défense est fondamentalement francophile, son aïeul est enterré dans la Somme, il a combattu sur la terre de France, et donc je vous l'ai dit, il fait partie de ceux qui nous ont aidés aussi à organiser ce Sommet, et à créer des mécanismes de solidarité. Donc ça évidemment c'est une bonne chose.
ELIZABETH NOUAR
Alors, en revanche, on sait que dans le Pacifique Sud, notamment certains pays sont tentés de regarder ailleurs, on parle bien sûr de l'interventionnisme de la Chine dans plusieurs Etats de la région, est-ce que c'est une donnée qui a été abordée lors de ce sommet ou en tout cas abordée dans vos relations diplomatiques ?
SEBASTIEN LECORNU
Oui, clairement.
ELIZABETH NOUAR
De façon bilatérale ?
SEBASTIEN LECORNU
Rien dans les comptes-rendus officiels, rien dans les tables rondes officielles, mais dans les réunions bilatérales, y compris même dans une réunion multilatérale à huis clos, la question a été a été traitée. Si vous voulez, la Chine présente autant d'opportunités que de défis pour la France, il faut le présenter comme ça. C'est peut-être passé trop inaperçu, mais le président de la République a fait une visite d'Etat importante à Pékin il y a de cela quelques mois, qui a permis un dialogue franc, dans lequel on a redit à quel point nous étions attachés au respect du droit international y compris en matière maritime, c'est vrai dans le Pacifique Nord, au respect de la souveraineté, des souveraineté de l'ensemble des Etats insulaires du Pacifique, et donc ce dialogue là il faut qu'on l'ait avec franchise, enfin pardon, ça s'appelle la diplomatie du Général de GAULLE. Donc on a une histoire en la matière, et de fait ça fait partie des conversations que nous pouvions avoir avec les différents invités de ce sommet. Oui bien sûr.
ELIZABETH NOUAR
Alors justement, vous avez parlé, vous avez eu l'occasion de parler de ce retour de la politique des blocs, qu'on voit au travers des conflits d'aujourd'hui, entre la guerre en Ukraine, la situation au Proche-Orient. Le Pacifique Sud et la Nouvelle-Calédonie, singulièrement ont l'air d'être exemptés de ce genre de situation et de ces tensions violentes. Est-ce qu'elles pourraient être contaminées, est-ce qu'il y a un risque pour notre région d'être aussi…
SEBASTIEN LECORNU
Alors, merci de me permettre de refaire aussi un point au fond, comme vraiment ministre des Armées, sur les vrais risques qui peuvent peser sur la Nouvelle-Calédonie, parce que je pense qu'il peut y avoir un peu du fantasme ou des inquiétudes, mais de part et d'autre, si je peux me permettre d'ailleurs, entre ceux qui pensent qu'on militarise et ceux qui aimeraient justement qu'on mette des bateaux de guerre en veux-tu en voilà dans la rade de Nouméa, enfin il n'y a pas de rade, enfin dans le port, de la base navale, pardon, sans se poser la question de, au fond de à quoi ça sert ? Bon. La réalité c'est que de fait tout est interconnecté dans ce monde. Donc ce qui se passe au Proche-Orient, ce qui se passe en Ukraine, ce qui peut se passer en Mer Méridionale de Chine, peut avoir un impact ici, et ça c'est une réalité, parce qu'on a déjà cotisé, pardon, mais lors du premier conflit mondial, c'est aussi pour ça d'ailleurs que j'ai voulu avoir ce temps mémoriel autour de quelques visages de tirailleurs canaques, parce qu'au fond, à un moment donné, quand il y a une crise de sécurité mondiale, c'est l'ensemble de la planète qui peut s'enrhumer, et ça je pense qu'il ne faut jamais le perdre de vue, et c'est un point clé. Après, ce Pacifique Sud de fait, il échappe, au moment où je vous parle, à une militarisation et un durcissement classique de confrontation, pour des raisons qui tiennent à la tyrannie des distances, pour des raisons qui tiennent au fait que les forces militaires de la région, françaises en tête d'ailleurs, sont vraiment des forces de souveraineté. On est là pour protéger notre zone économique exclusive, faire en sorte qu'on ne se fasse pas piller notre poisson. On n'est pas sur des choses qui sont particulièrement difficiles. Les vrais risques qui peuvent peser sur les territoires d'Outre-mer, en général, français, c'est donc vrai de la Nouvelle-Calédonie, mais ça peut être vrai aussi de la Guyane, des Antilles et de La Réunion, je pense que pour le coup on peut dézoomer. Ce sont des risques qu'on pourrait qualifier d'hybrides, c'est-à-dire en clair, on est la France, on est une grande armée, on est une puissance nucléaire, je le rappelle, donc au fond comment on contourne ça ? Et les vraies menaces qui peuvent peser sur nous, sont des menaces de contournement. Je donne quelques exemples. Des détournements d'objets civils à des fins militaires, je recite la pêche, on n'est plus dans un monde dans lequel vous avez quelques Blue Boat qui pouvaient venir du Vietnam, comme je l'ai connu d'ailleurs dans mon premier déplacement comme secrétaire d'Etat à l'Ecologie, ici en 2017 ou 2018, je ne sais plus, où vous aviez quelque chose qui pouvait être anecdotique. Demain, nous pourrions voir, avec la démographie qui augmente dans le Pacifique Nord, des, comment dire, des escadrilles de pêche, de pêche illégale, de pêcheurs illégaux, très dures, voire même quasiment militarisées, qui pourraient justement avoir des comportements autrement plus violents, pour aller prélever du poisson dans les zones économiques exclusives. Et c'est là où évidemment nous on est pourvoyeur de sécurité pour les autres, parce que vous pensez bien qu'entre les zones économiques exclusives de Fidji, de Papouasie Nouvelle Guinée, de Tonga ou de je ne sais trop quoi, de Vanuatu, eh bien ce sont ces eaux-là qui seront les plus exposées avant les eaux de la zone économique exclusive française. Donc, comment on fait pour aller nous-même plus au Nord possible, pour éviter que ça vienne jusqu'à chez nous ? Voilà ça c'est un cas pratique intéressant.
ELIZABETH NOUAR
Ce sont des scénarios qui sont étudiés aujourd'hui.
SEBASTIEN LECORNU
Les menaces cyber, il n'y a pas de frontière, il n'y a pas de kilométrage. Une attaque cyber peut être menée depuis la banlieue de Moscou sur une infrastructure calédonienne. Un hôpital en Nouvelle-Calédonie peut être attaqué par des cyber combattants russes. Ça ce sont des cas très concrets. Et donc au fond, on voit bien qu'on n'est plus dans un monde où il faut mettre des tonnes d'acier à la mer, ça c'est le monde un peu XXe siècle, on voit bien que désormais la manière dont on va devoir se défendre et de là où viennent les menaces, c'est un point clé. Et puis la question des ingérences extérieures, vous voyez comment l'Azerbaïdjan, par exemple, mène un agenda de déstabilisation et de désinformation important, suite aux décisions courageuses que le président de la République a pris sur l'Arménie et sur le respect du droit international et du droit humanitaire sur le Haut-Karabagh, et vous voyez comment, par exemple, eh bien vous avez des conflits régionaux qui peuvent donner lieu aussi à des attaques dites informationnelles, aux quatre coins de la planète, sur nos Outre-mer, ça c'est quelque chose qu'il faut surveiller de près, c'est un exemple.
ELIZABETH NOUAR
Dans ce contexte vous avez rencontré bien sûr les forces armées de Nouvelle-Calédonie également, vous avez pu assister à des démonstrations également, elles sont prêtes, elles ont le matériel qu'il faut, l'entraînement qu'il faut, les hommes ou les personnels qu'il faut ?
SEBASTIEN LECORNU
Objectivement, enfin oui et non, c'est-à-dire qu'elles font un boulot remarquable. On parle de pêche illégale, je veux quand même rappeler que quand vous prenez l'imagerie spatiale, de renseignement militaire, et que vous regardez où sont les pêcheurs illégaux, sur le Pacifique vous avez des tâches bleues immaculées, zone économique exclusive française, Polynésie française, Wallis et Futuna, et Nouvelle-Calédonie, donc zones FANC, donc en fait elles font déjà un boulot absolument remarquable, le sujet c'est est-ce qu'elles le font dans de bonnes conditions ou est-ce qu'elles le font dans des conditions plutôt dégradées. Malheureusement, les économies qui ont été demandées aux forces armées depuis maintenant 20 ou 30 ans, tous gouvernements confondus, c'est quand même l'élection d'Emmanuel MACRON, 2017, pardon de le redire au micro, mais qui fait qu'on réinverse la tendance, et on n'attend pas l'Ukraine, d'ailleurs, pour remettre de l'argent, donc c'est les fameux 413 milliards d'euros pour la période 2024-2030, qui vont permettre justement d'augmenter les moyens, on va remettre 5 milliards d'euros sur les forces armées uniquement dans le Pacifique, Polynésie française et FANC, pour justement permettre de le faire dans de meilleures conditions. Dans de meilleures conditions c'est quoi ? entretenir – il suffit de regarder quand même la base aérienne de La Tontouta, le quartier Magenta, la Pointe de l'Artillerie, beaucoup beaucoup d'emprises qu'il faut évidemment entretenir, changer de catégories d'équipements. Voyez, les nouveaux patrouilleurs Outre-mer, on passe de classes de bateaux autour de 300 tonnes à quelque chose qui est multiplié par trois, donc pratiquement de 400 tonnes à 1 200 tonnes, donc vous avez désormais des bateaux qui feront 10 000 km de rayonnement, qui pourront avoir beaucoup plus d'autonomie, qui pourront projeter des drones, qui seront mieux interconnectés sur les sujets cyber, donc en fait on va changer de dimension, si vous voulez, on va moderniser, pareil pour la flotte d'hélicoptères, je pense que c'est un point clé qui sert aussi aux autorités civiles pour la gestion de crises ici. Donc, oui, on change d'époque, on change d'ère, en matière de présence militaire ici, pas pour être belliqueux, je le redis, je fais cette pédagogie parce que ce n'est pas vrai, et que d'ailleurs ce n'est pas notre intérêt, que ce n'est pas la politique de la France, c'est aussi ce qu'on a reproché à AUKUS d'ailleurs. Au fond, dans l'affaire d'AUKUS c'est aussi l'abandon de sous-marins à propulsion conventionnelle pour des sous-marins à propulsion nucléaire, donc nous-mêmes nous ne sommes pas pour cet agenda, en tant que tel, de sur-militarisation du Pacifique, néanmoins les défis sont là, et quand vous avez une catastrophe naturelle qui vous tombe dessus, eh bien il faut être prêt, donc c'est ce qu'on essaie de faire.
ELIZABETH NOUAR
On a entendu cette allusion, ce slogan de refus de la militarisation, une manifestation, mais globalement, franchement, vous l'avez vu, les FANC sont bien intégrées, bien acceptées, elles font partie de la Nouvelle-Calédonie. Vous allez au RSMA, je crois aujourd'hui…
SEBASTIEN LECORNU
Oui, j'y tiens…
ELIZABETH NOUAR
Il y a toute cette intégration des jeunes Calédoniens.
SEBASTIEN LECORNU
Oui, non mais après il y a la politique intérieure calédonienne, et je la respecte beaucoup, pour y être suffisamment habitué, donc ça, ça fait partie du jeu politique local, de fait, et je pense qu'il faut continuer que les forces armées de Nouvelle-Calédonie soient au-dessus des questions institutionnelles locales, je le crois, parce que le RSMA, parce que le secours à personne, parce que c'est un modèle d'intégration qui donne sa place et sa chance à chacun, parce qu'en cas de coup dur ce seront les forces armées qui seront là pour secourir tout à chacun, donc je pense que les armées doivent rester au-dessus de tout ça et voyez, hier, quand on a fait la remise des insignes d'instruction, à ces jeunes, il y avait quelque chose de formidable à ce que l'ensemble des ministres de la Défense, ou leurs représentants du Pacifique, puissent justement aller leur remettre leur insigne, donc il y a quelque chose qui fonctionne bien, donc il ne faut pas l'abîmer.
ELIZABETH NOUAR
Monsieur… si on peut sortir un petit peu du lagon. Récemment le président de la République vous a confié la mission d'aller au Proche-Orient après l'attaque du Hamas sur Israël, vous avez fait le tour des capitales pratiquement, Dubaï, Le Caire, Abu-Dhabi, Ryad, Doha, Tel-Aviv, j'en oublie peut-être…
SEBASTIEN LECORNU
Certaines deux fois même parfois, oui, oui…
ELIZABETH NOUAR
Pourquoi vous et qu'est-ce que vous pouvez nous dire de la situation aujourd'hui, notamment peut-être celle des otages, celle de la position diplomatique de la France aujourd'hui.
SEBASTIEN LECORNU
En fait on se déploie beaucoup avec Catherine COLONNA, on le fait à deux, il se trouve que…
ELIZABETH NOUAR
Vous vous répartissez les…
SEBASTIEN LECORNU
Moi je suis ministre aussi, de tutelle, de la DGSE, donc des services de renseignement, vous êtes aussi dans des pays dans lesquels les interlocuteurs sont parfois aussi des militaires eux-mêmes, dans des appareils qui sont parfois très sécuritaires, l'Egypte, même d'ailleurs Israël, mon homologue est Général, donc il est clair qu'on a des contacts réguliers, je connais aussi ces interlocuteurs, si vous voulez, depuis longtemps maintenant, enfin depuis un an et demi que je suis ministre des Armées, c'est des pays que je ne visitais pas pour la première fois, donc de fait on s'est, enfin vraiment démultiplié, sous l'autorité d'Emmanuel MACRON, pour faire de la libération des otages une priorité absolue. Alors, il y a un soulagement important, puisque les enfants, on parle quand même d'enfants de 11 ou 12 ans, ont été libérés, quatre otages ont été effectivement libérés, il en reste malheureusement, comme vous le savez, et ça c'est évidemment un point d'inquiétude majeure pour nous. La reprise des combats évidemment rend les discussions avec nos différents interlocuteurs beaucoup plus difficiles, donc il y a beaucoup d'inquiétude, parce que plus le temps passera, évidemment, plus la sécurité des otages devient un enjeu chaque jour, ça c'est une évidence. Et puis la deuxième raison aussi c'est parce que, on a un contingent français, je le disais tout à l'heure en parlant des Fidji, de 700 soldats qui sont à la frontière entre le Liban et Israël, c'est la plus ancienne mission sous mandat des Nations unies, qu'on appelle la FINUL, qui est un mandat d'observation, de " déconfliction " à la frontière, et on le sait très bien, entre le Hezbollah et Tsahal on a un niveau de tension, depuis le 7 octobre, qui monte, avec une pression qui devient importante, et sur lequel évidemment nous avons des inquiétudes pour le contingent français, nous avons des inquiétudes sur la manière dont la mission peut s'exécuter, ça c'est mon job de ministre des Armées, évidemment, que de m'en occuper.
ELIZABETH NOUAR
Et l'objectif reste bien sûr de libérer, enfin d'obtenir la libération de tous les otages français qui sont encore retenus.
SEBASTIEN LECORNU
Oui, et de protéger aussi les populations civiles, parce que ce qui vient de Gaza est évidemment très préoccupant, on parle de femmes, on parle d'enfants, c'est aussi pour ça que les forces armées mettent aussi à disposition des moyens humanitaires et sanitaires, c'est aussi un enjeu de sécurité collective en Europe, sur le Proche et le Moyen-Orient, pour l'après, c'est pour ça que ce bateau, ce porte-hélicoptères amphibie, le Dixmude, a été dépêché avec des moyens hospitaliers militaires importants, civils aussi d'ailleurs, en Egypte, pour soigner des populations civiles. Donc, il y a toute une initiative que le président de la République a prise et qu'il faut faire désormais, vivre si j'ose dire, en tout cas il faut l'exécuter.
ELIZABETH NOUAR
Vous avez été ministre des Outre-mer, à ce titre vous connaissez la Calédonie, les Calédoniens vous connaissent, je sais que vous ne voulez pas vous mêler d'un dossier qui n'est plus le vôtre aujourd'hui…
SEBASTIEN LECORNU
Vous aurez tort de ne pas essayer.
ELIZABETH NOUAR
Vous suivez quand même un peu, vous en parlez avec Gérald DARMANIN, vous échangez sur la question ?
SEBASTIEN LECORNU
Oui, beaucoup évidemment, enfin je… déjà il s'engage comme jamais. Je veux quand même redire, avec une liberté de ton, quand même, que le ministre de l'Intérieur prenne autant de temps, avec sa casquette de ministre des Outre-mer, pour mener les négociations, c'est une chance, et je veux que tout le monde s'en rende compte, parce que vous voyez l'actualité, ça a été rappelé à votre micro à l'instant, l'actualité à Paris, encore l'actualité terroriste terrible,, un projet de loi utile et important sur l'immigration, qui est actuellement en discussion au Parlement, enfin, Gérald DARMANIN ne fait pas que la Nouvelle-Calédonie, si vous voulez, dans son agenda, et qu'il trouve toujours le temps d'en faire une priorité est une véritable chance. Il est très engagé, parce que c'est son caractère, en plus, donc il le fait en étant, en voulant du résultat, en étant très respectueux aussi de l'histoire de chacun, des positions de chaque interlocuteur. J'étais dans les valises du président de la République au mois de juillet, et oui, j'essaie aussi de ne plus me mêler du dossier, enfin quand je dis que j'essaie, j'y arrive, je ne me mêle plus du dossier parce que je ne veux pas gêner justement les discussions qui sont en cours. Un certain nombre d'interlocuteurs m'ont demandé des rendez-vous, ont voulu me parler, mais je le garde pour moi, je suis toujours disponible, mais je n'aurais pas apprécié, si vous voulez, quand je menais les discussions, que d'autres collègues viennent justement les perturber, et donc comme en plus Gérald est un ami, plus que proche, mon meilleur ami pratiquement dans la vie, quand je dis pratiquement, c'est mon meilleur ami aussi, même si on est pudique publiquement, donc de fait je ne veux pas le gêner, voilà.
ELIZABETH NOUAR
Merci en tout cas, et vous reviendrez en Nouvelle-Calédonie ?
SEBASTIEN LECORNU
Si vous m'invitez à votre micro, je reviendrai.
ELIZABETH NOUAR
Eh bien alors à très bientôt.
SEBASTIEN LECORNU
Merci beaucoup.
ELIZABETH NOUAR
Monsieur le Ministre merci d'avoir accepté notre invitation ce matin.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 8 décembre 2023