Interview de M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, à France Bleu Normandie le 7 décembre 2023, sur les producteurs laitiers et la grippe aviaire.

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Intervenant(s) : 
  • Marc Fesneau - Ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

Média : France Bleu

Texte intégral

JOURNALISTE
Esteban PINEL, l'heure de notre invité avec qui on va évoquer la suite et la fin du congrès de la FNPL - la Fédération nationale des producteurs laitiers - à Alençon.

ESTEBAN PINEL
Notre invité vient d'arriver dans l'Orne où il est très attendu. Il s'exprimera d'ailleurs devant les producteurs. Il s'agit du ministre de l'Agriculture, Marc FESNEAU. Marc FESNEAU, bonjour.

MARC FESNEAU
Bonjour.

ESTEBAN PINEL
Vous vous rendez donc au Congrès des producteurs laitiers. Le prix du lait baisse ces derniers mois ; environ 430 euros les milles litres. A quel climat vous attendez-vous ce matin, avec les éleveurs ?

MARC FESNEAU
Je crois qu'il y a un grand climat de vigilance après. On a eu des tarifs qui se sont bien tenus, des prix du lait qui se sont bien tenus. On entre dans un nouveau cycle de négociations. Il y a une grande vigilance de notre part et de leur part pour que, au fond, ce qui a été voté dans la loi - c'est-à-dire que le prix se construise par le prix de la matière première agricole, par un mécanisme, comme on dit, de marche en avant - soit bien l'arrêt qui soit à l'oeuvre. Alors, il y a des sujets d'inflation. Mais l'agriculture, les producteurs laitiers... Le lait ne peut pas être la victime de cette campagne que certains peuvent mener, qui est juste de lutter contre l'inflation. Mais en même temps, ça ne peut pas se faire au détriment des agriculteurs parce que sinon on revient en arrière sur ce qu'ont été les objectifs qui ont été fixés par le Président de la République dans les différentes lois, notamment les lois EGALIM qui visent à dire : " si ça a un coût, donc ça a un prix et donc il faut rémunérer la matière, sinon on aura des difficultés évidemment très grande dans le secteur. " Donc c'est plutôt la vigilance, à mon avis sur ce sujet-là, qui est un élément essentiel. Et nous sommes aux côtés des producteurs pour faire en sorte que la loi d'abord s'applique et deux, les règles de la négociation se fassent avec le respect des agriculteurs et des producteurs laitiers en particulier.

ESTEBAN PINEL
Et justement, est-ce que dans cette loi EGALIM à laquelle vous faites allusion, est-ce qu'il y a des acteurs qui aujourd'hui ne jouent pas le jeu ?

MARC FESNEAU
Il y a une philosophie chez un certain nombre d'acteurs qui est la philosophie qu'on a un peu incrémentée depuis des dizaines d'années, qui est " le bon prix, c'est le bas prix. " Le bon prix, c'est celui qui rémunère les agriculteurs, sinon il n'y aura plus d'agriculture en France. Donc il faut qu'on arrive à changer aussi le... comment dirais-je, la pensée collective que nous avons et qui font que l'alimentation est toujours la variable d'ajustement, comme il y a bien d'autres produits qui pèsent, y compris sur le pouvoir d'achat de chacune et chacun d'entre nous. Et donc on a besoin de travailler ça. Et donc il y a des acteurs qui, en permanence, au motif qu'ils défendraient, eux et eux seuls le pouvoir d'achat, font la pression, mais uniquement sur la pression sur les produits alimentaires. Il y a besoin d'avoir un effort de tous sur les questions d'inflation. Il n'y a pas besoin en permanence de le faire uniquement sur l'alimentation. Donc c'est bien ça le défi qui est devant nous. Et ça, il y a un certain nombre d'acteurs, on le voit bien (pas besoin de les citer) qui passent leur temps dans les médias à expliquer qu'il va y avoir des hausses. Oui, il y a des hausses parce que les salaires ont augmenté, parce que les charges ont augmenté, parce que parce que l'énergie a augmenté, et que s'il n'y a pas de hausse, il n'y a plus de production française.

ESTEBAN PINEL
Marc FESNEAU, un exemple d'actualité également sur la justice est la cour d'appel de Caen, qui a débouté des éleveurs réunis dans le groupement Sunlait, devait toucher 26 millions d'euros de dédommagement de la part de l'industriel SAVENCIA qui avait cassé son contrat avec eux pour leur acheter du lait moins cher. Cela signifie que le droit donne raison à un industriel sur le prix du lait. Quel signal ça renvoie ?

MARC FESNEAU
D'abord, il ne m'appartient pas de juger des décisions de justice. Il y avait eu une première décision de justice, il y en a une deuxième ; enfin, ce n'est pas le rôle du Gouvernement et encore moins d'un ministre en exercice sur le sujet que vous évoquez. Il y a manifestement un contentieux. J'imagine que SAVENCIA lui-même est conscient du fait qu'il faut qu'il rémunère... D'ailleurs, c'est plutôt un opérateur qui rémunérait la matière première agricole. Donc, il y a un contentieux entre des opérateurs et le groupe. Il ne m'appartient pas de juger. Et le signal principal, ce n'est pas de rentrer dans des logiques qui sont des logiques de justice. Je trouve que ce qui est important dans ces sujets-là, c'est que la confiance soit au rendez-vous ; et donc manifestement, entre les opérateurs et le groupe SAVENCIA. Il y a une conflictualité d'ailleurs qui n'est pas très nouvelle ; elle date depuis un certain nombre d'années pour ne pas dire... enfin de mois pour ne pas dire d'années. Mais le signal, il n'est pas plus que ça. La Justice a déjà donné son verdict. La seule vigilance pour moi, avec SAVENCIA comme avec tous les autres, c'est qu'il se conforme à la loi. Et jusqu'alors, pour ce qui était de ce groupe-là, j'avais moi, le sentiment qu'il le faisait plutôt correctement.

JOURNALISTE
Marc FESNEAU, le ministre de l'Agriculture, invité de France Bleu Normandie ce matin. Sur un autre sujet, le risque de grippe aviaire est passé à " élevé " mardi, en France. Toutes les volailles doivent être confinées. Situation qui se répète. Cette mesure, on était obligé d'en arriver là ?

MARC FESNEAU
Oui, alors malheureusement, on s'y attendait parce que c'est... La vaccination (et j'y reviendrai juste après) est en route. Mais la grippe aviaire, on sait que c'est la période de migration qui fait qu'il y a un risque qui est élevé. On savait que dans beaucoup de pays d'Europe, la pression d'Influenza a été très forte. Les températures qui ont baissé ont fait qu'un certain nombre d'oiseaux ont migré sur nos territoires. On a retrouvé d'abord des espèces en faune sauvage, puis on a des cas qui se sont développés en particulier dans le Morbihan, et qui font qu'on prend ces mesures. J'ai toujours dit que la vaccination, elle viendrait en appui d'une stratégie globale visant à la diminution de la pression d'Influenza ; je n'ai jamais dit, d'ailleurs, que ça permettrait d'éradiquer totalement, puisque globalement, c'est des oiseaux sauvages qui sont les vecteurs de la maladie. Donc c'est une nécessité de combiner la vaccination, et puis de combiner, par ailleurs, les mesures de prévention, et celles-ci, le risque élevé, il permet de confiner – Pardon, c'est le mot. – un certain nombre de… Le risque maximal, il vient élever… ça vient dire qu'il faut prendre un certain nombre de mesures de confinement des volailles. Et c'est ce que nous faisons pour… C'est pour la sécurité aussi des éleveurs, et pour faire en sorte qu'on puisse passer les fêtes dans de bonnes conditions. On met à l'abri, en fait, les animaux.

ESTEBAN PINEL
Sur ce… Tout à fait. Et en Normandie, il y a eu peu ou pas de cas dans les élevages notamment de plein air, et pourtant, ils n'échappent pas au confinement. Des éleveurs disent qu'ils sont en perte de sens de leur métier. En plus, ils doivent vendre leur viande comme étant en plein air alors que la volaille est confinée. Qu'est-ce que vous leur répondez ?

MARC FESNEAU
Ben je réponds que le sujet, c'est que manifestement, les animaux sont contaminés par de la faune sauvage. La faune sauvage, elle est en plein air. On a mis des mesures d'assouplissement, parfois, sur la question de l'élevage plein air. On ne peut pas le faire de façon totale, pourquoi ? Parce qu'on a besoin de mettre à l'abri aussi ces volailles-là, ces animaux-là, ça procède d'un cadre dérogatoire. On fait une expérimentation qui est en cours et qui va donner un certain nombre de résultats. On a déjà assoupli l'an dernier, qui va permettre de regarder ce qu'on peut assouplir. Mais on ne peut pas mettre tout le monde à l'écart, parce que si on commence à entrer dans une logique où les uns seraient totalement à l'abri, sans mauvais jeu de mots, de dispositions qui les obligeraient à protéger leurs élevages, et donc à protéger les autres. Puisque quand on protège son élevage, on protège les élevages des autres. On ne ferait pas une oeuvre utile. Donc il ne faut pas en rabattre, on essaye de faire des expérimentations en biosécurité pour voir s'il y a des dispositifs d'adaptation qui pourraient être faits sur les élevages de petite dimension et en plein air.

ESTEBAN PINEL
Très rapidement, Marc FESNEAU, un dernier mot. L'Assemblée nationale a adopté une proposition de loi lundi pour protéger les agriculteurs face aux possibles plaintes pour nuisances de la part de néoruraux ou de voisins d'exploitation agricole. C'est un bon signal ? C'est un signal nécessaire aujourd'hui par rapport aux évolutions démographiques ?

MARC FESNEAU
Ben il y a un signal nécessaire. Je ne sais pas si c'est les évolutions démographiques ou si c'est les évolutions sociologiques. C'est-à-dire qu'il y a de la conflictualité, on ne sait plus régler les choses par l'amiable, on va tout de suite en justice. Il y a 500 dossiers agricoles qui sont liés à des gens qui viennent porter plainte parce qu'ils s'installent, et tout d'un coup, ils découvrent qu'il y a des vaches, qu'il y a des poules et qu'il y a des cochons. Bon, à la campagne, ce n'est pas très original, en tout cas pour moi qui y vit. Mais il y a des gens qui, manifestement, n'avaient pas vu la vie de la campagne. Et les agriculteurs étaient là avant. Pardon, on ne veut pas gêner, mais enfin, il me semble quand même qu'il faut rappeler que quand on s'installe, on s'installe avec ce qu'est le cadre dans lequel on vit, et donc ça ne peut pas nouer des contentieux. Et je trouve que cette proposition-là va dans le bon sens, et c'est du bon sens qu'on essaye de poser sur la table. Ça devrait se faire sans la loi ; mais s'il faut la loi, on fait la loi, et donc c'est l'objectif de cette loi.

ESTEBAN PINEL
Merci Marc FESNEAU, le ministre de l'Agriculture, invité de France Bleu Normandie ce matin. On vous laisse rejoindre les producteurs de lait en congrès à Alençon. Vous y prendrez la parole dans la matinée. Merci beaucoup.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 8 décembre 2023