Texte intégral
SIMON LE BARON
La ministre de la Culture est donc l'invitée du « Grand entretien » de la matinale, réagissez, posez-lui vos questions au standard d'Inter, 01 45 24 7000, et vous connaissez aussi l'application de France Inter. Bonjour Rima ABDUL-MALAK.
RIMA ABDUL-MALAK
Bonjour.
SIMON LE BARON
Nous allons évoquer dans un instant les dossiers qui sont les vôtres, notamment la langue française, dont on parle beaucoup en ce début de semaine, mais d'abord je voulais vous entendre sur l'actualité brûlante et sur un sujet personnel dont vous parlez peu. Vous êtes née au Liban, en 1979, à Beyrouth, vous aviez 10 ans quand la guerre vous a forcés, vous et votre famille, à quitter ce pays pour la France, quelles images, quel sentiment éveille chez vous cette nouvelle explosion de violence dans cette région que vous connaissez bien ?
RIMA ABDUL-MALAK
Une énorme inquiétude et une dévastation. D'abord j'ai été absolument horrifiée par l'attaque terrorisme inqualifiable du Hamas, un degré de cruauté, de barbarie, que je n'imaginais pas possible, des bébés, des enfants, des femmes, des jeunes dans un festival de musique, assassinés de la sorte, et une mise en scène de cette cruauté, avec les vidéos qui ont été envoyées pour justement créer de la terreur, donc là je trouve que d'abord il faut dire que c'est inqualifiable et que ces crimes-là on ne peut pas les justifier, d'aucune sorte, rien ne peut les justifier. Même au nom de la cause palestinienne on doit pouvoir les condamner de la manière la plus ferme, la plus claire possible, parce que le Hamas prend au piège les Palestiniens eux-mêmes.
SIMON LE BARON
Maintenant il y a la riposte israélienne, le directeur de l'Organisation mondiale de la santé, Tedros GHEBREYESUS, qui lui aussi a connu la guerre enfant, comme vous, lui dans la région du Tigré en Ethiopie, lance un appel à la paix, il écrit « en tant qu'enfant piégé dans l'ombre de la guerre je connais intiment son odeur, ses sons et ses images, je sympathise profondément avec ceux qui sont pris au milieu d'un conflit, ressentant leur douleur comme si c'était la mienne. » Est-ce que vous partagez ces mots ?
RIMA ABDUL-MALAK
Oui, mais ce n'est pas une douleur communautariste, moi je souffre dans ma chair quand je vois les victimes israéliennes, quand je vois autant d'otages dont la vie est en suspens, je pense à leurs familles, je souffre dans ma chair quand je vois des milliers de civils à Gaza qui sont touchés, des enfants innocents qui meurent. Toute cette horreur-là, comment y mettre fin, la question aujourd'hui c'est comment on en sort, est-ce qu'il y a encore un peu d'espoir de trouver un chemin vers une désescalade et vers la reprise de négociations, vers le chemin d'un dialogue qui peut mener un jour à un processus de paix et un jour à une situation avec deux Etats, parce que les Palestiniens ont la revendication légitime de vivre en paix aussi dans un Etat en sécurité, et comment on arrive à ça ? je n'ai pas la réponse aujourd'hui, mais il faut qu'on soutienne toutes les bonnes volontés qui vont permettre d'aller sur ce chemin-là.
SIMON LE BARON
Cette solution à deux Etats que continuent de porter la France et Emmanuel MACRON. La guerre, c'est aussi la guerre de l'information, Rima ABDUL-MALAK, beaucoup de journalistes et de professionnels des médias ont été tués à Gaza, près d'une trentaine selon plusieurs sources, dont un collaborateur de Radio France, Roshdi SARRAJ, on sait aussi que l'armée israélienne coupe les communications dans l'enclave, est-ce que vous appelez le gouvernement israélien à faire plus pour faciliter l'accès à l'information et protéger les journalistes ?
RIMA ABDUL-MALAK
C'est sûr que c'est très grave de voir autant de journalistes tués et autant de risques qui pèsent sur la vie de toutes ces personnes qui risquent leur vie pour nous informer. Le droit à l'information est tel, la liberté de la presse est telle, ce sont des principes fondamentaux, pouvoir accéder à tous les terrains de conflit c'est extrêmement important pour nous informer de la manière la plus juste possible par rapport à ce qui se passe.
SIMON LE BARON
La Société des rédacteurs du « Monde » justement, dans une tribune, demande aux instances internationales et aux dirigeants de tous les pays d'appeler à la protection des journalistes, encore une fois à l'ouverture de la bande de Gaza pour informer, c'est un appel que vous soutenez ?
RIMA ABDUL-MALAK
En tout cas on a besoin que les journalistes soient sur le terrain et nous informent, donc tout ce qui pourra être fait pour les protéger, leur faciliter l'accès, mais aussi les protéger sur place, est extrêmement important.
SIMON LE BARON
Qu'est-ce que vous pensez des reproches qui ont été adressés après le 7 octobre aux artistes français, reproches de manquer d'empathie à l'égard des victimes israéliennes ? Le journaliste du « Monde », encore une fois, Michel GUERRIN, écrit « quasiment tous les artistes à avoir élevé la voix immédiatement après les attaques du Hamas sont juifs, Patrick BRUEL, Gad ELMALEH, Dany BOON, Elie SEMOUN », est-ce que vous avez compris le silence de la plupart des artistes ?
RIMA ABDUL-MALAK
Non, tous n'ont pas été silencieux, moi j'ai lu, entendu, Sophia ARAM, Tahar BEN JELLOUN, Wajdi MOUAWAD et d'autres, et puis moi je ne suis pas la porte-parole des artistes, donc il faut leur demander, en tout cas certains se sont exprimés, d'autres m'ont dit ne pas trouver les mots, ne pas savoir par quelle manière s'exprimer, il ne faut pas penser non plus qu'un silence vaut nécessairement indifférence, on peut être silencieux et choqué, sidéré, et ne pas savoir par quel moyen dire les choses. En tout cas, moi j'attends des artistes, pas tellement qu'ils signent des tribunes, mais qu'ils agissent, et notamment en France, où on a une remontée de l'antisémitisme, on a une crispation et un risque d'importation de ce conflit sur notre territoire. Comment travailler avec les artistes les plus volontaires pour créer des espaces de dialogue, de rencontres, d'échanges sur ces sujets, faire réfléchir, toucher les gens, c'est à ça aussi que les artistes peuvent aider pour donner un peu ce chemin vers l'altérité, vers la compréhension de l'autre. Moi je crois beaucoup à la force de l'art, de la littérature, de la musique pour ça.
SIMON LE BARON
Justement, que peut la culture dans la guerre, je pense à un autre conflit, un autre lieu, la guerre entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan pour le Haut-Karabakh, vous revenez d'Erevan, vous revenez d'Arménie, vous avez annoncé pour 2024 une année exceptionnelle pour l'Arménie en France. Encore une fois, la culture peut être une arme, même pour un conflit lointain ?
RIMA ABDUL-MALAK
Oui, ce n'est pas si lointain, l'Arménie c'est très proche de nous, et j'ai tenu à aller là-bas avec une délégation d'artistes, de professionnels de la culture, pour soutenir le peuple arménien, après Catherine COLONNA qui y était allée également, et de montrer que le soutien de la France il est diplomatique, il est politique, il est sécuritaire, mais il est aussi culturel. C'est le soutien à leur patrimoine, le numériser, le restaurer, en préserver les traces le plus possible, c'est le soutien à leurs artistes, on a créé des nouvelles coopérations dans le domaine du cinéma, de la danse, de la musique, donc c'est d'être aux côtés de la vitalité culturelle de ce peuple, parce que, ils me l'ont tous dit là-bas, « déjà la France est le seul pays qui fait autant pour nous, mais aussi, si on ne sauve pas notre culture, qu'est-ce qui restera ? »
SIMON LE BARON
Nous parlions de la guerre que vous avez vécu donc enfant, vous écrivez dans le dossier de présentation de la Cité internationale de Villers-Cotterêts, qui a été inaugurée hier, et dont on va parler, que la langue française était la langue qui vous consolait de la violence et qui vous aidez à croire en un monde meilleur. Est-ce que c'est toujours ça aujourd'hui la langue française dans le monde ?
RIMA ABDUL-MALAK
C'était ma perception personnelle dans ces années de guerre au Liban où la langue française était pour moi la langue de la littérature, de l'imagination, la langue de livres et de magazines que je lisais à la librairie francophone « Antoine » à Beyrouth, et c'était un échappatoire, un monde nouveau, des personnages qui m'emmenaient, qui me sortaient de la noirceur de la guerre. Chacun a son rapport à la langue, mais je trouve qu'aujourd'hui on a la chance d'avoir enfin ce lieu qui célèbre toute la richesse, la vitalité de cette langue et qui est dans un territoire, à Villers-Cotterêts, qui est la ville de naissance d'Alexandre DUMAS, qui est l'endroit où François 1er a pris cette ordonnance célèbre de Villers-Cotterêts, et d'avoir un lieu pour accueillir en France des artistes, des écrivains du monde francophone.
SIMON LE BARON
Mais la langue française a toujours cet universalisme qui a fait sa richesse ?
RIMA ABDUL-MALAK
La langue française elle nous relie à 321 millions de francophones dans le monde, et avec ce lien il y a des valeurs, aussi, qui sont partagées, il y a une soif de liberté, je pense que ça reste une langue d'émancipation, une langue de culture, une langue d'émotion. Ça peut être aussi une langue de dictature et une langue de tortures, je ne veux pas minimiser ce que le français a permis aussi de plus noir dans notre histoire, mais même les peuples colonisés ont pu dire, comme Kateb YACINE, que le français était leur butin de guerre, et ont utilisé la langue française pour la décolonisation, pour l'émancipation, donc, oui, c'est une langue de liberté pour moi.
SIMON LE BARON
Cette Cité internationale, donc à Villers-Cotterêts dans l'Aisne, est-ce que c'est une façon pour Emmanuel MACRON d'avoir sa pyramide du Louvre, son Quai Branly, d'avoir ce qu'ont su faire François MITTERRAND et Jacques CHIRAC et pas Nicolas SARKOZY et François HOLLANDE ?
RIMA ABDUL-MALAK
Oui, c'est son projet personnel et c'est son projet politique. C'est un projet qui… d'ailleurs c'est le premier projet dédié à la langue française au monde, il y a un musée de la langue portugaise au Brésil, mais il n'y avait pas d'équivalent, nulle part au monde, pour la langue française. C'est dans un territoire qui n'est pas Paris, alors que tous les autres exemples que vous avez cités sont à Paris, et ce n'est pas un nouveau lieu construit de toutes pièces, c'est la restauration d'un patrimoine qui était complètement abîmé, à l'abandon, en ruines, et remettre sur pied ce château qui raconte tant de notre histoire, dans une ville qui raconte tant de notre histoire, dans un territoire qui raconte tellement de notre âme littéraire, c'est un projet magnifique.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 10 novembre 2023