Texte intégral
Je n'aime pas le mot "frustration". Cette audition est pour moi l'occasion de revenir sur mon action, depuis un an et demi, et d'échanger avec vous à propos d'un pilier essentiel de notre politique étrangère et de nos capacités d'influence internationale : notre politique de développement, qu'il convient désormais d'appeler "politique de partenariats internationaux" ou "politique d'investissements solidaires et durables". Je reviendrai sur les moyens et la doctrine de cette politique, ainsi que sur les enjeux d'efficacité, de pilotage et de lisibilité. Cependant, il n'est pas possible de ne pas évoquer au préalable le contexte géopolitique dans lequel nous évoluons.
Les multiples ruptures géopolitiques que nous observons confirment la nécessité des changements opérés dès 2017 et confirmés depuis. Je serai aussi brève qu'exigeante sur le constat, que vous documentez avec précision dans cette commission. Les fractures dans le monde se multiplient : depuis 2020, nous sommes frappés par trois crises majeures qui redéfinissent l'état du monde, et une quatrième a commencé début octobre.
Il y a d'abord eu la pandémie de coronavirus : le réflexe du nationalisme vaccinal, l'interruption des chaînes de valeur mondiales et surtout la géostratégie sanitaire pratiquée par certaines puissances ont eu des conséquences sur l'ensemble du système international. Deux ans plus tard, l'agression de l'Ukraine par la Russie a également provoqué un séisme mondial : l'inflation générée par cette crise et l'instrumentalisation géopolitique des cours de l'énergie, des matières premières et agricoles, ont frappé toute la planète. Selon le Fonds monétaire international (FMI), ces deux crises ont exposé 60% des pays en développement à faible revenu au risque de surendettement.
Alors que la crise climatique s'accélère, les Etats les plus vulnérables font face à un piège terrible : faire défaut sur le plan économique ou faire défaut sur le plan écologique. Nous avons réagi en réunissant à Paris tous les acteurs, fin juin, à l'occasion du Sommet pour un nouveau pacte financier mondial, et nous avons discuté de la réforme de l'architecture financière internationale. Nous croyons qu'aucun pays n'a à choisir entre la lutte contre la pauvreté et la lutte contre le changement climatique.
Le 7 octobre dernier, l'accumulation de ces trois crises systémiques a pris une tournure encore plus complexe. L'horrible attaque terroriste du Hamas contre Israël a ajouté une faille aux fractures du monde. La prétendue fracture entre un "Sud global" et un "Nord global" est, à mes yeux, une fiction utile à des puissances hostiles, un piège rhétorique et stratégique. Nos armes, ce sont les solutions qu'offre la politique de partenariats et d'investissements solidaires de la France.
Vous avez évoqué la croissance majeure de nos investissements solidaires et durables, qui donne toute sa force à notre ambition. Entre 2016 et 2022, l'APD française est passée de 10 à 15,3 milliards d'euros par an. Nous avons établi ensemble cette trajectoire ambitieuse, avec un Parlement unanime. La loi du 4 août 2021, qui a fixé cette trajectoire, est la seule depuis 2017 à avoir été adoptée à l'unanimité à l'Assemblée nationale comme au Sénat. Cette augmentation de 50% en un quinquennat est historique par son volume : elle fait de notre pays le quatrième bailleur mondial. Ce consensus national nous honore car notre engagement est tenu : nous consacrons plus de 0,55% du RNB aux investissements solidaires et durables. Il nous engage aussi à contrôler avec efficacité l'emploi de ces ressources. Il nous donne enfin une force considérable.
Face à la multiplication des crises, ma priorité, c'est l'efficacité. Si ces financements sont renforcés, ils ne sont pas illimités : ils s'inscrivent donc dans une doctrine centrée autour de priorités thématiques et géographiques. Ensemble, nous avons établi cette nouvelle doctrine pour employer ce levier d'influence avec efficacité - d'abord au printemps, autour du président de la République, lors du CPD qui s'est réuni le 5 mai, puis à l'été, durant la réunion en distanciel du CICID, sous l'égide de la première ministre, afin de décliner les grandes orientations du CPD. Ce processus est par définition interministériel mais je suis heureuse de vous en rendre compte aujourd'hui.
C'est à cette occasion que nous avons choisi d'adopter un vocabulaire correspondant à notre politique partenariale. Nous ne parlons plus d'aide publique au développement mais d'"investissements solidaires et durables" parce que nos partenaires, qu'il faut écouter et respecter, ne demandent pas la charité mais des investissements. Notre approche stratégique du développement assume un retour sur investissement, avec des contreparties claires.
Cette nouvelle doctrine prend en compte les réalités géopolitiques autant que la situation économique. Les défis du développement international se multiplient mais nos investissements solidaires ne sont pas illimités. Appliquons donc au développement les principes de la guerre exposés par le maréchal Foch : économie des forces et concentration des efforts.
Pour être efficaces, nous avons défini très clairement dix priorités thématiques, qui structurent les contrats d'objectifs et de moyens de nos opérateurs et constituent la matrice avec laquelle nos ambassadeurs doivent désormais concevoir nos stratégies pour chaque pays en matière de développement. À la veille de la COP28, je rappellerai seulement la première de ces priorités : accélérer la sortie du charbon et financer les énergies renouvelables dans les pays en développement et émergents pour limiter le réchauffement climatique global à 1,5 degré. Ce seuil critique sera franchi d'ici à 2030, alors que notre objectif initial était 2100.
L'efficacité passe également par de nouvelles priorités géographiques. À la suite du CPD, le CICID a pris une décision qui s'imposait : celle de supprimer la liste fixe des pays prioritaires, qui posait plusieurs difficultés. Elle pouvait laisser croire à un droit quasi automatique à recevoir notre aide sans contrainte ni contrepartie. Elle nous empêchait également d'être réactifs face à des situations critiques, comme pour aider le Liban, qui n'y figurait pas.
En matière géographique, l'efficacité passe aussi par l'établissement de priorités. Priorité est ainsi donnée aux PMA. À l'heure où les inégalités mondiales ont recommencé à croître, nous voulons consacrer 50% de notre effort bilatéral aux PMA, parmi lesquels figurent les dix-neuf pays anciennement prioritaires. Dans l'ensemble, nous soutiendrons les pays qui ont envie de la France, de notre expertise et de nos investissements. Notre approche doit être transactionnelle, au carrefour de nos intérêts et de ceux de nos partenaires.
Permettez-moi de prendre l'exemple de la Zambie. Je m'y suis rendue et j'y retournerai dans deux semaines, dans la continuité du Sommet pour un nouveau pacte financier mondial, pour continuer à aider ce pays à sortir du surendettement et à réaliser son ambition de développement décarboné. La Zambie est très reconnaissante envers la France, qui travaille avec elle à la réduction de la dette : elle a envie de travailler avec nous.
Notre nouvelle doctrine refonde notre action. Nous retrouvons notre liberté de manoeuvre - pour citer à nouveau le maréchal Foch -, par exemple pour agir davantage avec les grands pays émergents. Le partenariat franco-indien pour la planète, adopté le 14 juillet par le président de la République et le premier ministre indien Narendra Modi, illustre parfaitement notre coopération avec ce pays-continent - le plus peuplé du monde -, un partenaire majeur dans l'Indo-Pacifique. L'Inde vient de céder la présidence du G20 au Brésil, dont le président Lula est un interlocuteur clé pour la réalisation de nos objectifs : son agenda structurera avec force la réponse aux enjeux globaux. J'ajoute que le Brésil accueillera également la COP30 en 2025. Dès lors, nous devons agir avec cet Etat-continent en utilisant nos capacités d'investissements solidaires et durables.
La réussite de cette politique partenariale passe également par un nouveau pilotage politique du développement : nous y tenons tous et vous m'en aviez fait la demande dès ma nomination. Comme promis, j'ai réuni pour la première fois, le 13 novembre, un comité de pilotage de la politique d'investissements solidaires, auquel ont participé l'ensemble des opérateurs ainsi que le ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Nous nous réunirons tous les trois mois avec les opérateurs ; une fois par an, les ministres Bruno Le Maire et Catherine Colonna se joindront à nous. Pas plus tard qu'hier, j'ai présidé ma septième réunion du Conseil national pour le développement et la solidarité internationale (CNDSI) car je suis toujours à l'écoute des représentants de la société civile. En outre, je veillerai à ce que la représentation nationale soit pleinement associée au suivi des orientations du CICID. Je regrette comme vous, monsieur le président, que la commission d'évaluation prévue par la loi du 4 août 2021 ne se soit toujours pas réunie. J'espère qu'une solution émergera pour qu'elle soit mise en place, sous le format prévu ou sous un format révisé, car le pilotage et le suivi sont des éléments très importants pour la réussite d'une politique, ainsi que pour sa modification ou son amélioration.
Au niveau local, nos ambassadeurs sont chargés d'organiser des conseils locaux de développement. Ils sont les chefs d'orchestre de "l'équipe France". Nous leur avons redonné des marges de décision significatives : les ambassades peuvent désormais instruire directement des projets rapides, visibles, correspondant aux besoins immédiats identifiés par leurs interlocuteurs locaux, pour un montant maximum de 2 millions d'euros. Nous souhaitons consacrer près de 80 millions à ces outils qui n'existaient pas il y a deux ans. C'est une petite révolution financière qui accompagne le réarmement humain du ministère, à la faveur des états-généraux de la diplomatie. Continuons de nous inspirer des leçons du maréchal Foch et appliquons le principe de libre disposition des forces : ainsi, nous pourrons rendre notre approche plus transactionnelle et donc plus politique.
Il est nécessaire que notre posture partenariale soit visible. Elle doit être tout aussi crédible et lisible que notre posture stratégique. C'est pourquoi je tiens au "faire savoir" de notre savoir-faire. Le moment est arrivé d'emprunter un sentier majeur, dans la droite ligne du CPD et du CICID, en ayant une signature unique de la France dans tous nos projets de solidarité : chaque école, chaque barrage hydroélectrique financé par la France devra faire apparaître le drapeau tricolore pour mettre en évidence la contribution de notre pays. La visibilité est une priorité absolue, non seulement pour nos partenaires mais aussi pour nos concitoyens, d'autant que d'autres puissances font moins en la matière mais communiquent plus.
Dans cette même veine, nos ambassadeurs bénéficient désormais de deux innovations importantes dans leur lien avec l'AFD : un droit d'initiative, pour proposer des projets à l'Agence, et la possibilité de rendre un avis conforme sur des projets de l'AFD en dons, en cours d'instruction. Cela permet de garantir l'alignement des projets avec nos priorités politiques. Voilà comment consolider notre approche stratégique au plus près du terrain !
En matière de développement, la France dispose donc d'une doctrine, de moyens désormais adaptés aux défis géopolitiques, d'outils de pilotage, mais il reste à savoir comment insuffler cette culture stratégique dans l'"équipe Europe". Voilà bientôt cinq ans que l'Union a commencé à parler d'"Europe géopolitique" ; j'étais alors députée européenne. La France a joué un rôle pivot en la matière et l'histoire a montré que c'était une nécessité, qui ne se limite cependant pas aux enjeux politico-militaires. Si nous considérons la politique de développement comme un instrument de solidarité et comme un instrument d'influence - il ne s'agit pas d'une politique de charité -, alors l'équipe Europe a aussi besoin d'une boussole pour se guider dans les environnements complexes. Au Conseil de novembre, j'ai alerté mes homologues à ce sujet : quand une situation politique se dégrade très rapidement, des choix politiques disparates, au sein de l'Union européenne, en matière d'aide au développement sont autant de dissonances diplomatiques qu'exploitent nos rivaux stratégiques. C'était vrai au Sahel et ce le sera sur chaque théâtre de crise. À court terme, j'espère, par exemple, que le sommet ministériel entre l'Union européenne et l'Union africaine - un moment fort de la présidence française - sera reprogrammé. Le sujet ne se limite pas cependant à une question africaine : il s'agit d'une question stratégique globale que l'équipe Europe doit traiter partout.
Aujourd'hui, la politique de développement est plus que jamais géopolitique et géostratégique. Je l'ai constaté partout où je me suis rendue. Toutes les évolutions que j'ai décrites et les priorités que j'ai énumérées ont pour objectif de nous adapter à cette nouvelle donne pour continuer de peser au XXIe siècle, comme Français et Européens, et d'apparaître comme un partenaire fiable et crédible aux yeux du monde. Nos partenaires ont besoin de nous mais nous avons également besoin d'eux.
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Je n'entrerai pas dans le débat sur la Ve République mais je vous assure que la loi du 4 août 2021 est ma boussole et celle du Gouvernement. Ayant été députée européenne, je peux comprendre vos sentiments mais sachez que je suis toujours à votre disposition.
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R - Votre question rappelle ce que j'ai souligné : la politique de développement n'est pas de la charité, elle est un investissement : solidaire, bien sûr, mais qui doit faire avancer les intérêts de tous. Les luttes contre le changement climatique, pour la santé et pour l'accès à l'énergie se font dans l'intérêt de tous, quand bien même cela sert aussi nos intérêts propres et ceux de nos partenaires.
Si cela concerne nos intérêts, alors cela touche à la question de l'influence économique. Rassurez-vous, nos financements de développement dégagent déjà des bénéfices directs importants pour nos partenaires, ainsi que pour nos entreprises. C'est normal, c'est le principe d'un partenariat. En 2022, les entreprises françaises détenaient 47% de parts de marché pour les opportunités ouvertes par les financements de l'AFD, ce qui représentait près de 500 millions d'euros, tandis que 70% des projets de l'AFD impliquaient au moins un acteur français. Bien sûr, nous devons aller plus loin et, dans le cadre des nouvelles orientations décidées par le CICID, le Gouvernement renforce la dimension de l'influence économique dans le mandat du groupe AFD tout en maintenant le principe du déliement de l'aide.
En plaçant notre expertise de manière stratégique, en renforçant les normes environnementales et sociales, en privilégiant le financement sous forme de projets concrets - idéalement dans des secteurs et pays où nous avons un avantage compétitif -, nous utilisons l'APD comme un outil d'influence économique.
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R - Je n'apprécie pas votre usage du terme "mépris" car je n'éprouve pas ce sentiment à votre égard. Comme je vous l'ai dit, je reste à votre disposition.
L'agriculture est un enjeu majeur pour tous les partenaires, qui fait l'objet d'une politique en France et en Europe. Elle est l'un des piliers de la politique de développement et nous avons placé la souveraineté alimentaire en son coeur, en France comme au niveau européen.
À l'initiative du président de la République, cette politique a d'abord visé à lutter contre les répercussions de l'agression de l'Ukraine par la Russie - les lacunes de certains pays, qui n'avaient pas de programme bien structuré pour être souverains, étaient alors très visibles. À cela s'est ajoutée l'initiative Farm - mission pour la résilience alimentaire et agricole -, qui a consisté en une action forte concernant les engrais. En 2022, près de 1 milliard d'euros ont été mobilisés dans ce domaine.
L'action sur le plan humanitaire va de concert avec la politique de développement à long terme. Nous soutenons les pratiques agroécologiques et la structuration des filières agricoles dans nos pays partenaires, selon leurs demandes. Face à la montée de la faim et de la malnutrition dans le monde, la France a quintuplé en cinq ans l'aide alimentaire programmée, qui s'élève à plus de 150 millions d'euros en 2023 et continuera de progresser. Nous mettons également l'accent sur la lutte contre la sous-nutrition, notamment infantile et maternelle.
Nous avons un véritable agenda diplomatique sur ce sujet, servi par une force de mobilisation reconnue. En octobre 2023 s'est tenue à Paris la première réunion de la Coalition mondiale pour l'alimentation scolaire, que j'ai eu l'honneur de coprésider avec mes homologues finlandais et brésilien ; souvenez-vous qu'à sa première élection, le président Lula avait lancé le combat pour que tous les enfants aient accès à un repas sain par jour. Nous continuons de soutenir ce projet mêlant alimentation, éducation et émancipation, notamment dans le cadre de la présidence brésilienne du G20.
En décembre 2023 aura lieu à Paris la reconstitution du Fonds international de développement agricole (FIDA), auquel la France contribuera le plus, à égalité avec l'Angola, à hauteur de 150 millions d'euros. Au tournant de 2024 et 2025, un sommet "Nutrition pour la croissance" sera organisé en lien avec les Jeux olympiques. Enfin, la France l'est un des principaux contributeurs du Programme alimentaire mondial (PAM), pour lequel une dotation supplémentaire d'un montant de 40 millions d'euros a été décidée en septembre. C'est notre partenaire privilégié en cas de crise, comme nous l'avons encore vu récemment à Gaza.
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R - Vous auriez peut-être préféré avoir Gabriel Attal devant vous. Je suis désolée mais je n'ai pas vocation à m'exprimer sur le volet national. C'est toutefois avec plaisir que je développerai notre action à l'international.
L'objectif numéro 3 du CICID concerne en effet l'investissement dans la jeunesse par le soutien à l'éducation et la formation des professeurs dans les pays en développement. Depuis 2018, la France s'est fortement mobilisée pour mettre l'éducation et son financement au cœur de son agenda international. Elle est un acteur clé : en y consacrant chaque année plus de 1,3 milliard d'euros de son APD, elle est - derrière l'Allemagne mais devant les Etats-Unis - le deuxième bailleur mondial dans ce secteur. En 2021, notre pays a renouvelé son engagement auprès du Partenariat mondial pour l'éducation avec une contribution volontaire d'un montant de 333 millions d'euros jusqu'en 2025. Je vous confirme ainsi que la question de l'éducation est une priorité pleinement intégrée au CICID.
Nous prêtons une attention particulière à l'éducation des filles et à l'égalité des genres par et dans l'éducation car notre contribution y est dédiée pour moitié. Nous soutenons l'initiative "Priorité à l'égalité" pour l'intégration du genre dans les politiques éducatives en Afrique subsaharienne. La France défend un financement plus important, équitable et efficient en matière d'éducation. Nous soutenons encore différents programmes, comme le programme "Ecole et langue nationale" (Elan), lancé en 2012 par l'Organisation internationale de la francophonie (OIF) et mené par l'Institut de la francophonie pour l'éducation et la formation, qui est une structure de l'OIF basée à Dakar et dédiée à l'éducation.
Nous faisons beaucoup de choses à l'international. Cela reste l'une de nos priorités.
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R - L'objectif de 0,7% du RNB alloué à l'APD d'ici à 2030 reste notre boussole : le président de la République l'a répété lors du CPD et la loi du 4 août 2021 nous invite à nous efforcer d'atteindre cet objectif, qui n'est cependant pas contraignant. Nous sommes déjà aujourd'hui le quatrième bailleur mondial, ce qui n'est pas rien ; c'est d'ailleurs la première fois de notre histoire que notre APD dépasse les 15 milliards d'euros. Gardons aussi à l'esprit que les indicateurs produits par l'OCDE sont davantage conçus pour comparer les pays que pour caractériser un effort budgétaire. Du reste, lorsque la loi du 4 août 2021 a été votée, il n'y avait ni la guerre en Ukraine, ni l'inflation qui en découle, ni l'augmentation des taux d'intérêt. Je rappelle enfin que c'est le Parlement qui vote les crédits de l'APD et que nous comptons sur votre soutien pour que ces derniers soient ambitieux.
S'agissant du rapport d'Oxfam et de Proparco, je m'engage à vous faire parvenir, ainsi qu'au président de la commission, une réponse écrite.
La santé est une des priorités de notre politique de développement et une de mes priorités en tant que ministre. Plus de 1 milliard d'euros d'APD y sont consacrés chaque année ; je ne rappellerai pas ici le détail de nos actions. La France a montré son leadership sur les questions multilatérales en matière de santé, notamment en participant au lancement de l'initiative ACT-A - Access to Covid-19 Tools Accelerator -, en faisant don de doses vaccinales via le programme Covax, en mettant en œuvre une aide bilatérale ou encore en versant, l'année dernière, une contribution historique de 1,6 milliard d'euros au Fonds mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme, dont 20% ont été alloués à l'Initiative d'Expertise France, ce qui a permis le développement de nouvelles interventions dans nos domaines prioritaires. Tous ces sujets sont suivis par notre ambassadrice pour la santé. Enfin, dans le cadre de la COP28 organisée à Dubaï, une journée sera pour la première fois dédiée à la relation entre climat et santé ; j'y participerai. Il s'agira de discuter de financements associant ces deux notions.
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R - Je vous remercie pour le travail que vous effectuez au sein de l'AFD.
À mon arrivée au ministère, je me suis appuyée sur la loi qui avait été votée à l'unanimité. J'ai d'abord cherché à réorganiser le travail de l'équipe France en allant contre les habitudes et les prés carrés. Il fallait créer de la fierté par ce travail. Si l'on veut être efficaces, cohérents et lisibles, alors un pilotage politique est nécessaire.
J'aimerais aussi que cette politique ne soit pas seulement une politique du Gouvernement mais bien une politique de tous les Français, et que ces derniers comprennent en quoi ces 15 milliards d'euros sont utiles. Nous pourrions facilement l'expliquer, comme ce fut le cas en matière de santé lors de la pandémie - puisque nous devions rester chez nous, nous avons compris que nous dépendions d'autrui : l'interdépendance était évidente. Comme vous êtes au contact des citoyens, dans vos circonscriptions, je souhaiterais que vous m'aidiez à montrer que ces financements, que d'aucuns considèrent comme des cadeaux, s'inscrivent dans une véritable politique, au bénéfice des citoyens.
L'AFD est un opérateur sous la tutelle de l'Etat, ce que la loi du 4 août 2021 a clairement rappelé. Catherine Colonna, Bruno Le Maire et moi-même sommes très attachés au pilotage politique : je l'ai engagé le 13 novembre et je sens qu'il se met en place. J'ai demandé que chaque ambassadeur définisse une "stratégie pays" car il n'est pas possible d'élaborer une politique de développement uniquement depuis Paris. Le réarmement des ambassades est important : les ambassadeurs doivent être des chefs d'orchestre, en lien avec les opérateurs et les acteurs locaux. Ces stratégies pays, auxquelles je suis très attachée, fonderont notre politique pour 2024.
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R - L'origine du TOSSD remonte à 2015, avec l'adoption de l'accord de Paris, des objectifs de développement durable (ODD) et du programme d'action d'Addis-Abeba. L'idée est simple : au-delà de l'APD, il y a de nombreux flux financiers publics qui contribuent au développement, que le TOSSD permet de mesurer. En 2019, la présidence française du G7 a soutenu cette idée et appelé à la création d'un mécanisme de gouvernance, ouvert à tous au sein de l'Organisation des Nations Unies (ONU), pour le piloter. La France contribue au TOSSD en fournissant depuis 2020 une déclaration annuelle, qui couvre un large périmètre et comptabilise également les financements en faveur de nos concitoyens : les financements validés dans ce cadre se sont ainsi élevés, en 2021, à 34 milliards d'euros.
Au sein du CICID, nous avons décidé de réfléchir à la création d'une mesure intermédiaire des financements solidaires et durables qui tiendrait uniquement compte des fonds à destination des pays en développement. Il ne s'agit pas de remplacer l'APD ou de justifier sa baisse mais de mieux valoriser l'ensemble de nos actions et de mieux piloter les leviers financiers qui contribuent au développement.
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R - Je regrette que vous vous soyez abstenu en 2021, puisque vous trouviez la loi si belle. Toutefois, l'adaptation à la réalité démontre notre intelligence collective et je vous rappelle que, dans la loi du 4 août 2021, l'objectif de 0,7% du RNB était seulement indicatif.
Les besoins de financement pour lutter contre les inégalités sont tels que les financements publics ne suffiront pas. C'est pourquoi nous avons participé au Sommet pour un nouveau pacte financier mondial et que nous évoquons de nouveaux financements, éventuellement issus de la fiscalité, qui ne peuvent pas être uniquement publics. Chacun doit contribuer.
La gouvernance fiscale reste l'une de nos priorités. Peut-être aurons-nous l'occasion d'y revenir par la suite mais nous venons d'approuver en la matière un soutien de 100 millions d'euros pour l'Arménie. Nous sommes attachés à la mobilisation des ressources domestiques et vous serez heureux d'apprendre que nous soutenons l'initiative "Inspecteurs des impôts sans frontières".
Nous discutons déjà avec l'OCDE et le G20 d'une taxation minimale et notre priorité est de mener à bien les négociations bien engagées pour répartir les droits de taxation dans le cadre de l'accord sur la taxation minimale des multinationales. À la COP28, nous lancerons avec le Kenya une task force sur la fiscalité, à laquelle participeront Laurence Tubiana, Mia Mottley, Oxfam et Najat Vallaud-Belkacem. Je vous remercie pour les idées que vous m'apporterez.
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R - La politique française de développement, reconnue par les autres Etats membres, n'est pas isolée : elle s'inscrit dans des actions bilatérales, qui restent au cœur de nos priorités, mais il est aujourd'hui indispensable d'agir à l'échelle européenne. Contrairement à ce que certains prétendent - à savoir que nous voudrions diluer les intérêts de nos concitoyens -, nous voulons intervenir à l'échelle pertinente dans un monde où les défis sont immenses et où il est impératif d'atteindre une masse critique pour se faire entendre et respecter. C'est ensemble, comme Européens au sein de l'"équipe Europe", que nous occupons le premier rang des bailleurs mondiaux en ayant fourni 43% de l'APD en 2022.
En tant qu'ancienne vice-présidente de la commission du développement du Parlement européen et rapporteure de la nouvelle stratégie de l'Union européenne pour l'Afrique, j'ai constaté que les priorités françaises et européennes étaient désormais bien alignées. Lorsqu'il est question d'agriculture, de paix et de sécurité, de santé, de climat ou d'infrastructures, nous disposons d'outils communs pour davantage agir ensemble : je pense, par exemple, à la stratégie "Global Gateway".
Aujourd'hui, une politique de développement efficace au service des intérêts de nos concitoyens doit être pragmatique, coordonnée, bilatérale, multilatérale et européenne.
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R - À celles et ceux qui ne considèrent le continent africain que sous un angle négatif, je réponds qu'il existe un effet miroir : quand l'Afrique réussit, l'Europe réussit. Ce n'est pas un hasard si les investissements internationaux s'y multiplient. Sa démographie, sa jeunesse, ses opportunités d'emplois, ses talents et son intelligence sont reconnus. C'est en effet à Marseille que l'on peut sentir toute cette créativité.
Les programmes "Choose Africa" visent à encourager les investissements privés sur le continent africain. "Choose Africa 1" a été un vrai succès et le président de la République nous a demandé d'avancer dans l'organisation de sa suite. Nous définissons actuellement, avec l'Elysée, les pays visés, et je dois encore rencontrer la personne chargée du programme à l'AFD. Permettez-moi de revenir vers vous ultérieurement car c'est à mon retour de la COP28 que j'accélérerai l'organisation du programme.
Depuis l'entretien entre le président de la République et le premier ministre arménien Nikol Pachinian, en janvier 2021, l'activité souveraine de l'AFD a repris en Arménie. En septembre 2022, une aide de 100 millions d'euros a été décidée dans le domaine de la gouvernance financière.
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R - La France est résolument engagée aux côtés des populations arméniennes au Haut-Karabagh et soutient l'Arménie.
L'aide humanitaire a été multipliée par trois, atteignant 12,5 millions d'euros en 2023. Cela s'ajoute aux efforts de la société civile et des collectivités territoriales françaises. Une aide médicale d'urgence a également été fournie aux autorités arméniennes.
Il faut également faire des investissements solidaires. Par l'intermédiaire de l'AFD, 251 millions d'euros ont été investis dans les secteurs de l'énergie, de l'agriculture, ainsi que dans la gouvernance financière.
La France est également mobilisée sur le plan politique. À Grenade, le 5 octobre dernier, le président de la République a rappelé son soutien indéfectible à l'indépendance, à la souveraineté et à l'intégrité territoriale de l'Arménie. Nous avons autorisé la conclusion de contrats de livraison de matériel militaire à destination de l'Arménie. Un travail est par ailleurs effectué au sein de l'Union européenne.
Je remercie enfin les parlementaires de la majorité, dont le travail démontre un soutien sans faille à l'Arménie.
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R - La France est pionnière en matière de taxation innovante pour financer la solidarité internationale et la protection de la planète. Les produits de la TSBA, instaurée sous la présidence de Jacques Chirac, et de la TTF, depuis 2012, bénéficient à notre action en matière de santé mondiale, de lutte contre le VIH et de protection de l'environnement. Le montant des recettes de ces taxes affectées à l'APD est de 730 millions d'euros : c'est plus que dans n'importe quel autre pays. Le reliquat du produit de la TTF abonde le budget général de l'Etat et finance indirectement le développement.
Dans le cadre du nouveau pacte financier mondial, nous devons réussir à faire converger les pays en matière de taxation. La France, déjà championne dans ce domaine, ne peut résorber seule les inégalités mondiales. Nous sommes pionniers, non seulement à l'échelle nationale mais aussi à l'échelle internationale : à la COP28, le président kényan William Ruto, la première ministre barbadienne Mia Mottley et le président de la République annonceront le lancement d'une coalition internationale en matière de taxation financière.
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R - Le CICID de 2023 a pris un engagement en matière d'aide humanitaire, avec un objectif de 1 milliard d'euros en 2025. Cette hausse consolidera notre engagement dans les zones déjà frappées par des crises, y compris l'Arménie, tout en renforçant notre capacité à réagir à de nouvelles crises. Nous mobiliserons tous les instruments disponibles, notamment les prêts et les dons, au bénéfice de l'Arménie. Il faut savoir que le gouvernement arménien a refusé les prêts proposés par l'AFD entre 2016 et 2021. L'AFD avait alors poursuivi son action en accordant des subventions et des prêts aux entreprises arméniennes par l'intermédiaire de Proparco.
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R - Comme je l'ai dit plus tôt, je n'ai pas vocation à répondre aux questions de politique nationale. Je vous invite à vous adresser à mon collègue Gabriel Attal.
La France est fortement mobilisée pour l'éducation et son financement, qui sont au cœur de notre agenda international. Depuis 2018, nous avons investi 1,3 milliard d'euros par an dans ce secteur. En 2021, la France a renouvelé son engagement auprès du Partenariat mondial pour l'éducation, qui prévoit une contribution de 333 millions d'euros jusqu'en 2025. Nous accordons la même importance à l'éducation des garçons et des filles. Nous défendons aussi auprès des autres bailleurs la nécessité d'inscrire l'éducation comme priorité.
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R - Je suis persuadée qu'un conditionnement de l'APD aux sujets migratoires constituerait une mauvaise réponse à une bonne question.
Nous faisons déjà beaucoup sur le volet migratoire, et nous nous efforçons de faire davantage encore. L'ensemble de nos opérateurs ont reçu la consigne de consacrer davantage de moyens à des programmes de coopération en matière migratoire. Des courriers signés par deux ministres ont été envoyés à l'AFD, à Proparco et à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Les questions relatives aux migrations et aux déplacements forcés ont mobilisé 15% des financements extérieurs de l'Union européenne en 2022. Lors du CPD du mois de mai, le président de la République a décidé de faire figurer la lutte contre l'immigration irrégulière parmi les dix objectifs prioritaires de notre politique de développement. Nous finalisons actuellement une stratégie "Migrations et développement 2023-2030" pour agir dans les cinq domaines identifiés par le plan d'action conjoint de La Valette : le retour, la lutte contre les filières, les frontières, la protection des migrants et la lutte contre les causes profondes de l'immigration illégale.
À l'échelle européenne, nous avons soutenu l'allocation de 10% des financements à la gestion des migrations, ainsi que la mise en œuvre d'un mécanisme visant à récompenser les Etats les plus coopérants, notamment en matière de réadmission. Nous ne sommes toutefois pas favorables à une conditionnalité simple, parce que ce n'est pas efficace et que les montants en jeu sont très faibles. Le seul instrument que nous pourrions éventuellement conditionner est celui des aides budgétaires, dont le montant est réduit.
L'APD est un outil de long terme qui ne constitue pas un moyen de pression, d'autant que sa réduction mécanique risquerait d'accroître les départs, notamment des déplacés climatiques. Un projet de construction de barrage soutenu par l'APD est structurant et créateur d'emplois : il n'est pas aussi simple de s'en désengager que de couper une aide budgétaire.
Le problème migratoire étant concentré dans un nombre limité de pays, une mesure générique de conditionnalité endommagerait nos relations avec de nombreux pays pour un résultat incertain. L'APD est un outil d'influence diplomatique et économique ; la conditionner nous placerait dans une situation de fragilité vis-à-vis d'autres puissances, dont je tairai les noms, qui exploiteraient notre absence.
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R - La COP est certes un moment de négociation mais elle est aussi un endroit où créer des alliances, trouver des solutions et s'engager dans des projets concrets. Cette COP s'annonce très difficile pour négocier la sortie des énergies fossiles, que la France soutient avec force. Le président de la République défendra une initiative pour la sortie du charbon. Parmi nos autres objectifs, nous sommes favorables à un triplement des énergies renouvelables d'ici à 2030 et à l'établissement d'un bilan mondial qui ne soit pas seulement descriptif mais qui contienne aussi des recommandations en vue de la COP30. Ce ne sera pas facile mais la ministre Agnès Pannier-Runacher est pleinement mobilisée.
Quant à moi, il me revient de travailler en amont et en aval, afin de faire avancer les coopérations concrètes, notamment en matière de financement des actions climatiques, pour lesquelles je suis mobilisée dans le cadre de cette COP. En 2022, nous avons dépassé notre objectif de 6 milliards d'euros annuels en allouant 7,6 milliards de financements aux actions en faveur du climat, dont 2,6 milliards pour l'adaptation au changement climatique.
La COP28 sera aussi l'occasion de faire le point sur la mise en œuvre du Pacte de Paris pour les peuples et la planète - soutenu par quarante-deux Etats -, sur la protection des forêts tropicales, sur la prise en considération de la vulnérabilité, ainsi que sur les liens entre santé et climat.
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R - C'est la première fois qu'une journée sera dédiée à la santé lors d'une COP. Une cinquantaine d'Etats y participeront. Nous espérons que ce sera un moment d'impulsion, de progrès, qui permettra au continuum santé-climat de devenir partie intégrante des futures COP.
Nous défendons l'approche "One Health" - une seule santé -, notamment dans le cadre de l'initiative Prezode. Lors de la pandémie de Covid-19, nous avons vu la corrélation entre santé humaine, santé animale et santé environnementale. Il y a des mobilisations en faveur de financements pour des recherches sur l'impact de l'environnement et du climat sur la santé humaine. Il faut parvenir à faire converger les financements de la Banque mondiale, laquelle a intégré la santé comme priorité, vers ce secteur. La présidence émirienne fera une déclaration en faveur d'un plan d'action détaillé, que nous soutiendrons.
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R - Merci. Je réitère que je suis à la disposition de la commission.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 décembre 2023