Texte intégral
Q - Bonjour, Catherine Colonna.
R - Bonjour.
Q - On approche du seuil de 20.000 morts à Gaza, un agent palestinien de votre ministère a trouvé la mort ce week-end, trois otages ont été tués, victimes de tirs de l'armée israélienne, il reste plus de 120 otages à Gaza, dont sans doute trois Français ; est-il temps de stopper les opérations militaires israéliennes ?
R - La situation humanitaire à Gaza est terrible, personne ne peut le nier. Même si l'on a une comptabilité des morts qui est parfois discutée, il est certain que les civils palestiniens - qui ne sont pour rien dans les crimes commis par le Hamas le 7 octobre - souffrent, manquent de tout, qu'il faut les aider, les aider davantage. Et c'est l'une des raisons pour lesquelles nous demandons un effort particulier, de façon à ce qu'une pause réelle, durable, soutenable puisse intervenir sans délai, permettre de mieux secourir les civils, de leur apporter davantage d'aide humanitaire, permettre aussi la libération des otages, qui reste pour nous la première priorité, qui devrait se poursuivre, là aussi sans délai et sans condition. Malheureusement, cela n'a pas été le cas. Donc une trêve est nécessaire pour obtenir la libération des otages. Je rappelle en effet que trois Français sont disparus à la suite des attaques terroristes du 7 octobre.
Q - Mais, vous l'avez constaté avant-hier en Israël, le gouvernement israélien ne veut pas stopper ses opérations militaires, veut à tout prix détruire le Hamas. N'est-ce pas un dialogue de sourds avec Israël ?
R - Nous comprenons la nécessité dans laquelle se trouve Israël de faire en sorte que le Hamas ne puisse pas recommencer les horribles attentats qui ont été commis le 7 octobre, et avec, vous le savez, une particulière barbarie. Mais ensuite, dans la façon d'exercer son droit à se défendre, à protéger sa population, à lutter contre le terrorisme, oui, nous avons une divergence de points de vue avec Israël. Et comme la plupart de nos partenaires européens, américains, nous avons le message très clair, que nous portons à Israël, de conduire ces opérations différemment. Des bombardements systématiques, lorsqu'ils sont pratiqués, mettent en péril excessivement la vie des civils. Il faut des opérations plus ciblées, il faut prendre davantage de précautions. Israël doit respecter le droit international humanitaire, comme tout pays. Et s'il est difficile de mener des opérations militaires dans une zone telle que Gaza - peuplée, et où le Hamas est certainement mêlé à la population -, c'est une raison supplémentaire pour prendre des précautions. Nous demandons à Israël de prendre des mesures concrètes, de façon à éviter qu'il y ait trop de pertes de vies civiles.
Q - Au-delà des bombardements, Philippe Lazzarini, qui est le chef de l'Agence de l'ONU pour les réfugiés palestiniens, estime que des habitants de Gaza pourraient bientôt mourir de faim. Que peut-on faire pour atténuer la crise humanitaire ?
R - Il faut apporter davantage d'aide aux populations civiles et le plus vite possible, demander à Israël d'ouvrir davantage de points d'entrée de cette aide, permettre aussi que l'aide soit distribuée partout dans la bande de Gaza, en particulier au nord, où c'est encore plus difficile, bien sûr, que dans la partie sud. Nous sommes en contact avec tous nos partenaires à cette fin. Pour ce qui concerne la France, qui a déjà fait parvenir sur place 200 tonnes d'aide humanitaire, nous allons tripler, dans les dix jours, le volume de notre aide. Il y a 700 tonnes de fret et de compléments alimentaires qui sont en cours d'acheminement, avec le Programme alimentaire mondial. Le premier bateau - parce que cela se fera par bateaux, pour emporter davantage de quantités -, partira mercredi du Havre, et le second une semaine après.
Q - Les Etats-Unis s'opposent encore à un cessez-le-feu à l'ONU, mais demandent tout de même à Israël des opérations plus ciblées désormais contre le Hamas. Est-ce que vous avez l'impression que la pression internationale, américaine en particulier, s'accroît ?
R - Les Etats-Unis le disent, nous le disons : dans la conduite de ces opérations, il faut faire en sorte que davantage de précautions soient prises, que les civils ne soient pas aussi exposés qu'ils le sont. Et donc oui, nous sommes plusieurs - et il faut l'entendre - à dire que la conduite des opérations militaires nous paraît problématique et qu'il faut faire une plus grande distinction entre des opérations ciblées, qui peuvent être légitimes et nécessaires pour venir à bout du Hamas, et l'exposition de la population civile à trop de souffrances, qui n'est pas justifiable.
Q - Israël est dirigé par un gouvernement très extrémiste aujourd'hui, qui semble encourager la colonisation. Vous l'avez constaté avant-hier en Cisjordanie : le 7 octobre donne un prétexte aux colons extrémistes pour commettre des actes de violence. Que peut-on faire ? Que peut faire la France contre ces agissements ?
R - Il faut être clairs. De même que le terrorisme n'est jamais justifiable - jamais - et ne peut pas être justifié par les difficultés de la situation au Proche-Orient, de longue date, de même, il faut dire que la colonisation est illégale. Elle l'est en droit international, elle conduit à des exactions sur place qui sont inadmissibles - nous en avons été témoins. Et l'extrémisme doit être condamné de tous côtés. Nous demandons à Israël de prendre des mesures contre les colons qui commettent des violences contre les fermiers palestiniens, d'utiliser le droit israélien, qui interdit de telles violences, pour qu'il soit mis fin à ces violences.
Q - Autre front de ce conflit, la frontière israélo-libanaise : échanges de tirs quasi quotidiens entre le Hezbollah et Israël. Vous étiez hier au Liban, la France le répète depuis le 7 octobre, il faut éviter l'embrasement - c'est d'ailleurs un message que vous fait passer aussi Israël -, mais le Hezbollah semble rejeter les interventions extérieures. Que pouvez-vous faire ?
R - Je me suis rendue en effet, pour la quatrième fois dans la région depuis le 7 octobre, en Israël comme au Liban, pour contribuer à la désescalade, contribuer à éviter un embrasement de la région. Les risques d'un tel embrasement demeurent, ils restent élevés. Nous faisons passer le message aux uns et aux autres que dans ces circonstances, il est de leur responsabilité, de tous côtés, de tout faire pour éviter un engrenage qui serait peut-être incontrôlable. La situation à la frontière entre le Liban et Israël est trop volatile. On observe une augmentation des opérations : des attaques et des provocations du Hezbollah, des répliques d'Israël. Cela nous paraît un risque qu'aucune des parties ne doit pouvoir prendre, et donc nous les appelons à la modération, à la raison. Pour cela, il faut que sur le terrain la situation évolue, que le calme revienne. Nous risquons sinon d'observer un engrenage qui échappera au contrôle des uns et des autres. Personne ne peut prendre ce risque.
Q - La mer Rouge est aussi le théâtre de tensions. Les Houthis du Yémen menacent les navires commerciaux, beaucoup d'attaques ont eu lieu ces derniers jours. Hier encore ; plusieurs grandes compagnies maritimes ont décidé de suspendre la navigation en mer Rouge. Comment peut-on lutter contre la menace des Houthis ?
R - Il n'est pas possible de laisser la liberté de navigation et la liberté de circulation dans les eaux internationales atteintes de cette façon. Les Houthis ne peuvent pas imaginer continuer les attaques qu'ils mènent contre des navires, contre la liberté de circulation, voire même des attaques par des drones ou des missiles, sans qu'il y ait eu une réaction de la communauté internationale. Nous avons et nos alliés ont des bâtiments sur place, mais il est clair que cette situation ne peut pas durer.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 décembre 2023