Texte intégral
Mesdames et Messieurs, merci de votre présence.
Me voilà de retour à Beyrouth pour la deuxième fois après ma visite du 16 octobre. Je devrais dire, en réalité, pour la troisième fois depuis que j'ai pris mes fonctions - car je crois, Monsieur l'ambassadeur, que vous n'étiez pas là, mais notre directrice, ambassadrice à l'époque, était là -, que j'étais venue le 15 octobre de l'année précédente.
Deuxième fois, donc depuis les attentats terroristes du 7 octobre. Et c'est la quatrième fois que je me rends dans la région depuis le 7 octobre.
J'ai souhaité revenir car le risque d'un engrenage demeure très élevé et car il est dans ces circonstances de la responsabilité de tous les acteurs de tout faire pour éviter un embrasement de la région. Embrasement qui, s'il se produisait, ne bénéficierait à personne, ne ferait qu'augmenter les dangers, éloignerait chacun de la sécurité et de la paix.
Le niveau des tensions qui est actuellement perceptible de part et d'autre de la ligne bleue est trop dangereux. Le commandant de la FINUL, avec lequel je me suis entretenue cet après-midi, me l'a confirmé, tout comme les militaires français de notre contingent, contingent dont je souhaite saluer le travail.
Et c'est pour cette raison, compte tenu de cet environnement trop dangereux, que j'ai souhaité me rendre hier en Israël et auprès des autorités palestiniennes, aujourd'hui au Liban : pour marquer, à tous et à chaque étape, avec clarté, que c'est par la diplomatie que la baisse des tensions doit être recherchée.
Mais j'ai dit tout aussi clairement aux dirigeants libanais que j'ai vus aujourd'hui, et je le dis aussi à ceux qui, au Liban, et il y en a, seraient amenés à faire de mauvais calculs : si le Liban devait plonger dans la guerre, il ne s'en remettrait pas. Ce serait une erreur funeste, et vous m'avez déjà entendu, ici même, porter ce message. Je le porte avec la même inquiétude aujourd'hui, peut-être même avec plus d'inquiétude encore.
Mais ce message, je le porte aussi envers ceux qui, hors du Liban, espèrent tirer un gain de la situation catastrophique à Gaza pour accroître les tensions. Et soyons clairs, en parlant ainsi, je pense ici à l'Iran ainsi qu'à tous ses affidés, en Irak, en Syrie, en mer Rouge. Vous avez vu, en mer Rouge, que les actions des Houthis, par exemple, se sont accrues, tout comme on a vu un accroissement des tensions et des actions ailleurs. Et cela aussi, c'est une erreur. L'escalade doit cesser.
Le Liban est un pays ami à la France ; et non seulement un pays ami, mais un pays cher au coeur de mon pays. Et la France ne ménagera aucun effort pour préserver la stabilité sur la base des normes qui ont été acceptées par tous, et notamment la résolution 1701, et ceci dans l'intérêt de tous. Nous devons revenir à ces principes ; et non seulement y revenir, mais que cela conduise à une amélioration de la situation sur le terrain, de la situation concrète sur le terrain.
Il nous semble d'autant plus urgent d'éviter cette escalade que le Liban est aujourd'hui dans une position d'extrême faiblesse. Je le dis par amitié, mais parce qu'il faut être réaliste et lucide, et être aux côtés des Libanais dans ce moment difficile. Alors certes, la prolongation du mandat du commandant en chef de l'armée est une bonne nouvelle pour la stabilité du Liban. Nous la saluons, mais j'ajoute qu'il était temps. Il était temps. Et je me permets de dire que cela ne suffit pas, et que dans cette période troublée, il faut continuer à faire preuve d'esprit de responsabilité. Nous appelons tous les responsables libanais à continuer à faire preuve d'esprit de responsabilité. Et vous savez très bien ce que je veux dire : ce pays doit avoir un président.
Je vous disais que j'étais hier à Tel-Aviv, et si j'étais hier en Israël, c'est aussi pour dire que la France n'oublie pas le 7 octobre et son cortège d'horreurs, qui ont notamment, vous le savez, frappé des femmes, mutilé, défiguré par une barbarie sans nom. La France est donc solidaire du peuple israélien face au terrorisme. Nous l'avons dit, nous l'avons répété hier ; mais j'ai aussi répété hier qu'Israël doit respecter bien davantage le droit international humanitaire, doit faire tout son possible pour protéger les populations. Et j'ajoute que nous attendons d'Israël, je le redis après l'avoir dit souvent, qu'il prenne des mesures concrètes afin de mieux respecter le droit international humanitaire et de respecter la vie des populations civiles. J'ai répété ce que la France dit depuis des semaines et des semaines : il y a trop de morts à Gaza et cela ne peut pas continuer ainsi, sans augmenter les souffrances et sans nourrir, aussi, incompréhension et ressentiment, ce qui n'est pas dans l'intérêt d'Israël et ce qui n'est bien sûr dans l'intérêt de personne.
La France, vous le savez, dans ce contexte, appelle à une trêve humanitaire immédiate, durable, qui permette d'oeuvrer à un cessez-le-feu. Tous les otages doivent être libérés, je le répète. L'aide doit pouvoir entrer à Gaza massivement et être livrée partout dans la bande de Gaza - ce n'est pas le cas aujourd'hui. Il faut aussi plus de points de passage, plus de points d'entrée de l'aide, et des points d'entrée pérennes, même si l'ouverture de Kerem Shalom est un bon début. Et d'ailleurs je dois saluer, à cet égard, les efforts faits par les Etats-Unis d'Amérique en ce sens, qui ont été couronnés de succès.
Pour sa part, la France poursuit la mobilisation de la communauté internationale, dans la lignée des deux conférences humanitaires qui ont été organisées, à Paris le 9 novembre, et en ligne le 6 décembre, pour que nous soyons tous plus actifs, aux côtés des populations civiles de Gaza, pour répondre à leurs besoins qui sont immenses, et pour qu'un flux d'aide continu soit donc garanti aux populations civiles. La France a déjà livré plus de 200 tonnes d'aide humanitaire, de fret, de médicaments, par un canal bilatéral, et je ne compte pas là ce que nous faisons par ailleurs dans le cadre du pont humanitaire de l'Union européenne. Et je voudrais vous annoncer que nous allons livrer très rapidement plus de 700 tonnes supplémentaires. La moitié partira du port du Havre, après-demain, par bateau ; l'autre moitié partira la semaine suivante. Et donc vous le voyez, nous allons donc tripler notre aide humanitaire dans les dix jours.
Mais évidemment, nous le savons tous, et je veux en venir à ce point fondamental, au point le plus fondamental : il n'y aura pas de paix sans solution politique. Cette solution, c'est celle de deux Etats. Nous la connaissons tous. C'est la seule solution viable. La France, pour sa part, ne l'a jamais oublié, y compris quand d'autres dynamiques prétendaient régler, à elles seules, des promesses de paix. Il n'y aura pas de paix sans sécurité, il n'y aura pas de sécurité sans paix ; il n'y aura pas de paix et de sécurité sans solution politique ; et vous le savez, il n'y aura pas de paix sans Etat palestinien.
Je me suis aussi rendue, je l'évoquais, hier également en Cisjordanie, auprès des autorités palestiniennes. Mais j'ai vu aussi des fermiers palestiniens dépossédés de leur terre. J'ai entendu les récits des exactions des colons extrémistes et violents, les menaces de mort ; et vous savez qu'il y a eu, aussi, des morts. Et je dois dire que de tels actes sont inacceptables. Nous ne pouvons pas les accepter, nous ne les accepterons pas. La France n'attendra pas plus longtemps. Elle a demandé aux autorités israéliennes d'y mettre un terme, et elle prendra aussi des mesures nationales contre certains des colons extrémistes. Nous avons par ailleurs introduit une réflexion au sein de l'Union européenne, pour que l'Union européenne puisse envisager aussi de prendre des mesures contre ces extrémistes. Ces terres sont palestiniennes, elles sont palestiniennes, et elles feront partie d'un Etat palestinien. La France veut faire progresser cette solution de paix, la solution à deux Etats ; et donc nous y veillerons, avec tous nos partenaires engagés dans la recherche de la paix.
Mesdames et Messieurs, je veux conclure par-là, non pas pour oublier le Liban, pour parler d'une situation dont nous avons beaucoup parlé aujourd'hui lors de mes entretiens politiques, mais parce qu'au-delà de la désescalade, qui est impérieuse, qui doit être recherchée, qui doit être l'objet de tous nos efforts, il est temps d'ouvrir un horizon de paix et d'y travailler activement. C'est ce que mon pays souhaite faire.
Je vous remercie, et je peux prendre deux ou trois questions, pas davantage, avant de poursuivre. Merci de votre présence et merci de votre intérêt.
Q - Est-ce que vous avez parlé avec le Hezbollah en ce qui concerne l'application [de la résolution] 1701 ? Parce que la décision c'est là-bas, ce n'est pas chez les autorités libanaises. Est-ce qu'il y a une coordination entre la France et les Etats-Unis à ce propos ?
R - Je n'ai pas parlé au Hezbollah lors de cette visite au Liban. Je me suis entretenue avec le président du Parlement, ainsi qu'avec le Premier ministre. Il nous est arrivé de faire passer des messages au Hezbollah, par le canal de notre ambassade ou par d'autres canaux. Vous évoquez également la concertation que nous avons avec l'ensemble de nos partenaires, les Etats-Unis d'Amérique et nos partenaires européens, ou même le Royaume-Uni, qui n'est plus parmi nos partenaires de l'Union européenne mais qui a une diplomatie active dans la région, qui joue un rôle. Il va de soi, je le disais, qu'il faudrait que la résolution 1701 fût appliquée par les uns et par les autres, et qu'elle ne l'est pas, ni par les uns, ni par les autres. Je rappelais aussi que ce sont ces principes qui ont été acceptés par l'ensemble des parties et que sur la base de ces principes, auxquels il serait bon que chacun reconnaisse qu'il faille y revenir, on puisse engager une forme de désescalade. Et je vous ai même dit qu'il fallait que la situation sur le terrain change. On ne peut pas continuer ainsi sans qu'un risque d'engrenage trop important existe. Et depuis ma dernière visite, je dois constater que les affrontements ou les actions de part et d'autre de la frontière se sont accrues en intensité. Ce simple fait - car c'est un fait - nous préoccupe. Et c'est aussi pour cela que je suis venue ici, pour rappeler que cela ne peut pas durer ainsi sans que le Liban prenne trop de risques, sans qu'un acteur, volontairement ou involontairement, par erreur de calcul - je vois que l'expression me revient spontanément - puisse faire qu'une situation qui échapperait à tout contrôle, de quiconque, se produise. Ce n'est pas l'intérêt du Liban. Nous appelons chacun des acteurs à revenir à une meilleure application de la résolution 1701, commençant par un certain nombre de pas précis, permettant que la situation baisse en intensité. Il le faut, et je le dis par amitié pour le Liban, aussi clairement que nous l'avons dit hier là où j'étais, et aujourd'hui au Liban.
Q - Je voudrais vous demander, Madame la Ministre, est-ce que vous êtes ici aujourd'hui pour dire au Hezbollah ou pour lui demander de s'éloigner de la frontière sud, en direction du nord du fleuve Litani ? C'est ce qui se dit dans les cercles politiques. Et donc le retrait du Hezbollah et l'extension de la FINUL dans cette région ?
R - Merci de votre question, Madame. Je vous l'ai dit : je n'ai pas parlé au Hezbollah mais aux autorités libanaises lors de cette visite. Il serait bon évidemment que chacun revienne à la pleine application de la résolution 1701. Nous en sommes loin. Mais dans cette attente - et ce doit être l'objectif bien évidemment -, il est important que chacun de ceux qui le peut puisse exercer son influence et son sens des responsabilités, de façon à ce qu'une baisse des tensions se produise, que l'on baisse en intensité, que des pas soient faits, que cela se traduise concrètement sur le terrain. C'est l'intérêt de tous. Encore une fois, je redis que nous sommes ici pour contribuer à éviter un embrasement régional, que notre préoccupation n'a pas cessé, depuis plusieurs semaines ; qu'au contraire, ce que nous voyons nous conduit à rappeler ce message que le Liban ne peut pas se permettre de se trouver involontairement dans cette situation de guerre qui lui échapperait, dont il ne se relèverait pas et que personne ne pourrait rester indifférent. C'est la raison pour laquelle nous sommes ici ; nous passons ce message. Et il faut, je pense, que vous le relayez, ce serait important aussi.
Q - On sait que la France a des relations solides et des amitiés avec les équipes du Hezbollah : avez-vous reçu des messages du Hezbollah à propos d'un horizon de la guerre... qui concernerait éventuellement une guerre, surtout que les relations apparemment ont un peu souffert après les premières déclarations françaises après le 7 octobre ?
R - Je ne qualifierai pas nos relations avec le Hezbollah. Elles existent, l'ambassadeur serait mieux placé que moi pour en parler et pour les qualifier. Je redis que le 7 octobre se sont produits des attentats terroristes barbares, inadmissibles ; que rien, jamais, aucune cause, aucune raison ne justifie le terrorisme ; et que dans ce cadre nous sommes solidaires du peuple israélien pour lutter contre le terrorisme qui est, vous le savez, une menace qui va bien au-delà d'Israël, qui concerne beaucoup de pays de la région, qui concerne beaucoup de pays, même au-delà de la région. Cela étant dit et dans le même temps, nous demandons à Israël de faire tout ce qui doit être fait pour protéger la vie des populations civiles. Mais votre question portait sur le Hezbollah. Lors de cette visite, je ne me suis pas entretenue avec le Hezbollah. Nous savons, et vous savez, qu'il a une responsabilité dans les affrontements qui se produisent au Sud Liban. Je ne dis pas qu'il les a déclenchés, je dis que chaque acteur a une responsabilité. J'en reviens à mon introduction, lorsque j'appelai, dans une situation dangereuse, -dangereuse-, et qui nous préoccupe, je le dis très ouvertement, j'appelai chacun à faire tout son possible pour éviter qu'un engrenage se noue, se déclenche, qui ferait que la situation échappe à tout contrôle. Je le redis solennellement.
Q - Madame la Ministre, est-ce qu'il y a un délai quelconque pour la médiation française sur la 1701, ou bien c'est une médiation ouverte dans le temps ?
R - Vous ne m'avez pas entendue, Madame, utiliser le mot de médiation, ce n'est pas un mot que je reprendrais...
Q - L'intervention française.
R - ... nous sommes aux côtés du Liban, avec d'autres, peut-être avec un sentiment d'amitié, même d'affection supérieur à celui de beaucoup d'autres, mais nous ne sommes pas seuls, et c'est d'abord aux responsables libanais d'exercer leurs responsabilités. Ce que nous recherchons, c'est, ensemble, comment contribuer à éviter un embrasement, comment identifier les voies et moyens d'une baisse des tensions, d'un recul de ce mouvement que nous voyons à l'oeuvre qui peut conduire à une escalade échappant à tout contrôle. Nous avons vu, depuis quelques semaines, ou depuis deux mois, j'étais ici il y a deux mois, que l'intensité va croissant. Cela, seul, c'est un fait, c'est une observation, doit rendre chacun conscient qu'il faut faire quelque chose pour éviter que par mauvais calcul, par dérapage, par une action qui aurait été volontaire ou involontaire, le pire se produise.
Q - Prévoyez-vous un nouveau cessez-le-feu à Gaza dans les prochains jours ? Après 70 jours de combats, quelle perspective militaire Israël peut réaliser, à votre avis ?
R - Ce n'est pas à moi de répondre à cette question. Une trêve a pu être obtenue, à Gaza, qui a permis la libération de nombreux otages, pas assez, et tous doivent être libérés et devraient être libérés sans condition et immédiatement. Ce n'est pas un objet de marchandage ou de chantage, un être humain. Cela dit, nous travaillons et il faut continuer à travailler pour qu'une nouvelle trêve, le plus rapidement possible, intervienne. C'est l'intérêt de tous. Pour que l'aide humanitaire soit apportée, pour que des gestes puissent être faits qui amènent une dynamique plus positive. Les opérations militaires sont en cours. Elles sont, vous le savez, causées par les attentats terroristes du Hamas, organisation terroriste, le 7 octobre. Il y a un objectif, compréhensible, qui est pour Israël d'éviter que le Hamas ne puisse recommencer de tels actes. Dans la conduite des opérations, je me suis exprimée, nous avons des réserves et nous avons même une différence de point de vue avec Israël. Nous lui demandons d'agir militairement d'une autre façon, de procéder à des opérations plus ciblées. Nous ne sommes pas les seuls. Je crois que les principaux partenaires de la France, au sein de l'Union européenne, mais aussi outre Atlantique, lui tiennent exactement le même langage. Merci à toutes et à tous.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 décembre 2023