Texte intégral
CHRISTOPHE BARBIER
Bérangère COUILLARD, bonjour.
BERANGERE COUILLARD
Bonjour Christophe BARBIER.
CHRISTOPHE BARBIER
Et bienvenue. Plusieurs sujets dans l'actualité peuvent être regardés à travers votre prisme ministériel. Par exemple : le classement PISA est sorti hier ; alors on commente évidemment le recul de la France, ce qu'il faut faire, mais on s'aperçoit qu'il y a encore des divergences, des différences, des inégalités entre filles et garçons, notamment pour les matières scientifiques. Qu'est-ce que l'on peut faire pour emmener les filles vers l'excellence scientifique ?
BERANGERE COUILLARD
C'est une réalité et merci d'en parler. Il y a neuf points de moins effet sur les résultats entre les filles et les garçons et c'est en partie due au fait qu'on dit depuis le plus jeune âge aux jeunes filles que leur place n'est pas dans les sciences.
CHRISTOPHE BARBIER
Mais qui dit cela ?
BERANGERE COUILLARD
C'est les manuels scolaires, c'est les professeurs, c'est nos parents dès le plus jeune âge. C'est une façon de penser, c'est-à-dire qu'on qualifie les filles plutôt aller vers des études littéraires et moins dans les filières scientifiques. On le voit même dans les jouets des enfants. Beaucoup de jouets sont plutôt donc pour les garçons quand il s'agit de jouets scientifiques.
CHRISTOPHE BARBIER
Justement, vous avez signé une charte en début de semaine sur la représentation mixte des jouets. Alors est-ce que ça progresse ? Est-ce qu'on aura des petits chimistes avec des enfants filles en blouse sur le paquet ?
BERANGERE COUILLARD
Alors, ça commence, ça se fait depuis plusieurs années maintenant. Et c'est vrai que c'est grâce aussi à l'engagement des fabricants et des distributeurs qui se sont engagés depuis 2019, qui ont modifié un certain nombre de choses, notamment dans les représentations des packagings, des catalogues qui sont beaucoup regardés par les enfants et les enfants se projettent. Et en effet, ça paraît simple, mais quand on voit une petite fille qui est habillée avec un costume d'astronaute, eh bien elle a envie d'aller dans l'espace autant que les garçons.
CHRISTOPHE BARBIER
Alors quand on regarde la télévision quand on est enfant, qu'est-ce que l'on voit dans le monde scientifique ? On voit beaucoup d'hommes parce que la situation actuelle est celle-là. Est-ce qu'il n'y a pas un manque de mise en vedette des femmes qui excellent dans ces professions ?
BERANGERE COUILLARD
Si, moi, je crois beaucoup au rôle model et ça se voit aussi dans le monde de la tech. Vous savez, quand on regarde le monde de la tech, on voit souvent un homme plutôt, donc aux États-Unis sur la côte Ouest, et c'est comme ça que ça a été représenté pendant de nombreuses années. Et c'est pour ça qu'on a aussi peu de filles et de femmes dans les milieux des tech et donc de la technologie, et c'est pour ça qu'on travaille à modifier cela. Ça, évidemment, ça commence dès l'enfance et il y a notamment tout ce que met en place Gabriel ATTAL avec le choc des savoirs et des annonces qu'il a pu faire hier ; mais aussi le travail que nous menons depuis plusieurs années sur le fait de faire en sorte qu'il y ait davantage de filles à rejoindre les sciences. Et pour ça, par exemple, on fait intervenir dans les écoles, notamment en seconde, des scientifiques, pour parler des métiers. Il ne suffit pas de parler uniquement de scientifiques, mais de tous les métiers qui entourent les sciences, parce que c'est souvent beaucoup plus large. Et donc on peut faire connaître des désirs à des filles pour justement qu'elles puissent se rejoindre ces filières-là.
CHRISTOPHE BARBIER
Il y a beaucoup d'enseignantes dans les matières scientifiques quand on est passé au collège. Au lycée, on voit bien que c'était à peu près réparti. Est-ce qu'il faut aller plus loin ? Est-ce qu'il faut par exemple mieux payer les femmes prof de physique que les hommes de physique ?
BERANGERE COUILLARD
Non, je ne crois pas. Mais il ne s'agit pas d'être une femme pour ne pas avoir de biais sur les stéréotypes. Et donc je pense qu'il ne s'agit pas d'être un homme et professeur pour avoir ces biais-là. Et donc c'est la formation complète des enseignants qu'il faut revoir pour aussi faire en sorte de modifier ces stéréotypes et donc rappeler aux professeurs que tous les élèves peuvent avoir une place dans les sciences ou également dans la tech en étant fille ou garçon. Tout dépend évidemment des habitants, et pour ça, il faut la donner.
CHRISTOPHE BARBIER
Alors sur l'éducation, on voit que revient dans le débat l'idée du redoublement. Certains disent que le redoublement, ça peut être discriminant. Est-ce qu'il l'est plus pour une fille qui redouble que pour un garçon qui redouble ? L'idée de prendre une année de retard, est-ce que c'est encore plus mal vécu quand on est une jeune fille ?
BERANGERE COUILLARD
Alors je ne sais pas vous répondre sur cette question. Et en fait, je n'ai jamais pensé que le redoublement était une façon de stigmatiser un élève. Je pense que c'est lui donner une seconde chance. Parce qu'en fait, quand on prend du retard, ça peut être compliqué. Et je voulais vous dire aussi que moi, j'ai redoublé une année dans ma scolarité parce que j'avais besoin de refaire cette année et ça m'a bien servi parce qu'après j'ai pu prendre une autre direction et me remettre dans le droit chemin.
CHRISTOPHE BARBIER
On peut redoubler et devenir ministre. Voilà un message à faire passer exactement à tous les élèves.
BERANGERE COUILLARD
Exactement.
CHRISTOPHE BARBIER
L'actualité, c'est aussi une proposition de loi sur le "testing" porté par le député Marc FERRACCI. C'est-à-dire que si on se sent discriminé dans un recrutement, on pourra saisir une instance rattachée au Premier ministre. C'est comme ça que ça va marcher ?
BERANGERE COUILLARD
Exactement. C'est une volonté qui a été donnée par le Président de la République. Il l'a rappelé en juin dernier à Marseille, le fait de lutter contre la résignation d'une partie de nos concitoyens. Il faut savoir qu'une personne sur cinq en France, donc un Français sur cinq, déclare avoir été discriminé, en particulier dans l'accès au logement et à l'emploi. Et donc, il s'agit d'agir là-dessus parce qu'il est insupportable de continuer comme cela.
CHRISTOPHE BARBIER
Alors, les associations font le travail. SOS-Racisme a beaucoup fait pour le testing.
BERANGERE COUILLARD
Oui, mais il faut l'organiser. Il faut que ce soit plus structuré. Et on voit bien aujourd'hui que malgré le fait d'avoir mis en place un certain nombre de lois, notamment depuis les années 2000, ce n'est pas effectif. Un seul chiffre est marquant. En 2020, il y a eu zéro condamnation pénale pour discrimination, zéro. Ça montre bien que le système est bloqué. Il ne s'agit pas d'avoir des lois et une protection pour les Français, il faut que ça puisse être effectif. Donc, qu'est-ce qu'on va faire ? On va changer les comportements et on va aussi avoir un droit plus effectif à la réparation. Et donc pour ça, on met en place, en effet, ce sera la DILCRAH qui... donc on lui élargit ses missions.
CHRISTOPHE BARBIER
C'est une direction interministérielle.
BERANGERE COUILLARD
Une délégation interministérielle de lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT. L'idée, c'est donc d'élargir ses missions. Ça lui permettra de faire des envois fictifs de CV qui vont se différencier en fonction de critères discriminants. Et donc si l'entreprise s'avère discriminante, on va lui demander de faire des actions correctrices. Ça peut être des formations, des sensibilisations, du mentorat, ça peut être très large et donc de le faire sous trois ans. Si ce n'est pas le cas, elle sera sanctionnée. Ça pourra aller jusqu'à 1% de la masse salariale. Et pour nos concitoyens qui se sentent ou qui pensent avoir été victimes de discrimination, ils pourront donc faire appel également donc à la DILCRAH. Aujourd'hui, il y a aussi le Défenseur des droits.
CHRISTOPHE BARBIER
Oui, ça doublon un peu, non ?
BERANGERE COUILLARD
Non, pas forcément en fait. Là, l'idée, on va en parler d'ailleurs pendant les débats, puisque la question se pose de savoir si c'est uniquement le défenseur des droits ou également la DILCRAH. Moi, je pense qu'on a de toute façon très largement des acteurs qui peuvent le faire. Vous avez parlé d'association, Christophe BARBIER, mais également aussi les avocats peuvent le faire pour le compte de leur client. Parce qu'en fait, l'idée c'est évidemment de donner les moyens aux citoyens qui sont aujourd'hui discriminés de pouvoir en fait constituer un dossier, aller en justice et pouvoir obtenir réparation. Trop de nos concitoyens sont résignés sur la question. Il est insupportable que certains n'aient pas accès au logement, n'aient pas accès aux prêts bancaires, n'aient pas accès à l'emploi sous prétexte de leur couleur de peau, de leur origine, de leur âge ou de leur orientation sexuelle.
CHRISTOPHE BARBIER
Revenons sur les causes féministes en cours, mais en commençant par la crise qui traverse le féminisme, qui sont divisées depuis le 7 octobre. La manifestation du 25 novembre a montré un féminisme qui qui excluait les femmes qui voulaient qu'on dise que le 7 octobre, il y avait eu un féminicide de masse. Comment vous avez vécu cette fracture au sein du mouvement féministe ?
BERANGERE COUILLARD
Assez mal parce qu'en fait, je trouve insupportable de faire des différences en fonction des conflits, en fonction des origines des personnes qui peuvent subir. Et je l'ai d'ailleurs exprimé puisqu'une question m'a été posée en question...
CHRISTOPHE BARBIER
Au Gouvernement ?
BERANGERE COUILLARD
Au Gouvernement. Et j'ai été très claire sur la question parce que je pense qu'il ne faut pas hésiter en fait une seconde, à reconnaître notamment les viols de masse qui ont été réalisés sur les femmes israéliennes. C'est absolument insupportable. Certaines ont été mutilées. Et donc j'ai souhaité rappeler cela en disant que le viol est utilisé comme une arme de guerre, quels que soient les conflits. Et donc du coup, il n'y a pas de tri à faire sur ces violences-là. Et donc les violences faites aux femmes, c'est aussi les viols qui ont été réalisés sur les femmes israéliennes.
CHRISTOPHE BARBIER
Et le mouvement féministe est travaillé par ces pressions qui voudraient qu'on exclue, qu'on n'en parle pas ou qu'on le mette de côté ?
BERANGERE COUILLARD
Et c'est ça. Une partie, alors une petite partie, mais une partie bruyante.
CHRISTOPHE BARBIER
Justement, le viol ; on essaye en Europe de définir le viol et d'avoir globalement une définition des violences faites aux femmes pour mieux harmoniser la lutte contre ces violences. Le Parlement a travaillé et maintenant ça bloque. Pourquoi on n'arrive pas à se mettre d'accord ?
BERANGERE COUILLARD
Alors, on a une législation extrêmement différente...
CHRISTOPHE BARBIER
D'un pays à l'autre.
BERANGERE COUILLARD
... d'un pays à l'autre. Il y a des pays où les peines sont très légères.
CHRISTOPHE BARBIER
Pour le viol.
BERANGERE COUILLARD
Pour le viol. Mais ça fait partie de l'arsenal législatif des pays voisins. Ce n'est pas qu'ils sont plus conciliants sur le viol, c'est juste qu'ils n'ont pas les mêmes échelles des peines. Nous, on est extrêmement exigeant sur cette question. Et donc la sanction, elle est forte. Ça va jusqu'à 20 ans de prison. Et donc nous, on a des critères qui sont aujourd'hui assez clairs, des critères qui sont donc la contrainte, la menace, la surprise et les violences. Ces quatre critères permettent donc de constituer le viol. Vous savez, jusqu'à la loi de Gisèle HALIMI, on regardait le comportement des femmes, c'est-à-dire comment elle se comporte ? Comment elle est habillée ? Est-ce qu'elle était un peu éméchée ?
CHRISTOPHE BARBIER
Et ça servait d'excuse ?
BERANGERE COUILLARD
Ça servait souvent d'excuse. Aujourd'hui, grâce à la loi de Gisèle HALIMI, on regarde le comportement de l'auteur, on ne regarde plus les victimes. On regarde l'auteur et donc on regarde ces quatre critères : la contrainte, la menace, la surprise, et les violences.
CHRISTOPHE BARBIER
Et vous n'arrivez pas à convaincre nos partenaires européens sur cette grille qui semble de bon sens ?
BERANGERE COUILLARD
On convainc déjà une partie de nos associations. Parce que vous savez, le monde associatif féministe n'est pas totalement en accord avec le changement et en mettant le mot consentement. Bien sûr qu'on souhaite que toutes les femmes soient consentantes. Personne ne souhaite, en tous les cas, les législateurs ne souhaitent pas que les femmes, on puisse considérer qu'elles ne soient pas consentantes. Mais je suis juste extrêmement vigilante à la modification de la loi. Parce qu'apporter le consentement pourrait amoindrir la définition et pourrait nous amener (je ne l'espère pas) mais à plus d'acquittement. Parce qu'en fait, si on regarde simplement, si on commence à regarder le comportement des femmes plutôt que le comportement des hommes, on revient sur l'essence même de la loi de Gisèle HALIMI. Et donc il faut être extrêmement vigilant. Et quand on vraiment modifie la loi sur ces sujets, il faut vraiment trembler quand on le fait.
CHRISTOPHE BARBIER
C'est-à-dire qu'une femme peut sembler être consentante et être sous emprise et être dans un consentement trafiqué ?
BERANGERE COUILLARD
On peut avoir dit oui et ne pas être consentante. Et on peut ne pas avoir dit non et ne pas être consentante. Et donc du coup ça ne règle pas le sujet. Et je pense qu'aujourd'hui, il y a une difficulté d'appliquer la loi et donc il faut regarder comment on peut mieux appliquer la loi. Mais on a aujourd'hui, je crois, une définition qui est assez solide pour pouvoir la laisser telle quelle.
CHRISTOPHE BARBIER
Et on ne prendra pas une définition au rabais venue de l'Europe. Pas question ?
BERANGERE COUILLARD
Ce n'est pas ça. Moi, je suis... Evidemment, s'il y avait une piste d'avancement qui permettait de s'assurer qu'on n'amoindrit pas la définition, je dis oui ; mais je dis juste qu'aujourd'hui, je n'en suis pas persuadée ; Et quand on ajoute, on ajoute le mot "consentement", il faut être extrêmement vigilant et je crains qu'il y ait un amoindrissement de la définition.
CHRISTOPHE BARBIER
Où en est votre combat contre les violences dans le monde de l'industrie du cinéma pornographique ? Vous avez lancé ce combat. Est-ce que les retours sont bons ?
BERANGERE COUILLARD
Ecoutez, pour l'instant, on travaille très sérieusement dans le groupe de travail. Donc il y a déjà eu deux réunions parce que c'est quand même un groupe de travail qui se réunit tous les quinze jours pendant six mois pour avancer, notamment sur les trois objectifs que je m'étais fixé et qui remonte de toute façon des rapports qui ont été remis et par les sénatrices il y a maintenant 18 mois, et également par le HCE ; c'est de trouver une solution pour retirer les contenus qui comportent des tortures et actes de barbarie, également permettre le retrait des contenus qui en fait, dont la personne qui est concernée demande le retrait et donc du coup d'avoir un droit à l'oubli.
CHRISTOPHE BARBIER
Une sorte de droit à l'oubli ?
BERANGERE COUILLARD
Exactement. Et puis également de faire en sorte que le droit du travail soit respecté. Non pas que je considère que ce soit un travail, même si ça en est un légalement, mais c'est de dire que, en fait, dans le droit du travail, on n'accepte pas qu'il y ait des tortures et actes de barbarie. Eh bien, faisons de même pour le système pornographique.
CHRISTOPHE BARBIER
A terme, il y aurait une loi ?
BERANGERE COUILLARD
Il y aura en tous les cas des propositions et une loi si nécessaire. On est en train de regarder. Vous savez qu'il y a aussi le projet de loi qui avait été donc travaillé avec Jean-Noël BARROT, notamment sur la régulation d'une partie du numérique. On n'a pas fini exactement de travailler le texte parce qu'il passe en commission mixte paritaire entre les sénateurs et les députés d'ici le mois de février. Et donc il y aura, il y a un certain nombre de dispositions qui sont déjà passées dans le texte, Donc on verra comment on arrive à atterrir sur ce texte, voir comment les sénateurs, les députés se mettent d'accord, et puis, en suivant, on verra comment on fait évoluer le groupe de travail.
CHRISTOPHE BARBIER
Quelle est votre position sur le sujet qu'on a évoqué dans le biais de tout à l'heure, c'est-à-dire l'idée que c'était un ratage psychiatrique, le terroriste de samedi dernier et qu'assez souvent, c'est un peu l'excuse qui est mise en avant ?
BERANGERE COUILLARD
Pas toujours. Ils n'ont pas toujours des problèmes psychiatriques et là c'est le cas. Il semble que, en effet, cet homme ait été suivi pendant plusieurs années et que son traitement ait été arrêté. J'ai également eu à ma connaissance que la mère donc de ce terroriste avait été donc à la police pour dire combien son fils devrait avoir... donc être suivi et être interné. Et donc on voit bien qu'il y avait un souci quand on lui a justement demandé d'aller porter plainte pour permettre justement…
Source : Service d'information du Gouvernement, le 7 décembre 2023