Déclaration de M. Sébastien Lecornu, ministre des armées, sur les défis et priorités de la politique de la défense de la France, à Paris le 8 janvier 2024.

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Circonstance : Prise d'armes à l'occasion de la nouvelle année aux Invalides

Texte intégral

Mesdames les ministres,
Mesdames, Messieurs les parlementaires, 
Mesdames, Messieurs les ambassadeurs,
Mesdames, Messieurs les élus municipaux, départementaux et régionaux, 
Mon général, monsieur le chef d'état-major des armées,
Monsieur le directeur de cabinet civil et militaire, 
Monsieur le délégué général pour l'armement, 
Monsieur le secrétaire général pour l'administration, 
Messieurs les chefs d'état-major,
Mon général, monsieur le directeur général de la gendarmerie nationale, 
Monsieur le Directeur Général de la Sécurité Extérieure,
Madame, Messieurs les directeurs généraux,
Officiers généraux, officiers, sous-officiers, officiers mariniers, soldats, matelots, aviateurs, d'active et de réserve, personnels civils du ministère, 
Mesdames, Messieurs,


Ce qui a changé en un an

En me présentant sur cette illustre place d'armes des Invalides l'année dernière, j'avais, convoquant les années 60 et le fondement même du gaullisme militaire, exhorté chacun à se concentrer sur les menaces réelles qui pèsent sur la Nation.

Un an après, le contexte stratégique a évolué puissamment, mais il valide tristement les orientations et intuitions que nous avions eues.

Certes nous ne sommes pas en guerre, mais force est de constater lucidement une accélération depuis notre dernière prise d'armes à l'occasion de la nouvelle année :

- retour d'une compétition stratégique plus dure entre les grandes puissances ;
- poursuite d'une guerre conventionnelle par la Fédération de Russie, sous voûte nucléaire aux portes de l'Europe en Ukraine ;
- prolifération nucléaire en Iran et en Corée du Nord ;
- permanence du risque terroriste qui s'internationalise du Sahel - où il reprend pied avec méthode - à l'Afghanistan, en passant par le Levant, sans oublier notre territoire national ;
- déstabilisations en série en Afrique où des coups d'Etat se succèdent et plongent le Sahel et l'Afrique de l'Ouest dans l'incertitude ;
montée des tensions dans l'Indopacifique ;
- et depuis le 7 octobre dernier, un conflit consécutif à un attentat terroriste au Moyen-Orient qui tue, blesse et divise plus profondément encore cette région du monde, où vivent de très nombreux Français et où nous avons des intérêts à défendre.

Ces dangers, que le XXe siècle nous a plutôt habitué à traiter par phases ou par périodes, se cumulent aujourd'hui et se posent désormais à nous, en " même temps ", comme des crises mondiales et régionales simultanées qui, sans toujours nous toucher directement, doivent nous alerter et nous mobiliser.


Tout cela n'est pas sans conséquences sur l'activité actuelle de nos forces qui sont incontestablement plus exposées qu'elles ne l'étaient il y a tout juste un an.

A la fois sur notre territoire, où la Nation attend de ses militaires qu'ils la protègent, notamment dans le cadre des futurs Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris. Ce sera vrai pour l'opération Sentinelle, comme pour la protection du ciel.

Mais aussi à l'extérieur de nos frontières où nos marins veillent à protéger nos intérêts, comme c'est le cas actuellement en Mer Rouge, où la frégate Languedoc a riposté en légitime défense face aux attaques des Houthis, pour préserver la liberté de navigation de nos navires de commerce.

Et encore au Proche et au Moyen-Orient, où la France s'honore d'être la première puissance à avoir déployé un navire militaire en Egypte à proximité de Gaza pour accueillir et soigner les civils gazaouis blessés. Je veux remercier le Service de santé des Armées (SSA) et l'équipage du Dixmude qui font là-bas notre fierté.

Nos forces terrestres et aériennes sont également largement mises à contribution dans la région. Alors que nous venons de commémorer le 40e anniversaire de l'attentat du Drakkar - où 58 de nos soldats sont tombés - je salue leur engagement au Liban où la France déploie au sein de la FINUL (Force intérimaire des Nations unies au Liban) son dernier grand contingent sous mandat onusien, afin d'empêcher une escalade du conflit à la frontière avec Israël, dans des conditions qui sont chaque jour plus dangereuses.

Dans le même temps, la France assume aussi ses responsabilités, en allié engagé, comme Nation cadre au sein de l'OTAN, pour réassurer la frontière orientale de l'Alliance en Roumanie, en plus de notre soutien résolu et directe à l'Ukraine depuis février 2022, par la mobilisation du ministère des Armées comme de notre industrie de défense. 2024 sera l'année de l'endurance dans notre soutien à l'Ukraine : nous devons faire mentir les belligérants qui - faute de pouvoir remporter la victoire sur le champ de bataille - parient sur l'essoufflement des démocraties partageant nos valeurs dans leur soutien à l'Ukraine.


Mesdames et messieurs,

Ce constat montre que nous avions eu raison de nous préparer dès l'année dernière, et même depuis 2017. Il dessine aussi l'ampleur des défis qui nous attendent au cours de cette nouvelle année et doit nous engager à poursuivre l'indispensable introspection de nos armées : de leur histoire, de leur format, de leurs missions, pour tracer ce que doit être leur avenir.

Pour y répondre, à l'heure où la Nation fait des choix difficiles en matière de finances publiques, le président de la République, le Gouvernement, et les représentants de la Nation ont fixé un cap clair : celui de nous réarmer, en regardant devant nous.

Ce réarmement ne saurait nous préparer à affronter des guerres du passé: c'était la mise en garde que j'avais exprimée il y a un an. C'est au fond le piège tendu à chaque fois que des moyens budgétaires augmentent. Tout en s'inspirant du courage de nos grands anciens qui ont su, en leur temps, faire évoluer et transformer les armées françaises en prenant des paris stratégiques, dont certains pouvaient paraître incertains sur le long terme. Cette méthodologie doit désormais rester la nôtre, en regardant froidement, cliniquement, les menaces directes et indirectes et hybrides qui pèsent réellement sur nous: les identifier, en les qualifier, pour mieux nous préparer, et pour mieux y répondre. Sans naïveté ni faux-semblants.

Y répondre sans peur, c'est sans nul doute faire émerger la meilleure partie de nous-mêmes, celle qui se révèle à la Nation et au monde lorsque les temps sont durs, et qui, trop souvent, chez nous Français, disparaît par temps calme. C'est donc prendre des risques. C'est être audacieux, et innover face aux contraintes, plutôt que de les intégrer et de les subir.


Les conditions de réussite de la LPM (Loi de programmation militaire)

Officiers généraux, officiers, sous-officiers, officiers mariniers, soldats, matelots, aviateurs, personnels civils du ministère,

L'année 2024 confrontera les armées françaises à un dilemme quotidien: agir sur le court terme face aux crises, pour soutenir la stratégie voulue par le président de la République; assurer la sécurité des Français, et défendre nos intérêts. Agir pour maîtriser tout risque d'escalade tant à l'Est de l'Europe, qu'en Afrique et au Proche et au Moyen-Orient. C'est là notre défi immédiat : il s'impose à nous. Mais nous passerions à côté de cette année 2024 si nous nous contentions de gérer cette actualité.

Il faut agir dans le même temps pour nous transformer et être prêts face aux menaces qui visent la Nation sur le moyen et long terme. Les armées que nous connaissons aujourd'hui ne seront plus les mêmes dans cinq ans: elles ne doivent plus être les mêmes.

A l'occasion de cet ordre du jour de voeux pour l'année 2024,je veux donc vous présenter les conditions qui permettront la réussite de cette première année de la programmation militaire. Il nous faudra pour cela - je le disais - prendre des risques.

• Prendre des risques pour garantir que la France ait toujours demain un accès souverain aux technologies, actuelles comme futures, comme le quantique, le cyber, le spatial et l'intelligence artificielle, qui appelleront des décisions inédites lors de ce premier semestre, afin d'assurer la fiabilité et la supériorité de nos armes pour les décennies à venir.

• Prendre des risques pour pousser encore plus loin l'économie de guerre, voulue par le Président de la République. Elle n'est pas qu'un slogan, c'est devenu une nécessité, une condition même, pour notre industrie de défense qui repose beaucoup sur l'export, et doit donc s'adapter aux demandes de ses clients - et au premier chef l'armée française - qui attendent des livraisons toujours plus importantes et plus rapides dans des enveloppes maîtrisées.

• Prendre des risques, c'est appréhender les menaces hybrides, détournées du champ civil à des fins militaires, dans l'espace cyber ou informationnel, venant d'une puissance étatique ou d'un groupe terroriste. Ces menaces à coup sûr sont les plus évidentes, les plus directes et pourtant elles sont pernicieuses et réelles sur une puissance nucléaire comme la nôtre. Jamais autant la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure), la DRM (Direction du renseignement militaire) et la DRSD (Direction du renseignement et de la sécurité de la défense) auront à se pencher sur celles-ci.

• Prendre des risques pour relever le défi décidé par le président de la République de la réarticulation de nos dispositifs en Afrique. Jusqu'au 31 décembre, nos soldats étaient encore présents au Niger, d'où ils sont désormais partis sans encombre, aux termes d'une opération logistique qui posait de nombreux défis, et je veux les en remercier, et au premier rang votre chef d'état-major des armées. En 2024 nous bâtirons une nouvelle relation avec nos partenaires africains, notamment dans le domaine de la formation, tout en se déployant plus encore vers l'lndopacifique et le Golfe, où nos partenaires stratégiques attendent une présence plus forte encore de la France: nous ne devons pas les décevoir.

Mesdames et messieurs.

Oui, nous devrons prendre des risques ! Pour nous adapter aux aléas et aux incertitudes qui - à n'en pas douter - feront naître des paris sur l'avenir.

Nous ne pourrons pas camper sur des choix qui seraient intangibles. La mise en oeuvre de la loi de programmation militaire sera vivante et s'adaptera aux évolutions technologiques et stratégiques à venir. Nous devons vivre avec l'obsession de financer les technologies et programmes d'armement de demain, en ayant le courage de mettre un terme à ceux qui n'auront pas rempli leurs promesses.


Une révolution culturelle


Officiers généraux, officiers, sous-officiers, officiers mariniers, soldats, matelots, aviateurs, personnels civils du ministère,

Comme le disait Pierre Messmer dans ses mémoires, une armée c'est tout simplement une doctrine, des équipements et des hommes. Les moyens budgétaires désormais sont là. Il reste donc une rupture culturelle à mener au sein du Ministère et des Armées et de notre BITD (Base industrielle et technologique de défense). Ce défi est sans doute le plus dur à relever. Tout ne peut pas et ne peut plus être une affaire d'argent avec un budget qui aura doublé sous le décénnat d'Emmanuel Macron !

Cette révolution est celle de l'audace, pour ne pas abandonner notre méthode d'introspection et continuer de nous regarder tels que nous sommes pour se préparer à gagner une guerre ou des opérations qui pourraient un jour, concerner encore plus directement la France ou l'un de nos alliés.

Nous ne pouvons rester figés. Les armées ont le courage et l'audace pour mener cette rupture culturelle. Elles en ont fait la démonstration à maintes reprises dans notre histoire, à chaque fois qu'il a fallu sauver la Nation du péril.

Nous devons faire prendre le dessus à cet esprit victorieux qui veut que " la gloire se donne seulement à ceux qui l'ont toujours rêvée ", comme le disait de Gaulle dans l'Armée de métier. Cette gloire sera celle de la France, l'ambition que nous portons pour elle, les risques que nous consentons à prendre pour elle, et le courage dont nous ferons preuve pour elle.

Cette quête nous commande d'être lucides et de ne pas se raconter d'histoire sur les missions qu'ont à accomplir nos armées. Être soldat en 2024 demande de l'entraînement et une connaissance de plus en plus fine des outils technologiques et tactiques à mettre en oeuvre pour vaincre. Être soldat est un métier de plus en plus compliqué. Il n'y a désormais plus de schémas dans lequel on pourrait gagner une guerre sans une armée de métier, résolument professionnalisée, avec son corollaire d'une réserve durcie, mieux formée, mieux équipée et totalement intégrée à l'active.

Nous devrons avoir le courage de nous poser en permanence les bonnes questions. Notre modèle de souveraineté est formidable, unique, crédible. Il crée de la richesse et de l'emploi. C'est une véritable transformation culturelle et un retour à l'esprit pionnier des années 60 que nous attendons, tant au sein de notre industrie de défense qu'au sein de la DGA (Direction générale de l'armement), et dans toutes les filières techniques du ministère. A ce sujet, la somme de compétences patiemment accumulée depuis 60 ans dans les métiers de l'armement constitue un trésor pour l'Etat.

C'est notre responsabilité que d'en prendre soin pour l'avenir. j'ai donc demandé au délégué général pour l'armement et au conseil général de l'armement, de transcrire d'ici la fin du mois, les orientations que j'ai données pour mettre en oeuvre la modernisation des ressources humaines qui s'impose.

La lucidité, c'est enfin de regarder en face nos résultats en matière de recrutement et de fidélisation. Si la qualité de nos militaires et des civils recrutés reste au haut niveau attendu, les chiffres nous commandent d'agir vigoureusement. Dans les prochaines semaines j'aurai l'occasion de communiquer les instructions aux armées et au secrétariat général pour l'administration pour structurer une nouvelle politique de recrutement et de fidélisation, qui intégrera les défis du logement, de la mobilité, de parcours de carrière et de rémunération, laquelle a déjà substantiellement augmenté fin 2023 avec les dernières mesures de la NPRM (Nouvelle politique de rémunération des militaires).

Mesdames et messieurs,

L'audace de prendre notre part au réarmement civique auquel le président de la République appelle la Nation, intégrant notre contribution au SNU (Service national universel) et une profonde réflexion sur la journée de défense et de citoyenneté.

Par ailleurs, cette programmation ne pourra être réussie sans s'ancrer dans les territoires qui accueillent nos militaires et leurs familles. C'est là un défi qui passera par une indispensable déconcentration des décisions au niveau des unités et des liens plus forts avec l'ensemble des acteurs locaux, en particulier les collectivités territoriales, qui apporteront une contribution essentielle à la résilience de notre pays.

Enfin le dernier défi est celui de la fidélité à notre histoire, à notre mémoire collective, pour honorer les combats qu'ont mené nos grands anciens, qui, après les plus dures défaites, ont su se relever pour porter nos armées vers les plus belles victoires. Nous le ferons cette année en célébrant le 80e anniversaire de la Libération de la France, des plages de Normandie, à celles de Provence et jusqu'à Strasbourg. Célébrer leurs combats nous engagent à nous questionner sur ce que seront demain les nôtres, pour assurer, sans états d'âme, les prochains succès des armes de la France.


Officiers généraux, officiers, sous-officiers, officiers mariniers, soldats, matelots, aviateurs, personnels civils du ministère,

Dans cette époque où les menaces et les crises se multiplient et se cumulent plus qu'elles ne se succèdent; malgré certains retards que nous avons dû rattraper, et que les décisions du président de la République depuis 2017 ont permis de combler; et sans tenir compte des mauvais esprits qui entretiennent un sentiment de déclin pour servir des intérêts qui vont à l'encontre de ceux de la France.

Nous y arriverons.

Nous y arriverons, comme nous l'avons démontré en 2023, à la condition de faire preuve de lucidité sur les menaces qui nous visent.

Nous y arriverons à la condition de ne pas nous mentir à nous-mêmes, d'être fiers de ce qui fait notre force objective : notre dissuasion nucléaire, notre armée d'emploi qui a démontré qu'elle est capable de se déployer partout, à bref préavis, même dans les théâtres les plus hostiles. Peu d'armées en sont capables aujourd'hui dans le monde. Comment ne pas penser à nos tués, à nos blessés et à leurs familles.

Nous y arriverons à la condition aussi que nous nous remettions en question et que chacun entende que tous les crédits, toutes les technologies, toutes les stratégies ne remplaceront jamais la volonté farouche qui nous a guidé vers nos plus grandes victoires. Cette volonté doit entraîner au sein de nos armées, de nos administrations, de nos entreprises un changement de culture pour réussir l'ensemble des défis de court et de long termes, que nous aurons à relever au cours de cette nouvelle année.

Très belle année 2024 à tous, à vos familles et vos proches.

Nous y arriverons.

Nous y arriverons parce que c'est notre mission, et parce que c'est le destin de la France.


Vive les armées françaises ! 
Vive la République !
Et vive la France !


Source https://www.defense.gouv.fr, le 10 janvier 2024