Texte intégral
Mme la présidente
L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : "Position de la France sur les accords de libre-échange".
La conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties. Dans un premier temps, nous entendrons les orateurs des groupes, puis le Gouvernement. Nous procéderons ensuite à une séquence de questions-réponses.
(…)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement.
M. Matthias Tavel
Et du commerce extérieur, manifestement !
Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement
Permettez-moi tout d'abord d'excuser le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, Stéphane Séjourné, qui ne pouvait être présent ce soir.
M. Matthias Tavel
Il est à l'Élysée !
Mme Marie Lebec, ministre déléguée
Je veux commencer par remercier le groupe LFI-NUPES d'avoir choisi d'inscrire à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale ce débat qui nous permet d'évoquer ensemble la position et la vision de la France en matière d'accords commerciaux. Je crois d'ailleurs me rappeler, madame Oziol, que vous aviez déposé à l'occasion de la niche réservée à votre groupe une proposition de résolution visant à s'opposer à la ratification de l'accord de libre-échange et d'association entre l'Union européenne et la Nouvelle-Zélande, et à soumettre sa ratification au Parlement français, qui n'avait pu être débattue.
Mme Nathalie Oziol
Oui, vous l'aviez court-circuitée !
Mme Marie Lebec, ministre déléguée
Parmi les défis que la France et l'Union européenne devront relever dans les années à venir, la résilience de nos économies, notre souveraineté, la transition environnementale et le soutien à une croissance durable et équilibrée sont absolument centraux. Dans un monde de plus en plus fragmenté, où les comportements non coopératifs se multiplient, c'est au service de ces objectifs que nous mettons notre politique commerciale. Face à ces défis, je souhaite aborder avec vous trois grands sujets, à commencer par l'évolution de la politique commerciale européenne et la vision de la France.
Depuis 2017, nous travaillons à rendre la politique commerciale européenne à la fois plus durable et plus assertive. Sous l'impulsion du Président de la République, nous avons ainsi œuvré à renforcer la protection du climat, de l'environnement et des droits des travailleurs. Nous avons progressivement été rejoints par nos partenaires européens : en 2021, la Commission européenne s'est engagée à poursuivre une politique commerciale équilibrée fondée sur trois piliers – ouverture, durabilité et assertivité – ; en juin 2022, sous la présidence française du Conseil de l'Union européenne, elle a encore précisé ces objectifs, en présentant une nouvelle approche en matière de commerce et de développement durable.
En 2023, trois axes ont guidé le travail sur les piliers de l'agenda européen de la politique commerciale.
Premièrement, l'effort de diversification de nos approvisionnements et de sécurisation des débouchés pour nos entreprises s'est concrétisé avec la signature de l'accord de libre-échange entre l'Union européenne et la Nouvelle-Zélande, de l'accord de libre-échange entre l'Union européenne et le Chili et de l'accord de partenariat économique avec le Kenya. Le Président de la République l'a dit, et je veux le souligner à nouveau : seuls nos intérêts stratégiques doivent guider cet agenda d'ouverture.
Deuxièmement, conformément aux priorités françaises, le volet "durabilité" de l'agenda a été renforcé. Ainsi, les accords que je viens de citer sont tous trois ambitieux en matière environnementale – l'accord conclu avec la Nouvelle-Zélande est même le plus ambitieux jamais conclu par l'UE en matière de développement durable, puisqu'il est le premier à refléter la nouvelle approche et les engagements européens en la matière : outre qu'il fait de l'accord de Paris un élément essentiel d'un accord de commerce, il prévoit en effet des sanctions commerciales en cas de violation persistante des principaux engagements qui y sont pris.
(Mme Nathalie Oziol s'exclame.)
Par ailleurs, l'UE et le Chili se sont engagés à réviser le chapitre relatif au commerce et au développement durable de leur accord dès son entrée en vigueur, afin d'atteindre le même niveau d'ambition que l'accord avec la Nouvelle-Zélande.
Mme Nathalie Oziol
Pas bien haut, donc !
Mme Marie Lebec, ministre déléguée
Quant à l'accord avec le Kenya, il constitue le premier accord de partenariat économique élevant l'accord de Paris au rang d'élément essentiel. Partant, il crée un précédent important dans la perspective des négociations en cours et futures avec d'autres pays de développement similaire. Comme vous pouvez le constater à travers ces exemples, la nouvelle approche européenne en matière de développement durable est progressivement déclinée dans les nouveaux accords et dans les négociations en cours.
La législation européenne permet aussi de lutter contre les fuites environnementales, c'est-à-dire le risque que le renforcement de la législation environnementale européenne conduise à des réallocations de production dans des pays moins disants en matière sociale ou environnementale. Je pense en particulier à l'entrée en vigueur en 2023 de deux règlements, l'un relatif au mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF), l'autre contre la déforestation et la dégradation des forêts, dit "zéro déforestation". Ces avancées sont, pour une large part, le fruit de l'engagement de la France et de son dynamisme lors de sa présidence du Conseil de l'UE. C'est en effet sous cette présidence que le Gouvernement a fait reconnaître la possibilité, pour l'UE, d'appliquer aux produits importés de tout pays extérieur à l'Union certaines normes de production environnementales et sanitaires s'appliquant normalement à la seule production européenne, et ce dans le respect des règles de l'OMC. Ces mesures, que l'on appelle mesures miroirs, sont un outil essentiel de mise en cohérence de la politique commerciale avec nos objectifs environnementaux et sanitaires. Nous continuons donc de promouvoir l'adoption de telles mesures dans les législations européennes pertinentes au fur et à mesure de leur adoption ou de leur révision.
Enfin, et toujours sous l'impulsion de la France, la Commission européenne a intensifié son action pour lutter contre la concurrence déloyale et garantir une réciprocité effective, tout en s'assurant du respect des règles du commerce international. Alors que le système commercial international traverse une période de turbulences poussant nos partenaires commerciaux à multiplier les mesures protectionnistes, défendre nos entreprises et protéger nos intérêts stratégiques constituent des conditions essentielles de notre souveraineté. En 2022, grâce à l'action de la présidence française du Conseil de l'UE, deux nouveaux instruments permettant à l'Union de défendre ses entreprises contre les pratiques déloyales et abusives ont été adoptés : le règlement visant à promouvoir la réciprocité dans l'accès aux marchés publics internationaux et le règlement relatif aux subventions étrangères faussant le marché intérieur.
La stratégie d'assertivité de l'UE a été complétée par l'entrée en vigueur, le 27 décembre, du règlement visant à aider l'UE et ses États membres à se protéger contre la coercition économique exercée par des pays tiers, qui permettra à l'UE de réagir fermement face aux actes de pression économique délibérés à son encontre ou à l'encontre de ses États membres. Cette plus grande mobilisation se traduit aussi par un recours aux instruments de défense commerciale dès que cela est nécessaire et pertinent. Telle est la stratégie de la Commission, que la France soutient pleinement.
Je tiens à rappeler ici le bien-fondé de cette approche : nous ne devons pas craindre un agenda commercial ouvert, tant qu'il reste équilibré. La France est un grand pays d'export et a vocation à le rester, car le rayonnement de ses entreprises assure aussi celui de ses valeurs. Il est de notre responsabilité de permettre aux entreprises françaises de s'ouvrir à de nouveaux marchés, de sécuriser les marchés existants, mais aussi, de plus en plus, de diversifier nos approvisionnements : on ne peut pas à la fois déplorer le déficit commercial français et refuser de donner de nouvelles opportunités à nos exportateurs ! Avec plus de soixante-dix pays partenaires, l'Union européenne dispose d'ailleurs du réseau commercial le plus vaste au monde. Toutefois, une ouverture équilibrée implique la préservation de nos intérêts, tant de manière offensive que défensive : les concessions effectuées sur les filières sensibles, notamment, doivent rester les plus limitées possibles – tel est le message constant adressé par la France à la Commission et aux autres États membres. Nous sommes particulièrement vigilants sur l'issue de chaque négociation.
Le rapport de suivi des filières sensibles établi dans le cadre de l'application du Ceta a d'ailleurs démontré que contrairement aux craintes exprimées par certains, l'impact de l'accord était très faible en la matière, mais globalement très positif pour nos exportations, et en particulier nos exportations agricoles. Les accords de commerce consolident ainsi la place occupée par la France et l'Union européenne sur les marchés internationaux.
Dans un contexte de dégradation du cadre commercial multilatéral, la conclusion d'accords de commerce permet de sécuriser nos relations commerciales avec les pays tiers ; elle est donc nécessaire. En 2022, les échanges commerciaux sur le marché intérieur européen et au grand export représentaient 73 % du PIB français, soit bien plus qu'avec la États-Unis ou la Chine, où ils ne représentent respectivement que 27 % et 38 %.
Il faut également conserver à l'esprit que l'essentiel du déficit de la balance commerciale de la France ne provient pas des pays avec lesquels l'Union Européenne a un accord de commerce, ni de l'Union européenne elle-même, mais bien des pays avec lesquels l'UE n'a pas d'accord de commerce, au premier rang desquels la Chine et les États-Unis. Les résultats des derniers accords adoptés sont d'ailleurs positifs : ils permettent une forte croissance de nos exportations. Par exemple, les exportations françaises en direction du Canada ont augmenté de 37 % depuis l'entrée en application provisoire du Ceta en 2017, tandis que les exportations françaises de produits agricoles et agroalimentaires vers le Japon, avec lequel l'Union européenne a conclu un accord en 2018, ont augmenté de 18 % en 2022 par rapport à l'année précédente. Dernier exemple : en 2022, notre excédent commercial structurel avec Singapour, pays avec lequel l'Union européenne a signé un accord en 2018, dépassait 6 milliards d'euros.
Pour autant, et malgré ces bons résultats, des axes d'amélioration sont possibles. Ainsi, les entreprises françaises n'utilisent pas pleinement les droits de douane préférentiels prévus par les accords : le taux moyen d'utilisation des préférences tarifaires par les entreprises françaises à l'export s'établissait à 76 % en 2021, soit légèrement en-dessous de la moyenne européenne de 79 %.
M. Arnaud Le Gall
Toujours la faute des autres !
Mme Marie Lebec, ministre déléguée
En revanche, grâce à ces accords, les entreprises françaises ont économisé près de 3 milliards d'euros de droits de douane par an à l'export en 2021, comme l'a montré l'enquête du plan export publiée fin 2023. Nous prévoyons donc de renforcer dans les prochains mois nos actions d'accompagnement des entreprises françaises, pour les aider à mieux profiter des avantages des accords de commerce en vigueur.
Pour terminer, je voudrais évoquer avec vous les perspectives pour les accords à venir. Les accords de commerce nous permettent de diversifier nos débouchés ainsi que nos sources d'approvisionnement et de sécuriser de nouveaux marchés. C'est une des clés de notre souveraineté. Nous demandons ainsi l'inclusion dans les accords de dispositions spécifiques visant à sécuriser les approvisionnements européens en matières premières critiques, cruciales pour la transition énergétique. Les accords de commerce conclus avec la Nouvelle-Zélande et le Chili contiennent de tels chapitres. Des discussions sont également en cours avec le Mexique depuis plusieurs années. Des négociations avec l'Inde et la Thaïlande ont également lieu. Il s'agit aussi de la concrétisation directe de notre Europe géopolitique qui renforce ses partenariats stratégiques, par exemple dans le cadre de la stratégie indopacifique française et européenne.
Je profite de cette occasion pour vous rappeler que s'agissant de l'accord avec le Mercosur évoqué par le Sénat cet après-midi, notre position n'a pas changé. Le Président de la République a été très clair sur ce point : il n'est pas envisageable de conclure un accord qui ne soit pas à la hauteur en matière de développement durable. Nous avons signalé à de nombreuses reprises la nécessité d'obtenir des engagements additionnels contraignants et ambitieux sur le développement durable. Je sais la convergence de vues qui existe entre le Gouvernement et votre assemblée sur ce sujet, concrétisée par l'adoption de la résolution du 13 juin 2023. Je conclus en vous remerciant pour votre écoute et me tiens à présent à votre disposition pour répondre à vos questions et demandes d'éclaircissements.
(MM. Lionel Vuibert et Frédéric Zgainski applaudissent.)
Mme la présidente
Nous en venons aux questions. Je vous rappelle que la durée des questions, ainsi que celle des réponses, est limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
La parole est à M. Matthias Tavel.
M. Matthias Tavel (LFI-NUPES)
L'Union européenne était déjà l'idiote utile du commerce mondial. Elle vient une nouvelle fois d'aggraver son cas en ratifiant un nouvel accord de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande. 38 000 tonnes supplémentaires de viande de mouton, soit presque la moitié de la production française actuelle, 10 000 tonnes de viande de bœuf : tant pis pour l'élevage paysan français, déjà fragilisé ! Au passage, ces animaux auront été nourris avec des céréales traitées à l'atrazine, un herbicide toxique interdit dans toute l'Union européenne : tant pis pour la santé, puisque vous n'avez pas pensé à une clause de sauvegarde sanitaire ! Le lait, le beurre, le fromage, plus de 60 000 tonnes qui vont se déverser en Europe, alors même que nos producteurs sont déjà écrasés par les mauvaises pratiques de Lactalis : tant pis pour nos éleveurs et nos agriculteurs ! Quant à l'importation des pommes, des kiwis, des oignons et autres miel et vin, ils pourront arriver sans quota : 20 000 kilomètres en containers pendant quarante-deux jours pour manger une pomme, je ne suis pas sûr que c'était à cela que pensait Jacques Chirac en 1995, mais vous avez réussi à le faire !
Même l'étude d'impact de la Commission européenne doit reconnaître que cet accord provoquera "une augmentation des émissions de gaz à effet de serre" : tant pis pour le climat !
Mme Nathalie Oziol
Eh oui !
M. Matthias Tavel
Et pourtant, M. Macron avait dit qu'il ne fallait pas d'accords commerciaux qui ne respectent pas l'accord de Paris. Alors êtes-vous les Richard Virenque du libre-échange ? Vous signez des accords climaticides, mais c'est à l'insu de votre plein gré.
(Mme Nathalie Oziol applaudit.)
Enfin, un peu de sérieux ! Vous avez validé l'accord avec l'Union européenne, le président Macron a donné son accord, le nouveau ministre Stéphane Séjourné a voté pour cet accord : vous avez donc défendu et fait voter un accord climaticide. La seule question qu'on a envie de vous poser est celle-ci : qu'attendez-vous pour vous excuser de cela et instaurer enfin le protectionnisme dont nous avons besoin ?
(Applaudissements sur quelques bancs des groupes LFI-NUPES et Écolo-NUPES.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marie Lebec, ministre déléguée
J'ai entendu ces arguments à peu près mille fois lorsque nous avons débattu de la ratification du Ceta dans cet hémicycle sous la précédente législature. L'instrumentalisation des peurs, le fait de faire croire à nos éleveurs et à nos agriculteurs qu'ils allaient être envahis de produits dans une logique de concurrence déloyale : ces arguments sont réchauffés et surchauffés.
M. Matthias Tavel
Comme le climat !
Mme Marie Lebec, ministre déléguée
Pour ma part, je constate que nous avons signé des accords avec des partenaires qui partagent les mêmes convictions que nous. Des entreprises françaises ont trouvé des débouchés d'exportation supplémentaires. Aujourd'hui, vous m'interrogez sur l'accord avec la Nouvelle-Zélande, qui partage nos convictions en matière de développement économique – c'est plutôt une force –, mais aussi en matière de protection de l'environnement. La preuve en est : nous avons inscrit l'accord de Paris comme un élément fondamental de cet accord commercial. Par ailleurs, monsieur Tavel, si nous ne sommes pas capables de nous mettre d'accord avec des pays partenaires qui partagent notre vision, avec quels pays signerons-nous des accords commerciaux ?
M. Dominique Potier
Le Qatar ?
M. Matthias Tavel
Avec les pays européens ! Vous ne croyez pas à l'Europe ?
Mme Nathalie Oziol
Vous êtes eurosceptique !
Mme Marie Lebec, ministre déléguée
Pensez-vous réellement que nous pourrons exporter, défendre nos normes et nos valeurs, faire rayonner nos entreprises à l'international en refusant tout accord de libre-échange ? Je ne le crois pas.
Vous avez ensuite évoqué la question des pesticides. Tous les accords que nous signons avec nos partenaires comportent des dispositions extrêmement contraignantes. S'agissant des seuils en matière de pesticides, ils sont soumis à la même réglementation que sur le marché européen, à savoir la limite maximale des résidus, qui doit être évaluée et contrôlée avant l'exportation de ces produits.
Mme la présidente
La parole est à M. Arnaud Le Gall.
M. Arnaud Le Gall (LFI-NUPES)
La politique commerciale de Union européenne est menée par des droïdes programmés pour une seule chose, le libre-échange contre vents et marées. À en croire ces gens, il n'y aurait pas de commerce sans libre-échange. C'est totalement faux : il y avait un commerce avant, il y aura un commerce après ! Nouvelle-Zélande, Chili cette année ; on nous annonce à l'avenir le Kenya, le Mexique, l'Australie ou encore le Mercosur. Parlons justement de cet accord UE-Mercosur aux dimensions gigantesques.
On nous dit que les négociations continuent intensément, toujours dans l'opacité. Il y a lieu de s'en inquiéter. L'accord, s'il était conclu, avec ou sans clauses miroirs, aurait des conséquences calamiteuses. En Amérique latine, l'expansion des cultures d'exportation au détriment des cultures vivrières est une catastrophe sociale et écologique et bride le développement d'une industrie endogène. Chez nous, l'afflux de produits alimentaires à bas coût viendra concurrencer nos productions, sans satisfaire aux normes sanitaires et sociales européennes, et affaiblira encore un peu plus notre souveraineté alimentaire déjà perdue, contrairement à ce que dit souvent le Gouvernement.
M. Matthias Tavel
Il a raison !
M. Arnaud Le Gall
Les garanties promises dans ces accords de prétendue nouvelle génération, comme les clauses miroirs, sont des garanties de papier. Par exemple, certains produits interdits en Europe pour accélérer la croissance du bétail ne sont pas détectables a posteriori. De toute façon, les services de douane ayant été dépecés par des décennies de néolibéralisme, les contrôles seront – tout le monde le sait – résiduels. En définitive, quelques multinationales auraient à gagner à cet accord UE-Mercosur et la grande majorité des producteurs et consommateurs auraient à y perdre. Quatre cents associations et syndicats, de part et d'autre de l'Atlantique, s'opposent à cet accord.
Ma question est simple. En pleine campagne présidentielle, Emmanuel Macron avait affirmé qu'il refuserait de signer l'accord UE-Mercosur.
Mme Nathalie Oziol
Ah !
M. Arnaud Le Gall
Entre-temps, le ministre chargé du commerce extérieur a affirmé en substance que nous n'avions jamais été opposés à la signature de l'accord et qu'il fallait évidemment conclure. Alors, madame la ministre déléguée, quelle est réellement la position de l'exécutif français ? Si l'accord devait être conclu au niveau européen, le Gouvernement s'engage-t-il à le soumettre à l'approbation du Parlement ?
(Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES et sur quelques bancs des groupes SOC et Écolo-NUPES.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marie Lebec, ministre déléguée
J'ai rappelé la position de la France au cours de mon intervention. Encore une fois, il ne faut pas faire preuve de naïveté en ce qui concerne les accords de libre-échange. Négocier ces accords, c'est aussi garantir que les valeurs et que les normes environnementales que nous souhaitons promouvoir au niveau européen s'appliquent à d'autres pays. Qui ira signer ces accords avec la Nouvelle-Zélande, le Chili et le Mexique si nous ne proposons pas d'ouvrir nos frontières ? De quels débouchés disposeront nos producteurs et nos entreprises si nous refusons totalement les négociations commerciales avec l'étranger ?
Nous avons besoin de ces accords pour imposer nos normes, nos valeurs, ce en quoi nous croyons à l'échelle internationale. Chaque fois que nous imposons des clauses miroirs, nous améliorons l'agriculture de nos partenaires – par exemple, le Canada doit se soumettre aux normes européennes pour l'exportation du bœuf ou du saumon. Ces accords sont donc une bonne nouvelle pour faire progresser ce qui est important.
Mme Nathalie Oziol
Une bonne nouvelle pour qui ?
Mme Marie Lebec, ministre déléguée
Certes, nous pouvons encore renforcer les dispositions de ces accords en matière environnementale et sociale, et l'Europe doit être ambitieuse sur ce point, mais faire croire que nous pouvons vivre en vase clos est, je crois, une erreur fondamentale.
Mme Nathalie Oziol
Toujours les mêmes réponses caricaturales !
M. Arnaud Le Gall
Il n'y a pas de vase clos : le commerce existait avant !
Mme Marie Lebec, ministre déléguée
Vous m'avez interrogée plus spécifiquement sur l'accord avec le Mercosur. En août 2019, à l'occasion du sommet du G7 à Biarritz, le Président de la République a en effet indiqué que la France ne souhaitait pas soutenir cet accord, compte tenu des orientations des politiques publiques des pays membres du Mercosur. Pour pouvoir avancer sur cet accord, il a été demandé d'ériger le respect de l'accord de Paris sur le climat en tant qu'élément essentiel de l'accord, d'aligner le chapitre du développement durable de l'accord UE-Mercosur sur les objectifs de l'accord de Paris, et enfin de voir des avancées concrètes sur l'instauration des nouvelles mesures miroirs européennes. Vous savez également que la France s'est exprimée contre le démixage de cet accord. L'accord restera mixte.
Mme la présidente
La parole est à M. Jean-Yves Bony.
M. Jean-Yves Bony (LR)
Les négociations officielles ont repris entre l'Union européenne et les pays du Mercosur, avec l'objectif de finaliser cet accord de libéralisation du commerce si controversé au vu des enjeux de souveraineté alimentaire, de revenu paysan ou encore de dérèglement climatique. Le sommet qui s'est tenu à Rio de Janeiro le 7 décembre 2023 n'a pas été conclusif, et l'accord UE-Mercosur a été une nouvelle fois repoussé sur fond de tensions. Pourquoi continuer dans cette voie alors que l'importation de produits sud-américains en Europe aura un impact négatif pour les agriculteurs français et les produits européens, plus particulièrement pour notre élevage ?
La baisse du cheptel bovin s'accélère en France, alors que les importations augmentent. Cette situation menace l'existence même de notre modèle herbager à la française. Comment peut-on cautionner des prix agricoles tirés toujours plus vers le bas, une concurrence déloyale pour nos producteurs français, avec une suppression totale des droits de douane sur de nombreux produits agricoles et des contingents importants sur la viande bovine ? Comment peut-on être favorable à l'augmentation des échanges commerciaux avec l'autre bout du monde ?
L'étude d'impact de la Commission européenne signale même que ces accords commerciaux entraîneraient une augmentation des émissions de gaz à effet de serre. Finalisés, ils aboliraient tout espoir de relocalisation de notre agriculture pour faire vivre nos territoires et rémunérer le travail paysan. Madame la ministre déléguée, l'alimentation et l'agriculture ne peuvent constituer la variable d'ajustement d'un système néolibéral catastrophique pour nos agriculteurs. Il est temps d'en prendre conscience.
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marie Lebec, ministre déléguée
Avant de répondre plus précisément à votre question portant sur l'accord avec le Mercosur, je veux dire que le Gouvernement a eu parfaitement conscience des enjeux pour nos agriculteurs dans la négociation des accords précédents – je pense ici au Canada ou à la Nouvelle-Zélande. Cette préoccupation s'est traduite par des exigences de qualité : dans l'accord avec le Canada, l'interdiction d'importer du bœuf élevé aux hormones de croissance ; pour l'agneau de Nouvelle-Zélande, l'obligation d'importer de l'agneau élevé à l'herbe. Par ailleurs, une protection est apportée à nos indications géographiques protégées (IGP), qui représentent le savoir-faire de nos terroirs et incarnent la défense de notre identité française et européenne. Ces accords servent donc aussi à renforcer ces IGP, en les exportant en quelque sorte.
L'Union européenne, en particulier la France, a mené sur ce point une vraie bataille, car ces indications n'existent pas ailleurs dans le monde et il fallait les faire reconnaître comme un critère d'identité.
En ce qui concerne les risques que fait peser le Mercosur sur notre agriculture,…
M. Jean-Yves Bony
Et sur l'élevage !
Mme Marie Lebec, ministre déléguée
…la position de la France, rappelée par le Président de la République, est la suivante : tant que nous n'aurons pas obtenu de meilleures garanties environnementales, il n'y aura ni autres avancées ni autres discussions sur cet accord. Nous voulons obtenir ces garanties avant d'évoquer les autres aspects. Si celles-ci étaient effectivement apportées, les négociations se poursuivraient. À ce jour, ce n'est pas le cas.
Mme la présidente
La parole est à M. Philippe Bolo.
M. Philippe Bolo (Dem)
Évoquer les accords de libre-échange, c'est faire référence au développement économique entre partenaires commerciaux et aux échanges de biens et de services – l'histoire nous enseigne qu'ils sont un levier d'apaisement des conflits et de construction de la paix. Mais c'est dorénavant aussi faire référence à des logiques de coopération qui, au-delà de leurs fondements commerciaux, doivent accompagner nos enjeux contemporains, ceux de la préservation du climat, de l'eau, de la biodiversité et du partage équitable de la valeur. Malheureusement, cette dimension n'apparaît pas comme une évidence dans le cas des produits agricoles non transformés.
En France, les agriculteurs expriment leurs inquiétudes et leurs interrogations face à un avenir incertain, mis à mal par les aléas climatiques, par leurs difficultés à être rémunérés de façon juste, par la défiance d'une partie de la société et par la remise en cause de leur vocation à nourrir le pays. Ces inquiétudes trouvent en partie leurs origines dans la nature même de ces accords et dans leurs incohérences : incohérences vis-à-vis des obligations environnementales qui s'imposent à eux, incohérences compte tenu de notre ambition nationale de souveraineté alimentaire.
Comment comprendre les obligations climatiques qui pèsent sur nos éleveurs laitiers quand on envisage d'importer du lait de Nouvelle-Zélande ? Quelles études évaluent sérieusement l'impact climatique de telles importations et les distorsions de concurrence malgré les quotas ? Comment comprendre les prix bas imposés aux producteurs français de volailles, quand on importe les mêmes produits d'Amérique du Sud ? Quelle est la cohérence avec les lois Egalim – lois pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous –, qui peinent encore à produire leurs effets ? Comment comprendre que nous cherchions toujours à importer davantage de fruits, de lait ou de viande, alors que les récentes crises – sanitaires comme internationales – ont mis en évidence la nécessité de réduire nos approvisionnements extérieurs ? Comment les importations de denrées qui sont aussi produites en France peuvent-elles éviter d'altérer davantage la rémunération de nos agriculteurs ? Comment peuvent-elles préserver nos filières agricoles au bénéfice de notre souveraineté alimentaire ? En quoi et comment les clauses de sauvegarde peuvent-elles apporter des solutions efficaces ? Comment les évaluer et comment évaluer leur efficacité ?
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marie Lebec, ministre déléguée
Je vous remercie de votre question sur les enjeux agricoles. Encore une fois, ne nions pas l'implication de la France dans la défense de l'agriculture lors des négociations commerciales. C'est un sujet qui recouvre, vous l'avez rappelé, des enjeux essentiels en matière de souveraineté alimentaire et d'identité de notre pays. Lorsque nous négocions ces accords, nous sommes donc très exigeants quant au respect des normes environnementales imposées aux producteurs français, dont nous avons fait un axe de travail prioritaire : dans le cadre de la nouvelle approche européenne, il s'agit d'exporter, en quelque sorte, nos engagements en matière de développement durable dans des pays que nous estimons capables d'être des pays partenaires, ou qui le sont parce qu'ils défendent la même vision que nous en matière de lutte contre le changement climatique. Ces avancées sont majeures.
C'est pourquoi l'Union européenne continue de défendre le principe des mesures miroirs, qui permet d'appliquer certains standards environnementaux et sanitaires à l'ensemble des produits importés de pays tiers. Cela permet de prendre en considération les contraintes imposées en Europe pour garantir une agriculture et une alimentation de qualité, protéger la santé publique ou encore l'environnement. Soulignons par exemple les résultats obtenus en 2023, avec l'interdiction d'importation de biens agricoles contenant des traces de néonicotinoïdes néfastes aux pollinisateurs.
Lorsque nous n'imposons pas de mesures miroirs, nous pouvons prévoir une conditionnalité tarifaire. Plutôt qu'une explication technique, permettez-moi d'illustrer mon propos par un exemple concret : l'accès préférentiel au marché européen pour la viande bovine néo-zélandaise est subordonné au fait que les animaux soient nourris à l'herbe.
Mme la présidente
La parole est à M. Alain David.
M. Alain David (SOC)
Le commerce international est facteur de paix et de coopération, c'est indéniable. Toutefois, nous l'avons constaté de façon criante pendant la période du covid, une trop grande naïveté a fragilisé nos économies occidentales. Nous avons heureusement réussi à poser la question de la relocalisation des productions stratégiques, qui avaient trop souvent été délocalisées, entraînant d'autres questions sur le dumping social et environnemental.
Nous le répétons régulièrement : lorsque la Commission européenne, encore trop marquée de béatitude libre-échangiste, souhaite nouer de nouveaux accords de libre-échange, elle doit mener en la matière une politique pragmatique. Citons l'exemple de l'Inde, qui défend jalousement son marché intérieur avec la politique du Make in India. Citons également les États-Unis, qui ont engagé l'Inflation Reduction Act (IRA), le plus gros investissement jamais décidé dans la lutte contre le changement climatique, qui prévoit 370 milliards de dollars pour la construction d'éoliennes, de panneaux solaires et de véhicules électriques. Le plan prévoit notamment un crédit d'impôt réservé à l'acquisition d'un véhicule électrique sorti d'une usine nord-américaine et doté d'une batterie fabriquée localement, excluant par conséquent les automobiles produites dans l'Union européenne. Ces raisons expliquent les récentes réserves des députés du groupe Socialistes et apparentés vis-à-vis des accords commerciaux tous azimuts que sont le Mercosur, l'accord avec la Nouvelle-Zélande ou bien d'autres encore.
Ma question sera donc simple : le réarmement récemment mis en avant par le Président de la République passe-t-il aussi par une volonté de protéger et de développer le Made in France ?
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marie Lebec, ministre déléguée
Je vous remercie de cette question : la période du covid a en effet démontré l'importance de la maîtrise des chaînes de valeur. Il y a un enjeu de réarmement de la France, et plus globalement de l'Union européenne, qui passe par la reprise en main des filières d'approvisionnement et de production ainsi que des chaînes de valeur sur notre sol.
Nous avons agi à l'échelle de notre pays, d'abord grâce à France relance, puis à France 2030, pour donner à notre industrie les moyens d'investir et d'être compétitive. Toute la politique d'attractivité engagée par la France depuis sept ans vise d'ailleurs à favoriser un tissu industriel dynamique sur notre sol. Pour la quatrième année consécutive, la France est le premier pays européen en matière d'investissements étrangers. Des choix très clairs sont faits par le Gouvernement : je pense par exemple à l'installation de gigafactories dans le nord de la France, afin de garantir la maîtrise de la production de batteries électriques.
À l'échelle européenne, distinguons deux volets. D'abord, une politique industrielle incarnée par un ensemble cohérent de mesures, autour de deux grands piliers : le Net-Zero Industry Act , qui permettra de soutenir le développement des technologies propres dans l'Union européenne – vous avez évoqué l'IRA américain : on voit bien qu'une véritable bataille est engagée pour la maîtrise des technologies de demain, qui seront celles qui resteront respectueuses de l'environnement ; et le Critical Raw Materials Act, que j'ai évoqué dans mon intervention, qui contribue à la sécurisation d'approvisionnement des filières et est devenu un élément indispensable de notre stratégie commerciale. Peut-être en découvrirons-nous sur notre sol, mais il est indispensable de sécuriser l'approvisionnement en matières critiques.
Mme la présidente
Merci de conclure, madame la ministre déléguée.
Mme Marie Lebec, ministre déléguée
Tel est le sens des accords avec la Nouvelle-Zélande et le Chili.
Deuxième volet, une politique commerciale prévoyant des mesures de défense…
Mme la présidente
Je suis désolée, mais si nous voulons terminer dans les temps, il faut respecter la durée des deux minutes.
La parole est à Mme Anne Le Hénanff.
Mme Anne Le Hénanff (HOR)
L'accord de protection des investissements entre l'Union européenne et le Vietnam, dit Evipa, approuvé par le Parlement européen en février 2020 et ratifié par l'Assemblée nationale vietnamienne en juin 2020, vient compléter l'accord de libre-échange entre nos deux territoires. Il s'agit d'un accord très important pour le développement des relations commerciales entre les différents pays de l'Union européenne et le Vietnam, qui remplace les vingt accords bilatéraux d'investissement existants et porte sur deux aspects : la libéralisation des investissements autres que directs et l'établissement d'une procédure relative au règlement des différends entre les investisseurs et les États.
Cet accord réforme et renforce la protection des investissements des deux parties, en assurant un haut niveau de protection, afin de faire du Vietnam une véritable terre de confiance pour l'investissement européen. Avec un taux de croissance supérieur à 6 % depuis plusieurs années, une classe moyenne en pleine expansion, et surtout compte tenu des liens d'amitié qui nous lient de longue date, le Vietnam est perçu comme un partenaire très prometteur pour notre pays, nos entreprises et nos investisseurs.
Afin d'entrer en vigueur, cet accord doit toutefois être ratifié par les États membres, dont la France. À ce jour, seules la Hongrie, la Lituanie, la Roumanie et la Suède ont ratifié l'Evipa. Présidente du groupe d'amitié France-Vietnam, je sais que cette ratification est très importante pour le Vietnam. Les délais actuels étant source d'inquiétude, je souhaiterais connaître la position du Gouvernement : pouvons-nous espérer une ratification prochaine de cet accord ?
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marie Lebec, ministre déléguée
Je vais m'efforcer d'être concise, madame la présidente. Je vous remercie de votre question, madame Le Hénanff. L'accord que vous évoquez est entré en vigueur en 2020. Il profite à nos entreprises, puisqu'il a permis de supprimer 99 % de l'ensemble des droits de douane ; il réduit également les obstacles réglementaires et les formalités administratives. Nous constatons que 65 % des droits de douane ont d'ores et déjà disparu et que les entreprises françaises, notamment celles qui exportent, utilisent le bénéfice des accords commerciaux à hauteur de 51 % – une marge de progression peut donc encore être exploitée sur cet accord qui, vous l'avez rappelé, est fondamental.
S'agissant plus précisément de la ratification du texte, je ne dispose pas encore d'une date. Je me rapprocherai du ministre de l'Europe et des affaires étrangères et nous reviendrons vers vous dès que celle-ci sera fixée.
Mme la présidente
La parole est à M. Jérémie Iordanoff.
M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES)
Les émissions de gaz à effet de serre produites sur notre territoire sont en baisse. Mais dans le même temps, nos émissions importées sont en très forte hausse : selon le Haut Conseil pour le climat, elles ont augmenté de 78 % entre 1995 et 2018. À l'heure où le dérèglement climatique menace l'équilibre de la planète, il est de notre responsabilité de garantir que nos échanges commerciaux soient cohérents avec l'objectif de réduction de 80 % de notre empreinte carbone d'ici à 2050.
Or tels qu'ils sont négociés, les accords de libre-échange sont en contradiction flagrante avec les enjeux environnementaux. Je pense à la reprise des discussions autour de l'accord entre l'Union européenne et le Mercosur, qui, nous le savons, accélère les effets du changement climatique par la déforestation massive et l'exploitation intensive des terres qu'il implique. Je pense aussi à l'accord commercial avec la Nouvelle-Zélande, même s'il est assorti – pour la première fois – d'engagements environnementaux et sociaux contraignants, avec la possibilité de sanctions en dernier recours en cas de violation de l'accord de Paris – nous attendons toutefois de voir la réalité de celles-ci. Quoi qu'il en soit, l'accord est conclu avec un pays situé à l'autre bout du monde et l'étude d'impact de la Commission européenne est formelle : il entraînera une hausse massive des émissions de gaz à effet de serre du fait de l'augmentation de la production agricole et du transport de marchandises.
S'il est une bonne chose, le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières de l'Union européenne reste silencieux sur les conséquences dues au transport. L'Organisation maritime internationale estime que les émissions liées aux échanges maritimes mondiaux, qui ont augmenté de 20 % en une décennie, augmenteront encore de 20 % d'ici à 2050. Quelles mesures concrètes proposez-vous pour garantir la neutralité carbone des accords commerciaux, madame la ministre déléguée, en prenant en compte le transport ?
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marie Lebec, ministre déléguée
Je vous remercie, monsieur Iordanoff, d'avoir reconnu les efforts qui ont été entrepris, notamment dans le cadre de l'accord entre l'Union européenne et la Nouvelle-Zélande, pour intégrer davantage la protection de l'environnement et en faire un élément fondamental à travers le respect de l'accord de Paris. Vous avez évoqué l'augmentation des émissions de gaz à effet de serre liée à cet accord avec la Nouvelle-Zélande, en particulier du fait des kilomètres que devront parcourir les produits transportés. Le transport par bateau étant assez faiblement émetteur en volume, vous le savez mieux que moi, cet impact devrait néanmoins être bien plus limité que si l'on devait opérer des liaisons commerciales longue distance par la route, même au sein de l'Union européenne.
En effet, l'intensité carbone du transport par bateau est de trois à vingt-cinq fois moindre que celle du transport par la route. Cela signifie que transporter des marchandises du port du Havre à Auckland en bateau n'émet pas plus de CO2 que les transporter de Paris à Malaga en camion. L'accord conduirait donc à une hausse globale des émissions de CO2 assez limitée, que l'étude d'impact estime à 0,04 % à long terme. Au-delà de cet exemple, l'Union européenne se doit d'être très offensive sur la maîtrise de l'impact environnemental du commerce mondial dans le cadre des négociations commerciales.
Mme la présidente
La parole est à M. Yannick Monnet.
M. Yannick Monnet (GDR-NUPES)
Ces accords de libre-échange sont mauvais pour l'environnement et pour de nombreux secteurs économiques. Vous le savez ; c'est la raison pour laquelle vous vous prévalez d'instaurer les fameuses clauses miroirs, qui sont censées interdire les produits d'importation qui ne respectent pas les normes européennes. Or les négociations en cours avec les États du Mercosur ne mentionnent pas explicitement la mise en œuvre totale et complète de ces clauses. Et que dire du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, qui serait une taxe sur le produit polluant à l'entrée de l'Union européenne ! Nous n'avons aucune preuve que vous allez mettre ces mécanismes en œuvre. Si tel est le cas, allez-vous renégocier les précédents accords de libre-échange afin de les faire appliquer ?
Enfin, n'oubliez pas que tous ces accords de libre-échange ont pour point commun de supprimer les droits de douane, qui constituent la seule ressource propre de l'Union européenne. Or entre 1988 et 2018, la contribution des droits de douane au budget de l'Union européenne est passée de 28 % à 16 % seulement. Cet écart a été comblé par les contribuables des États. Ce sont donc les peuples qui paient la facture de ces accords de libre-échange. Cette année, les contribuables français vont payer 26,4 milliards d'euros à l'Union européenne. Certes, une importante partie de ces ressources est ensuite redistribuée à la France, mais des droits de douane à la juste hauteur lui permettraient d'économiser plusieurs milliards.
M. Matthias Tavel
Très bonne question !
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marie Lebec, ministre déléguée
Je vous remercie pour votre question, monsieur Monnet. En ce qui concerne le volet technique des mesures miroirs, des progrès décisifs ont été réalisés, en particulier sous la présidence française de l'Union européenne. Cependant, ces mesures n'ont pas besoin d'être intégrées dans nos accords de commerce. Elles s'appliquent de fait à tous les flux commerciaux. C'est notamment le cas du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, ou encore du règlement sur la déforestation. En effet, il s'agit de règlements européens que chaque État membre est tenu d'appliquer. Sur votre second point, à savoir les droits de douane en tant que principale recette de l'Union européenne, nous avons plutôt une divergence de vues de nature politique : nous considérons – et les fruits de la politique que nous avons menée tendent à le confirmer – qu'abaisser un certain nombre de barrières, notamment fiscales, est source de croissance et donc de richesse. On peut le constater en France, où l'implantation de nouvelles entreprises, en particulier grâce à une fiscalité claire et orientée à la baisse en ce qui concerne les entreprises, a plutôt constitué une incitation à relocaliser, ce qui a permis de produire de la richesse et donc de pouvoir taxer et prélever davantage, mais en répartissant mieux la charge.
Mme la présidente
La parole est à M. Olivier Serva.
M. Olivier Serva (LIOT)
"Monsieur le député, nos productions sont sacrifiées sur l'autel du libre-échange". Voilà les termes d'une discussion que j'ai eue récemment avec des agriculteurs de la Guadeloupe. Lorsque les ignames du Costa Rica arrivent au port de Jarry en Guadeloupe à un prix de 70 centimes le kilo, je vous laisse imaginer l'incidence sur nos producteurs locaux. Accablés par les taxes et des coûts de production et de main-d'œuvre bien supérieurs à ceux de leur environnement régional, nos agriculteurs souffrent. L'igname à environ 3 euros le kilo, c'est souvent le mieux qu'ils puissent faire pour espérer réaliser une marge alors même que celles du Costa Rica arrivent à 70 centimes et sont parfois revendues à moins d'1 euro le kilo sur les étals ou en bord de route.
Nous devons en partie cette hégémonie des produits agricoles de pays tiers sur nos marchés à l'accord-cadre de coopération signé en 1993 entre l'Union européenne et six États d'Amérique centrale, dont le Costa Rica. Cet accord instaure – en notre défaveur – une zone de libre-échange entre l'Union européenne et l'Amérique centrale. Pire, ces produits entrent sur notre territoire sans aucun contrôle phytosanitaire, alors même que la réglementation en vigueur dans ces États est moins rigoureuse que celle imposée à nos agriculteurs guadeloupéens, ce qui est problématique pour la sécurité sanitaire des consommateurs français. Madame la ministre déléguée, j'en appelle à des négociations commerciales plus précautionneuses vis-à-vis de nos territoires ultramarins. Ne servons pas les agriculteurs sur un plateau moyennant l'exportation de quelques produits pharmaceutiques ou fournitures médicales ou encore de matériel électrique français au Costa Rica.
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marie Lebec, ministre déléguée
Vous avez raison, monsieur Serva : dans le cadre de la protection des intérêts économiques des territoires ultramarins, il est nécessaire d'avoir un regard particulier pour ces derniers lors de la négociation d'accords commerciaux. En effet, ce sont des économies locales de plus petite taille et plus contraintes. C'est pourquoi cette question fait l'objet d'un pan important des travaux du comité interministériel des outre-mer. J'apporterai deux éléments en réponse à votre question. Tout d'abord, nous cherchons à nous assurer que les filières dites sensibles en outre-mer font l'objet des concessions les plus limitées possibles. C'est le cas sur le sucre, la banane, ou encore sur le rhum. Vous avez évoqué l'igname. Une attention particulière doit être portée aux flux commerciaux. S'il s'avère qu'une filière est déstabilisée par une augmentation forte et imprévue des importations de pays tiers, nous pouvons étudier avec la Commission européenne des mesures de surveillance, voire de sauvegarde afin de la protéger. Je ne dispose pas à cette heure d'éléments sur la nécessité de protéger la filière igname, mais je demanderai au ministre de l'Europe et des affaires étrangères de revenir vers vous au sujet de l'impact de l'accord commercial, notamment en ce qui concerne le Costa Rica, afin de voir si la filière igname a été déstabilisée.
Mme la présidente
La parole est à M. Jean-Philippe Ardouin.
M. Jean-Philippe Ardouin (RE)
Les traités internationaux sont essentiels pour assurer la paix, la pérennité et le développement de toutes les nations. Dans ce concert, l'Union européenne, et singulièrement la France, font figure de puissances d'équilibre. Les accords de libre-échange ne sont pas que des accords économiques. Ils servent aussi à assurer une harmonisation des normes, notamment sociales et sanitaires. Dans leur version contemporaine, ils prévoient également des exigences de plus en plus fortes en matière de qualité des marchandises et des produits. L'accord de libre-échange le plus débattu sur la scène internationale ces dernières années est celui entre l'UE et le Mercosur. Une fois de plus, la France, par la voix du Président de la République, a défendu une position mesurée, exigeant avant tout accord le respect par les pays sud-américains des règles concernant l'utilisation de produits phytosanitaires et des accords de Paris sur le climat de décembre 2015.
Comme le Président de la République l'a rappelé lors de la COP28 fin 2023 à Dubaï, la politique commerciale doit être mise au service de la politique climatique. Fidèles aux convictions européennes qui sont les nôtres, pour une Europe qui émancipe mais aussi qui protège, notamment nos producteurs et nos agriculteurs, nous devons maintenir ce niveau d'exigence dans les accords de libre-échange que nous signons et appliquons. Madame la ministre déléguée, la France maintiendra-t-elle sa position sur le Mercosur et sur les futurs accords en conditionnant systématiquement ces derniers au respect des ambitions environnementales et sanitaires qui sont les nôtres ?
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marie Lebec, ministre déléguée
Je vous remercie pour votre question. J'ai déjà apporté certains éléments de réponse : j'ai rappelé la position du Président de la République en 2019 à l'occasion du G7, indiqué que l'accord avec le Mercosur ne pouvait pas être signé en l'état eu égard aux politiques publiques engagées par les gouvernements à l'époque, et souligné que tout cela était soumis au respect de conditions environnementales. Comme vous l'avez peut-être vu, une proposition de résolution sur le Mercosur a été adoptée au Sénat cet après-midi. Cela nous permet de rappeler notre ambition en la matière. Les discussions qui ont lieu avec les différents pays sont des discussions exigeantes et ambitieuses en matière de protection de l'environnement. Voilà les deux grandes lignes : l'accord de Paris constitue un élément essentiel de l'accord entre l'UE et le Mercosur et ce dernier participe au verdissement de la politique commerciale de l'UE. Sans la réunion de ces deux conditions, un accord avec les pays membres du Mercosur n'est ni possible ni envisageable.
Mme la présidente
La parole est à Mme Danielle Brulebois.
Mme Danielle Brulebois (RE)
Plusieurs accords de libre-échange sont en négociation. Celui avec la Nouvelle-Zélande devrait entrer en vigueur début 2024. Les droits de douane sur toutes les exportations européennes vers ce pays seront supprimés, ce qui est une très bonne chose pour les produits industriels et pour la balance commerciale de la France. S'agissant des produits agricoles, les agriculteurs et les producteurs nous font part de leur inquiétude quant à l'arrivée de produits laitiers et de viande non soumis à une exigence de strict respect des normes européennes. Ils citent ainsi le recours à des herbicides, des pesticides et des antibiotiques interdits dans l'Union européenne mais toujours autorisés en Nouvelle-Zélande.
Comment pourra-t-on demander aux agriculteurs français de faire l'effort de s'appliquer de nouvelles normes pour protéger l'environnement et permettre la décarbonation de l'agriculture, pour améliorer la qualité de leurs produits et pour garantir le bien-être animal, si dans le même temps on laisse entrer des produits qui n'appliquent pas les mêmes règles ? Que peut faire la France pour que ces accords de libre-échange conduisant à l'importation de produits agricoles ne soient pas une menace pour l'économie de nos territoires ruraux, leur tissu social, le pastoralisme et le système herbager qui stocke le carbone ?
Mme Nathalie Oziol
Il ne fallait pas les signer !
Mme Danielle Brulebois
Que peut faire la France pour ne pas induire les consommateurs en erreur et pour mieux les informer sur la réalité de la production dans d'autres pays ? Exigera-t-elle la révision de la réglementation européenne en matière d'étiquetage afin que celui-ci soit clair et transparent sur l'origine nationale de l'ensemble des denrées alimentaires, y compris transformées ? Je sais que la France sait faire entendre sa voix. Nous comptons sur elle, madame la ministre déléguée, pour conclure une nouvelle génération d'accords qui prennent mieux en compte les aspects humains, sociaux et environnementaux.
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marie Lebec, ministre déléguée
Je vous remercie d'avoir rappelé notre exigence en matière environnementale et souligné que nous devons continuer à nous battre pour obtenir des accords européens ambitieux permettant d'exporter dans le monde les mesures grâce auxquelles nous améliorons notre production agricole. L'interrogation que vous avez soulevée au sujet de la concurrence déloyale que pourraient représenter pour nos agriculteurs et nos éleveurs les importations en provenance de ces pays était l'un des points forts de votre intervention. Comme je l'indiquais dans mon propos introductif, la politique de l'Union européenne en matière de durabilité et d'assertivité consiste justement à faire en sorte que les pays tiers qui veulent commercer avec les pays européens appliquent les mêmes normes que celles en vigueur dans l'Union.
Il ne serait pas compréhensible – certains d'entre nous ont eu cette discussion plus tôt dans la journée – que les efforts consentis par les producteurs européens, qui représentent parfois des investissements financiers importants et qui améliorent la durabilité de leur production et la qualité de l'alimentation de nos compatriotes, se traduisent par une hausse des importations en provenance de pays dont les juridictions sont moins-disantes sur le plan environnemental. Vous avez également exprimé votre souhait que les conditions environnementales soient davantage traduites dans les accords commerciaux. Un premier pas avait été franchi avec l'accord avec le Canada. L'accord avec la Nouvelle-Zélande est le premier accord à inscrire l'accord de Paris au cœur de sa stratégie. C'est pourquoi le Chili a accepté de revoir son accord. Ainsi, je crois que nous devons continuer à nous battre pour être ambitieux en matière de transition écologique dans les accords commerciaux.
Mme la présidente
La parole est à Mme Stéphanie Galzy.
Mme Stéphanie Galzy (RN)
Je tiens tout d'abord à exprimer mon soutien aux agriculteurs qui manifestent dans toute l'Europe et dans toute la France, en particulier ceux d'Occitanie présents à Toulouse. L'heure est grave : notre ruralité souffre. La Commission européenne prétend être le gouvernement de l'Europe, formée d'États soumis à un super-État. Nous ne l'accepterons jamais. Pour que l'Europe soit forte, nous estimons nécessaire qu'elle soit constituée d'États forts. Notre position n'exclut pas l'adhésion de notre pays à l'Union européenne, mais nous refusons celle qui est en place, celle des technocrates.
Mme Stéphanie Galzy
Notre agriculture est un élément essentiel de notre souveraineté alimentaire ; nous ne saurions la sacrifier au nom d'accords de libre-échange de nature ultralibérale voulus par l'Union européenne. Lors de la campagne présidentielle, Marine Le Pen a exprimé son souhait d'exclure l'agriculture du champ des accords de libre-échange, mesure plus efficace que des clauses miroirs inapplicables. Cette logique aurait permis de ne plus importer de produits ne répondant pas aux normes de qualité françaises. Nous orienter vers des accords sectoriels, limités à des produits agricoles, pourrait représenter une solution satisfaisante : nous n'adhérons pas aux larges accords imaginés par la Commission qui englobent tous les secteurs économiques, car ils sont conclus au détriment de notre agriculture.
Mme Stéphanie Galzy
Il nous paraît indispensable de rendre obligatoire la mention de l'origine des produits. Le but poursuivi par le Rassemblement national est de protéger notre agriculture, ce que ce Gouvernement, à l'instar de ses prédécesseurs, ne fait pas. L'agriculture française souffre et nos courageux agriculteurs s'épuisent face à la technostructure.
Mme Stéphanie Galzy
Ma question est simple, madame la ministre déléguée : votre Gouvernement va-t-il enfin défendre notre agriculture ? Aura-t-il, pour une fois, le courage de nous écouter et de demander à l'Union européenne d'exclure l'agriculture du champ des accords de libre-échange ?
(Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marie Lebec, ministre déléguée
Je ne partage évidemment pas la vision que vous avez des conséquences des accords de libre-échange pour notre agriculture. Sachez que nous considérons celle-ci comme un enjeu décisif qui appelle toute notre vigilance lors de la négociation des accords commerciaux.
Mme Marie Lebec, ministre déléguée
Je prendrai l'exemple du Ceta, sur lequel nous avons le plus de recul puisqu'il a été conclu il y a quelques années déjà. Pour l'agriculture, il a eu un impact plutôt positif puisque nous enregistrons des excédents pour certains produits, en particulier les produits sucrés, la viande bovine et la viande porcine.
Mme Marie Lebec, ministre déléguée
C'est ainsi que pour la viande bovine, la balance commerciale entre l'Union européenne et le Canada a été nettement positive en 2021, avec 1 800 tonnes importées contre 21 000 tonnes exportées. Le contingent accordé au Canada est encore largement sous-exploité, puisque moins de 900 tonnes ont été importées par l'Union européenne. Le fait que seule une quarantaine de fermes canadiennes seraient en mesure de produire selon les normes européennes explique la faiblesse des flux importés. Pour ce qui est de la viande porcine, les importations en provenance du Canada sont marginales, tandis que les exportations vers ce pays ont connu une forte croissance depuis la mise en œuvre de l'accord. Vous le voyez, non seulement celui-ci protège nos agriculteurs, mais il leur offre des débouchés supplémentaires.
Mme Marie Lebec, ministre déléguée
Je conclus avec les mentions portées sur les produits alimentaires. S'agissant de l'indication géographique protégée, nous avons gagné une véritable bataille. Par exemple, les vignerons canadiens ne peuvent en aucun cas donner à un vin pétillant qu'ils produiraient le nom de "champagne".
Mme Béatrice Roullaud
Ces accords sont très mauvais. Ils ne sont pas du tout écologiques !
Mme la présidente
La parole est à M. Jérôme Buisson.
M. Jérôme Buisson (RN)
S'agissant des accords de libre-échange, nous pouvons distinguer la position des différents gouvernements qui se sont succédé depuis quarante ans de celle des Français. La classe politique, abreuvée à l'idéologie du libre-échange, a imposé au peuple français, contre sa volonté, la conclusion d'accords avec des pays du monde entier mettant en concurrence notre agriculture et notre industrie avec des pays n'ayant pas les mêmes standards sociaux et économiques. Ces accords, c'est un fait, ont participé à la destruction de notre appareil productif. Non content des résultats catastrophiques de notre balance commerciale, ce Gouvernement souhaite imposer par l'intermédiaire de l'Union européenne un accord avec le Mercosur pour porter le coup de grâce à nos agriculteurs.
M. Jérôme Buisson
Madame la ministre déléguée, mon intervention ne vous fera malheureusement pas changer de position, mais je tiens à souligner les deux paradoxes auxquels aboutit votre adhésion au dogme d'un libre-échange sans limites. Tout d'abord, votre Gouvernement et votre famille politique, qui se réclament à tout bout de champ de la modernité, s'enferment dans la défense d'un libre-échange devenu anachronique et contraire aux objectifs qui doivent être les nôtres en matière de réindustrialisation. Partout dans le monde, en effet, les nations réintroduisent des barrières douanières pour protéger leur économie. Même les démocrates américains, avec l'Inflation Reduction Act de 2022, reviennent à une position plus protectionniste. Madame la ministre déléguée, comment votre Gouvernement peut-il persister dans l'erreur alors que le reste du monde fait marche arrière ?
M. Jérôme Buisson
Par ailleurs, on peut légitimement se demander comment il continue à soutenir la conclusion d'accords commerciaux permettant l'importation de biens venant du bout du monde tout en se targuant de lutter contre les émissions de gaz à effet de serre. Je vous rappelle que près de 50 % de nos émissions proviennent de nos importations. Il est donc primordial que nous parvenions à relocaliser nos activités de production.
M. Jérôme Buisson
Si vous persistez dans votre obsession du libre-échange, non seulement vous démontrerez votre mépris pour les intérêts de nos industries et de nos agriculteurs, mais vous révélerez votre absence de réelle volonté de lutter contre les émissions de gaz à effet de serre.
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marie Lebec, ministre déléguée
Sauf erreur de ma part, vous ne m'avez pas posé de question spécifique et vous avez avant tout exposé votre vision politique de ces accords. Je fais partie des députés qui, comme l'immense majorité…
M. Hervé de Lépinau
Dont la présence ce soir est impressionnante !
Mme Marie Lebec, ministre déléguée
Veuillez m'excuser, cela ne fait que quelques jours que j'ai été nommée membre de ce Gouvernement. Lorsque j'étais députée, je présidais le groupe d'études consacré à l'attractivité économique et à l'export et je fais partie de ceux qui croient au libre-échange.
M. Matthias Tavel
C'est un aveu !
Mme Marie Lebec, ministre déléguée
Comme l'a rappelé Alain David, le commerce contribue à la paix dans le monde.
M. Arnaud Le Gall
C'est historiquement faux ! En 1913, les échanges commerciaux entre la France et l'Allemagne étaient à leur plus haut niveau ! Il n'y a pas de corrélation !
Mme Marie Lebec, ministre déléguée
Je ne crois pas que réintroduire des barrières, de nature tarifaire ou pas, apaise les relations entre les nations. La stratégie du Gouvernement repose sur une logique d'ouverture, mais une ouverture dépourvue de toute naïveté. C'est la raison pour laquelle, comme je le disais, nous encourageons une politique commerciale fondée sur l'assertivité. Cela suppose de mettre en place des mécanismes de réciprocité, en matière environnementale, pour protéger nos agriculteurs, mais aussi pour lutter contre le dumping, grâce à des mesures de protection sociale des travailleurs portées par les valeurs que nous défendons au niveau européen.
Mme Marie Lebec, ministre déléguée
Un autre pilier de notre politique est la durabilité. Cela se manifeste sur notre sol par les décisions que nous prenons pour convertir progressivement notre économie et notre industrie à la transition écologique – peut-être avons-nous du retard, mais c'est une bataille que nous poursuivons. Cela se traduit au niveau mondial par le combat que nous menons pour faire adopter des normes environnementales par la majorité des pays.
Mme Marie Lebec, ministre déléguée
Nous sommes de bords politiques différents, monsieur le député, et nous ne partageons pas la même vision. Il n'en demeure pas moins que les chiffres montrent clairement que ces accords de libre-échange ont des conséquences positives pour notre économie. Nous devons donc soutenir nos entreprises et les inciter à aller à la conquête de l'export, d'autant que nous les savons parfois un peu frileuses pour se lancer à l'international.
Mme la présidente
Le débat est clos.
Source : https://www.assemblee-nationale.fr, le 18 janvier 2024