Déclaration de M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, sur la prédation du loup et l'avenir du pastoralisme, au Sénat le 16 janvier 2024.

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  • Marc Fesneau - Ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

Circonstance : Débat organiséau Sénat à la demande du groupe Les Républicains

Texte intégral

M. le président. L'ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur le thème : " Face à la prédation du loup, comment assurer l'avenir du pastoralisme ? "

(…)

M. le président. La parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Jean-Michel Arnaud applaudit également.)

M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis vraiment très heureux – ce n'est pas une formule de style – que le groupe Les Républicains ait souhaité l'organisation au Sénat d'un débat sur l'élevage, en particulier sur le pastoralisme.

Madame Estrosi Sassone, dans votre conclusion, vous avez mentionné le signal favorable que constituait l'inscription de la transhumance au patrimoine culturel immatériel de l'Unesco, le 6 décembre dernier. Cette décision est le résultat d'un travail collectif de longue haleine commencé en 2019 par les acteurs du pastoralisme et de l'élevage.

Cette inscription, que je tiens à saluer, permettra de reconnaître le rôle social, économique, culturel et touristique de la transhumance et du pastoralisme. Elle viendra par ailleurs conforter les politiques publiques que nous essayons de développer au travers du nouveau plan national d'actions sur le loup et les activités d'élevage.

Après avoir été présenté au groupe national Loup au mois de septembre dernier, puis avoir fait l'objet d'une consultation publique, ce plan doit être publié dans les prochains jours.

Comme vous le savez, et même si le sujet du loup ne relève pas entièrement du ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire,…

M. Max Brisson. Hélas !

M. Marc Fesneau, ministre. … j'ai souhaité le prendre à bras-le-corps dès ma prise de fonction. Ce faisant, compte tenu du caractère épineux du sujet depuis une décennie, j'ai, en quelque sorte, pris des risques.

La prédation occasionne en effet une grande détresse chez les éleveurs, qui se sentent souvent incompris. Beaucoup d'entre eux ont le sentiment qu'aux yeux des pouvoirs publics l'indemnisation vaudrait quitus.

Par ailleurs, ce sujet alimente le sentiment d'abandon qu'éprouvent nos agriculteurs et éleveurs, singulièrement dans les zones difficiles concernées par la prédation.

L'enjeu est donc majeur : il dépasse de très loin la seule question de l'indemnisation. Au fond, il s'agit avant tout de la désespérance de ces hommes et de ces femmes auprès desquels je me suis rendu à plusieurs reprises.

Il faut mesurer – vous la connaissez bien, madame la sénatrice – la détresse d'un éleveur dans les instants qui suivent la prédation.

M. Michel Savin. Bien sûr !

M. Marc Fesneau, ministre. Saluons, à cet égard, l'accompagnement que proposent les organisations professionnelles et les services de l'État, y compris l'OFB d'ailleurs, aux éleveurs dans ces moments très difficiles.

Il faut mesurer la désespérance de ces hommes et de ces femmes qui ont investi dans du matériel de prévention, se sont dotés de chiens de protection, ont respecté les règles relatives aux tirs de défense et qui ne voient pas venir pour autant la fin de leurs difficultés. Ils ont le sentiment que ces efforts et ces règles ne suffisent plus à protéger leurs animaux et que les outils dont ils disposent ne sont plus adaptés à la situation.

Plus encore, vous le constatez dans vos départements, mesdames, messieurs les sénateurs : le loup est devenu un sujet de tension territoriale, parfois symptomatique de l'incompréhension entre le monde urbain et le monde rural. Il s'agit là d'un défi redoutable.

Revenons au point de départ. Après quatre plans Loup qui ont eu pour objet de protéger strictement une espèce disparue de notre territoire voilà cent ans environ avant d'y revenir naturellement, ce cinquième plan Loup ne pouvait pas en être un simple prolongement.

Le loup est réapparu en 1992. Trente ans plus tard, il n'était pas possible de continuer comme avant, compte tenu des évaluations de la population réalisées notamment par les services de l'OFB.

C'est un fait avéré : la conservation de l'espèce est aujourd'hui assurée. Pour le dire clairement, ce sont non plus les loups qui sont menacés de disparition, mais les activités d'élevage.

Ces cinq dernières années, la population de loups a doublé, passant de 510 à 1 104, tandis que 55 départements sont aujourd'hui concernés par la prédation, contre 31 autrefois.

Chaque année, 12 000 à 14 000 animaux sont tués. Après les ovins puis les caprins, les bovins, les asins et les équins sont à leur tour victimes des attaques du prédateur. En un mot, la progression géographique du loup s'accompagne d'une progression des dégâts.

Le nouveau plan affiche donc une ambition d'équilibre et se fonde sur un nouveau paradigme : il s'agit non plus seulement de conserver l'espèce, mais également de sauver l'élevage, en particulier le pastoralisme.

Pour tenir cet équilibre, les acteurs du débat public doivent prendre conscience des réalités vécues au quotidien par nos éleveurs. Nul doute que vous y contribuerez au travers de ce débat, mesdames, messieurs les sénateurs, vous qui êtes en première ligne face aux difficultés que soulève l'expansion du loup.

Vous savez ce qu'elle induit comme usure, traumatisme, désespérance et crispations dans les territoires.

À un tel degré, la coexistence avec le loup n'est parfois plus compatible avec le maintien d'une activité d'élevage.

En toile de fond, les éleveurs, mais aussi le monde rural en général, ont parfois le sentiment que les réalités vécues sur le terrain sont niées. Nous devons y être attentifs.

C'est la raison pour laquelle nous avons travaillé, avec le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, sur les priorités suivantes, désormais inscrites dans le plan national d'actions 2024-2029.

Premièrement, il s'agit de mettre l'élevage et le pastoralisme au coeur de ce plan d'actions : nous avons besoin non pas seulement d'un nouveau " plan Loup ", mais d'un " plan national d'actions pour le pastoralisme et la prédation du loup ".

Deuxièmement, nous voulons interroger, puis réviser le statut de l'espèce. Madame la sénatrice, vous avez indiqué que cet objectif était absent du plan Loup. Permettez-moi de vous en lire un passage : " Suite aux annonces le 4 septembre 2023 de la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, la France se mobilisera et sera force de proposition de manière à adapter le statut de l'espèce à son état de conservation sur la base des données scientifiques disponibles. "

Je vous informe d'ailleurs – nous venons de l'apprendre – que la commission de l'environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire du Parlement européen se saisira de cette question à la fin du mois de janvier prochain.

S'ouvrira alors un processus qui débouchera sur une position européenne, laquelle permettra d'étudier la question dans le cadre de la convention de Berne et ensuite de revenir sur la directive Habitats-faune-flore.

Je vous le concède, cela peut paraître long.

Mme Dominique Estrosi Sassone. En effet !

M. Michel Savin. Ah oui !

M. Marc Fesneau, ministre. Disons-le : l'attente aura duré trente ans. Jusqu'à présent, aucun plan Loup n'avait interrogé le statut de l'espèce.

Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. Oui !

M. Marc Fesneau, ministre. On peut trouver le temps long, toujours est-il que nous sommes à l'origine de cette démarche.

Puisqu'il s'agit désormais d'une question de mois, nous sommes, me semble-t-il, dans une phase d'accélération.

Chaque groupe politique doit désormais se saisir de la question du statut de l'espèce. Nous pourrions alors passer d'une logique de tirs de défense dérogatoires à une logique de prévention par tirs de gestion.

De ce sujet fondamental découlera notre politique en la matière. Si le statut du loup évolue à l'échelle européenne, nous pourrions réviser le PNA sans attendre 2029, selon des modalités assez simples qui sont déjà prévues dans ce plan. Nous pourrions alors instaurer des quotas de tirs, ce qui constituerait une grande nouveauté.

Seul le passage de l'espèce de " strictement protégée " à " protégée " permettra cette évolution, qui me paraît indispensable.

Troisièmement, il s'agit d'intégrer les enjeux liés à la présence du loup dans de nouveaux territoires, appelés les fronts de colonisation, qui concerne de nouveaux élevages. Il semble important de mieux prendre en compte certaines particularités territoriales – le bocage ou encore les petites parcelles – qui rendent difficile la protection dans le respect des contraintes imposées jusqu'à présent.

Quatrièmement, la direction des affaires juridiques de mon ministère travaille à l'adaptation du cadre législatif et réglementaire des chiens de protection. Les éleveurs ne doivent plus craindre d'être mis en cause pénalement pour le seul fait d'avoir acquis, comme cela leur a été demandé, des chiens de protection des troupeaux.

Cinquièmement enfin, il s'agit de simplifier les protocoles de tirs. L'arrêté prévoyant la fin de l'obligation d'éclairage préalable de l'animal et permettant le passage à deux ou trois tireurs contre un seul aujourd'hui, sera publié dans les prochains jours. Nous veillerons également à raccourcir les délais et les procédures.

Je l'ai dit cette année à plusieurs de mes interlocuteurs : cessons de déplorer en fin d'année de ne pas avoir procédé aux prélèvements prévus. Cessons de « cavaler », alors que la prédation s'est développée tout au long du printemps. Posons-nous la question d'agir en amont plutôt qu'en aval : un loup prélevé au mois de février, c'est un loup qui ne viendra pas faire de la prédation les mois suivants !

En 2023, le plafond de prélèvement a été fixé à 209 loups ; 207 ont été prélevés, en grande majorité dans votre département, madame Estrosi Sassone – je ne vous apprends rien.

Par ailleurs, une circulaire est en préparation pour améliorer les conditions de travail et la formation des louvetiers.

M. le président. Il faut conclure, monsieur le ministre !

M. Marc Fesneau, ministre. Les louvetiers sont des auxiliaires précieux : nous devons penser leur statut, leur formation et leur développement.

En conclusion, je le répète, ce plan est un document d'orientation qui, pour employer un terme à la mode, change le paradigme. L'espèce doit être protégée,…

M. Michel Savin. Elle l'est !

M. Marc Fesneau, ministre. … mais, dès lors que l'état de conservation du loup est satisfaisant, nous n'avons plus besoin d'un statut de protection aussi renforcé.

En même temps, nous devons nous poser sérieusement la question du pastoralisme…

M. Michel Savin. Et celle du tourisme !

M. Marc Fesneau, ministre. … et de notre capacité à développer ou à maintenir l'élevage dans les zones concernées.

M. le président. Il faut vraiment conclure, monsieur le ministre ! Le temps imparti est largement dépassé.

M. Marc Fesneau, ministre. Voilà les enjeux : procédure de révision, simplification, non-protégeabilité.

Tels sont nos axes de travail. Je suis prêt à répondre à vos questions, mesdames, messieurs les sénateurs.


- Débat interactif -

M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique.

Le Gouvernement dispose pour répondre d'une durée équivalente. Il aura la faculté, s'il le juge nécessaire, de répondre à la réplique pendant une minute supplémentaire. L'auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.

Dans le débat interactif, la parole est à Mme Maryse Carrère.

Mme Maryse Carrère. Monsieur le ministre, vous avez pris conscience du problème. Nous en avons discuté ensemble : vous connaissez les contraintes et les difficultés propres au pastoralisme. Vous avez pu également mesurer la détresse des éleveurs qui sont confrontés aux prédations, qu'il s'agisse de celles du loup ou de l'ours.

Plusieurs mesures novatrices ont été proposées en vue de répondre à l'épineux dilemme entre la protection des espèces conformément à la convention de Berne et le maintien de l'activité agricole et pastorale.

Je rappelle, à mon tour, la mise en place de la brigade loup en Aveyron, le nouveau plan Loup et le travail sur le statut du chien de protection qui tarde à voir le jour.

En 2013, le Sénat a adopté une proposition de loi déposée au nom de mon groupe parlementaire, le RDSE, par le regretté Alain Bertrand, ancien sénateur de la Lozère. L'article unique de ce texte prévoyait la création de zones d'exclusion pour le loup, regroupant les communes dans lesquelles les activités pastorales sont gravement perturbées par les attaques.

Cette mesure permettrait de définir un plafond annuel spécifique d'abattement de loups, afin d'en réguler plus précisément et efficacement les populations présentes et agir plus rapidement.

Monsieur le ministre, ma question est double.

Pouvez-vous nous préciser davantage l'organisation de la réponse aux problèmes de prédation pour les élevages, notamment dans les territoires en phase de colonisation ?

La mise en place de zones d'exclusion indépendamment du prélèvement défini à l'échelon national telles qu'elles ont été prévues dans la proposition de loi sénatoriale de 2013 est-elle envisageable, voire envisagée ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. Madame la sénatrice, j'ai déjà répondu sur le déploiement et la philosophie du plan Loup, y compris dans les zones situées sur le front de colonisation.

Vous m'interrogez par ailleurs sur les zones d'exclusion. J'émets de sérieux doutes sur cette solution. En effet, celle-ci suppose de déterminer les zones concernées. Or les éleveurs qui seront situés en dehors de ces zones demanderont des explications. Comment voulez-vous, par ailleurs, éviter " l'effet débord " d'une zone à l'autre ?

Une autre stratégie pourrait être de limiter le front de colonisation. Il faudrait alors expliquer aux départements des Alpes-Maritimes, des Alpes-de-Haute-Provence et des Hautes-Alpes que les loups seront présents chez eux et pas chez les autres. (Mme Dominique Estrosi Sassone s'exclame.)

M. Jean-Michel Arnaud. Absolument !

M. Marc Fesneau, ministre. Je pressens que ces débats ne seront pas faciles… (Sourires.)

En revanche, si nous parvenons à modifier le statut de l'espèce, nous pourrons augmenter les prélèvements dans les zones où la prédation est la plus forte. Nous créerions alors non pas des zones d'exclusion, mais, à l'inverse, des zones de régulation.

Je le redis : je ne suis pas favorable à une logique d'exclusion. Nous aurions quelques difficultés à dessiner la carte et les éleveurs s'interrogeraient légitimement : ils ne comprendraient pas que, parce qu'ils ont été les premiers à subir la colonisation lupine, ils devraient être les seuls à accueillir ces populations.

Explorons de préférence la voie du changement de statut de l'espèce.

M. le président. La parole est à M. Bernard Buis.

M. Bernard Buis. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lorsque les activités humaines rencontrent celles de la biodiversité, certaines cohabitations se révèlent moins évidentes que d'autres.

En témoigne l'exemple du pastoralisme et du loup, qui cristallise les tensions depuis des siècles. Disparu en France au cours du XXe siècle, le loup est aujourd'hui bel et bien revenu – ou a été réintroduit – dans nos territoires, plus seulement dans les zones avec relief, mais aussi en plaine.

Selon une estimation de l'Office français de la biodiversité, en 2023, 1 104 loups ont été recensés en France et 55 départements sont soumis au défi de la prédation lupine. Autant d'informations qui démontrent que le loup n'est plus une espèce en danger d'extinction dans notre pays.

Cette victoire a toutefois des conséquences sur le pastoralisme et sur nos éleveurs. S'il faut préserver l'espèce du loup comme toutes les autres, nous devons nous poser la question suivante : comment mieux organiser la coexistence du loup et du pastoralisme ?

Les chiens de protection des troupeaux ont évidemment un rôle essentiel à jouer dans cette coexistence. Éduqués non pas pour l'attaque, mais pour la dissuasion, ces chiens aux aptitudes remarquables limitent considérablement le nombre d'attaques de loups, donc les pertes, mais ils ne peuvent pas être utilisés partout.

La question se pose ainsi du statut des chiens de protection des troupeaux. Le plan national d'actions entérine la création d'un statut de protection des chiens de protection des troupeaux au regard de la responsabilité civile et pénale des bergers.

Monsieur le ministre, pour que le pastoralisme de demain puisse être préservé, comment le statut juridique des chiens de protection des troupeaux doit-il évoluer ? Cette évolution interviendra-t-elle rapidement dans le cadre du plan Loup 2024-2029 ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le sénateur Bernard Buis, vous êtes élu d'un département, la Drôme, qui est, lui aussi, fortement concerné par la question de la prédation du loup.

Le loup est, comme vous l'avez rappelé, le symbole d'une biodiversité retrouvée. Nous avons à cet égard plutôt réussi, car le loup qui était auparavant une espèce très menacée n'a plus ce statut. Il est d'ailleurs nécessaire d'engager une réflexion au niveau européen sur ce sujet, car il n'est pas normal qu'un seul pays héberge les populations de loups ; la charge doit être partagée entre tous les États.

La biodiversité ayant été rétablie, la question qui se pose désormais – vous avez raison, monsieur le sénateur – est celle de l'équilibre entre le loup et les élevages.

Nous travaillons à l'élaboration d'une disposition législative sur le statut des patous, même si je ne connais pas encore la forme qu'elle prendra – projet de loi ou proposition de loi. Ayant été ministre chargé des relations avec le Parlement, je suis tout à fait favorable à ce que le Parlement se saisisse directement de cette question : ce serait très bien ainsi ! (Mme Dominique Estrosi Sassone approuve.)

Il convient de ne plus appliquer aux patous les règles de la divagation, auxquelles sont soumis les autres chiens, puisque, comme vous le savez, chaque propriétaire est responsable de son chien.

Il faut éviter aussi que les propriétaires ne fassent l'objet de poursuites pénales, alors que les territoires sujets à la prédation lupine nécessitent une présence importante de patous. Le statut de chien de protection des troupeaux n'exonérerait pas le propriétaire de sa responsabilité en cas de faute, mais celui-ci serait couvert lorsque le patou a, face à un randonneur, l'attitude normale d'un chien qui protège son troupeau – dans ce cas, on ne peut lui en faire le grief. Le comportement de la victime permettrait donc d'éviter les poursuites pénales.

Il faudra également faire évoluer le statut des patous au regard des règles relatives aux installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), qui constituent un élément de complexité pour les éleveurs.

Il convient d'avancer sur ces sujets. Il n'est pas nécessaire, à mon sens, de recourir à un véhicule législatif démesuré, mais l'adoption de telles mesures permettrait de rassurer.

Récemment encore, en région Provence-Alpes-Côte d'Azur, un éleveur a été renvoyé devant un tribunal pour des faits de ce type…

M. le président. Il faut conclure, monsieur le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre. Ce n'est pas normal, car c'est la puissance publique qui a demandé aux éleveurs d'avoir recours à des patous.

M. le président. La parole est à Mme Frédérique Espagnac.

Mme Frédérique Espagnac. Monsieur le ministre, chaque jour, les élus des territoires de montagne font face aux inquiétudes et à la détresse des éleveurs dont les troupeaux ont été attaqués par le loup. Ces attaques se multiplient, comme l'attestent les chiffres présentés chaque année au groupe national Loup. Le coût des indemnisations augmente également.

La surprotection dont bénéficie actuellement le loup, en application de la directive Habitats et de la convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l'Europe, dite convention de Berne, a entraîné l'intensification de sa présence sur toujours plus de territoires, dont certains ne sont, hélas ! pas préparés et n'ont donc pas mis en place les moyens de protection nécessaires pour que les éleveurs puissent être indemnisés.

Les éleveurs ovins et bovins, qui voient des années de sélection génétique anéanties par la répétition des actes de prédation, sont désespérés. Bon nombre d'entre eux abandonnent leur activité, ce qui met à mal l'économie agropastorale, qui est pourtant indispensable à l'aménagement des territoires de montagne et qui contribue à l'entretien de 1,5 million d'hectares de prairies naturelles d'altitude.

Si l'agropastoralisme disparaît, l'accessibilité des espaces d'altitude, ainsi que leur biodiversité et leur sécurisation contre les risques naturels seront compromises.

Les élus de montagne, que je représente aujourd'hui, n'ont pas cessé d'alerter les pouvoirs publics sur l'impossible cohabitation de ce prédateur avec un mode d'élevage pastoral traditionnel, qui fait la fierté de nos montagnes. Dans le massif des Pyrénées, on observe en outre la présence d'autres prédateurs, comme l'ours.

L'inscription, en décembre dernier, de la « transhumance, déplacement saisonnier des troupeaux » au patrimoine culturel immatériel de l'humanité illustre parfaitement la philosophie du nouveau plan national d'actions sur le loup 2024-2029, auquel l'Association nationale des élus de la montagne (Anem) a contribué. Celui-ci prévoit le lancement d'une étude sur la possibilité de faire évoluer le statut du loup au niveau européen, ce qui va dans le sens de la demande de la Commission européenne qui a proposé, le 20 décembre dernier, que le loup passe du statut d'espèce « strictement protégée » à celui d'espèce « protégée », une perspective envisageable si les États membres de l'Union européenne donnent leur accord.

Pouvez-vous nous dire, monsieur le ministre, si le Gouvernement compte défendre clairement le déclassement du statut de protection du loup ?

Par ailleurs, au niveau national, le nouveau plan Loup 2024-2029 prévoit une révision de la méthode de comptage des loups, ainsi qu'une simplification du protocole des tirs de défense, le renforcement des tirs de prélèvement en début de saison et des indemnisations plus justes. Ce plan prévoit aussi la prise en compte de l'impact de la prédation sur la santé des éleveurs.

M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue !

Mme Frédérique Espagnac. Ces actions et ces indemnisations ont un coût. Pouvez-vous nous préciser, monsieur le ministre, quel sera le financement de la mise en oeuvre des actions concrètes de protection ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. Madame la sénatrice, merci de porter la voix des élus de montagne.

Voilà trente ans que le loup est réapparu. Je ne saurais dire combien de Premiers ministres, de Présidents de la République et de ministres de l'agriculture se sont succédé depuis lors, mais, en tout cas, c'est la première fois que l'on se préoccupe du pastoralisme, un sujet loin d'être mineur.

La population des loups augmente : nous aurions dû réfléchir à cette question depuis le début, parce que cela fait bien longtemps que les départements concernés, que vous connaissez bien madame la sénatrice, reconnaissent qu'ils ne savent plus comment faire face. (Mme Dominique Estrosi Sassone le confirme.)

Tout est parti d'un certain nombre d'ambiguïtés ou d'incompréhensions à la fois sur le système de comptage des loups, sur les attendus qui étaient les nôtres, ou encore la place du loup dans nos territoires.

Vous avez évoqué le statut de l'animal. Nous devons dire, avec raison, sans démagogie – ce n'est pas mon genre, vous le savez –, que le loup est une espèce remarquable, un symbole de la biodiversité, mais qu'il convient de le gérer différemment, et donc de faire évoluer son statut, en raison de l'évolution dynamique de sa population que, si nous ne faisons rien, nous ne saurons pas enrayer. Une régulation est donc nécessaire.

J'ajoute qu'il est aujourd'hui temps, en France, dans tous les territoires, d'arrêter de décider contre les gens !

Mme Frédérique Espagnac. Tout à fait !

M. Marc Fesneau, ministre. Il faut que les mesures soient acceptables pour les habitants, lesquels ne doivent pas avoir le sentiment d'en revenir au combat qui a été, pendant des millénaires, celui des éleveurs. Nous devons être vigilants sur ce point et trouver le bon équilibre. C'est tout le sens du plan Loup.

La recherche permettra peut-être de trouver des solutions alternatives, afin d'effaroucher ou d'éloigner les loups, même si, pour l'instant, celles-ci n'existent pas. On peut aussi réfléchir à la manière de mieux former les chiens.

Enfin, vous m'avez interrogé sur les moyens consacrés à la protection des élevages. L'enveloppe prévue est de 40 millions d'euros environ – ce sont des crédits relevant de la politique agricole commune (PAC) – et sert simplement à acheter des patous, à les nourrir et à installer des clôtures. L'indemnisation, elle, relève du ministère de l'environnement et s'élève à 5 millions d'euros…

M. le président. Il faut conclure, monsieur le ministre ! Un autre débat est prévu à la suite de celui-ci. Chacun doit respecter le temps qui lui est imparti.

M. Marc Fesneau, ministre. La passion m'emporte, mais je serai plus concis la prochaine fois…

M. le président. La parole est à Mme Martine Berthet.

Mme Martine Berthet. Monsieur le ministre, comme vous le savez, le pastoralisme est un mode d'élevage vertueux, qui favorise, en principe, le bien-être animal, procure des productions locales de qualité en viande, fromages et laitages, avec de nombreuses appellations d'origine protégée (AOP) et indications géographiques protégées (IGP), entretient les paysages, mais aussi les pistes de ski, comme c'est le cas chez moi, en Savoie, ou dans d'autres départements de montagne.

La prédation par le loup, à l'origine d'une énorme pression sur les éleveurs, leurs familles et leurs troupeaux, remet en question ces éléments positifs et bouscule une agriculture et une économie vertueuses. Comment, en effet, nos éleveurs pourraient-ils avoir envie de poursuivre leur activité, alors que 500 constats de dommages ont été dressés pour la seule année 2023 rien que dans mon département, dont seulement 300 avaient donné lieu à une indemnisation à la fin du mois de décembre. Les avances financières sont versées bien trop tard, ce qui oblige nos agriculteurs à effectuer des dépenses qu'ils ne peuvent plus assumer.

Si le loup exerçait déjà des ravages sur les troupeaux d'ovins depuis le début des années 1990, il s'en prend désormais aussi, depuis une petite dizaine d'années, aux troupeaux de bovins, ce qui accroît les pertes financières des éleveurs et entraîne aussi plus de souffrances animales. Les animaux tués se comptent déjà par centaines : près de 130 bêtes ont ainsi été tuées chaque année, et ce depuis deux ans, dans mon département.

Les bovins en alpage ne peuvent pas être protégés comme les ovins ou les caprins. C'est pourquoi un certain nombre d'expérimentations ont été mises en place dans le parc naturel régional des Bauges par exemple, en Savoie : colliers d'effarouchement, chiens de protection, autorisation de procéder à des tirs de défense simple sans attaque préalable. Cette dernière expérimentation semble être très efficace, si bien que la demande est forte pour qu'elle soit généralisée. À l'inverse, celle qui concerne le déploiement de chiens de troupeaux pour la protection des bovins n'est pas du tout souhaitée.

Aussi, monsieur le ministre, afin de faire baisser la pression que subissent les éleveurs et leurs troupeaux et de conserver cette formidable forme d'agriculture qu'est le pastoralisme, pouvez-vous me confirmer que le nouveau plan national d'actions sur le loup et les activités d'élevage permettra de généraliser les tirs de défense simple sans attaque préalable ? Permettra-t-il également d'accélérer les indemnisations et de débloquer suffisamment en amont les avances aux éleveurs, afin qu'ils ne soient plus pénalisés financièrement ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. Parmi les différents éléments que vous venez d'évoquer, madame la sénatrice, j'insisterai sur le sujet des tirs.

Il ne faut pas affranchir ces tirs de tout cadre d'exercice. C'est la raison pour laquelle nous devons nous interroger sur le statut du loup : la nature des tirs diffère en effet selon que l'espèce est très protégée ou simplement protégée.

En revanche, nous avons décidé de procéder à un certain nombre de simplifications.

Tout d'abord, le préfet coordonnateur du plan Loup pourra, en lien avec le préfet de département, faire en sorte que les procédures d'autorisation de tir soient plus rapides, afin de pouvoir agir lorsqu'un loup exerce une pression. Nous avons analysé l'expérimentation que vous avez mentionnée, madame la sénatrice, mais le statut actuel de l'espèce ne permet pas sa généralisation. Nous devons donc améliorer les procédures.

Il est aussi prévu dans le plan Loup de renforcer l'équipement des louvetiers, leur formation, d'accroître les effectifs, afin qu'ils soient plus nombreux sur le terrain.

Il sera par ailleurs possible de passer d'un à deux, voire trois tireurs dans certains cas dérogatoires.

Toutes ces mesures sont compatibles avec le statut actuel de l'espèce. Si ce dernier évoluait, on pourrait évidemment prendre des mesures de nature différente.

Enfin, vous avez évoqué un point à propos sur lequel je ne m'étais pas encore exprimé : il s'agit, d'une part, de la rapidité des procédures d'indemnisation – un certain nombre d'évolutions, que plan Loup vise à amplifier et à déployer, sont en cours – et, d'autre part, du versement des avances aux éleveurs, en particulier pour la protection de leurs troupeaux.

Ce second sujet est très complexe. Je n'entrerai pas dans le détail, car il s'agit de crédits européens, mais nous réfléchissons à des mesures qui permettraient aux éleveurs de ne plus percevoir ces avances douze ou dix-huit mois plus tard, ce qui leur cause de réels problèmes de trésorerie. Le problème est loin d'être simple ; la preuve en est que mes prédécesseurs n'ont pas su le résoudre.

M. le président. La parole est à M. Pierre Médevielle.

M. Pierre Médevielle. Monsieur le ministre, l'objectif du plan Loup 2018-2023 était ambitieux – trop ambitieux certainement. Sauvegarde de l'espèce et protection des troupeaux sont des objectifs parfois difficiles à concilier. Si j'en juge par tout ce que j'entends dans cet hémicycle et, surtout, sur le terrain, nous en sommes loin !

En Occitanie, pas moins de dix départements ont déclaré la présence du loup. Sa prolifération prend aujourd'hui une dimension nationale. Pour les éleveurs, particulièrement ceux de brebis, elle constitue un véritable fléau, auquel ils doivent faire face.

Je prends l'exemple de la Haute-Garonne et des départements voisins des Hautes-Pyrénées, des Pyrénées-Atlantiques et de l'Ariège. Nous avons le triste privilège de cumuler toutes les formes de prédation : celles des loups, des ours et des vautours.

Les lenteurs et les hésitations de la Commission européenne ne sont pas de nature à favoriser la réactivité dont nous devrions faire preuve pour conserver notre pastoralisme et l'attractivité de ce métier. La sauvegarde de nos éleveurs est une condition sine qua non au maintien de nos surfaces de pâturage et d'estive. C'est un vrai sujet pour l'aménagement du territoire et le maintien d'activités touristiques.

Le phénomène d'hybridation des loups avec des chiens errants n'avait pas non plus été anticipé. Quid, monsieur le ministre, d'un véritable plan de régulation évolutif et réaliste pour le loup, mais aussi pour les autres prédateurs ? Quelles sont les conclusions de la consultation publique menée en fin d'année sur le plan Loup 2024-2029 ?

Nos éleveurs ont besoin de solutions pragmatiques à court et moyen terme ; à défaut, les abattages clandestins ne cesseront de se multiplier. D'où ma question : à quand une vraie régulation ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le sénateur, j'ai déjà répondu sur un certain de nombre de points, mais votre question me donne l'occasion d'approfondir ma réponse.

Il est vrai que vous êtes élu d'un département où l'on observe la présence de plusieurs grands prédateurs, même si les problématiques ne sont pas de même nature.

Si nous pouvons débattre aujourd'hui de la prédation lupine, c'est parce que le dénombrement des loups a été réalisé. Il faut à cet égard saluer le travail de comptage qui est réalisé, ce qui n'est, hélas ! pas le cas pour l'ours.

La question qui se pose dans un département comme le vôtre, monsieur le sénateur, est celle de l'action conjuguée de l'ensemble de ces prédateurs. L'enjeu est donc de trouver un équilibre pour que la présence du loup, même si son statut pourrait évoluer, ne se surajoute pas à d'autres facteurs de prédation déjà très importants.

En ce qui concerne la consultation publique sur le plan Loup 2024-2029, nous avons reçu près de 14 000 réponses, que nous sommes en train d'étudier.

Celles-ci sont plutôt défavorables : certains tenaient apparemment à exprimer leur point de vue sur le sujet, comme ils en ont le droit.

Toutefois, nous devons avancer sur ce dossier, car nous sommes dans une impasse. Nous savons tous – je l'ai déjà dit – comment cela se termine quand on décide contre les gens. (Mme Frédérique Espagnac acquiesce.) Un certain nombre de règles existent. Nous avons tous intérêt à ce que chacun reste dans le cadre de la loi. Il convient donc de veiller à ce que toutes les exigences soient compatibles. Or, dans certains territoires, elles ne le sont pas.

J'en viens au dénombrement. Nous devons travailler, comme je l'ai demandé, à une harmonisation du comptage des loups à l'échelle européenne. On ne peut pas à la fois réfléchir à la question du loup au niveau européen et accepter que les dénombrements suédois, italien ou autrichien soient différents du nôtre. Ce dernier est plutôt assez performant, nous dit-on – et je crois que c'est assez juste –, mais il faut qu'il soit compatible avec les autres si l'on veut procéder à des comparaisons ; à défaut, un dénombrement au niveau européen n'aurait aucun sens.

Nous devrons aussi réexpliquer comment fonctionne notre système de comptage, parce que certains acteurs, notamment les éleveurs, ont des doutes – il faut bien le dire. C'est ainsi que l'on recréera de la confiance à son égard. À mes yeux, c'est très important. (M. Pierre Médevielle acquiesce.)

M. le président. La parole est à Mme Sylvie Vermeillet.

Mme Sylvie Vermeillet. Tout d'abord, permettez-moi de remercier nos collègues du groupe Les Républicains d'avoir choisi de consacrer ce débat à la question du loup et de sa cohabitation avec l'élevage français.

Sénatrice du Jura, présidente de comité de massif, j'associe à ma question mon collègue du Doubs, Jean-François Longeot.

Nous pouvons témoigner, monsieur le ministre, que la prédation du loup sur les bovins et les équins est devenue en quelques années un enjeu majeur dans nos départements respectifs. Plus de cent animaux ont été tués en deux ans. La prédation croît de manière exponentielle, traumatisant les troupeaux et les éleveurs.

Dans le massif du Jura, le pâturage des bovins repousse l'enfrichement. Il est à l'origine de paysages typiques : les pré-bois. La biodiversité qu'ils abritent est particulièrement remarquable. Une politique spécifique visant à les préserver est d'ailleurs déployée conjointement par l'État et les régions depuis plus de vingt ans.

En raison de ce mode d'élevage extensif et éloigné des bâtiments d'exploitation, les troupeaux de bovins et de chevaux concernés sont, par nature, non protégeables. Il n'est donc pas possible de mettre en place des mesures de protection strictes, comme les clôtures. Les élevages restent donc sans défense face aux attaques du loup.

Dans ce contexte, monsieur le ministre, quand peut-on espérer la mise en place d'un zonage général des espaces d'élevages bovins et équins non protégeables, lequel pourrait être annexé au plan Loup et encadrer spécifiquement les tirs de défense simple en cas d'attaques constatées ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. Madame la sénatrice, votre région est, d'une certaine façon, un front de colonisation – je le dis sous le contrôle du président Longeot. Des élevages qui n'étaient pas du tout concernés par cette problématique sont désormais touchés. C'est pourquoi nous avons soulevé dans le plan Loup la question de la non-protégeabilité de certains espaces.

Je me suis rendu récemment chez un éleveur du Doubs dont le troupeau avait été victime d'une attaque dans la nuit : avec des parcelles de 1 000 ou 2 000 mètres carrés, parce que l'usage est de faire des lots, il m'apparaissait évident que ni la présence de patous ni l'installation de clôtures ne pourraient protéger ces espaces, sauf à arracher des haies, ce qui serait original et iconoclaste. Il convient, à mon sens, de mettre fin à ce genre de pratiques, qui sont susceptibles d'agacer, et de tenir compte du parcellaire. (M. Guillaume Gontard proteste.)

C'est la réalité, monsieur Gontard ! Il faut décrire la réalité telle qu'elle est, sinon on crée de la désespérance ! Lorsque les parcelles font 1 500 mètres carrés et sont entourées de haies, il faut expliquer comment on peut installer des clôtures pour empêcher les loups de passer. (Marques d'approbation sur les travées du groupe UC.)

Une circulaire est en cours d'élaboration. Je ne suis pas sûr que l'on puisse circonscrire de grandes zones, mais il faut que l'on définisse des types d'élevage et de structures agricoles qu'il n'est pas possible de protéger, car telle est la réalité – M. Patriat le sait – de la Bourgogne-Franche-Comté et de bien d'autres territoires.

Dans les fronts de colonisation, c'est un sujet très important. Nous y travaillons : la circulaire devrait être prête dans les semaines qui viennent.

M. le président. La parole est à Mme Sylvie Vermeillet, pour la réplique.

Mme Sylvie Vermeillet. Merci, monsieur le ministre, pour votre lucidité à ce sujet.

Je tiens particulièrement à appeler votre attention sur l'indemnisation des éleveurs. Il importe de prendre en compte la valeur génétique des animaux, ainsi que l'évacuation des carcasses des animaux victimes de prédation, enjeu qui s'ajoute au traumatisme moral des éleveurs.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard.

M. Guillaume Gontard. Monsieur le ministre, il est frustrant de ne disposer que de deux minutes pour ce débat qui est certes passionnant,…

Mme Dominique Estrosi Sassone. Et passionné ! (Sourires.)

M. Guillaume Gontard. … mais dont les termes sont mal posés : plus de 50% de la viande ovine consommée en France est importée. Hasard du calendrier, nous venons d'adopter une proposition de résolution relative au projet d'accord commercial entre l'Union européenne et le Mercosur. Les mêmes élus qui soutiennent le libre-échange nous expliquent maintenant que tous les maux de l'élevage sont liés au loup ! (Protestations sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Les données sont pourtant formelles. Alors que le nombre de loups augmente dans les zones où il est déjà présent, le nombre d'attaques stagne, voire baisse. (Protestations sur les mêmes travées.)

Mme Dominique Estrosi Sassone. C'est faux !

M. Guillaume Gontard. Le dernier plan Loup, oeuvre de Nicolas Hulot, semble avoir plutôt bien fonctionné : il a favorisé l'indispensable cohabitation entre le loup et les activités humaines et a surtout permis de redynamiser l'élevage ovin et le pastoralisme. Pourquoi ne pas en avoir dressé le bilan ?

Essayons tout de même. Selon la Mutualité sociale agricole (MSA), le secteur ovin est l'un des secteurs agricoles où le renouvellement des exploitations est le plus important : de l'ordre de 90%, alors qu'il n'est que de 50% pour l'élevage bovin – il atteint parfois 150% dans certains territoires. Les départements où l'élevage ovin diminue, – la Haute-Vienne, l'Allier, le Lot – ne sont d'ailleurs pas ceux où la présence du loup est importante.

En proposant un plan Loup axé sur la seule facilitation des tirs, vous avez donc réussi l'exploit, monsieur le ministre, de réunir contre vous les éleveurs et les associations environnementales ! (Nouvelles protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Certes, le retour de ce prédateur constitue une contrainte réelle pour les éleveurs, mais ils y font résolument face. Plutôt que de vous battre à Bruxelles pour un – inutile ! – déclassement du statut de protection du loup,…

Mme Dominique Estrosi Sassone. Ce n'est pas inutile !

M. Guillaume Gontard. … qui ne changera d'ailleurs rien, vous feriez mieux de vous mobiliser contre les traités de libre-échange et pour une refonte de l'incohérent mode de calcul des surfaces pastorales éligibles à la PAC. Nos éleveurs attendent des réponses concrètes et un accompagnement, notamment pour les frais et les contraintes engendrés par les chiens de protection. Ils n'ont pas besoin de démagogie !

Mme Dominique Estrosi Sassone. Qui fait de la démagogie ?

M. Guillaume Gontard. Reposons les termes de ce débat, monsieur le ministre : comment comptez-vous garantir réellement l'avenir du pastoralisme ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur Gontard, vous êtes pourtant élu d'une région où la prédation est forte.

Mme Frédérique Puissat. Absolument !

M. Guillaume Gontard. Cela fait vingt-cinq ans que l'on attend des réponses !

M. Marc Fesneau, ministre. Je ne vous fais pas grief de tenir ce discours, mais quand vous êtes éleveur ovin et que vous êtes attaqué quinze fois par an, croyez-vous vraiment que vous avez envie de poursuivre votre activité dans la joie, le bonheur et l'allégresse ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

Monsieur Gontard, il faut décrire la réalité, parce qu'à force de proférer des contre-vérités vous nourrissez tous les populismes ! (Applaudissements sur les mêmes travées.)

M. Vincent Delahaye. Absolument !

M. Marc Fesneau, ministre. C'est exactement ce que vous êtes en train de faire et c'est précisément ce que je ne veux pas.

Je ne souhaite pas que l'on revienne sur la présence du loup : il doit rester sur notre territoire, mais dans des conditions acceptables pour tous. La démagogie que vous dénoncez, monsieur le sénateur, n'est donc pas de mon côté !

La problématique de l'élevage ne se résume pas à la présence lupine, mais quand une pression excessive du loup s'ajoute, dans certaines zones, à des contraintes importantes, en raison notamment du changement climatique…

M. Guillaume Gontard. On supprime le loup alors ?

M. Marc Fesneau, ministre. Je n'ai jamais dit cela, et vous le savez très bien ! Relisez mes discours. De grâce, pour une fois, arrêtez la caricature ! Cela fera le plus grand bien au débat public.

Nous devons faire évoluer le statut de l'espèce, parce que cela changera les choses.

Mme Dominique Estrosi Sassone. Absolument !

M. Marc Fesneau, ministre. Cela ne signifie pas que l'on compte éradiquer le loup, monsieur Gontard, mais que l'on tient compte de la réalité ! (M. Guillaume Gontard proteste vivement.) Laissez-moi finir, je ne vous ai pas interrompu !

Dans certains territoires, la pression lupine est telle que l'élevage ne peut pas se maintenir,…

Mme Frédérique Puissat. Oui !

M. Marc Fesneau, ministre. … que les éleveurs – on le sait très bien – ne s'installent plus, que la friche progresse. Quand des incendies se déclareront, monsieur Gontard, qu'aurez-vous gagné en termes de biodiversité ? Rien ! (Mme Dominique Estrosi Sassone acquiesce.) Tout cela parce que vous n'aurez pas été capable, et que nous n'aurons pas été capables ensemble, de changer d'attitude.

Changez de posture, monsieur le sénateur ! Si nous parvenons à travailler ensemble sur ces questions et à faire évoluer notre regard, nous pourrons avancer sur d'autres sujets relatifs à la biodiversité. À force de polariser l'attention sur le loup, on ne peut plus débattre de rien…

M. Guillaume Gontard. Tout à fait !

M. Marc Fesneau, ministre. Or nous devons pouvoir parler du reste, et pas seulement des traités de libre-échange.

Je vous rappelle à cet égard que les accords dont vous parlez n'existent pas aujourd'hui. (M. Guillaume Gontard manifeste sa désapprobation.) Le traité avec le Mercosur n'existe pas, monsieur Gontard ! Ces accords ne peuvent donc pas être la cause des problèmes que nous connaissons aujourd'hui, même si nous devons être vigilants pour la suite. Un peu de lucidité, monsieur le sénateur ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les éleveurs d'animaux victimes de prédations vivent un enfer. Il faudrait aussi de parler des éleveurs qui sont victimes d'attaques et qui ne sont pas reconnus comme tels. Tout cela freine l'installation des jeunes éleveurs dans de nombreux territoires, notamment dans les zones de montagne.

Les préjudices causés par les attaques de loups sont directs, mais aussi indirects : stress des troupeaux, avortements des animaux, problème de la gestion des cadavres, etc.

Aujourd'hui, le statut juridique de protection du loup empêche de mener une véritable politique d'élevage.

Il est par ailleurs indispensable de reconnaître aux patous un véritable statut. La multiplication de ces chiens est à l'origine de nombreux conflits entre éleveurs et randonneurs ; elle crée aussi une multitude de problèmes aux élus locaux, qui sont de plus en plus souvent interpellés par leurs administrés ou des touristes au sujet de la présence de ces chiens qui, pour les observateurs non avertis, ressemblent beaucoup à des loups.

Quant à la méthode de comptage, déjà évoquée, elle demeure discutable.

Il est donc urgent d'avancer sur cette question. Il y va de l'avenir de l'élevage et, donc, de notre souveraineté alimentaire, qui nous est chère à toutes et tous dans cet hémicycle, et de l'aménagement du territoire. Nous savons que la baisse du pastoralisme rime souvent avec la fermeture des territoires et, donc, la prochaine apparition de vrais problèmes en matière de biodiversité. (Mme Dominique Estrosi Sassone opine.)

Monsieur le ministre, êtes-vous prêt à autoriser la saisine directe des louvetiers par les éleveurs pour procéder à des tirs de défense, à faire en sorte que l'État prenne à sa charge le coût du ramassage des cadavres, et à élaborer un statut du chien de protection ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – Mme Frédérique Espagnac applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. Madame la sénatrice, vous avez tout à fait raison d'évoquer la question des patous : plus de 6 500 chiens protègent les troupeaux.

On ne s'en est pas aperçu au début, mais cette situation commence à créer des tensions très fortes entre randonneurs et éleveurs, mais aussi entre ces derniers et les élus : un certain nombre d'entre eux ne veulent plus donner certaines zones à bail, préférant les laisser sans élevage plutôt que de prendre le risque qu'un randonneur soit mordu par un patou. Cette problématique, je vous l'accorde, madame la sénatrice, est centrale : nous devons travailler sur le statut de ces chiens.

Il faudra aussi mettre en place une filière de formation de ces animaux, sélectionner une lignée génétique, afin qu'ils soient davantage " spécialisés " face au loup. Peut-être faudrait-il également recourir à d'autres chiens… Bref, les sujets sont nombreux, mais la question du statut des patous est cruciale.

Il existe en effet, madame la sénatrice, un risque élevé de fermeture des espaces, s'ils ne sont plus pâturés, comme je le disais à l'instant au président Gontard, avec toutes les conséquences que l'on peut craindre dans un contexte de dérèglement climatique.

Nous allons par ailleurs réfléchir à la question des louvetiers, comme à l'ensemble des sujets que vous venez d'évoquer.

Le déclassement du statut de l'espèce serait source d'évolutions : le mode de gestion du loup en serait amélioré et des amodiations seraient possibles, toujours dans une logique de préservation de l'espèce.

Enfin, je voudrais répondre, car je ne l'ai pas fait, à la question de Mme Vermeillet sur le pastoralisme. Actuellement, on indemnise la perte de l'animal visible. Le nouveau plan Loup permettra de mieux prendre en compte les effets induits, les coûts indirects, notamment ceux qui sont liés au stress, à la perte de valeur génétique – y compris d'ailleurs pour les bovins – ou aux avortements, qui sont aujourd'hui négligés.

Mme Cécile Cukierman. Or cela compte beaucoup !

M. Marc Fesneau, ministre. Absolument !

M. le président. La parole est à M. Denis Bouad.

M. Denis Bouad. Monsieur le ministre, nous sommes confrontés à la difficulté de faire reposer nos débats politiques sur des données scientifiques précises, fiables et partagées par tous.

Pour autant, on peut difficilement nier l'augmentation du nombre de loups et surtout, de manière plus inquiétante, l'augmentation du nombre d'attaques. Le risque à l'avenir serait que les territoires reconquis par le loup soient désertés par le pastoralisme.

Or le maintien de la biodiversité, c'est avant tout le maintien d'un équilibre. Le pastoralisme, au-delà de l'activité économique qu'il suscite, participe pleinement à l'entretien de nos espaces ruraux. Dans les Cévennes, territoire inscrit au patrimoine mondial de l'Unesco pour son agropastoralisme, on observe déjà que des éleveurs abandonnent leur activité à la suite de ces attaques. Les petites exploitations qui peuvent perdre jusqu'à un quart de leur cheptel dans une attaque sont les premières concernées. Il faut absolument apporter des réponses à ces hommes et à ces femmes qui vivent de l'élevage extensif.

L'indemnisation, si elle est nécessaire, ne doit pas être une réponse en soi. On ne pourra jamais indemniser le traumatisme de l'éleveur qui fait face à des cadavres de bêtes victimes d'une mort violente. Rien ne peut compenser ces morsures invisibles.

À terme, notre objectif devrait donc être le " zéro indemnisation ", ce qui nécessite de revoir notre système de prévention qui, actuellement, cesse d'être subventionné à partir du moment où il est efficace et empêche les attaques. La mise en place effective de la brigade « grands prédateurs terrestres » pour l'ouest du Rhône est à cet égard très attendue.

Enfin se posent les questions du statut de protection du loup et de l'adaptation des taux de prélèvement. Sur ce dernier point, nous devons tenir compte tant de l'efficacité du dispositif que de la quantité prélevée. Il convient de cibler plus spécifiquement les meutes de loups qui ont incorporé les animaux d'élevage et, donc, les attaques de troupeaux, dans leurs habitudes alimentaires.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous détailler vos ambitions sur ces différents sujets ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. Au risque de me répéter, la question centrale est celle de la compatibilité entre le loup et l'élevage. Comment faire dans les zones où la prédation est très forte ?

Dans la mesure où, dans certaines zones, la prédation est plus forte, nous pourrons mieux intervenir si le statut de protection du loup évolue.

Je me permets d'ailleurs de dire, notamment à M. Gontard, qu'en 2023 les attaques ont été plus nombreuses dans les départements où les loups sont davantage présents, si bien qu'on ne peut pas considérer l'année 2022 comme représentative de la réalité actuelle. Dans beaucoup de départements, en particulier dans ceux qui sont traditionnellement concernés par cette question, il y a eu beaucoup plus d'attaques en 2023. Je ne me hasarderai pas à en tirer une quelconque conclusion ; je dis simplement qu'il faut faire attention aux caricatures.

Alors, peut-on atteindre un objectif de " zéro attaque " et de " zéro prédation " ? Nous n'en sommes pas encore là aujourd'hui, mais nous devons essayer de faire baisser la pression dans les zones où il y a le plus de prédation, notamment par la mise en oeuvre de dispositifs de protection. Pour autant, vous avez tous entendu des témoignages d'éleveurs qui subissent des prédations, alors qu'ils ont mis en place toutes les mesures que l'on peut imaginer.

Le loup est un animal redoutable : c'est un prédateur, un grand carnivore – on ne peut évidemment pas le lui reprocher. N'entrons pas dans la logique de ceux qui voudraient le rendre végétarien ! (Rires.) Je le dis sérieusement : je vous assure que j'ai vraiment entendu certaines personnes parler ainsi.

Nous devons trouver un équilibre territoire par territoire. Pour cela, la révision du statut de protection de l'espèce peut nous aider. Nous devons aussi renforcer, dans un certain nombre d'endroits, les mesures de protection et mettre en oeuvre des techniques ou des technologies adaptées.

Aujourd'hui, la présence du loup est telle dans certaines zones qu'il y a un problème de compatibilité. Réévaluer le statut de protection de l'espèce permettra sans doute d'avancer sur cette question, en particulier dans les zones les plus en difficulté.

M. le président. La parole est à M. Max Brisson.

M. Max Brisson. Monsieur le ministre, dans les Pyrénées-Atlantiques aussi, cela grogne, en basque et en béarnais, en raison du maintien du loup comme espèce vulnérable malgré les effectifs désormais recensés.

Dans les Pyrénées-Atlantiques aussi, on s'inquiète de la pérennité du pastoralisme qui est associé à une culture, un mode de vie, une identité, laquelle s'est d'ailleurs manifestée, voilà deux ans, sur les Champs-Élysées en présence du Premier ministre, Jean Castex.

Deux ans après, les éleveurs et les bergers sont toujours aussi inquiets. Ils s'interrogent sur une réglementation trop exigeante et difficilement applicable, notamment pour ce qui est du recours au tir, trop strictement encadré, et dans des conditions trop aléatoires, pour être réellement efficace.

Surtout, ils s'inquiètent des critères en vigueur pour obtenir le classement en zone difficilement protégeable, essentiellement centré sur la densité ovine, ce qui ne correspond pas aux pratiques pyrénéennes d'élevage en plein air tout au long de l'année.

Aussi, dans l'attente de mesures plus fortes, comme le changement de statut, le Gouvernement est-il prêt à étendre les critères de classement en zone difficilement protégeable pour les territorialiser et les adapter aux particularismes locaux, à l'instar du pastoralisme pratiqué dans les Pyrénées ?

En outre, comme l'a déjà demandé Dominique Estrosi Sassone, le Gouvernement envisage-t-il de procéder au recrutement et à la formation de davantage de lieutenants de louveterie ? Envisage-t-il de financer le matériel, les déplacements et de verser une indemnité d'intervention pour décharger les éleveurs de la gestion de la prédation ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. Je vous remercie, monsieur le sénateur, de ces questions qui me permettent de compléter certaines de mes précédentes réponses.

Tout d'abord, nous devons en effet former davantage de louvetiers et améliorer les équipements. Je pense notamment aux lunettes thermiques de visée ou de vision, ce qui n'est pas tout à fait la même chose. J'ai vu ces lunettes à l'oeuvre, si je puis m'exprimer ainsi, et je peux vous dire qu'elles diffèrent sensiblement des moyens empiriques dont on disposait traditionnellement jusqu'ici : les précédents équipements ne permettaient pas de discerner et de tirer dans des conditions optimales, ce qui pouvait poser des problèmes en termes de sécurité.

Ensuite, en ce qui concerne la protégeabilité des troupeaux, la circulaire qui est en préparation vise à identifier les types d'élevage qui peuvent être protégés et ceux pour lesquels cela est plus difficile, ce qui a évidemment un lien avec la réalité du territoire. Nous devons pouvoir dire : ici, c'est possible ; là, non. Ce que l'on exigera des éleveurs différera donc selon les endroits.

Il importe aussi de regarder ce que les autres pays européens ont mis en place, que ce soit en Allemagne ou en Italie. Dans certains cas, les résultats sont positifs ; dans d'autres, moins.

Enfin, au sujet des tirs de défense, nous en revenons à la question du statut de l'espèce, que j'ai évoquée dans mon propos liminaire. Je le redis, un premier rendez-vous européen aura lieu à la fin du mois de janvier ; les choses pourraient donc aller vite. En tout cas, il me semble que nous devons aller aussi vite que possible. De cette question découle en effet, en partie, la simplification que vous réclamez, monsieur le sénateur. Le plan Loup prévoit d'ailleurs que notre stratégie devra être adaptée en cas de changement de statut.

M. le président. La parole est à M. Max Brisson, pour la réplique.

M. Max Brisson. Au-delà des aspects techniques, je crois qu'il faut envoyer un message clair et rassurer les bergers et les éleveurs. Il faut affirmer très clairement que, dans nos vallées, dans nos montagnes, le pastoralisme est une nécessité, un mode de vie, une économie. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Jean-Michel Arnaud. Monsieur le ministre, vous vous êtes rendu, il y a quelques mois, dans le département des Hautes-Alpes, au col de Manse dans le Champsaur : vous y avez constaté la détresse de nos éleveurs, confrontés aux difficultés de prélèvement du loup. J'associe à ma question Loïc Hervé, qui est également concerné par ce sujet en Haute-Savoie.

Dans les Hautes-Alpes, ce sont 925 bêtes qui ont été victimes du loup en 2023, dont 844 ovins. On ne peut donc pas dire – je m'adresse notamment à notre collègue écologiste de l'Isère – que le loup est végane…

M. Guillaume Gontard. Je n'ai jamais dit cela !

M. Jean-Michel Arnaud. Il est clair que c'est un prédateur. Or la population lupine augmente de 12 % à 20 % par an depuis plusieurs années.

En 2021, le Sénat avait adopté, dans le cadre de l'examen en première lecture du projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dit 3DS, un article 13 quater qui prévoyait que l'abattage de loups était autorisé dans des zones de protection renforcée, délimitées chaque année par arrêté préfectoral, indépendamment du prélèvement défini au niveau national.

L'objectif de cette mesure était de réformer le processus de décision en matière de prélèvement et non pas forcément d'augmenter le nombre global d'animaux prélevés. En somme, la Haute Assemblée proposait de déléguer en partie cette compétence au préfet de département pour assurer une réponse politique, mais aussi affective – les prélèvements ont une dimension affective, parce qu'ils touchent très directement nos éleveurs – et adaptée aux réalités de terrain.

Monsieur le ministre, le Gouvernement ne pourrait-il pas reprendre cette proposition, qui avait été votée ici, afin de favoriser une réponse qui soit la plus proche possible du terrain ?

Par ailleurs, vous avez longuement abordé la question de l'évolution du statut de protection du loup. Comment le Gouvernement entend-il préparer et anticiper une éventuelle décision de l'Union européenne en la matière, afin de donner des perspectives à nos éleveurs et d'être plus réactif ? (M. Philippe Folliot applaudit.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le sénateur Arnaud, je me souviens très bien de ma rencontre avec les éleveurs de votre département.

Les précédents plans Loup s'inscrivaient dans une logique de préservation de l'espèce et d'augmentation du nombre d'animaux sans tenir compte des conséquences que cela pouvait avoir sur l'élevage. Le plan que j'ai présenté ne s'inscrit pas du tout dans la même logique. Je réponds aussi à cette occasion au sénateur Brisson.

En ce qui concerne le zonage, je répète ce que j'ai dit tout à l'heure : je suis en réalité assez dubitatif à ce sujet. Je souhaite d'abord bon courage à ceux qui devront élaborer la carte, d'autant que le zonage devra évoluer d'une année sur l'autre ! Ensuite, ce classement sera nécessairement vécu comme une injustice par tel ou tel.

Surtout, la principale question est celle du statut de l'espèce, parce que les dispositions sont différentes selon que le loup est « strictement protégé » ou simplement, si je puis dire, « protégé » au sens de la convention de Berne et de la directive Habitats.

Cependant, il ne vous aura pas échappé que le ministère de la transition écologique et le ministère de l'agriculture veillent à ce que les prélèvements soient plus nombreux dans les territoires qui connaissent le plus de prédations, afin de faire baisser la pression qui pèse sur eux. Il n'est pas illogique qu'il y ait plus de tirs là où il y a plus de prédations ! C'est cette mécanique qui doit, me semble-t-il, être à l'oeuvre – c'est ce que j'indiquais tout à l'heure à Mme Berthet.

J'ajoute que la profession agricole est elle-même très dubitative sur l'idée d'un zonage. Que fait-on des départements d'où le loup est absent aujourd'hui ? Faut-il leur dire qu'ils n'en auront jamais ? Que faire des départements qui n'ont qu'un ou deux loups ? Si on les prélève, la question se concentrera dans les zones par lesquelles les loups sont arrivés, c'est-à-dire les départements des Alpes-de-Haute-Provence, des Alpes-Maritimes et des Hautes-Alpes.

Faisons attention : le zonage ne doit pas perturber la répartition naturelle des populations de loups ni être vécu comme une injustice par les éleveurs. C'est donc la question du prélèvement qui doit primer dans ces territoires.

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud, pour la réplique.

M. Jean-Michel Arnaud. Ma question portait aussi sur la possibilité de donner davantage de pouvoirs au préfet de département pour apprécier la situation.

J'ajoute qu'il existe déjà des zones dans lesquelles aucun prélèvement n'est autorisé bien qu'il y ait de l'élevage : ce sont les zones centrales des parcs nationaux, par exemple le parc national des Écrins. Là aussi, les éleveurs rencontrent bon nombre de difficultés.

M. le président. La parole est à M. Michaël Weber.

M. Michaël Weber. Plus que sur le loup, le débat du jour porte sur le pastoralisme – je tiens à ce titre à saluer le fait que, depuis le début du mois de décembre, la transhumance, qui lui est liée, est classée par l'Unesco au patrimoine culturel immatériel de l'humanité.

Néanmoins, je refuse la rhétorique simpliste qui fait du loup le seul ennemi du pastoralisme, secteur qui connaît par ailleurs des difficultés économiques structurelles. L'accès restreint au foncier, la concurrence internationale, la pénibilité, la charge de travail, le manque de valorisation économique et de perspectives, notamment en termes de carrière, sont autant de facteurs explicatifs d'une baisse d'attractivité du pastoralisme et d'un déficit de renouvellement, avec ou sans le loup.

Le constat est cependant clair : le retour du loup représente un coût financier et humain important, qui n'est pas pris en compte dans le modèle économique actuel des élevages en France.

Nous ne pouvons pas non plus nier la dimension traumatisante pour l'éleveur des attaques du loup.

L'aide de l'État est indispensable pour permettre une cohabitation durable en amont de toute prédation et dans une visée d'adaptation. Il nous faut aller plus loin dans la compensation des surcoûts induits par les changements de pratique, le gardiennage renforcé de nuit, les chiens de protection ou les clôtures électrifiées ; il nous faut aussi aller plus loin dans l'étude et le suivi de l'espèce.

Le loup n'a pas entraîné la crise du secteur, mais il représente certainement une difficulté supplémentaire dont l'État doit prendre la mesure.

En ce sens, la proposition de déclassement du statut de protection du loup formulée par la Commission européenne nécessite une étude complète préalable, aujourd'hui insuffisante, des effets qu'une telle évolution aura sur les aides aux éleveurs. La possibilité de chasser le loup ne doit pas servir de prétexte à l'État pour cesser tout soutien aux mesures d'adaptation qu'il encourage aujourd'hui : en effet, ce sont les seules dispositions permettant d'assurer une coexistence durable et pacifiée entre l'espèce et les éleveurs.

Pour tous ces motifs, la proposition de la Commission, que semble appuyer le projet de plan Loup 2024-2029, appelle à la plus grande vigilance.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous confirmer que, malgré tout, l'État assurera le même soutien aux éleveurs si la proposition de la Commission européenne était adoptée ? Comment pourrions-nous anticiper la venue du loup dans les territoires actuellement non concernés ? Ne devrions-nous pas y prendre d'ores et déjà des mesures d'adaptation ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le sénateur, je veux d'abord vous dire que les propositions de la Commission européenne reposeront sur des analyses scientifiques. Il a d'ailleurs été demandé à la France de fournir des éléments chiffrés, afin de justifier un éventuel changement de statut.

Surtout, il s'agirait de passer d'une espèce " strictement protégée " à une espèce " protégée " : il ne s'agit évidemment pas de rendre cette espèce chassable. Ne cherchons pas à nous faire peur avec quelque chose qui n'existe pas !

Un tel changement de statut n'empêcherait d'ailleurs pas la mise en oeuvre des mesures que vous évoquez. À ce titre, il me semble que la prise en charge financière de la prévention est plutôt bonne aujourd'hui : 40 millions d'euros actuellement, de 60 à 70 millions d'euros dans quelques années si nous conservons la trajectoire actuelle. J'ajoute que ces dispositions sont financées, dans le cadre de la programmation en cours, par des crédits relevant de la politique agricole commune (PAC) : il n'est pas illégitime que les éleveurs s'interrogent sur l'imputation de ces dépenses sur la PAC.

En réalité, la question qui se pose est plutôt celle de la rapidité d'exécution : chacun sait bien que les dispositifs liés à la PAC sont complexes et lents. Nous devons travailler là-dessus.

Nous devons donc avancer sur trois points : l'indemnisation pour mieux couvrir les pertes indirectes, la protégeabilité – certaines zones peuvent être protégées, d'autres moins – et la rapidité d'exécution, autant d'éléments qui figurent déjà dans le plan Loup. Quoi qu'il en soit, le statut de l'espèce ne changerait pas la nature des dispositifs d'accompagnement mis en place par l'État – j'espère vous avoir rassuré à ce sujet.

M. le président. La parole est à M. Fabien Genet. (Mme Anne Ventalon applaudit.)

M. Fabien Genet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à saluer l'excellente initiative de notre collègue Dominique Estrosi Sassone qui a proposé d'inscrire à notre ordre du jour ce débat ô combien essentiel.

J'ai particulièrement apprécié son diagnostic comme j'ai apprécié sa citation de Charles Péguy, qui écrivait aussi, me semble-t-il, qu'« une capitulation est essentiellement une opération par laquelle on se met à expliquer au lieu d'agir ».

Monsieur le ministre, reconnaissons que, sur le terrain, beaucoup de nos éleveurs craignaient une éventuelle capitulation. Capitulation en matière de souveraineté alimentaire ; capitulation devant ceux qui utilisent toujours la biodiversité et le bien-être animal pour attaquer nos éleveurs sans jamais reconnaître le rôle essentiel de ceux-ci en la matière ; capitulation face à l'impossibilité supposée de modifier le statut de protection du loup au niveau européen.

Mais reconnaissons aussi que la mobilisation des éleveurs, des organisations professionnelles, des élus et des services de l'État sur le terrain, ainsi que la vôtre, monsieur le ministre, nous donnent l'espoir qu'il y aura plus d'actions que d'explications.

Vous vous êtes déplacé à Cluny en Saône-et-Loire au mois de juin dernier pour observer ce front de colonisation qu'est devenu notre département. Des centaines d'animaux ont été tués ou blessés : des ovins, mais aussi des bovins et des équins. Vous avez rencontré les éleveurs dont on a dit cet après-midi la détresse, la colère et le désespoir : ils vous ont dit et montré combien le plan Loup est inadapté à un territoire de bocage comme le nôtre, où les exploitations sont morcelées en plusieurs parcelles et les bêtes réparties en de nombreux lots.

Comment faire pour, à la fois, protéger les haies, réservoirs de biodiversité, les prairies, puits à carbone, mais aussi promouvoir l'élevage extensif au grand air, et parquer et faire croître les animaux en stabulation, grillager et électrifier ? La non-protégeabilité des exploitations est un problème récurrent en Saône-et-Loire.

Pour conclure, la feuille de route est bien connue : l'installation de filets, dont la mise en place n'est ni suffisante ni efficace chez nous ; la promotion des chiens patous qui ne peuvent pas courir après les loups en zone de bocage à cause des clôtures et des haies ; des tirs de défense, mais de nouveaux louvetiers qui hésitent parfois à appuyer sur la gâchette de peur que toutes les conditions réglementaires ne soient pas réunies.

Ma question est simple, monsieur le ministre. Vous avez très largement relayé ce que vous nous avez dit sur le terrain en juin. Beaucoup d'éléments vont dans le bon sens. Mais cette position est-elle bien celle de l'ensemble du Gouvernement ? Est-elle en particulier partagée par le ministre de la transition écologique ?

Mme Dominique Estrosi Sassone. Bravo !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le sénateur, je me souviens parfaitement de la discussion que nous avons eue avec les éleveurs à l'époque, notamment le fait qu'il y avait très peu de loups sur la zone, mais que l'un d'entre eux était très actif. Ce loup causait donc des dommages significatifs, même s'il me semble qu'il a été prélevé au mois de décembre et qu'il ne fait plus de dégâts aujourd'hui.

M. Fabien Genet. Non, il continue !

M. Marc Fesneau, ministre. En tout cas, on voit bien qu'un seul spécimen peut faire peser une pression très importante.

C'est à la suite de tels exemples que s'est imposée l'idée qu'il existait des zones protégeables et d'autres qui ne l'étaient pas.

La tension était telle qu'il fallait aussi s'interroger sur le statut de l'espèce et simplifier un certain nombre de procédures, y compris en matière de tirs – il est parfois compliqué de le faire sur la parcelle où s'est déroulée l'attaque. Ces simplifications font partie des ajustements que nous devrons opérer aux niveaux européen et national.

Avant de vous répondre plus précisément, je veux vous remercier, parce que je crois que nous avons avancé : nous sommes sortis de la phase déclamatoire pour entrer, sans démagogie et de manière raisonnée, dans l'action. Nous devions acter le fait que la situation avait changé, tant en termes de présence lupine que de pression sur les éleveurs ; le nouveau plan Loup ne devait pas s'inscrire, je l'ai dit, dans la logique de ses prédécesseurs. Nous ne pouvions pas rester dans une forme de statu quo.

Pour conclure et répondre à votre question, je veux saluer le travail que nous avons réalisé avec le ministère de la transition écologique, en particulier avec Christophe Béchu : nous n'avons pas toujours les mêmes positions de départ, mais nous avons essayé de trouver des convergences pour concilier les enjeux en matière de biodiversité – en la matière, il n'y a pas que la question du loup qui se pose – et les enjeux en matière de préservation d'activités qui sont précieuses à la fois pour cette même biodiversité et pour notre souveraineté.

Le plan Loup est le produit d'un accord entre nos ministères : nos positions sur ces sujets sont alignées.

M. le président. La parole est à Mme Anne Ventalon.

Mme Anne Ventalon. Monsieur le ministre, pour nos éleveurs, la présence du loup est d'abord synonyme, chaque jour, d'anxiété, de difficultés et de risques. Cependant, face à la menace de ce prédateur et malgré leur détresse devant les carnages qu'ils constatent, ils n'ont eu de cesse d'adapter leur pratique du pastoralisme.

Cette prévention passe notamment par l'utilisation de chiens de protection, les patous, dont la mission est de dissuader les prédateurs. Exclusivement voués à la défense d'un troupeau au sein duquel ils ont grandi, ces chiens perçoivent toute présence extérieure comme une menace, ce qui tend à provoquer des incidents avec d'autres usagers des terres pastorales, comme les promeneurs.

Afin de résoudre un certain nombre de conflits juridiques provoqués par cette situation, l'axe 2 du projet de plan national d'actions sur le loup et les activités d'élevage prévoit d'étudier la création d'un nouveau statut de chien de protection de troupeau.

Monsieur le ministre, à quelques mois des transhumances, ma première question porte sur ce nouveau statut. Quels en seront les contours ? Et surtout, sera-t-il effectif dès le printemps 2024 ?

Toujours sur la question des patous, nous observons que, malgré les conseils des différents acteurs de la montagne, certains randonneurs sont victimes de morsures.

Or, au titre de l'article L. 211-11 du code rural et de la pêche maritime, les maires ont des responsabilités en matière de chiens dits " dangereux ". Après des incidents survenus avec des randonneurs, certains maires ont même été entendus par la gendarmerie. Les élus des territoires concernés sont donc préoccupés par le risque d'être un jour inquiétés ou poursuivis pour n'avoir pas pris les mesures adéquates en la matière. (Mme Cécile Cukierman le confirme.)

Afin d'anticiper des situations, certes absurdes, mais qui pourraient survenir, le Gouvernement compte-t-il préciser l'application de cet article L. 211-11 du code rural et protéger les maires contre une telle exposition juridique ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. Madame la sénatrice, votre question fait écho à celle de la sénatrice Cécile Cukierman.

Oui, il faut changer le statut du chien patou. Le nouveau plan Loup en tient d'ailleurs compte. Le patou serait ainsi regardé comme un chien de travail et non comme un chien domestique. De plus, il ne pourrait plus être considéré comme divaguant quand il protège un troupeau. En effet, c'est bien là le sujet : le chien patou protège un troupeau et c'est dans ce cadre qu'il peut voir un randonneur comme une menace et le mordre. Nous devons travailler sur cette question pour mettre un terme à des procédures qui ne relèvent en réalité pas du droit pénal.

En ce qui concerne le calendrier, je crois que nous devons aller vite. Nous devons travailler à l'élaboration d'un texte – on ne peut du reste pas exclure que des initiatives parlementaires voient le jour sur un tel sujet. En tout cas, il faut que j'en parle avec la ministre déléguée chargée des relations avec le Parlement. Il me semble, mais je préfère être prudent par les temps qui courent, que le sujet du statut des chiens patous fait consensus. (M. Bernard Buis marque son approbation.)

M. Guillaume Gontard. On en parle depuis quinze ans !

M. Marc Fesneau, ministre. Il s'agit de rappeler qu'ils servent à protéger les troupeaux. On ne peut pas faire grief aux éleveurs à la fois de ne pas protéger leur élevage et d'avoir des chiens qui ont parfois un comportement agressif. Les chiens ne distinguent pas nécessairement très bien ce qui peut constituer une menace pour le troupeau – il y a peut-être une sélection génétique à opérer.

Dans la mesure où le début du printemps est maintenant proche, nous devons avancer rapidement sur la question du statut du chien patou. Sans compter qu'on m'a informé aujourd'hui même d'une situation problématique survenue en région Provence-Alpes-Côte d'Azur.

M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat.

M. Cyril Pellevat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à cet instant du débat, je veux rendre hommage à Dolly. Dolly ? C'était un poney âgé de 30 ans, tué par un loup en Basse-Saxe, dans la nuit du 6 au 7 septembre 2022. C'était surtout le poney de la présidente de la Commission européenne.

Nous pouvons lui rendre hommage, car sa mort a permis à la Commission de comprendre subitement que la prolifération du loup posait un réel problème et qu'il était temps de proposer d'adapter son statut au titre de la convention de Berne.

C'est ce qu'elle a fait le 20 décembre dernier en déposant une proposition de décision du Conseil visant à considérer le loup non plus comme une espèce de faune " strictement protégée ", relevant de l'annexe II de la convention de Berne, mais comme une espèce de faune « protégée », relevant de son annexe III.

Cette modification est absolument nécessaire pour faire face à la très rapide expansion des loups et prendre les mesures de régulation qui s'imposent, afin de préserver le pastoralisme qui contribue à l'essence de nos territoires de montagne.

Pourtant, lorsque je l'avais réclamée en juillet 2020 au nom de la commission des affaires européennes du Sénat, la Commission européenne m'avait répondu qu'il n'en était alors pas question, aucune étude scientifique ne le justifiant, même si elle reconnaissait que " le pastoralisme est menacé en raison d'un large éventail de facteurs socio-économiques et que le retour des grands prédateurs dans les zones où ils avaient disparu peut exercer une pression supplémentaire si aucune mesure de protection adéquate n'est mise en place ".

Si je regrette la mort du poney Dolly, je me félicite que la présidente de la Commission européenne ait fait changer d'orientation ses services dans l'intérêt du pastoralisme.

Monsieur le ministre, pouvez-vous m'assurer que vous soutiendrez le déclassement du régime de protection du loup au Conseil des ministres de l'Union européenne ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le sénateur Pellevat, je vous remercie de cette question.

D'abord, j'accepte tous les convertis à la cause, quelles que soient les motivations de leur conversion, y compris personnelles, et fût-elle tardive ! (Rires sur des travées du groupe Les Républicains.) En tout cas, c'est une bonne chose que la présidente von der Leyen ait mis ce sujet sur la table.

Je crois surtout que les circonstances ont changé. Quand je suis arrivé au ministère de l'agriculture en 2022, la France exerçait la présidence du Conseil de l'Union européenne. Le premier débat que j'ai présidé à ce titre concernait justement le loup. Je crois pouvoir dire que, sur les vingt-sept États membres, vingt-six étaient sur la ligne que défendaient notamment la France, l'Italie ou encore l'Autriche. Il y a donc un relatif consensus au niveau européen sur le fait que les loups sont désormais très nombreux et que cette situation pose un certain nombre de questions, qui sont certes diverses selon les pays.

Comment les choses se dérouleront-elles ? Le Conseil des ministres de l'environnement de l'Union européenne – le Conseil Environnement – se prononcera à la majorité simple à la fin du mois de janvier. Si une telle majorité se dégage, l'Union européenne défendra cette position devant les parties de la convention de Berne ; là, une majorité des deux tiers sera nécessaire pour réviser le statut de protection du loup. Il reviendra ensuite au Conseil Environnement de réviser la directive Habitats et, pour cela, l'unanimité sera requise.

La procédure pourra donc être enclenchée dès le mois de janvier et nous pourrions peut-être aboutir à une révision de ce statut d'ici au mois de juin. Je crois en tout cas que nous devons avancer assez vite sur cette question. J'ai entendu l'expression des États membres, et il me semble que c'est possible.

J'ajoute que, si la Commission européenne a proposé cette évolution – et nous savons qu'elle est particulièrement rigoureuse sur ce type de sujet –, c'est qu'elle dispose de données scientifiques qui vont dans ce sens.

M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat, pour la réplique.

M. Cyril Pellevat. Je vous remercie, monsieur le ministre, pour ces éléments. Nous attendons évidemment que la France défende cette position. Vous êtes venu en Haute-Savoie et avez bien vu l'impact de la prédation.

Dans les précédents plans Loup, le seuil de viabilité était estimé à 500 bêtes. Aujourd'hui, le nombre de loups, même s'il faut faire attention à la manière de les compter, est au moins le double !

Il est extrêmement important d'envoyer un signal positif à l'agropastoralisme et à nos agriculteurs qui, aujourd'hui, souffrent beaucoup sur le terrain.

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Anglars.

M. Jean-Claude Anglars. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais d'abord saluer l'initiative de Dominique Estrosi Sassone. Comme je suis le dernier intervenant et que beaucoup de choses ont été dites, je ne reprendrai que quelques éléments et ne poserai que deux questions.

Le nombre de loups présents en France s'élève à 1 104, alors que le seuil de viabilité démographique est fixé à 500. Le plan Loup 2018-2023 a donc atteint ses objectifs de protection de l'espèce : la population s'est accrue et son aire de présence s'est étendue.

Le loup n'est donc plus menacé de disparition. Cinquante-cinq départements ont été touchés par des prédations et, chaque année, on recense davantage d'attaques et davantage de victimes du loup.

Le plan Loup qui vient de s'achever présente donc un bilan défavorable pour ce qui concerne les activités d'élevage, mais aussi la santé physique et psychologique des éleveurs, soumis au stress induit par la présence du loup.

Les effets néfastes liés à la présence du loup – abandon des pâturages et moindre reprise des exploitations – commencent à se manifester. C'est le cas en Aveyron, où deux zones de présence permanente sont référencées : le plateau de l'Aubrac et le plateau du Larzac. Je rappelle qu'il y a 220 000 vaches et 1 million de brebis en Aveyron.

Je salue à cet égard le travail réalisé conjointement, dans mon département, entre les éleveurs, les organisations professionnelles, le préfet de l'époque, les services du ministère de l'agriculture et l'Institut national de la recherche agronomique (Inra) pour imaginer un plan de lutte. Je salue aussi l'installation d'une brigade « grands prédateurs » à Rodez.

Cela étant, il est nécessaire de prendre un certain nombre de mesures : maintenir et étendre les zones difficilement protégeables ; autoriser les éleveurs formés à utiliser des armes dotées de lunettes à visée nocturne ; permettre le prélèvement de meutes entières sur les zones de reproduction du loup ; revoir le statut des lieutenants de louveterie – pour ce faire, nous pouvons nous appuyer sur l'exemple des sapeurs-pompiers volontaires.

Monsieur le ministre, vous avez en outre rappelé un autre élément essentiel : la modification du statut de protection du loup au titre de la convention de Berne.

L'Aveyron a été actif sur cette question du loup. Que pensez-vous, monsieur le ministre, de cette expérience particulière dans mon département ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. S'agissant de ma dernière intervention, je veux d'abord remercier Mme Estrosi Sassone d'avoir pris l'initiative de ce débat.

Nous devrons être vigilants et faire en sorte que le plan Loup 2024-2029, en particulier dans ses actions de simplification, se déroule dans les conditions prévues.

Je compte aussi sur vous pour nous aider à résorber toute une série de contraintes qui viennent s'ajouter aux difficultés et qui nous empêchent parfois de tenir nos promesses et engagements.

Monsieur le sénateur Anglars, vous avez raison, des zones comme l'Aveyron sont des fronts de colonisation, même si le loup y est présent depuis un certain temps. C'est notamment dans ce type de zones que les filières, qui étaient très bien organisées avant le développement des prédations, peuvent être déstabilisées.

Je n'entre pas dans le détail, mais tout ce que vous avez évoqué procède clairement de la question du statut de l'espèce : les contraintes ne sont pas les mêmes selon le statut qui est retenu.

Ensuite, pour protéger les éleveurs, nous devons développer la formation. D'ailleurs, rien n'empêche certains d'entre eux de devenir lieutenants de louveterie – il y en a dans mon département –, même si le prélèvement d'une espèce strictement protégée ou simplement, si je puis dire, protégée reste un exercice particulier.

Permettez-moi enfin d'évoquer le travail que nous menons avec les éleveurs, les organisations professionnelles et les services de l'État dans toute leur diversité – les directions départementales des territoires, l'OFB, etc.

Cette question est très compliquée à traiter, et chacun essaie d'y mettre du sien, même si cela est parfois source de conflits. Je tiens d'ailleurs à saluer toutes celles et tous ceux qui travaillent au quotidien auprès des éleveurs et s'efforcent d'atténuer – cela a été dit – leur détresse psychologique. Ce que font les agents de l'OFB, notamment lorsqu'ils s'efforcent d'expliquer la méthode utilisée pour compter les loups, est remarquable de ce point de vue.

Ces agents ont pour rôle de faire respecter les règles que nous avons définies dans le cadre des différents plans Loup. Ce n'est donc pas eux qu'il convient de vilipender : c'est au Gouvernement qu'il faut s'adresser si l'on estime que l'on n'a pas agi comme il le faudrait.

Nous voyons le chemin qui reste désormais à parcourir : révision du statut, déploiement du plan Loup et simplification dans un certain nombre de domaines, tout cela pour rétablir la confiance des éleveurs dans les zones concernées – c'est au fond le plus important.


Source https://www.senat.fr, le 25 janvier 2024