Interview de M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, à France 2 le 29 janvier 2024, sur le mouvement de contestation des agriculteurs et les réponses du gouvernement.

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Média : France 2

Texte intégral

THOMAS SOTTO
Bonjour et bienvenue dans les " 4V " Marc FESNEAU.

MARC FESNEAU
Bonjour.

THOMAS SOTTO
On est un perdu là, face à la colère des agriculteurs ce matin, les blocages qui persistent en plusieurs endroits dans le pays, les appels de certains agriculteurs à bloquer des villes comme Lyon ou Paris, c'est une queue de comète ou ça veut dire que le problème reste entier ?

MARC FESNEAU
On continue à travailler avec leurs représentants pour continuer, le Premier ministre a dit vendredi, et annoncé un certain nombre de mesures, il a dit qu'elles suivraient d'autres mesures, donc…

THOMAS SOTTO
Donc il y aura d'autres mesures ?

MARC FESNEAU
On continue à travailler avec eux pour proposer, dans la simplification notamment, et puis on va ouvrir une semaine européenne, on en dira peut-être un mot, proposer un certain nombre de mesures qui viendront attester de la volonté du gouvernement à la fois de sortir de la crise, mais surtout d'apporter des réponses concrètes.

THOMAS SOTTO
Ça sera quand, c'est demain les nouvelles mesures ?

MARC FESNEAU
Dans les 48 heures on aura un certain nombre de choses qu'on pourra poser sur la table, qui permettront, je crois, de compléter et de montrer la globalité des mesures qu'on entend proposer au monde agricole.

THOMAS SOTTO
En tout cas ça veut dire qu'aujourd'hui la crise, au moment où on se parle, la crise n'est pas derrière nous, la crise agricole n'est pas derrière nous ?

MARC FESNEAU
Mais vous voyez bien que la crise telle qu'elle s'est exprimée, elle est multiple, il y avait des crises sur les questions fiscales, il y a des crises sur la question de la simplification, et la simplification il faut prendre le temps de regarder ce qu'on peut simplifier d'ores et déjà, et puis on a des sujets européens, il y aura un Conseil européen, le Président de la République a souhaité mettre ce point à l'ordre du jour jeudi prochain, je serai moi-même à Bruxelles dans la semaine, pour avancer sur des sujets, je pense au sujet viticole, et à d'autres sujets, je pense au sujet jachère.

THOMAS SOTTO
On a vu, on va en parler de la jachère tout à l'heure, on a vu la mobilisation policière et des gendarmes très impressionnante, notamment pour protéger le marché de Rungis aujourd'hui, si les agriculteurs décident de contrôler les camions aux entrées de Paris, de vérifier leur contenu, la provenance des produits, est-ce que vous les laisserai faire ?

MARC FESNEAU
L'idée c'est de, là où il y a des manifestations, et d'ailleurs j'ai entendu les responsables nationaux des syndicats le dire, qu'ils souhaitaient faire les choses en bon ordre et en respectant les biens et les personnes, dès lors qu'on respecte les biens et les personnes, pas de difficulté majeure…

THOMAS SOTTO
Mais contrôler les contenus des camions c'est respecter les biens et les personnes ou pas ?

MARC FESNEAU
Ça, me semble-t-il, c'est le rôle des douanes, c'est le rôle des services, et d'ailleurs ils vont accentuer un certain nombre de contrôles au niveau national, parce que c'est important de vérifier la provenance, ce n'est pas seulement la provenance, c'est par rapport à l'étiquetage notamment qu'il faut regarder les choses.

THOMAS SOTTO
Bien sûr, mais en tout cas ce n'est aux agriculteurs de le faire eux-mêmes, c'est ce que vous dites ce matin ?

MARC FESNEAU
C'est le travail continu du gouvernement et c'est le travail continu de nos administrations de vérifier la nature des produits qui rentrent sur le sol français.

THOMAS SOTTO
On en est où dans le rapport entre ces agriculteurs et les forces de l'ordre ? Vous avez participé hier soir à une cellule interministérielle présidée par Gérald DARMANIN, on a l'impression que la ligne a changé, on n'est plus tout à fait dans " allez-y messieurs-dames, on vous comprend, la police n'interviendra pas. "

MARC FESNEAU
Le ministre de l'Intérieur, effectivement on a tenu une réunion hier, il a dit deux choses, un, que les manifestants puissent exprimer, ce qu'ils avaient exprimé, de leur colère et de leurs revendications, deuxième élément, qu'on ne pouvait pas rentrer dans une logique qui consisterait à bloquer Paris ou les grandes métropoles régionales, et puis des points stratégiques que sont les aéroports, Rungis, au niveau d'ailleurs francilien comme au niveau régional, c'est la ligne qui est celle affirmée par le gouvernement, c'est le bon sens. Mais, je répète, j'ai entendu beaucoup d'esprit de responsabilité chez les responsables syndicaux pour faire en sorte que ça se fasse en bon ordre et sans des nuisances qui seraient globales.

THOMAS SOTTO
Parlons franchement Marc FESNEAU, est-ce que vous avez peur que ça dérape, est-ce que le risque de dérapage est plus important en ce début de semaine tendue, que la semaine dernière quand on pensait que ça allait s'arranger ?

MARC FESNEAU
Moi je vais vous dire, quand vous êtes responsable politique, vous devez toujours faire attention aux mots et à ce que vous dites, parce que l'esprit de responsabilité il ne doit pas attiser la colère, il doit plutôt essayer de l'apaiser, donc il n'y a pas une question d'avoir peur ou pas peur, en tout cas…

THOMAS SOTTO
Il y a quand même des degrés d'inquiétude, des Français s'inquiètent aussi, se posent des questions.

MARC FESNEAU
Non, non, mais je comprends que les Français s'inquiètent ou que certains s'inquiètent, en tout cas nous, moi, j'essaye de travailler à faire en sorte de répondre aux injonctions et aux demandes des agriculteurs, et le faire aussi avec les mots qui soient justes et qui sonnent juste.

THOMAS SOTTO
On est d'accord, après des chars, enfin des blindés devant Rungis…

MARC FESNEAU
Ce n'est pas des chars, c'est des blindés.

THOMAS SOTTO
Des blindés, ce n'est pas fréquent quand même !

MARC FESNEAU
Non, mais ça peut arriver, dans des mouvements où il peut y avoir des véhicules lourds, parce que c'est des véhicules lourds qui sont annoncés par certains, plutôt marginaux de la contestation, c'est normal qu'on mette des véhicules lourds face à des véhicules lourds.

THOMAS SOTTO
Marc FESNEAU, il y a quelque chose qu'on ne comprend pas, c'est le fameux deux poids deux mesures dont on entend beaucoup parler depuis quelques jours, quand des zadistes bloquent une parcelle d'autoroute, ça a été le cas sur l'A69 entre Toulouse et Tarbes en octobre dernier, ça a été démantelé en 24 heures, ils sont délogés par les forces de l'ordre, et en fait tout le monde trouve ça normal, pourquoi avec les agriculteurs vous marchez sur des œufs à ce point-là, pourquoi ils vous font peur ?

MARC FESNEAU
Mais il n'y a pas deux poids deux mesures, dès qu'il y a eu des actes de violence…

THOMAS SOTTO
Bah si !

MARC FESNEAU
Attende ; dès qu'il y a eu des actes de violence ils ont été condamnés, dès qu'il y a eu des actes de violence, il y a des procédures qui sont en cours, en même temps vous voyez bien la colère et la désespérance qui s'expriment dans le monde agricole.

THOMAS SOTTO
Ça justifie le trouble à l'ordre public ou pas ?

MARC FESNEAU
Le trouble à l'ordre public ne se justifie jamais, mais quand…

THOMAS SOTTO
Pardon, mais quand on bloque l'autoroute est-ce qu'il n'y a pas un trouble à l'ordre public, est-ce qu'il n'y a pas un empêchement de travailler ? Il ne s'agit pas de monter les uns contre les autres, mais juste de comprendre.

MARC FESNEAU
J'ai bien compris que ce n'était pas l'objectif de votre question, mais l'objectif c'est de faire en sorte qu'on puisse rentrer dans le dialogue avec les agriculteurs, de respecter leur mouvement et leurs revendications, et de le faire sans qu'il puisse y avoir recours à la violence, c'est ce qui se passe aujourd'hui, c'est ça le sujet principal.

THOMAS SOTTO
Donc vous dites il y aura d'autres mesures qui seront annoncées sans doute dans les 48 heures. Je voudrais qu'on réexplique, et si c'est possible de manière simple, rapide et pas trop technique, quelques-unes des mesures qui ne sont pas suffisamment claires sans doute. Est-ce que vous pouvez déjà nous réexpliquer très simplement le dispositif du GNR, parce que je suis peut-être un peu couillon, mais moi je n'ai pas compris, à partir de quand, combien ça va leur faire économiser sur le GNR, le pétrole non routier ?

MARC FESNEAU
Dès à présent l'augmentation ne s'appliquera plus.

THOMAS SOTTO
Il n'y aura pas l'augmentation.

MARC FESNEAU
Il n'y aura pas l'augmentation. Deuxième élément, on va faire une avance de trésorerie, parce que c'est une avance, parce que c'est une taxe que vous payez et qu'on vous remboursait.

THOMAS SOTTO
Donc ils n'auront plus à l'avancer.

MARC FESNEAU
On va dès à présent, dès le mois de février, leur payer 50% de ce qu'ils auraient eu comme remboursement, et à partir du 1er juillet c'est une mesure de simplification, ça sera directement déduit de la facture.

THOMAS SOTTO
D'accord, donc ça c'est clair. Les agriculteurs veulent en finir…

MARC FESNEAU
J'espère avoir été clair.

THOMAS SOTTO
Avec la jachère obligée d'une partie de leurs terres, c'est une décision au niveau européen que vous évoquiez, ça sera fini quand la jachère, les 4% de jachère imposés ?

MARC FESNEAU
Alors, c'est une mesure effectivement au niveau européen qui est mal comprise quand on importe 40 millions de tonnes de céréales, et donc c'est une mesure, on y travaille, ce n'est pas tout à fait nouveau qu'on y travaille. J'ai pris le…, si vous me permettez cette expression, d'une coalition de pays européens, nous sommes 22 autres pays européens à demander que cette obligation de jachère soit levée. Pourquoi ? Parce qu'elle vient…

THOMAS SOTTO
Pardon, je vous arrête deux secondes, comment c'est possible que sur 27 pays, 22 pays demandent que cette obligation soit levée, et qu'elle ne soit pas levée ?

MARC FESNEAU
Mais parce qu'on a besoin, pardon de vous le dire, que… la Commission européenne, quand il y a une expression, et je pense que c'est un des débats qu'on aura dans le débat européen, quand autant de pays disent des choses, il faut qu'il y ait un processus plus rapide, même s'il peut y avoir des sujets juridiques, je peux l'entendre, un processus plus rapide de décisions, d'ailleurs on a eu le même sujet sur les questions ukrainienne où parfois la lenteur de décisions fait que la colère monte ou l'impatience grandit et on a besoin…

THOMAS SOTTO
Donc vous souhaitez que ce soit pour quand… ?

MARC FESNEAU
Je souhaite que dans la semaine, pour la campagne qui va s'ouvrir évidemment, de cultures, enfin elle est déjà ouverte à vrai dire, la décision puisse être prise.

THOMAS SOTTO
Dans la semaine il faut que la décision soit prise ?

MARC FESNEAU
C'est l'objectif que nous nous assignons, j'y vais pour ça, et le président de la République appuiera de toutes ses forces sur ce sujet.

THOMAS SOTTO
Vous évoquiez l'Ukraine, pour soutenir l'effort de guerre en Ukraine on a accordé aux Ukrainiens des règles d'exportation très favorables dont l'effet pervers est qu'elles affaiblissent nos propres agriculteurs, nos propres éleveurs. Allez-vous revenir sur ces facilités et quand ?

MARC FESNEAU
Oui, il y a des effets pervers sur les marchés, au démarrage ça avait peu d'effets déstabilisateurs, c'est une mesure, effectivement, de soutien à l'Ukraine, et nous serons au rendez-vous du soutien à l'Ukraine, simplement la déstabilisation des marchés est telle, que nous devons prendre des mesures. Donc nous travaillons, et ça sera l'objet aussi des discussions qu'il y aura cette semaine, à faire en sorte qu'il y ait une limite à ces importations, je pense…

THOMAS SOTTO
Une limite ou une suppression de ces aides ?

MARC FESNEAU
On verra, en tout cas…

THOMAS SOTTO
Qu'est-ce que vous souhaitez, vous, en tant que ministre de l'Agriculture ?

MARC FESNEAU
Moi je souhaite, en tant que ministre de l'Agriculture, que dès lors que ça vient désorganiser les marchés on puisse y mettre un terme, donc après il faut trouver les voies et moyens, soit sur les volumes, soit sur les montants, peu importe le sujet. Et ça concerne quoi ? Ça concerne la volaille, ça concerne les œufs, ça concerne le sucre…

THOMAS SOTTO
Donc vous souhaitez que les avantages sur la volaille, les œufs et le sucre, pour les Ukrainiens, soient supprimés ?

MARC FESNEAU
Mais dès lors qu'ils viennent produire une désorganisation de marchés on doit demander. J'ai été en Ukraine, il y a quelques mois, pour dire cela, en disant à un moment, quand vous créez autant de tension sur les marchés… nous jouons collectivement contre les intérêts de l'Ukraine, et donc les Ukrainiens, qui entendent aussi cette difficulté-là, je suis sûr qu'ils comprendront la mesure qui va s'organiser au niveau européen.

THOMAS SOTTO
Donc là-dessus, c'est clair. Le président de LR, Eric CIOTTI, a une proposition, il demande la mise en place d'un dispositif d'accompagnement financier, " aucun agriculteur ", dit-il " ne doit gagner moins de 1500 euros net par mois ", est-ce que c'est sur la table, une sorte de revenu minimum pour les agriculteurs ?

MARC FESNEAU
Mais, je trouve très curieuse cette proposition, d'ailleurs je ne sais pas comment…. D'ailleurs quand il a été interrogé…

THOMAS SOTTO
C'est dans " Le Parisien " hier.

MARC FESNEAU
Oui, il est infichu de dire comment il le fait, il propose juste de prendre à l'urbain pour faire le rural, c'est-à-dire qu'on vient réorganiser une querelle entre l'urbain et le rural, je ne comprends pas comment il finance cette mesure. Pour que les agriculteurs touchent 1500 euros, ou plus, la question c'est la question de la rémunération et du revenu, c'est pour ça qu'on travaille sur des mesures qui viendront s'assurer qu'EGalim, la loi qui visait à faire en sorte que la matière première agricole soit payée, parce que décréter… c'est très bureaucratique ce que propose Monsieur CIOTTI, il propose un salaire minimum, et les agriculteurs ils n'ont pas envie d'un salaire minimum…

THOMAS SOTTO
Donc ça ce n'est pas possible, c'est non ?

MARC FESNEAU
Non mais… les agriculteurs, moi ce que j'entends sur le terrain, c'est qu'ils ont envie, non pas de primes ou d'aides à la subsistance, ils ont envie de revenu, ils ont envie de rémunération, et donc je pense que Monsieur CIOTTI devrait suivre avec nous plutôt le chemin de la rémunération de leurs produits, sinon vous allez attester que les produits peuvent être bas et que l'Etat viendrait compenser une perte de revenu, ce n'est pas ça la logique économique.

THOMAS SOTTO
Mais quand même, Marc FESNEAU, on a l'impression qu'il n'y a plus de problèmes environnementaux, que ça ne compte plus depuis une dizaine de jours, il y a quinze jours on allait tous mourir des pesticides, je caricature un peu, aujourd'hui c'est tout juste si on ne pas " prenez-un verre à l'apéro ", qu'est-ce qui se passe ?

MARC FESNEAU
Non, pardon, vous caricaturez un petit peu, beaucoup peut-être sur le sujet, la volonté qu'on a, sur ces questions de simplification, c'est de faire en sorte que dans la trajectoire que nous avons choisie on ne vienne pas envoyer des injonctions contradictoires, et deuxième élément, pardon, nous le disons dans un espace qui est l'espace européen, donc se faire ses petites règles à soi, comme si on vivait sur une île déserte, quand l'Espagne, l'Italie, l'Allemagne, eux aussi se soucient de santé publique et d'environnement, font leurs propres règles, il y a quelque chose qui dysfonctionne. Donc on a besoin d'avoir des règles européennes, première chose, de tenir des trajectoires, mais de le tenir avec une forme de cohérence et de simplification.

THOMAS SOTTO
On sent que le problème est largement européen ce matin. Dernière question rapidement. Vous êtes aussi un parlementaire, un député, Marc FESNEAU, dans le climat social actuel, comment vous avez accueilli la décision des députés de s'accorder un peu plus de 300 euros de frais supplémentaires par mois ?

MARC FESNEAU
C'est la responsabilité du Bureau de l'Assemblée, pour bien connaître les choses, je comprends que ça a été vécu comme une mesure maladroite…

THOMAS SOTTO
Et malvenue, ce n'était pas le moment ?

MARC FESNEAU
Je comprends, tout est important dans ma phrase, je comprends que dans l'opinion publique ça a été vécu…

THOMAS SOTTO
Chaque mot est pesé chez vous !

MARC FESNEAU
Oui, j'essaye de dire les choses avec sincérité et de le dire de façon pesée parce que je pense… je ne suis pas rompu à l'exercice des éléments de langage, je le dis avec mes mots et je le dis de façon pesée, et donc c'est la prérogative de l'Assemblée nationale, ça a été vécu comme quelque chose de maladroit. Il y a la mesure et il y a le moment de la mesure, manifestement le moment de la mesure était mal choisi.

THOMAS SOTTO
Merci beaucoup Marc FESNEAU d'être venu dans les " 4V ", bonne journée à vous.

MARC FESNEAU
Merci à vous.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 30 janvier 2024