Interview de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, à Europe 1 / CNews le 31 janvier 2024, sur le discours de la politique générale du Premier ministre et le mouvement de contestation des agriculteurs.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Bruno Le Maire - Ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ;
  • Sonia Mabrouk - Journaliste

Média : Europe 1

Texte intégral

SONIA MABROUK
Bienvenue et bonjour Bruno LE MAIRE.

BRUNO LE MAIRE
Bonjour Sonia MABROUK.

SONIA MABROUK
Merci de votre présence. Vous êtes le ministre de l'Economie, des Finances, de la Souveraineté industrielle et numérique. Vous êtes le numéro 2 du gouvernement. Au lendemain du discours de la politique générale du Premier ministre, la colère et la détresse des agriculteurs ne retombent pas, et leur mobilisation, Bruno LE MAIRE, ne faiblit pas. On va en parler en détail, car au moment où nous nous parlons, des convois de tracteurs se rapprochent, notamment de Rungis et des aéroports Orly et Roissy. Mais tout d'abord, Gabriel ATTAL a promis hier, Monsieur le Ministre, de déverrouiller le pays, de dé-Smicardiser la France, de débureaucratiser, de simplifier, bref, libérer et délivrer, en quoi ce n'est pas un enchaînement de slogans ?

BRUNO LE MAIRE
D'abord, c'est un beau discours de politique générale, c'est une feuille de route qui est claire, à laquelle je souscris à 100%. Je pense que tout ce que vous venez de dire, simplifier la vie des Français, alléger les charges, faire en sorte qu'il y ait des perspectives salariales pour tous, c'est exactement ce qu'il faut à la France. Et derrière, Gabriel ATTAL a présenté un certain nombre de mesures qui sont très concrètes, que ce soit sur le Smic, sur le logement, permettant aux maires par exemple d'attribuer eux-mêmes les logements sociaux, en disant que dans les constructions, il faut plus de logements intermédiaires pour les classes moyennes, eh bien, il est allé dans un degré de détail, qui, je pense, est salutaire, parce que ça crédibilise la parole politique, quand il parle des AESH, les personnes qui accompagnent les enfants en situation de handicap à l'école, on sait que partout dans des communes, il y a une difficulté pour savoir qui paie la période du déjeuner, là, il dit : c'est l'Etat qui va prendre à sa charge, parce qu'il faut sortir de cet imbroglio sur les AESH, c'est très concret, c'est la vie quotidienne des Français. C'est une réponse qui me paraît salutaire.

SONIA MABROUK
Nous sommes d'accord, mais que ne l'avez-vous fait avant, ça apparaît comme un discours de rupture, un discours de rupture avec vous-même, avec ce que vous avez fait depuis 2017, c'est assez étonnant !

BRUNO LE MAIRE
Eh bien, en matière économique, je ne crois pas du tout. Je pense qu'au contraire, c'est dans le droit fil de ce que nous avons fait, d'ailleurs, la preuve, on a fait une loi industrie verte qui permet de construire des usines en France qui vont produire des éoliennes, des pales d'éoliennes, des batteries électriques. Il annonce une loi industrie verte 2, pour accélérer encore plus la réindustrialisation du pays qui me tient profondément à coeur et sur laquelle, avec le président de la République, nous nous battons chaque jour depuis sept ans eh bien, c'est dans le droit fil de ce que nous avons fait. Quand il dit simplification de la vie des PME et des TPE, C'est mon grand chantier de 2024. Je l'avais proposé au Président de la République il y a deux ans en lui disant : il faut qu'on accélère sur la simplification. Eh bien, c'est le prolongement direct de la loi Pacte de 2019 qui simplifiait la vie des PME et des TPE, qui allégeait certains seuils, qui a supprimé certains seuils quand une entreprise grossit, on va aller plus loin avec les propositions de simplification qui ont été faites par Gabriel ATTAL. Donc tout ça est dans la continuité, mais avec une vraie accélération qui est indispensable quand on se rapproche à la fin du quinquennat…

SONIA MABROUK
Les oppositions, Bruno LE MAIRE, ont dénoncé de leur côté un catalogue sans souffle pour Eric CIOTTI et Marine LE PEN, c'était Gabriel THATCHER pour Jean-Luc MELENCHON, le jeune GISCARD aux yeux de RUFFIN. Et vous, comment vous décririez le nouveau Premier ministre ?

BRUNO LE MAIRE
Eh bien, c'est Gabriel ATTAL…

SONIA MABROUK
Tout simplement ?

BRUNO LE MAIRE
Je suis frappé, moi, du caractère totalement…

SONIA MABROUK
Ça se suffit à lui-même, il n'y a pas besoin de qualifier…

BRUNO LE MAIRE
Mais totalement convenu des réactions, des oppositions, enfin, c'est désolant, je leur dis : mais faites preuve d'un peu plus d'imagination. Enfin, l'esprit français, c'est l'imagination, la créativité, quand je vois la réaction…

SONIA MABROUK
Il y en avait hier de la créativité et de l'imagination ?

BRUNO LE MAIRE
De la part des oppositions, non, mais je trouve que c'était le discours de Gabriel ATTAL, Premier ministre, avec son style, avec son ton, avec ses formules. Je le sais, puisque je l'ai élu au Sénat. Donc je peux vous dire que…

SONIA MABROUK
On va en parler, oui…

BRUNO LE MAIRE
On s'y retrouvait, on retrouvait le personnage politique qui est Gabriel ATTAL. C'est un discours qui lui appartient en propre.

SONIA MABROUK
Sur la colère agricole qui ne faiblit pas. Bruno LE MAIRE. Ce matin, des convois de tracteurs se rapprochent des points névralgiques. Rungis, mais aussi des aéroports de Roissy et d'Orly. Des blindés ont été placés. Certains dénoncent, malgré ce dispositif des forces de l'ordre, deux poids, deux mesures, une indulgence et une mansuétude de votre part à l'égard des agriculteurs. Est-ce que vous assumez ce matin ?

BRUNO LE MAIRE
L'ordre, il s'impose à tous. Et je pense que le ministre de l'Intérieur a été très clair sur ce sujet. L'ordre s'impose à tous. Et il ne s'agit pas…

SONIA MABROUK
Pas de la même manière, semble-t-il...

BRUNO LE MAIRE
De voir nos aéroports bloqués ou Rungis bloqué. Et le ministre de l'Intérieur, Gérald DARMANIN, a eu raison de rappeler que la France ne pouvait pas, ne devait pas être bloquée. Ça ne m'empêche pas très personnellement de dire à quel point je comprends la colère et la souffrance des agriculteurs. J'ai été trois ans ministre de l'Agriculture. C'est un monde que j'aime profondément, et on voit bien aujourd'hui que ce que demandent les agriculteurs, c'est une chose très simple, de la justice, ni plus ni moins. Quand on impose des normes ou des règles, il faut que les normes qui s'appliquent en France ne soient pas plus dures que celles qui s'appliquent en Europe…

SONIA MABROUK
Qui est le « on », on impose des normes, parce qu'hier, Gabriel ATTAL, il dit : ces normes qui viennent d'on ne sait où, mais est-ce que vous n'avez pas nourri, vous-même, hystérie normative ?

BRUNO LE MAIRE
Mais si, parfois, la France a surtransposé un certain nombre de règles, et la majorité d'ailleurs a corrigé un certain nombre de surtranspositions au cours des mois et des années passées. Ce sont des débats qui sont toujours longs, qui sont toujours difficiles. La justice, c'est de faire en sorte que si on interdit à nos éleveurs d'utiliser les hormones pour faire grandir leurs bêtes, on n'importe pas – et d'ailleurs, on y veille rigoureusement – des bêtes qui sont nourries aux hormones. C'est cette justice qu'ils demandent. Là, la justice c'est de faire en sorte, et j'y veille personnellement, que les dispositions de la loi Egalim…

SONIA MABROUK
Alors, parlons-en…

BRUNO LE MAIRE
Qui préservent le revenu des agriculteurs soient strictement et rigoureusement respectées ; de la justice…

SONIA MABROUK
On va commencer par-là, Bruno LE MAIRE, de la justice. Mais ils dénoncent une injustice. Et dans les faits, comment ça se passe ? Vous avez dénoncé, en tout cas, l'exécutif a dénoncé le contournement et le non-respect de la loi Egalim, il y a quelques jours, Gabriel ATTAL a promis de lourdes sanctions. Il a été annoncé des contrôles par la Répression des fraudes sur trois groupes industriels agroalimentaires. Et finalement, il ne s'agirait semble- t-il que de pré-injonctions, de simples avertissements. A ce jour, aucune sanction. Pourquoi avez-vous reculé ?

BRUNO LE MAIRE
Mais ce n'est pas du tout un recul, c'est le respect de la règle de droit. Et comme je viens de le dire, je suis attaché au respect de la règle de droit pour tous. Il y a une procédure, des injonctions, ensuite, des contrôles, puis, les sanctions. Donc j'ai lancé hier quatre pré-injonctions, c'est le terme réglementaire, a quatre groupes industriels qui ne respecteraient pas les dispositions de la loi Egalim.

SONIA MABROUK
Vous mettez cela au conditionnel : " qui ne respecteraient pas " ?

BRUNO LE MAIRE
Oui, parce qu'on est dans un Etat de droit, donc il y aura un contradictoire, ils vont se défendre. Et s'il apparaît que c'est nous qui avons raison, les contrôleurs de la DGCCRF, eh bien, dans ce cas-là, ils seront lourdement sanctionnés, jusqu'à 2% du chiffre d'affaires...

SONIA MABROUK
C'est ça les lourdes sanctions promises par le Premier ministre, parce qu'on avait l'impression quand même que c'était la grosse…

BRUNO LE MAIRE
Eh bien, 2% du chiffre d'affaires, ça peut mettre…

SONIA MABROUK
... Qui allait sortir…

BRUNO LE MAIRE
2% du chiffre d'affaires, c'est très, très lourd pour une entreprise. Ensuite, il y a les distributeurs, donc sur les distributeurs, je vais lancer 500 contrôles sur les cinq grands distributeurs, et 500 contrôles, c'est beaucoup parce que quand on contrôle les dispositions de la loi Egalim, ce sont des contrats qui peuvent faire 100, 150, 200 pages. Nous allons éplucher chacune des dispositions et vérifier avec ces 500 contrôles que tous les distributeurs, sans exception, respectent rigoureusement les dispositions de la loi Egalim, et notamment l'obligation de contractualisation et de préservation du revenu des agriculteurs, de la matière première agricole, 500 contrôles, c'est le double de ce que nous faisons d'habitude…

SONIA MABROUK
J'ai bien noté, Bruno LE MAIRE. J'arrive à la grande... je voudrais comprendre, pour ces quatre groupes, finalement agroalimentaires, ces quatre entreprises. Des noms sont sortis dans la presse, la laiterie MALO. Il y a deux filiales de BIGARD. Est-ce que vous dites aujourd'hui que c'est confirmé ? Est-ce que ça a fuité ?

BRUNO LE MAIRE
Non, je ne donnerai pas de noms, Sonia MABROUK, je regrette d'ailleurs…

SONIA MABROUK
Pas de name and shame…

BRUNO LE MAIRE
Je regrette d'ailleurs que ces noms soient sur la place publique. Je suis attaché au respect de l'Etat de droit. Je suis là pour contrôler, prononcer des sanctions si les contrôles montrent qu'effectivement, il y a eu une infraction. Mais il y a un contradictoire, il y a une défense, derrière, il y a des industriels, il y a des emplois. Donc, respectons les règles de l'Etat de droit. L'autorité, ce n'est pas faire ou dire n'importe quoi. L'Autorité, c'est être intraitable sur le respect de la règle. Je serai intraitable sur le respect de la règle. Et sur les distributeurs, je vais ajouter un point qui est très important. Il y a beaucoup de distributeurs aujourd'hui qui achètent par des centrales d'achat européennes.

SONIA MABROUK
Cela a été dénoncé hier par le président de la République…

BRUNO LE MAIRE
Oui, je veux dire avec beaucoup de…

SONIA MABROUK
Mais rassurez-nous…

BRUNO LE MAIRE
De force…

SONIA MABROUK
Tout le monde était au courant, Monsieur le Ministre ?

BRUNO LE MAIRE
Mais bien sûr, tout le monde sait qu'il y a des centrales d'achat européennes pour les...

SONIA MABROUK
Alors, pourquoi on se réveille ce matin ?

BRUNO LE MAIRE
Mais je ne me réveille pas ce matin, ces contrôles, j'en fais depuis des années, et j'ai prononcé des sanctions. Alors, pour le coup, je peux le dire, c'est contre LECLERC, de plus de 6 millions d'euros, parce il y avait un contournement par la centrale d'achat de monsieur LECLERC. Donc je n'hésite pas à contrôler et sanctionner fermement. Et pour les centrales d'achat européennes, je veux lever toute ambiguïté. Les règles de droit, c'est-à-dire la loi Egalim, s'appliquent à tous les distributeurs et s'appliquent aux centrales d'achat européennes. Donc je vais lancer des contrôles spécifiques sur les centrales d'achat européennes pour m'assurer qu'il n'y a pas de contournement par ces centrales d'achat européennes, des règles de la loi Egalim, c'est-à-dire, la protection du revenu des agriculteurs. Je ne veux pas que le revenu des agriculteurs soit la variable d'ajustement des négociations commerciales…

SONIA MABROUK
Je vous entends, mais qu'est-ce que ça va changer ? Ces distributeurs auront toujours ces centrales d'achat hors de France en Europe et permettront toujours de contourner la loi Egalim. D'ailleurs, ce n'est pas illégal. Est-ce que ce contournement…

BRUNO LE MAIRE
Il est tout à fait illégal s'il ne respecte pas la loi Egalim…

SONIA MABROUK
Qu'est-ce qu'on fait, on ferme les centrales d'achats hors de France ?

BRUNO LE MAIRE
S'ils vont acheter, alors, ça ne concerne que les très grands industriels. Ce n'est pas le petit producteur qui va passer par une centrale d'achat, mais si un distributeur utilise sa centrale d'achat et prend un très gros industriel de l'agroalimentaire, par exemple, dans le yaourt. Prenons un exemple où il y a beaucoup, beaucoup de masse, et beaucoup de produits, et que ça ne respecte pas la protection du revenu du producteur de lait qui fournit le lait pour ces yaourts, il y aura sanction. La sanction, elle s'applique à tous, partout sur le territoire, pour tous les distributeurs, que ce soit négocié au niveau national ou par des centrales d'achat européennes. Et comme j'ai le sentiment qu'il peut y avoir, pas une volonté, mais la tentation de contourner par les centrales d'achat européennes, je vais renforcer les contrôles sur ces centrales d'achat européennes…

SONIA MABROUK
Pourquoi il a fallu attendre que les agriculteurs soient dans la rue ? Pourquoi il a fallu attendre que les tracteurs soient en route vers les grandes villes ? Pourquoi il a fallu attendre ces blocages pour qu'on ait cela, Bruno LE MAIRE…

BRUNO LE MAIRE
Mais je vous rassure, je n'ai pas attendu, une fois encore, je peux donner la liste des sanctions que j'ai prononcées avec la direction générale de la Consommation et de la répression des fraudes. Mais là encore, je reviens à l'autorité. L'Autorité, ce n'est pas sauter sur son tonneau en disant mais regardez comme je suis autoritaire. C'est avoir l'assurance que le ministre de l'Economie et des Finances n'aura jamais le bras qui tremble pour protéger les plus petits. Je n'ai jamais eu le bras qui tremble pour faire respecter la règle et pour protéger les plus petits, en particulier, les producteurs. Mais je ne le clame pas matin, midi et soir. Il suffit que ça se sache.

SONIA MABROUK
Mais est-ce qu'il n'y a pas aussi des boucs émissaires un peu commodes, on vise, et beaucoup visent la grande distribution. Est-ce que c'est vraiment le grand méchant loup qui s'en met, pardonnez-moi l'expression triviale, plein les poches…

BRUNO LE MAIRE
Moi, je n'ai jamais aimé les boucs émissaires. Donc je considère qu'il faut faire respecter la loi, pas pointer du doigt les uns et les autres, et surtout qu'il faut regarder quel est en réalité le vrai problème de nos agriculteurs. C'est un problème de revenus, c'est un problème de compétitivité, c'est un problème de marges qu'ils arrivent à dégager sur l'exploitation. Donc faire respecter la règle, oui. Dire : si on tape les distributeurs et les industriels, ça va aller beaucoup mieux pour les agriculteurs. Ce n'est pas vrai. On le fait depuis 20 ans, et quand j'étais ministre de l'Agriculture, j'ai toujours refusé de tomber dans ce panneau. Eh bien, là, je vous dis exactement la même chose, on fera respecter la règle, c'est très important sur les distributeurs et sur les industriels. Mais regardons la réalité du problème agricole français, qui touche dans le fond un problème très national. Notre pays, depuis quelques décennies, a avantagé la consommation sur la production. On l'a vu sur l'industrie, il y a eu 40 années de désindustrialisation. Avec le président de la République, nous avons inversé la tendance. Nous avons dit stop. Il faut à nouveau des usines, des ouvriers, de la production industrielle en France. Sur l'agriculture, on en est exactement au même point…

SONIA MABROUK
Mais Bruno LE MAIRE, le président est arrivé, tout s'est inversé ?

BRUNO LE MAIRE
Eh bien, en matière industrielle, je suis obligé de constater qu'on ferme des usines, on en ouvre. On détruisait des emplois ouvriers. On en recrée. Eh bien, sur l'agriculture, c'est exactement la même chose. On a laissé depuis des décennies notre agriculture, pas dépérir, mais avoir moins d'exploitations, moins de fermiers, moins de production, plus d'importations, eh bien, il faut inverser la tendance.

SONIA MABROUK
Mais j'ai l'impression d'entendre le discours d'un opposant à sa propre politique, notamment…

BRUNO LE MAIRE
Ah, pas du tout, parce que je vous dis que…

SONIA MABROUK
Sur la scène européenne…

BRUNO LE MAIRE
Sur l'industrie, on a réussi à inverser la tendance. Et pour moi, je le dis très sincèrement, c'est une vraie fierté de me dire : voilà, depuis sept ans que je suis ministre de l'Economie et des Finances, avec le président de la République, nous avons posé le bon diagnostic, pris les décisions courageuses que personne ne voulait prendre sur l'impôt de production…

SONIA MABROUK
L'avez-vous pris sur le plan européen, Bruno LE MAIRE ?

BRUNO LE MAIRE
Et ouvert à nouveau des usines, eh bien, sur l'agriculture…

SONIA MABROUK
Et sur le plan européen ?

BRUNO LE MAIRE
Regardons quelle est la réalité des problèmes agricoles français. Répondons-y sur les normes...

SONIA MABROUK
On ne peut pas le faire…

BRUNO LE MAIRE
Sur les accords commerciaux et inversons la tendance…

SONIA MABROUK
Justement, le président de la République, qui sera demain à Bruxelles, dit non à l'accord UE-Mercosur.

BRUNO LE MAIRE
Il a mille fois raison.

SONIA MABROUK
Attendez, il y a la suite ! La Commission européenne compte bien poursuivre les négociations. Elle l'a fait savoir hier en affirmant : pas du tout, les négociations se poursuivent, les contacts avec les partenaires du Mercosur également. Est-ce que la France n'est pas désavouée par ce qui a été dit hier par la Commission ?

BRUNO LE MAIRE
Il y aura un bras de fer, et la France fera tout le nécessaire pour que le Mercosur tel qu'il est aujourd'hui ne soit pas signé.

SONIA MABROUK
C'est un vote à la majorité qualifiée ? Quels choix a-t-on, à part se soumettre ?

BRUNO LE MAIRE
Croyez-moi, quand la France veut quelque chose en Europe, elle a suffisamment de poids pour l'imposer. C'est ce que fait le Président de la République, c'est grâce au Président de la République, et uniquement grâce à lui que cet accord n'est pas signé aujourd'hui. Cet accord Mercosur tel qu'il est, il n'est pas bon pour nos éleveurs. Il ne peut pas, il ne doit pas être signé en l'état, il ne sera pas signé en l'état.

SONIA MABROUK
Je vous pose la question directement, comment vous croire sur le Mercosur alors qu'en même temps, vous avez voté les importations massives d'Ukraine, sans droits de douanes, sur les volailles, les céréales, les betteraves, que les accords de libre-échange sont signés ou en train de l'être sans clause miroir avec la Nouvelle-Zélande, le Chili. Est-ce que vous êtes, pour le dire clairement, compatissant avec nos agriculteurs à Paris et très complaisant à Bruxelles ?

BRUNO LE MAIRE
Pas du tout. Je pense qu'il ne faut pas caricaturer comme ça, parce qu'il y a des accords commerciaux qui sont très bons pour nos agriculteurs. Je vous le dis, j'aime le monde paysan profondément…

SONIA MABROUK
Enfin, tout le monde, alors, en ce moment…

BRUNO LE MAIRE
Non, non, mais d'accord, mais…

SONIA MABROUK
En ce moment, il n'y a que des déclarations d'amour, permettez-moi de dire qu'ils veulent des preuves en monnaie sonnante et trébuchante…

BRUNO LE MAIRE
Sonia, c'est très bien. Je vous rappelle que j'ai été 3 ans ministre de l'Agriculture. Et je pense avoir apporté des preuves en monnaie sonnante et trébuchante. Quand nous allons avec le Président de la République en Chine, et que nous négocions directement avec le ministre du Commerce chinois, et pour le Président, la République, avec le président XI pour permettre l'exportation de porc français vers la Chine. Ça fait exploser le prix du porc en France. Ça soutient nos agriculteurs. On se bat, mais très concrètement, ce sont des négociations qui sont difficiles. Quand nous négocions…

SONIA MABROUK
Mais vous avez aussi porté le green deal, le pacte vert…

BRUNO LE MAIRE
Mais quand nous négocions…

SONIA MABROUK
Avec un projet de décroissance…

BRUNO LE MAIRE
Quand nous négocions l'accord avec le Canada, ça permet d'augmenter de 46% les exportations de vins et de spiritueux vers le Canada. Ça permet d'augmenter les exportations de fromages vers le Canada. Même chose pour le Japon. Ça a permis d'exporter plus de vins et plus de spiritueux. Moi, je les entends tous ces ignares de la vie économique qui nous font des leçons dans le libre-échange, c'est terrible ! Qu'ils aillent le dire dans une ferme, qu'ils aillent chez un producteur de porcs de Bretagne pour lui dire : eh bien, on arrête de commercer avec la Chine, on verra la réaction. Arrêtons à la faveur d'une crise de dire tout et n'importe quoi. Il faut regarder chaque accord commercial, vérifier qu'il est dans l'intérêt de nos producteurs, et ne les signer que quand ils sont réellement dans l'intérêt de nos producteurs. Avec le Canada, avec le Japon, ça valait le coup, avec les pays d'Amérique du Sud et le Mercosur, les conditions ne sont pas garanties. On ne signe pas, et la France ne signera pas en l'état.

SONIA MABROUK
Quelles garanties que ça ne soit pas ratifié à la fin ?

BRUNO LE MAIRE
Le président de la République s'y est opposé…

SONIA MABROUK
La voix de la France, c'est ça…

BRUNO LE MAIRE
Croyez-moi, faites confiance au poids de la France.

SONIA MABROUK
C'est aux agriculteurs qu'il faut le dire, Monsieur le Ministre. L'INSEE va dévoiler tout à l'heure, dans un petit quart d'heure maintenant, son estimation de l'inflation pour le mois de janvier. Je suppose que vous connaissez évidemment déjà la tendance. Pouvez-vous nous l'annoncer ce matin ?

BRUNO LE MAIRE
Je ne vais pas donner le chiffre, puisqu'il est encore sous embargo. Ce que je peux dire, c'est que je me suis engagé à ce que l'inflation décroisse rapidement au début de l'année 2024. Ce sera le cas. Les engagements que je prends, je les tiens.

SONIA MABROUK
Une petite note d'humour pour finir cet entretien, Bruno LE MAIRE, c'est vous, parce que vous êtes le numéro 2 du gouvernement, qui avez prononcé le discours hier de Gabriel ATTAL au Sénat, cela a fait sourire à un moment beaucoup le président du Sénat et toute l'Assemblée, puisque vous avez dû dire cette phrase, que vous êtes né en 1989, vous avez un secret ?

BRUNO LE MAIRE
J'ai dit " si seulement " !

SONIA MABROUK
" Si seulement ", c'est vrai...

BRUNO LE MAIRE
... Avait raison, mais c'est une drôle de chose de se dire : je suis né en 1989, et puis, c'est formidable d'avoir un jeune Premier ministre…

SONIA MABROUK
C'est la deuxième fois que vous prononcez ce discours de politique générale, me semble-t-il…

BRUNO LE MAIRE
C'est la deuxième fois. Un petit exercice de schizophrénie.

SONIA MABROUK
En tant que numéro 2 du gouvernement. Merci Bruno LE MAIRE.

BRUNO LE MAIRE
Merci.

SONIA MABROUK
C'était votre " Grande interview " ce matin. A bientôt.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 5 février 2024