Texte intégral
M. Philippe Mouiller, président. - Mes chers collègues, je suis heureux d'accueillir Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé et des solidarités, au sujet de la proposition de loi portant mesures pour bâtir la société du bien-vieillir en France. Madame la ministre, je vous remercie d'avoir accepté notre invitation. Le texte que nous examinerons en séance à partir de la semaine prochaine a été étudié par la commission dans des conditions un peu difficiles, notamment en raison du calendrier. Malgré cela, nos rapporteurs, Jean Sol et Jocelyne Guidez, ont réalisé un travail remarquable. Néanmoins, du fait du changement de gouvernement, nous n'avons pas pu auditionner la ministre et auteure de la proposition de loi Aurore Bergé.
Je tenais à ce que nous vous auditionnions avant l'examen de ce texte en séance, pour vous entendre sur le sujet important de la prise en charge du vieillissement. En complément des travaux qu'ils ont déjà menés, nos rapporteurs pourront en outre vous poser quelques questions.
Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé et des solidarités. - Je vous remercie de vos propos, monsieur le président, et de m'avoir accueillie dans votre département il y a quelques jours.
J'ai déjà été amenée à étudier la question de l'autonomie. Dans l'un des gouvernements Raffarin dont j'ai eu l'honneur de faire partie, j'ai été durant six mois chargée des personnes âgées, juste au moment de l'application de la journée de solidarité décidée à la suite de la canicule de 2003. Or je me souviens bien des grandes déclarations et des grands engagements de l'époque sur l'autonomie. Force est de constater que l'enjeu du vieillissement reste le même ; la différence est qu'il ne suffit plus aujourd'hui de le dire avec la main sur le coeur. D'ici quelques années, notre pays comptera davantage de personnes de plus de 65 ans que de personnes de moins de 15 ans. L'élue locale que je demeure mesure au quotidien la difficulté que représente l'accompagnement des personnes âgées, d'autant qu'il nous faut entendre ce que celles-ci nous demandent, et qui nous oblige : 90 % d'entre elles souhaitent rester chez elles. Cela nous conduit à réfléchir à notre capacité à réussir le grand virage du vieillissement de la population et aux réponses que nous pourrions apporter à nos concitoyens. Sur ce point, les situations varient selon que l'on se trouve dans l'Hexagone ou dans les outre-mer, en zone urbaine ou rurale.
Je salue cette proposition de loi, qui résume bien la situation, notamment par l'emploi de la notion de bien-vieillir. Ce qui doit nous interpeller, c'est notre capacité à accompagner nos concitoyens du premier au dernier souffle, en visant la bonne santé à tous les âges de la vie. Se pose ici la question de la prévention. J'ai regardé avec beaucoup d'intérêt les réflexions visant à anticiper et à amoindrir autant que possible les pathologies liées au grand âge.
La question du parcours résidentiel me tient également à coeur. Rester chez soi est certes souhaitable, mais encore faut-il que ce chez-soi soit adapté. C'est l'objet du dispositif « MaPrimeAdapt ». La question de l'adaptation des logements au vieillissement de la population se pose notamment pour les femmes, dont l'espérance de vie est plus élevée. Une femme seule, en zone rurale, dans une maison mal isolée, et dont la chambre à coucher se trouve à l'étage, ne souhaite pas quitter ses meubles et sa vie. Or, comme le constatent les soignants, il est toujours trop tôt ou trop tard pour lui apporter des réponses. Je suis totalement à votre écoute sur ce point. Nous sommes dans le domaine de l'intime ; il n'y a pas ici d'injonction à l'égard de nos concitoyens : il faut leur proposer des solutions potentiellement intéressantes. Cela implique de réfléchir à l'échelle du bassin de vie, car on ne peut rester à son domicile tout seul. Des réponses doivent être apportées par le secteur médico-social et les aidants familiaux, sachant que les familles mais nos familles ont beaucoup évolué et que de nombreux enfants ont des responsabilités ou ont fait des choix de vie qui font qu'ils ne sont pas, selon une jolie expression, à portée d'embrassade. La solitude de nos aînés est donc l'un de leurs principaux maux. Nous n'avons que peu de réponses à y apporter, sauf à veiller à un meilleur accompagnement.
Je suis attachée également à la reconnaissance de ceux qui entourent nos personnes âgées. La proposition de loi contient à cet égard des propositions intéressantes, sur la carte professionnelle, par exemple, ou sur la prise en charge des transports des soignants. Je tiens aussi à la formation tout au long de la vie. Permettre une validation des acquis de l'expérience (VAE) pour les personnes en poste depuis deux ans me paraît important, car je peux parfaitement entendre que l'on n'ait pas envie de passer dix, vingt, trente ou quarante ans dans ces métiers. Nous devons permettre aux personnes qui s'engagent dans les métiers de l'humain - où il n'y a pas de travail à distance possible - d'évoluer et apporter des réponses à leurs souhaits en ce sens.
Enfin, il faut restaurer la confiance à l'égard des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et rattraper certaines maladresses. La présence des proches dans les Ehpad est essentielle, et la confiance n'exclut pas le contrôle, mais dans le respect du principe de la présomption d'innocence. L'arrivée dans ces établissements se fait de plus en plus tard, pour des durées moyennes de séjour de plus en plus courtes et pour des pathologies de plus en plus lourdes. Cela nécessite une réflexion et une adaptation.
Le calendrier de cette proposition de loi me convient d'autant mieux qu'un engagement a été pris sur une loi relative au grand âge. L'article 34 de la Constitution ne prévoit pas qu'une loi de programmation soit possible sur ce type de sujet ; une saisine du Conseil d'État est en cours à ce sujet. Si ce dernier estime qu'il n'est pas possible d'appeler cette loi « loi de programmation », cela ne nous empêchera pas de rédiger un projet de loi sur le grand âge et de vous le présenter d'ici à la fin de l'année.
M. Philippe Mouiller, président. - Merci, la fin de votre intervention a été bien entendue ! C'est pour nous un point essentiel. La loi sur le grand âge est une priorité.
M. Jean Sol, rapporteur. - Suivant les recommandations du rapport de Dominique Libault de mars 2022, la proposition de loi prévoit la création d'un service public départemental de l'autonomie, ou SPDA. Ce service public ajouterait une couche supplémentaire au-dessus des dispositifs de coordination existants. Cette organisation marque-t-elle, selon vous, une étape transitoire avant une réforme plus profonde ? À terme, quels dispositifs le SPDA a-t-il vocation à remplacer ?
La commission des affaires sociales a apporté des modifications au dispositif. Quel regard portez-vous sur notre proposition de permettre la mise en place des conférences territoriales de l'autonomie à un niveau infradépartemental, afin de rendre possible un pilotage à l'échelle des bassins de vie ?
La proposition de loi prévoit par ailleurs la généralisation du programme de soins intégrés pour les personnes âgées (Integrated Care for Older People - Icope), une démarche de repérage et de prévention de la perte d'autonomie expérimentée depuis 2019, à laquelle nous croyons beaucoup. Bien que la commission ait clarifié l'articulation entre ce programme et les rendez-vous de prévention, les modalités de cette généralisation restent peu explicites. Quels sont les objectifs de déploiement du programme ? Quels seraient les acteurs chargés de sa mise en oeuvre ? Quels moyens seraient consacrés à ce programme en 2025 et les années suivantes ?
Enfin, la proposition de loi prévoit l'adoption avant la fin 2024, puis une fois tous les cinq ans, d'une loi de programmation pluriannuelle pour le grand âge. Cette disposition n'a pas de portée normative, puisque le Parlement ne peut lui-même se lier, mais elle marque l'engagement pris par le précédent Gouvernement de présenter un projet de loi de programmation avant l'été en vue d'une adoption au second semestre. Ce texte est désormais plus attendu par les acteurs du grand âge que la proposition de loi que nous examinons.
Madame la ministre, vous sentez-vous liée par cet engagement de votre prédécesseur ? Quelles sont vos lignes directrices pour cette future loi de programmation ?
Mme Jocelyne Guidez, rapporteure. - Le texte propose la création d'une nouvelle aide financière de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) aux départements pour soutenir la mobilité des professionnels de l'aide à domicile. L'objectif est louable mais, après le concours complémentaire prévu par la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2024, ce dispositif viendrait encore complexifier les relations financières entre la CNSA et les départements. N'est-ce pas incohérent avec la volonté affichée du Gouvernement de rationaliser les concours financiers de la CNSA ?
À l'Assemblée nationale, le Gouvernement a attribué à cette aide le second objectif de contribuer à l'organisation de temps d'échange et de partage de bonnes pratiques au profit des professionnels de l'aide à domicile. Seriez-vous favorable à un amendement rattachant ce second volet de l'aide à un dispositif existant dans lequel il aurait davantage sa place, par exemple la dotation qualité pouvant être attribuée aux services autonomie à domicile (SAD) ?
Le Gouvernement a également prévu, par un amendement adopté en séance publique à l'Assemblée nationale, l'expérimentation par les départements volontaires d'un financement des services d'aide et d'accompagnement à domicile (Saad) sous forme de dotation globale. Or il ressort de nos auditions une appréciation assez mitigée du secteur sur une nouvelle expérimentation de quatre ans, après celle qui a été menée dès 2012, et le constat qu'il est urgent de réformer plus profondément le financement des services à domicile, étant donné leur situation économique.
La commission a avancé au 31 décembre 2025 le terme de ces expérimentations. Les problèmes posés par la tarification des services à domicile étant déjà bien identifiés et leur restructuration déjà en cours, vous paraît-il possible d'engager à cette échéance une réforme pérenne ? Quel est, selon vous, le modèle vers lequel il faut tendre ?
Enfin, ma question suivante portera sur le contrôle des antécédents judiciaires dans le secteur médico-social. En audition devant notre commission, l'ancienne secrétaire d'État, Charlotte Caubel, a relevé le défi que représentait l'application de la loi du 7 février 2022, qui prévoit le criblage de plusieurs millions de personnes travaillant au contact de mineurs. La proposition de loi prévoit d'étendre ces contrôles aux intervenants des structures prenant en charge des majeurs vulnérables, ce qui correspond à un public supplémentaire d'un million de personnes environ.
À quelle échéance les contrôles seront-ils étendus aux structures accueillant des majeurs vulnérables ? Quelles dispositions envisagez-vous afin de vous assurer que les moyens, notamment humains, seront suffisants pour rendre ces contrôles effectifs ?
Mme Catherine Vautrin, ministre. - Je dois ouvrir une double discussion avec les départements, car mon ministère traite à la fois du travail - nous connaissons la compétence sociale des départements - et de l'autonomie. L'idée est de travailler avec eux sur le financement, pour savoir qui finance quoi, pourquoi, et comment. Nous devons nous appuyer sur leur expérience de proximité, car l'enjeu est d'adapter notre structure administrative à l'échelle du bassin de vie. Nos concitoyens décident d'habiter à tel ou tel endroit, charge à nous de leur apporter des réponses. Il y a là une réflexion globale à mener. Le projet de loi que j'ai évoqué devra étudier le lien entre les départements et l'État sur le financement des politiques liées au vieillissement.
L'accompagnement de la prise en charge des transports, mis en avant dans la proposition de loi, est un sujet important, au vu du prix des carburants et des transports publics.
L'expérimentation Icope est en cours. Son rapport d'évaluation va être rendu en octobre 2024. Elle ouvre une réflexion sur l'anticipation des pathologies du grand âge. Je ne vois que des avantages à avancer sur ce point.
Concernant le projet de loi, l'idée est de réunir et d'auditionner plusieurs personnes afin de le rédiger, sa présentation devant intervenir durant la deuxième partie de l'année.
Enfin, s'il est possible, assez facilement, de contrôler les antécédents judiciaires d'une personne avant son embauche, il ne me revient pas de décider de la capacité de telle ou telle structure à imposer une sanction en cas de problème. En revanche, la vigilance est de mise et les signalements doivent être immédiats, dans le respect, toutefois, de la présomption d'innocence. Nous devons donc articuler ce respect avec la mise en sécurité des personnes vulnérables. Je ne peux pas aller plus loin aujourd'hui sur ce point, mais je partage complètement votre préoccupation.
M. Dominique Théophile. - Selon l'Insee, à l'horizon 2030, près de 30 % de la population guadeloupéenne sera âgée de 65 ans et plus, soit plus de 100 000 personnes sur environ 300 000 habitants, dont 28 000 en perte d'autonomie. La Guadeloupe et la Martinique deviendront d'ici à 2050 les deux départements les plus âgés de France. Si je me retrouve dans l'esprit de ce texte, la proposition de loi ne pourra seule répondre au défi du vieillissement dans ces territoires. La question des moyens, notamment humains, se pose, particulièrement pour les soins à domicile. Quelles sont vos intentions sur cette question, sachant qu'un plan de soutien à l'offre médico-sociale pour les personnes âgées en outre-mer et en Corse a été décidé en 2022 dans le cadre de la stratégie bien-vieillir ?
Mme Corinne Féret. - Cette proposition de loi ne répond que partiellement au besoin que nous avons d'un vrai texte sur les personnes âgées et l'autonomie, que nous attendons depuis plus de six ans. Il est d'ailleurs regrettable que le Président de la République n'ait pas dit un mot de ces sujets lors de sa récente conférence de presse.
Alors que vous étiez interviewée par la presse normande ce dimanche sur vos nouvelles fonctions, à la question de savoir si la loi de programmation sur le grand âge serait présentée au Parlement cette année, vous avez répondu que l'agenda restait à définir. Or l'article 2 bis B de la proposition de loi portant mesures pour bâtir la société du bien-vieillir en France indique clairement qu'avant le 31 décembre 2024, puis tous les cinq ans, une loi de programmation pluriannuelle sur le grand âge déterminera la trajectoire des finances publiques en matière d'autonomie des personnes âgées.
Cet engagement, que nous avons adopté en commission, sera-t-il tenu ? Vous évoquez la présentation d'un projet de loi d'ici à la fin de l'année, mais il devrait contenir des engagements financiers. Les années passent, les rapports se succèdent, et nous connaissons la situation : la population française est vieillissante et les besoins sont importants. Or, même après la création de la cinquième branche de la sécurité sociale dédiée à l'autonomie, les moyens manquent pour répondre au défi de société que représente la prise en charge de l'accompagnement des personnes âgées. Si la question du financement n'était plus abordée dans un projet de loi, nous aurions perdu une année supplémentaire.
Dans la même interview, vous avez également indiqué vouloir apporter des réponses concrètes par la voie réglementaire, car on ne passe pas tout par la loi. Or le Parlement joue un rôle essentiel et nous devons pouvoir exercer notre rôle de parlementaires.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Les textes ne sont pas présentés dans l'ordre. La loi sur le grand âge devrait être examinée avant la présente proposition de loi. Dans les projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), des mesures sont prises, mais leur direction n'est pas claire. Or une loi trace des axes stratégiques, fixe une gouvernance et prévoit un financement. La proposition de loi ne prévoit pour sa part que des mesures de moyen terme.
Par ailleurs, la loi de programmation devrait embrasser tous les champs de l'autonomie, dont les personnes handicapées, pour éviter d'accumuler les dispositifs et de continuer à traiter les sujets en silos - d'autant qu'il faut également se préoccuper du cas des personnes en situation de handicap qui vieillissent.
Une crise d'attractivité s'observe dans le secteur de l'aide à domicile et un décloisonnement est nécessaire pour faciliter les parcours professionnels des soignants. Cependant, il faut tenir compte des conséquences délétères des distorsions de concurrence induites notamment par le Ségur de la santé, dont ce secteur, contrairement à celui des Ehpad, n'a pas pleinement bénéficié. Cette situation est dénoncée depuis longtemps par les fédérations. Si l'on veut que les parcours de soins des personnes vulnérables soient sans rupture, il faut y remédier.
J'espère aussi que vous ne ferez pas comme vos prédécesseurs au ministère du travail, qui ont tardé à agréer l'avenant 43 à la convention collective de la branche de l'aide à domicile, plongeant ainsi le secteur dans une crise d'attractivité dont il ne s'est pas remis.
Mme Pascale Gruny. - Madame la ministre, je connais votre force de travail et de persuasion ainsi que votre courage ; j'espère que je ne serai pas déçue !
Je souhaite vous faire part d'un sujet qui me tient à coeur : la situation précaire de notre conseil départemental de l'Aisne, dont les moyens financiers sont très faibles. Nous sommes confrontés à un nombre croissant de lits inoccupés dans nos Ehpad, dont l'un, proche de Saint-Quentin, va même devoir fermer, en raison de la préférence marquée des personnes pour le maintien à domicile. Or nous ne pourrons pas continuer, avec nos moyens limités, à soutenir à la fois les Ehpad et les soins à domicile. Ce dilemme nécessite une réflexion profonde sur notre modèle de prise en charge. De plus, la médicalisation croissante des Ehpad interroge sur leur rattachement aux départements plutôt qu'au secteur hospitalier.
Actuellement, les dispositifs d'alerte en matière de maltraitance sont insuffisamment efficaces et dissuasifs. J'y suis sensibilisée pour des raisons familiales, et leur complexité conduit beaucoup d'intéressés à y renoncer. Il faut les simplifier.
Je salue votre mobilisation sur la prévention, qu'il faut généraliser, alors que notre pays accuse un certain retard dans ce domaine, non seulement pour les personnes vieillissantes, mais également dans le cadre de la médecine du travail, par exemple.
Mme Catherine Vautrin, ministre. - Monsieur Théophile, la situation spécifique de l'outre-mer mérite notre attention, et j'ai pris bonne note de vos remarques s'agissant de la Guadeloupe. Ce grand ministère rassemblant le travail et les solidarités doit nous permettre de relever les défis du chômage et de la formation professionnelle, car nous devons trouver des moyens humains. Il s'agit d'un des sujets importants en matière de grand âge, même si ce n'est pas la seule solution. Il est crucial de trouver des moyens pour l'outre-mer, comme pour l'Hexagone, afin de résoudre ces difficultés.
Madame Féret, en effet, il faut définir un agenda, mais l'expression « loi de programmation » ne pourra pas être utilisée, si la Constitution ne le permet pas. Sa forme exacte dépendra de l'avis du Conseil d'État, attendu sous un mois. Je m'engage alors à préparer une loi sur le grand âge, qui s'articulera autour de trois axes essentiels : la stratégie, les finances et la gouvernance. Nous devrons définir le virage domiciliaire que nous comptons mettre en oeuvre et les acteurs qui y seront associés.
Cela me permet donc de répondre à Mme Gruny ; j'ai rencontré le président du département de l'Aisne, qui m'a indiqué combien le sujet que vous abordez est important ; le futur texte législatif sera l'occasion de le repenser globalement.
Concernant mes propos sur le choix de la voie réglementaire, certaines questions peuvent être résolues de cette manière : la loi, que votent les parlementaires, établit le cadre global et, en fonction de sa rédaction, certaines de ses dispositions sont déclinées par voie réglementaire.
Je suis ministre du travail, de la santé et des solidarités et j'insiste sur le continuum entre ces domaines : ma responsabilité est de les articuler pour apporter une réponse complète. Ainsi deux types de parcours relèvent de mes compétences : celui de nos concitoyens les plus âgés ainsi que celui des professionnels du secteur. Les formations dans les métiers de l'humain doivent s'adapter au parcours professionnel et personnel des employés, certains souhaitent évoluer, d'autres préfèrent faire autre chose, en adéquation avec l'évolution de leurs capacités, et passer, par exemple d'aide-soignante à assistante médicale. Nous devons travailler sur ce continuum.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure. - Je m'associe aux propos du président pour vous faire le meilleur accueil, madame la ministre. Nous aurons l'occasion de travailler ensemble de manière saisonnière autour du PLFSS.
Cette proposition de loi répond à certaines questions, mais n'apporte pas de solution complète aux frustrations qui règnent dans le domaine du vieillissement de la population. La loi sur le grand âge a été promise par différents gouvernements, et nous devons tous reconnaître notre part de responsabilité dans l'épreuve collective que constitue son absence. Pour s'attaquer sérieusement à ce sujet, il faut y consacrer des fonds importants, mais nous rencontrons des difficultés dans ce domaine, comme le montrent les déficits programmés dans chaque PLFSS. Pour autant, la volonté d'agir est là, et il est bien connu que là où il y a la volonté, il y a un chemin ! La priorité actuelle sur le terrain est clairement le recrutement des professionnels de santé. Il faut aussi donner aux établissements les moyens de se projeter dans l'avenir. Je comprends la perspective domiciliaire, mais veillons à ne pas condamner les établissements, qui devront accueillir et s'adapter à une population encore plus âgée, alors qu'ils rencontrent déjà de lourdes difficultés budgétaires. Une loi de programmation devra conduire à soutenir l'ensemble des compétences et des emplois dans ce domaine, c'est essentiel sur nos territoires.
Concernant la proposition de loi, j'aurais souhaité que celle-ci consacre plus de moyens à la mobilité, non seulement des professionnels, mais aussi des personnes âgées, qui rencontrent souvent des difficultés lorsqu'elles ne peuvent plus conduire et doivent se rendre à des rendez-vous médicaux, parfois sans aide familiale à proximité. Les initiatives locales d'associations ne sont pas toujours soutenues par les départements ou par la CNSA.
Enfin, à mon sens, une attention insuffisante est accordée au secteur paramédical, qui joue pourtant un rôle crucial dans la prévention. Cet aspect semble être un angle mort de ce texte.
Mme Corinne Bourcier. - Je souhaite aborder la question de la lutte contre la maltraitance en Ehpad. La proposition de loi se concentre sur l'amélioration du signalement et de son traitement. Toutefois, une politique efficace consiste d'abord à prévenir ces situations. Quels leviers pourraient être mis en place à ce titre ?
Le personnel bénéficie de formations sur la bientraitance et un référent est désigné au sein de chaque établissement ; le numéro d'appel contre la maltraitance est obligatoirement affiché. Cependant, ces mesures se révèlent insuffisantes. La maltraitance ne provient en effet pas uniquement d'actes volontaires du personnel, mais elle est très souvent involontaire, si l'on peut dire, c'est-à-dire liée à un manque de temps et de personnel.
Ainsi, garantir un nombre de soignants suffisant par établissement, proportionnel au niveau de dépendance des résidents, et renforcer la formation semblent être des solutions efficaces. Cela pose cependant des problèmes liés aux difficultés de recrutement et à la nécessité d'accroître l'attractivité et la valorisation de la profession.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Madame la ministre, j'ai pris connaissance de votre feuille de route sur une grande politique nationale de santé dans Ouest-France. Nous lisons la presse, mais nous souhaitons que vous veniez présenter cette feuille de route devant le Sénat. Hormis cette PPL au rabais, de nombreux sujets nous préoccupent, notamment l'hôpital public, l'accès aux soins, la pénurie de médicaments, la santé au travail ou le droit au travail.
Concernant la loi de programmation sur la perte d'autonomie, avec ma collègue Silvana Silvani, nous avons quelques doutes. En cinq ans, nous avons vu passer six ministres de la santé et, à chaque changement, une loi sur l'autonomie et le grand âge nous a été annoncée, sans que nous la voyions se concrétiser. Nous espérons vivement qu'une telle loi voie le jour, car nous sommes confrontés à de graves problèmes, notamment à de la maltraitance dans certains Ehpad lucratifs, ainsi que l'a révélé Victor Castanet. Alors que les dirigeants de ces entreprises s'octroyaient des salaires indécents avec l'argent public, le manque de personnel était flagrant dans les établissements. Nous faisons face également à des problèmes de recrutement chez les aides à domicile ainsi qu'à des problèmes de salaires dans les Ehpad.
Envisagez-vous, enfin, de financer notre protection sociale à son juste niveau en remettant en cause les 87 milliards d'euros d'exonérations de cotisations sociales pour les employeurs, ce qui apporterait un soutien significatif au budget de la sécurité sociale ?
Mme Véronique Guillotin. - Je salue votre présence ici dix jours après votre nomination ; votre capacité de travail et votre volontarisme sont reconnus, nous devrions parvenir à avancer.
Ces lois sur le grand âge sont transversales, incluant la prévention, l'habitat, la formation des professionnels de santé, les aspects sociaux, mais aussi l'aménagement du territoire ; en effet, la mobilité des personnes âgées reste problématique, car le transport est encore payant. Certaines mesures réglementaires pourraient être prises rapidement à ce sujet.
Concernant la prévention, nous avons progressé en matière d'activité physique adaptée pour les patients atteints de cancer, il faudrait étendre le remboursement de ces pratiques à d'autres types de patients fragilisés.
Le virage domiciliaire est très important, car le souhait de vivre à domicile domine chez les personnes âgées. Malheureusement, la fin de vie se déroule trop souvent à l'hôpital, révélant ainsi un manque d'accompagnement des aidants et de préparation au décès. Nous devons donc nous atteler à cette étape de vie : le bien-vieillir, c'est aussi le bien-mourir. Les ressources humaines me semblent être, à ce titre, l'alpha et l'oméga du maintien à domicile des personnes âgées.
Une réflexion a-t-elle été engagée sur la notion d'Ehpad « hors les murs » ? La rapporteure générale Élisabeth Doineau a évoqué la mobilisation des ressources des Ehpad pour créer des places « hors les murs », ce qui pourrait faciliter la coordination des soins, qui est la difficulté principale du maintien à domicile, alors que la personne aidante est parfois aussi âgée que l'aidée. Quand on ne parvient pas à joindre le médecin, que l'infirmière ne passe pas, que l'on bute sur une plateforme, on finit par appeler le 15, et cela se termine à l'hôpital, entraînant une rupture de parcours. Cela pourrait faire partie des réflexions autour de cette loi sur le grand âge.
Mme Corinne Imbert. - Madame la ministre, quel est votre regard sur l'accueil familial ?
La loi de financement de la sécurité sociale votée en 2022 contraint les services de soins infirmiers à domicile (Ssiad) à se rapprocher des services d'aide à domicile ; le décret en ce sens est paru l'année dernière, il est presque incompréhensible. L'application sur le terrain de cette mesure pose des difficultés pratiques pour des raisons de périmètre ou de statut des salariés. Dans le cadre de la proposition de loi actuelle, envisagez-vous d'assouplir ces règles, pour que ce rapprochement devienne une option et non plus une obligation ?
Enfin, concernant la loi sur le grand âge et l'autonomie, je forme le voeu que vous n'adoptiez pas la même approche que l'une de vos prédécesseurs, qui, sous prétexte que ces compétences relèvent des départements, envisageait d'exiger que ceux-ci dépensent un euro pour chaque euro investi par l'État. Le Sénat ne soutiendra aucune proposition de cet ordre.
Mme Catherine Vautrin, ministre. - Je suis une élue locale, les sujets que vous abordez, je les vis au quotidien, je ne me contente pas d'en entendre parler.
Madame Bourcier, sur la question de la maltraitance, je reconnais qu'il est fondamental de distinguer les conséquences de l'exaspération et de la fatigue de la maltraitance volontaire. La formation est essentielle à ce titre, mais je tiens à souligner, avec une très grande prudence, l'importance de la psychiatrie. Des pathologies affectent toutes les tranches d'âge, les plus jeunes comme les plus âgés, et nécessitent des formations spécialisées. De même, il est crucial de reconnaître la pression ressentie par les professionnels qui ne savent pas au quotidien dans quel état ils vont trouver leurs patients. Je porte à ce sujet une attention particulière.
En ce qui concerne les propos de Madame Guillotin, je suis d'accord sur l'importance de l'activité physique adaptée. L'Ehpad « hors les murs », pourquoi pas ? La coordination des soins est un sujet déterminant, pour autant, vous soulignez une difficulté : le numerus apertus atteint 10 300 médecins par an, mais il faut dix ans pour les former ; nous avons donc encore cinq années difficiles devant nous. En outre, ces médecins font des choix de vie que nous devons respecter : ils ne se considèrent pas en dette après leurs études. C'est un facteur à prendre en compte pour trouver des solutions complémentaires.
Madame Doineau, je suis consciente des frustrations qui règnent dans le secteur du grand âge concernant le financement public. L'enjeu de ce grand ministère est le suivant : chaque fois que des personnes retournent vers l'emploi, cela libère des marges de manoeuvre budgétaires. Il n'y a pas d'argent magique et la situation de l'emploi est moins bonne aujourd'hui qu'elle ne l'était l'année dernière, il faut en tenir compte.
Je ne suis pas là pour condamner les Ehpad, mais j'entends que dans certains lieux, certains d'entre eux ne trouvent pas leur public. Toute la question est de parvenir à trouver le bon équilibre, car certaines pathologies du grand âge relèvent bien de ces établissements et les familles n'ont pas d'autre choix. Nous devons trouver la capacité d'y répondre.
Madame Apourceau-Poly, je vous assure de ma disponibilité envers les parlementaires, j'ai d'ailleurs déjà représenté le Gouvernement par la discussion de deux textes en séance publique. Je serai présente autant que nécessaire ; nous ne serons sans doute pas toujours d'accord, mais il est essentiel que nous travaillions ensemble pour avancer vers une reconnaissance des métiers de l'humain afin de favoriser leur attractivité.
Madame Imbert, je suis ouverte à introduire un article dans le texte sur l'accueil familial afin que nous en discutions ensemble. Concernant les Ssiad, l'étendue des compétences de mon ministère me permettra peut-être d'apporter une réponse statutaire. Je vais en étudier les possibilités.
M. Philippe Mouiller, président. - Je vous remercie de vos réponses, madame la ministre.
Source https://www.senat.fr, le 6 février 2024