Texte intégral
GUILLAUME ERNER
Quelles leçons tirer de la mobilisation inédite des agriculteurs ? Comment se sont déroulée les négociations et quelle forme prendra le futur projet de loi ? Bonjour Marc FESNEAU.
MARC FESNEAU
Bonjour.
GUILLAUME ERNER
Vous êtes ministre de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire. Cette crise, vous l'aviez sentie, apparemment vous aviez alerté le gouvernement et on ne vous a pas écouté, Marc FESNEAU ?
MARC FESNEAU
Non mais, dans une crise comme celle-là, de cette puissance-là, il y a la sédimentation de plusieurs années et de plusieurs sujets qui n'ont pas pu être résolus. La Premier ministre, Elisabeth BORNE, avait commencé à apporter un certain nombre de réponses, dès l'automne. Simplement, à un moment, une crise émerge, parce qu'elle est la sédimentation d'une incompréhension. Il y a une grande incompréhension du monde agricole sur les politiques qui sont menées depuis des années, politiques nationales et politiques européennes. Et c'est le propre d'une crise, que, je dis souvent cela, qui est un cri qui n'a pas été entendu. Mais la question n'est pas tant de savoir si ça aurait pu, dû être entendu avant ou…
GUILLAUME ERNER
Enfin, c'est important pour votre poids politique.
MARC FESNEAU
Non, mais c'est important d'avoir vu les choses et de discerner ce qui est, ce que sont les demandes du monde agricole.
GUILLAUME ERNER
C'est important de l'avoir vu effectivement. Est-ce que c'est important aussi…
MARC FESNEAU
Mais on a…
GUILLAUME ERNER
Vous n'avez pas réussi à vous faire entendre ?
MARC FESNEAU
Non, parce que... Ce n'est pas du tout ça, je crois. Dans le budget 2024, il y a un 1,2 milliard de plus d'euros à destination, de plus, d'argent nouveau, comme on dit, à destination du monde agricole, pour engager les transitions. Ça veut dire qu'on a été écoutés. Ça veut dire que la question de la transition elle est bien et elle était bien au coeur de la politique. On avait déjà modifié la loi EGALIM par la voix d'une proposition parlementaire. Ça veut dire qu'on avait été écoutés, etc. etc. Il y avait eu déjà des mesures sur la crise viticole. Donc on est écoutés, on pèse dans les décisions, évidemment. Et en même temps, il y a des choses qui se sédimentent. On voit bien qu'on a une querelle qui est faite par le monde agricole, peut-être d'ailleurs pour une part, excessive, sur la question de la politique agricole…
GUILLAUME ERNER
On va revenir là-dessus, mais le monde agricole, on a l'impression que cette crise a fait émerger des mondes agricoles. D'ailleurs, il y en a un qui est toujours mécontent
MARC FESNEAU
Il y avait déjà des colères…
GUILLAUME ERNER
Bien sûr, mais maintenant le grand public le voit. On voit que parmi ces mondes-là, il y en a un qui est toujours mécontent la Confédération paysanne. Et puis on voit aussi que finalement, les intérêts de ces agriculteurs. Marc FESNEAU, ils ne sont pas tous convergents, entre ceux qui font du bio, les grandes exploitations, la FNSEA, le reste du monde agricole.
MARC FESNEAU
Moi, je pense que l'erreur tragique serait de différencier le monde agricole. Nous avons besoin d'une agriculture qui soit une agriculture de circuits courts, de proximité. Et nous avons besoin d'une agriculture aussi puissante pour aller sur les marchés export. La puissance agricole française. Et quand vous regardez d'ailleurs dans les autres pays européens, les agricultures, en tout cas qui se qui sont à l'aise avec leurs perspectives, c'est des agricultures qui assument leur diversité. Si on commence à opposer les modèles, à la fin, tous les modèles perdent. Parce que vous voyez bien que ça commence par tel type d'agriculture et à la fin, de toute façon, ça ne suffit pas. Et c'est ce qui s'est passé depuis des années. Et je proposerais assez volontiers d'être en rupture avec cette stratégie, qui est une stratégie d'opposition du monde agricole. Nous sommes une terre…
GUILLAUME ERNER
Est-ce que ce n'est pas un voeu pieux, ça, Marc FESNEAU…
MARC FESNEAU
Mais ça n'est pas du tout un voeu pieux. Nous sommes…
GUILLAUME ERNER
On voit bien qu'il y a des agriculteurs qui ne s'en sortent pas du tout…
MARC FESNEAU
Mais c'est un autre sujet.
GUILLAUME ERNER
Non mais dans ces modèles agricoles.
MARC FESNEAU
Mais dans chacun de ces modèles, il y a des agriculteurs qui ne s'en sortent pas. Dans le bio, il y a des agriculteurs qui s'en sortent aujourd'hui. Dans les modèles plus conventionnels, il y a des agriculteurs qui s'en sortent aujourd'hui, et c'est valable dans l'élevage. Donc, l'affaire de dire " il y a un modèle qui s'imposerait aux autres " et qui au fond serait celui à privilégier, est une erreur tragique, y compris d'ailleurs parce que les consommateurs, ils ont des demandes qui sont de nature diverse. C'est aussi comme ça qu'il faut voir les choses.
GUILLAUME ERNER
Marc FESNEAU, j'ai la Une de La Croix aujourd'hui, elle résume un sentiment qui prévaut aujourd'hui : " L'écologie en pause ", suite à cette crise agricole.
MARC FESNEAU
Non l'écologie, l'écologie n'est pas du tout en pause. Je viens de dire ce que sont les moyens budgétaires. Personne n'a mis en pause les moyens budgétaires qui sont ceux du gouvernement sur ces questions. Vous le dites sans doute parce qu'on a décidé de mettre en pause un dispositif, qui est le plan Ecophyto. Je rappelle que ça ne change rien.
GUILLAUME ERNER
Il faut rappeler en quelques mots.
MARC FESNEAU
Le plan Ecophyto étant un plan et une trajectoire de réduction des produits phytosanitaires. Mais le plan, c'est à la fois la trajectoire, mais c'est surtout la façon dont on y parvient. Aucune molécule ne va être autorisée dans cette pause. Aucun changement sur les molécules et les produits phytosanitaires. Ne nous faisons pas, pardon de l'expression, une mousse sur des sujets qui sont au sérieux, et qui nécessitent aussi de regarder comment on trouve cette trajectoire.
GUILLAUME ERNER
Est-ce que c'était une mauvaise loi Ecophyto ? Pas dans la volonté de…
MARC FESNEAU
Ce n'est pas une loi, Ecophyto, c'est un process. Mais oui, c'est... ah mais non, non, ce n'est pas la même chose. Non non…
GUILLAUME ERNER
Est-ce que le process était mauvais ?
MARC FESNEAU
Manifestement, on avait un sujet, parce que le process avait été inventé en 2009, il n'a pas fonctionné. Réinventé en 2015, il n'a pas fonctionné, et nous étions en train d'essayer de déployer ce que sera un nouveau programme Ecophyto, avec un certain nombre de sujets qui étaient pendants. Quand cela a été en échec pendant 15 ans, il faut peut-être s'interroger sur la façon dont les choses fonctionnent. Sinon, on n'est pas lucide sur ce que sont les…
GUILLAUME ERNER
Pardonnez-moi, je vais être plus précis pour que les auditeurs nous comprennent bien. Marc FESNEAU. Ce que disent les agriculteurs qui utilisent des produits phytosanitaires, ils disent qu'ils ont réduit les pesticides les plus dangereux, mais que dans le même temps, cela les a obligés à augmenter les pesticides les moins dangereux, et que Ecophyto ne fait pas la distinction. C'est vrai ou c'est faux ?
MARC FESNEAU
C'est tout à fait vrai. C'est-à-dire que, Ecophyto, contrairement à l'autre indicateur qui est un indicateur européen, il ne vient pas pondérer la réduction de la dangerosité du produit. Or, si on est un peu rationnel et scientifique, la priorité, c'est de réduire les produits qui ont le plus d'impacts sur la santé ou l'environnement. Or, dans ce dispositif, aujourd'hui, l'indicateur tel qu'il est construit, si vous faites un passage avec un produit toxique, c'est mieux valorisé que si vous faites deux ou trois passages avec un produit qui ne pose pas de problème de toxicité.
GUILLAUME ERNER
Alors, puisqu'on est d'accord là-dessus, pourquoi tout simplement ne pas changer Ecophyto et faire une pondération ?
MARC FESNEAU
Mais c'est exactement ce qu'on va faire dans les semaines... et c'est pour ça qu'on a besoin de cette pause. Pourquoi…
GUILLAUME ERNER
Alors ça sera fait en trois semaines ?
MARC FESNEAU
Eh bien, on a, pour une raison simple, c'est qu'on a un indicateur européen qui ressemble un peu à ce que je viens de vous dire.
GUILLAUME ERNER
Donc en trois semaines, ça sera fait ?
MARC FESNEAU
Laissez-moi juste dire deux choses, la première, c'est que si on veut comparer en européen les trajectoires, il vaut mieux qu'on ait le même indicateur, sinon, on va qu'on va comparer des choux et des carottes. Et donc on va dire n'importe quoi, comme ça peut arriver parfois sur ces sujets-là. Deuxième élément, il y avait quelque chose d'un peu totémique, puisque l'indicateur français avait été inventé en France, produit en 2009. La question ce n'est pas… c'est de ça dont il faut sortir, c'est aussi des totems, y compris sur les questions écologiques. La question, c'est : est-ce qu'on est en capacité de trouver une trajectoire et d'inciter à réduire les produits avec le plus de toxicité ou de risque qui reste autorisés par ailleurs ou pas ? Et moi, je pense qu'on a intérêt à réduire ces produits-là. Et donc, c'est dans ce cadre-là qu'on doit pouvoir trouver un point d'accord qui doit permettre de trouver cette trajectoire de réduction des produits phytosanitaires.
GUILLAUME ERNER
Alors, il y a une certaine incrédulité chez les agriculteurs qui disent : ça fait quinze ans qu'on nous balade parce qu'il y a un rapport parlementaire qui a été assez virulent sur l'impuissance publique depuis quinze ans sur la diminution des produits pesticides. Et donc, on dit : voilà, ça fait quinze ans que ça dure. En trois semaines, on va trouver une solution ! ?
MARC FESNEAU
Non mais la trajectoire, c'est une autre chose. Mais, pardon de dire : il faut qu'on sorte dans ce pays de l'incantation. On dit moins 50%, on ne sait pas pourquoi on n'a pas dit moins 80, on ne sait pas pourquoi on a dit moins 30, on dit : moins 50, parce que quelqu'un sans doute a moins 50, ça va faire bien sur une feuille de papier. La question, c'est de trouver une trajectoire de réduction. C'est comme si on disait, sur l'automobile, suppression des moteurs thermiques en 2025, autant dire qu'on n'a rien dit. Voyez ce que je veux dire. Donc sur les questions de transition écologique, ne pas penser les transitions, et ne pas crédibiliser les transitions, et pour crédibiliser les transitions, ce qu'on a fait, c'est qu'on a mis des moyens cette année, en 2024, c'est 250 millions d'euros. Pourquoi ? Parce que la sortie d'un produit phytosanitaire, ça doit s'accompagner d'une alternative, parce que, sinon, ça ne sert à rien, sinon, les productions disparaissent. Donc on a besoin de trouver une trajectoire qui soit crédible, des moyens qui soient crédibles et des alternatives qui soient crédibles. Et donc c'est... je sais ce qu'on a vu aussi, l'incrédulité des agriculteurs, en disant : vous faites des incantations et ça ne marche pas. Et justement, on veut sortir de ça, et c'est le temps qu'on a... Il y a déjà du travail qui a été fait sur Ecophyto. Il y a un sujet sur l'indicateur, et donc travaillons sur l'indicateur dans les semaines qui viennent pour résoudre cette question.
GUILLAUME ERNER
Parmi les mécontentements du monde agricole, il y a par exemple l'idée que le gouvernement, les gouvernements, pas seulement celui-ci évidemment, Marc FESNEAU, n'a pas trouvé d'alternatives aux produits pesticides, l'INRAE qui a été financé pour développer ce type de recherche. Et puis, il n'y a rien qui sort.
MARC FESNEAU
Mais c'est inexact. Pardon de vous dire que l'INRAE est un grand institut. Alors, on a aussi un mal français, c'est qu'à chaque fois qu'on a des champions…, c'est un champion du monde de la recherche. Alors, peut-être qu'on est seuls sur notre île à penser l'inverse. Mais enfin, dans le monde entier, l'INRAE nous est envié. Deuxième élément, l'INRAE travaille à la fois sur l'appliqué, mais aussi sur le fondamental. Après, il s'agit de le décliner dans les instituts techniques.
GUILLAUME ERNER
Ce que disent les agriculteurs, c'est trop fondamental.
MARC FESNEAU
Oui, non, mais, la recherche fondamentale, c'est valable en santé, comme c'est valable en agriculture. Elle est nécessaire. Vous ne croyez pas, hier, c'était la journée mondiale contre le cancer, vous ne croyez pas que ça participe aussi de travaux de recherche fondamentale ? C'est n'est pas directement ce qu'ils voient, mais c'est directement ce qu'ils vont voir au travers des instituts techniques. Les pratiques agricoles, la question de l'agro écologie, la question des rotations de cultures, la question des cycles du carbone, tout ça, c'est porté par l'INRAE, et pardon de vous le dire, ce qu'on a fait, le travail qui a été fait sur l'alternative aux néonicotinoïdes, sur les betteraves, c'est porté par les instituts techniques de la betterave et par l'INRAE. Donc, le travail qui est fait pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre des bovins, c'est un travail qui est mené par l'INRAE avec les instituts techniques. Donc si on pouvait, ce n'est pas ce que vous avez fait, mais ceux qui caricaturent ça, ils ne rendent pas service à…
GUILLAUME ERNER
Non, sur France Culture, on ne critique pas…
MARC FESNEAU
Je sais bien, c'est pour ça que je suis sur votre antenne aussi d'ailleurs…
GUILLAUME ERNER
La recherche fondamentale…
MARC FESNEAU
Non, mais la recherche fondamentale…
GUILLAUME ERNER
Je me fais l'écho…
MARC FESNEAU
La recherche appliquée, elle se nourrit de la recherche fondamentale. Tous les scientifiques vous diront que l'un nourrit l'autre. Alors, c'est moins visible aux yeux, la recherche fondamentale. Mais on pourrait décliner, d'ailleurs, ce serait intéressant de faire ce travail-là, décliner tout ce que sont les applications du travail fait par l'INRAE depuis des années.
GUILLAUME ERNER
Marc FESNEAU, où en êtes-vous de vos discussions avec la Confédération paysanne qui, elle, est très mécontente de la solution trouvée ?
MARC FESNEAU
J'ai toujours discuté avec la Confédération paysanne. Ça n'empêche pas d'avoir des désaccords avec eux sur un certain nombre de sujets, parce que, finalement, ça n'empêche pas d'avoir des désaccords avec eux sur la question de l'eau, j'ai trouvé que la position radicale qu'ils ont eue sur les questions de l'eau n'a pas rendu service à l'agriculture.
GUILLAUME ERNER
Pourquoi ?
MARC FESNEAU
Parce que cette idée qu'à un moment, il ne fallait pas se poser la question de la gestion du cycle et de l'arythmie de la pluviométrie et de s'arc-bouter contre tel ou tel ouvrage était une erreur tragique pour…
GUILLAUME ERNER
Les méga-bassines par exemple… ?
MARC FESNEAU
Ce qu'on appelle pour certains les méga-bassines ou les réserves de substitution. Pourquoi ? Parce que quand les études démontrent l'intérêt de ces affaires, quand vous allez voir ce qui s'est passé en Vendée, ça fait 15 ans de recul, en Vendée les associations environnementales locales reconnaissent que ça a plutôt amélioré la situation des marais et des nappes, que dégradé la situation des marais et des nappes. Pourquoi ? Parce que vous évitez des prélèvements en été, là où il manque de l'eau, pour y substituer des prélèvements en hiver, là où ça déborde, il suffit d'aller en Vendée dans les jours précédents, dans les jours qui viennent, pour voir à quel point les nappes débordent, pour ne pas employer un autre mot. Donc voilà, donc on a des désaccords là-dessus. On a des désaccords sur l'idée, ils sont un peu dans un modèle, mais je ne vais pas les caricaturer, ce n'est pas mon genre. Plus autarcique, plus localiste. Et on a besoin à la fois de couvrir nos besoins intérieurs, mais on a besoin aussi de répondre à la demande extérieure dans un monde avec 2 milliards d'habitants bientôt de plus, et un dérèglement climatique qui va perturber les échanges.
GUILLAUME ERNER
On va continuer d'évoquer ce modèle agricole, celui qui est promu ou la conséquence en tout cas des différentes règles qui ont été passées avant et puis pendant votre direction du ministère de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, on se retrouve dans une vingtaine de minutes, Marc FESNEAU.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 6 février 2024