Interview de Mme Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse à France Inter le 13 février 2024, sur la politique gouvernementale en matière d'éducation nationale.

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Texte intégral

SIMON LE BARON
Elle imaginait il y a quelques années la suppression du ministère de l'Education nationale, une provocation bien sûr, destinée, écrivait-elle, à susciter la réflexion, eh bien la voici, depuis la semaine dernière, à la tête de ce ministère, bonjour Nicole BELLOUBET.

NICOLE BELLOUBET
Bonjour.

SIMON LE BARON
Merci d'accorder à France Inter votre première grande interview en tant que toute nouvelle de l'Education, je ne doute pas que nos auditeurs auront beaucoup de questions à vous poser, 01 45 24 7000 et application de France Inter. Alors une phrase est ressortie, Nicole BELLOUBET, de tous les articles au moment de votre nomination, extraite justement de cette tribune dont je parlais, que vous avez écrite en 2016, vous dénonciez, à l'époque, « les fariboles » sur la restauration de l'autorité ou le port de la blouse, or, le retour de l'autorité c'est l'axe essentiel de la politique que vous avez accepté de porter et vous serez peut-être chargée de généraliser le port de l'uniforme pouvez-vous nous expliquer comment vous avez changé d'avis ?

NICOLE BELLOUBET
Non, je n'ai pas changé d'avis, j'ai écrit ce mot, « fariboles », qui est un joli mot de la langue française d'ailleurs…

SIMON LE BARON
Nom féminin, propos sans valeur, chose vaine et frivole selon le Larousse.

NICOLE BELLOUBET
J'ai écrit ça parce que l'objet de l'article ne portait pas en réalité sur ces questions d'autorité, il portait sur les liens de l'Education nationale notamment avec les collectivités territoriales, c'est un lien qui est important, bref.

SIMON LE BARON
Et vous plaidiez pour une plus grande décentralisation de l'Education nationale.

NICOLE BELLOUBET
Voilà, absolument.

SIMON LE BARON
Mais cette phrase sur l'autorité elle est sans ambiguïté.

NICOLE BELLOUBET
Non, mais cette phrase sur l'autorité elle ne dit pas ce que j'ai vécu comme professeure, ce que je vis comme professeure et ce que vivent mes collègues. L'autorité c'est absolument indispensable dans l'école. L'école c'est à la fois le lieu d'apprentissage des savoirs, des matières fondamentales, et pour cela il faut évidemment que règne une certaine sérénité dans la classe, et l'école c'est aussi un lieu de socialisation, qui ensuite aura des répercussions sur la vie dans la collectivité, et là encore il me semble que si on n'a pas des règles, le respect de ces règles, et évidemment la protection de ceux qui enfreindraient ces règles et de ceux auxquels s'adresseraient ces infractions, tout cela ne peut pas fonctionner, donc il faut un cadre.

SIMON LE BARON
Donc quand Gabriel ATTAL annonce ce week-end des mesures disciplinaires plus précoces, sans passer par le conseil de discipline, dès l'école primaire, CM1, CM2, vous allez le faire ?

NICOLE BELLOUBET
Non, il n'a pas parlé de mesures disciplinaires, il dit simplement quand un enfant commet une infraction il faut lui répondre, lui répondre immédiatement.

SIMON LE BARON
Des sanctions précoces, il l'a dit.

NICOLE BELLOUBET
Oui, mais il n'a pas parlé de mesures disciplinaires, donc des sanctions ça peut être toutes sortes de choses, ça peut être réparer, ça peut être un dialogue avec lui, enfin il y a mille et une manière d'engager ce travail, mais moi je suis absolument ferme là-dessus, on ne peut pas faire de l'école un lieu où le cadre n'est pas respecté.

SIMON LE BARON
Mais on sent quand même une différence de sensibilité entre le discours qu'a porté pendant six mois Gabriel ATTAL à l'Education nationale et vos convictions en fait, depuis toujours sur ces questions.

NICOLE BELLOUBET
Non, franchement je ne suis pas certaine qu'il y ait une différence de sensibilité. Je le redis ici, il faut protéger les professeurs pour qu'ils puissent enseigner et dans ce cadre-là il faut absolument qu'il y ait des règles claires.

SIMON LE BARON
L'uniforme, s'il faut le généraliser, vous le ferez ?

NICOLE BELLOUBET
Ecoutez, pour le moment nous n'en sommes pas là, là encore la tenue partagée, ce n'est pas nouveau d'abord, moi je suis élève de l'école publique et il se trouve que dans mon lycée on portait des blouses, semaine A la blouse bleue, semaine B…

SIMON LE BARON
Et ça apportait quelque chose d'après vous ?

NICOLE BELLOUBET
Eh bien ça peut-être, et c'est au fond ce qui est recherché, non pas de gommer les différences, mais de créer, dans l'école, un lieu d'égalité et un lieu où finalement on ne se s'apprécie pas par les différences que l'on porte, et moi cette idée que l'école c'est une forme de lieu d'apaisement et d'égalité c'est ce que nous recherchons. On verra ce que donne l'expérimentation dans laquelle vont s'engager une centaine d'établissements.

SIMON LE BARON 
Vous ne vous avancez pas pour l'instant. Dans cette tribune dont nous parlions, vous défendiez aussi avec force une vision de l'école que ses détracteurs qualifient de « pédagogiste », c'est-à-dire un enseignement moins vertical où on sort du cadre du cours magistral, on laisse plus de liberté aux élèves. On est loin en fait du retour aux fondamentaux quand même, prôné par le Premier ministre et le président.

NICOLE BELLOUBET 
Mais non, pas du tout, pas du tout, je ne comprends pas d'ailleurs le procès qui là me serait fait, je ne comprends pas du tout. Lorsque nous disons que pour améliorer les résultats scolaires, et on sait que l'on en a besoin - les études PISA qui mesurent les compétences des élèves à quinze ans le montrent, puisque les scores montrent que notre école n'est pas efficace - pour améliorer ces résultats que demandent les professeurs, que demandent les professeurs, et ils ont été consultés, il y en a 230 000, c'est-à-dire un tiers qui ont répondu ? Ils demandent moins d'hétérogénéité dans les classes, ils demandent des prises en charge particulières pour répondre à des besoins spécifiques, c'est ça que nous allons faire, et c'est ça que je disais, c'est la fin du cours magistral descendant, c'est on répond à l'attente des élèves. Je suis exactement dans ce qui est ici proposé.

SIMON LE BARON 
Plus d'autonomie.

NICOLE BELLOUBET 
Plus d'autonomie laissée aux enseignants dans la manière dont ils vont prendre en charge les élèves.

SIMON LE BARON 
La question c'est aussi de savoir si vous allez avoir une réelle marge de manoeuvre sur un sujet, l'éducation, dont Emmanuel MACRON a dit qu'il était aujourd'hui dans son domaine réservé et que Gabriel ATTAL porte lui-même puisqu'il est passé de l'Education nationale à Matignon.

NICOLE BELLOUBET 
Mais, que croyez-vous, ce n'est pas le Premier ministre qui est à mon bureau tous les jours, ce n'est pas le président de la République qui est assis à côté de moi tous les jours, nous en parlons. Ils ont des convictions parce que l'école c'est évidemment extrêmement important pour former l'avenir de la nation.

SIMON LE BARON 
Donc vous aurez votre vision à faire valoir.

NICOLE BELLOUBET 
Mais, nous discutons. Hier soir je travaillais avec le Premier ministre, nous dialoguons, nous voyons comment implémenter les idées qu'ils ont portées, mais je partage complètement, complètement, leur idée qu'il faut absolument améliorer les résultats scolaires et aider les enseignants dans ce sens.

SIMON LE BARON 
Votre priorité, vous l'avez dit lors de votre passation de pouvoir, c'est la reprise du dialogue avec les syndicats, d'ailleurs vous les avez vu hier…

NICOLE BELLOUBET 
J'en ai vu certains hier, il m'en reste encore beaucoup à voir.

SIMON LE BARON 
Vu les quatre dernières semaines désastreuses pour les relations entre votre ministère et les syndicats d'enseignants, vous n'avez pas hésité à accepter le poste ?

NICOLE BELLOUBET 
Ah non, enfin, si j'ai hésité c'est pour d'autres raisons personnelles, mais absolument pas en raison des conflits qu'il peut y avoir. Moi je pense que les organisations syndicales ont aussi le même objet qui est celui de la réussite des élèves, donc, après, nous pouvons diverger sur les tactiques à mettre en place, nous pouvons diverger sur les stratégies, mais moi je suis certaine qu'il faut, parler d'abord, pour comprendre ce qui accessible sur le terrain, pour comprendre comment dans le collège, le lycée, on peut mettre en place ces éléments qui permettront d'améliorer le niveau des élèves.

SIMON LE BARON 
Avec les syndicats vous avez à coeur aussi de crever l'abcès de ces dernières semaines avec les déclarations d'Amélie OUDEA-CASTERA qui ont, on le sait, suscité beaucoup de colère dans les établissements scolaires, vous dites que ces déclarations étaient malheureuses ?

NICOLE BELLOUBET 
Non, je ne dis rien du tout aux syndicats, nous repartons sur un travail à conduire en commun, nous repartons sur un dialogue nouveau, je ne m'appesantir pas sur le passé.

SIMON LE BARON 
Est-ce que vous comprenez néanmoins qu'après cinq ans de Jean-Michel BLANQUER, quand on voit qu'en un an et demi il y a eu quatre ministres, aux sensibilités différentes encore une fois, Pap NDIAYE, Gabriel ATTAL, Amélie OUDEA-CASTERA, maintenant vous, vous comprenez que les enseignants soient déboussolés ?

NICOLE BELLOUBET 
Je comprends ça évidemment, et c'est la raison pour laquelle, un, je veux réengager un dialogue avec eux, et puis deux, je pense qu'une certaine stabilité n'est pas inutile, une stabilité qui n'empêche pas les réformes, évidemment, mais je pense qu'il faut apaiser et réformer.

SIMON LE BARON 
Un mot du privé, puisque c'était l'objet de ces polémiques. Tous vos prédécesseurs sont passés ou ont inscrit leurs enfants dans les écoles privées de l'élite parisienne, vous fustigiez, toujours en 2016 dans cette tribune, « ceux qui fuient le service public pour rejoindre l'entre-soi des classes homogènes dans l'enseignement privé. » Vous le rediriez aujourd'hui ?

NICOLE BELLOUBET 
Ecoutez, moi je considère, je suis ancien membre du Conseil constitutionnel, l'enseignement privé fait partie de ce grand principe fondamental des lois de la République qu'est la liberté de l'enseignement, et donc, évidemment, je tiens cela comme une boussole.

SIMON LE BARON 
Quel est votre rapport au privé, personnel, vous, vos enfants ?

NICOLE BELLOUBET 
Moi je n'en ai pas.

SIMON LE BARON 
Vous avez fait toute votre scolarité dans le public, vos enfants aussi ?

NICOLE BELLOUBET 
Alors, en ce qui me concerne, oui, mes enfants aussi, bien que je n'aime pas répondre aux questions concernant mes enfants.

SIMON LE BARON 
C'est une question qui s'est posée pour tous vos prédécesseurs, c'est pour ça que je me permets de vous la poser.

NICOLE BELLOUBET
Je réponds, oui.

SIMON LE BARON 
Un mot du lycée, de l'établissement privé catholique parisien Stanislas, puisqu'encore une fois il était au coeur de ces polémiques. Il est l'objet d'un rapport officiel qui pointe des dérives, notamment homophobes, sexistes, vous l'avez lu, vous allez vous en emparer ?

NICOLE BELLOUBET 
Je n'ai pas lu encore le rapport, évidemment, mais je vais le lire, moi ce que je peux dire ici c'est que lorsque dans les établissements sous contrat, évidemment il faut d'abord respecter les programmes de l'Education nationale et la loi de la République, sans méconnaître le caractère propre de ces établissements, s'il y a des déviances, il faut absolument y porter remède, c'est ce que relève le rapport d'inspection, nous suivrons avec beaucoup d'attention le plan d'action qui est proposé.

SIMON LE BARON 
S'il faut prendre des mesures, vous les prendrez ?

NICOLE BELLOUBET 
Déjà elles sont prises, puisqu'il y a un plan d'action qui a été proposé et qui devra être suivi.

SIMON LE BARON 
Alors, nous parlions de renouer le dialogue avec les syndicats, est-ce que c'est pour les rassurer que lors de votre discours de prise de pouvoir, de prise de fonction au ministère de l'Education, vous n'avez pas évoqué les classes de niveau ?

NICOLE BELLOUBET 
Parce qu'il n'y a pas de classes de niveau.

SIMON LE BARON 
Elles doivent entrer en vigueur en 5e et 6e…

NICOLE BELLOUBET
Non, non…

SIMON LE BARON
En maths et en français à partir de la rentrée prochaine ?

NICOLE BELLOUBET 
Non, nous fonctionnons sur des classes hétérogènes, c'est-à-dire que dans une classe de 6e il y a tous les élèves qui sont inscrits, ensuite, ce sur quoi nous réfléchissons ce sont des groupes qui puissent répondre à des attentes particulières des élèves, c'est ça qu'a proposé le Premier ministre, et il me semble que cette réponse n'est pas inintéressante, c'est à dire que, on a une classe hétérogène qui fera de l'Histoire-géo, de l'éducation morale et civique, qui fera, etc., et ensuite, sur les matières fondamentales, parce que c'est là que nous sommes…

SIMON LE BARON
Maths, français.

NICOLE BELLOUBET
Maths et français, nous allons…

SIMON LE BARON 
Quelle différence ça a avec des classes de niveau ? d'ailleurs Gabriel ATTAL n'a aucun problème à employer ce terme, il le revendique, vous, vous vous y refusez ?

NICOLE BELLOUBET 
Non, ce n'est pas que je m'y refuse, je dis simplement les classes sont hétérogènes, et ensuite nous mettons en place des groupes pour prendre en charge les élèves dans les matières fondamentales.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 14 février 2024