Interview de M. Thomas Cazenave, ministre délégué, chargé des comptes publics, à France 2 le 19 février 2024, sur l'annonce par Bruno Le Maire de dix milliards d'euros d'économie pour 2024, l'objectif des 3% de déficit pour 2027, la note de la France par les agences de notation, le Rassemblement national et la grève à la SNCF.

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Média : France 2

Texte intégral

ANNE BOURSE
Bonjour Thomas CAZENAVE.

THOMAS CAZENAVE
Bonjour.

ANNE BOURSE
Le couperet est tombé, Bruno LE MAIRE a annoncé dix milliards d'euros d'économie pour 2024, n'est-ce qu'une première coupe ou y en aura-t-il d'autres en 2024 ?

THOMAS CAZENAVE
D'abord, pourquoi devons-nous faire dix milliards d'euros d'économie ? Nous sommes face à un ralentissement de la croissance dans le monde, avec la guerre en Ukraine, le ralentissement chinois, un certain nombre d'incertitudes, qui fait que, finalement, la croissance est moins forte que prévu. Elle résiste en France, mais quand on regarde nos partenaires européens, l'Allemagne était rentrée en récession l'année dernière, le Royaume-Uni…

ANNE BOURSE
Si je peux me permettre, vous vous êtes quand même obstiné avec le taux de 1,4, là où le fonds monétaire international, l'OCDE, par exemple, vous demandaient davantage de prudence. Vous avez maintenu cette croissance de 1,4 ?

THOMAS CAZENAVE
Jusqu'à il y a quelques mois encore, elle résistait très bien, notre économie. Après, c'est notre responsabilité de tout de suite constater que, finalement, la croissance résiste, mais sera moins forte que prévu. Et donc, comme la croissance est moins forte que prévu, les recettes sont moins importantes. Moins d'impôts sur les sociétés, moins de TVA, moins de cotisations. Donc comme les recettes baissent, on doit baisser les dépenses, pour ne pas laisser le déficit public se dégrader…

ANNE BOURSE
Donc, j'y reviens, est-ce que c'est une première coupe de dix milliards, est-ce qu'il y en aura d'autres pour 2024 ? Vous dites ce matin : ça suffira ?

THOMAS CAZENAVE
Pour le moment, ça suffira. Mais vous savez que notre objectif avec Bruno LE MAIRE, et c'est l'objectif que nous ont fixé le président de la République et le Premier ministre, c'est : redresser les comptes publics. Qu'est-ce que ça veut dire ? Réduire notre déficit public, c'est un enjeu de justice. Ne pas laisser à nos enfants et à nos petits-enfants financer nos dépenses. Et c'est un enjeu de souveraineté pour notre pays. Maîtriser notre destin.

ANNE BOURSE
Ces dix milliards concernent l'Etat, notamment les ministères. Concrètement, comment ça va se traduire dans les ministères ?

THOMAS CAZENAVE
D'abord, c'est l'exemplarité de l'Etat. Ces dix milliards, c'est l'Etat qui les prend sur ses épaules, et tout le monde va se serrer la ceinture. Tous les ministères sont concernés…

ANNE BOURSE
Ça veut dire quoi, c'est moins de chauffage, on fait moins d'achats de fournitures ?

THOMAS CAZENAVE
Ça veut dire très concrètement qu'on va d'abord baisser les dépenses de fonctionnement de l'Etat, réduire, réduire la dépense. On va faire 750 millions d'euros d'économies sur nos achats. On va réduire les surfaces de bureaux de près de 25% d'ici 2030. L'année prochaine…

ANNE BOURSE
Vous allez vendre des bâtiments, par exemple ?

THOMAS CAZENAVE
On va réduire, oui. On a déjà décidé de réduire la surface. On a 25 millions de mètres carrés de bureaux. Par exemple, dès l'année prochaine, on va réduire les déplacements des agents publics de près de 20%. On va…

ANNE BOURSE
Ça veut dire quoi, moins d'agents publics sur le terrain ?

THOMAS CAZENAVE
Ça veut dire moins de déplacements professionnels. On peut utiliser la visio, on peut être…, de manière générale, on peut bâtir un Etat plus sobre. Je suis convaincu que c'est faisable, et je crois aussi que c'est normal que l'Etat s'applique à lui-même cette exigence de baisse de la dépense, et donc d'une certaine manière, de bonne gestion.

ANNE BOURSE
Il y aura des suppressions d'emplois ?

THOMAS CAZENAVE
Il y aura 700 millions d'euros d'économie sur les dépenses de personnels dès l'année prochaine. Ça peut vouloir dire des recrutements qui seront décalés dans le temps. Nous prenons nos responsabilités, parce que sans attendre, nous souhaitons réagir et baisser la dépense publique de l'Etat. Donc ce sont des dépenses de fonctionnement, vous le disiez, mais c'est aussi un certain nombre de projets qu'on peut reporter, par exemple, de projets que nous soutenions à l'international avec l'aide publique au développement, ou d'autres projets qu'on va revoir. C'est le cas du compte personnel formation, de MaPrimeRenov'…

ANNE BOURSE
Justement, MaPrimeRenov', ça concerne, là, directement le quotidien des Français. 1 milliard de moins finalement dans l'enveloppe initialement prévue. Est-ce que vous maintenez les 200.000 rénovations globales que vous visiez pour cette année ou est-ce que ça veut dire qu'il y en aura moins ?

THOMAS CAZENAVE
Aujourd'hui, on révise le budget que l'on va consacrer à MaPrimeRenov'. Il va continuer à augmenter, mais de manière moins importante. Pourquoi ? Parce que, d'abord, on doit faire des économies. Il le dire aux Français. Et d'autre part, parce que Christophe BECHU a entrepris une révision du diagnostic de performance énergétique qui peut changer le nombre global de logements à…

ANNE BOURSE
Donc, moins de rénovations ?

THOMAS CAZENAVE
Oui, bien sûr, moins de rénovations, et c'est normal qu'on révise les dispositifs. Sur le compte personnel formation par exemple…

ANNE BOURSE
Mais c'est au nom de la transition écologique quand même. Donc, là, vous sacrifiez quelque part aussi la transition écologique, c'est moins de logements rénovés ?

THOMAS CAZENAVE
Sauf qu'on n'a jamais autant dépensé en matière de transition écologique. Le budget consacré à MaPrimeRenov' va continuer à augmenter, mais un peu moins vite, et c'est notre responsabilité de le faire. Et je le disais, ça va concerner aussi d'autres champs de politique publique, par exemple, le compte personnel formation, on consacre plus de 2 milliards d'euros au CPF. On va demander à celles et ceux qui en bénéficient de contribuer. C'était une décision qu'on avait prise en 2023, et on souhaite la mettre en oeuvre dès cette année.

ANNE BOURSE
Vous maintenez l'objectif des 3% de déficit pour 2027 ?

THOMAS CAZENAVE
Ah oui, c'est absolument indispensable que nous redressions nos finances publiques, après le quoi qu'il en coûte, nous avons protégé très largement tous les Français, les entreprises, les commerçants, les associations, les collectivités territoriales. Nous ne pouvons pas laisser les finances publiques dans cette situation, c'est la raison pour laquelle on a pris cette décision immédiate d'effort sur l'Etat de 10 milliards d'économie dès maintenant.

ANNE BOURSE
Ce sera plus de 12 milliards l'année prochaine pour 2025 ?

THOMAS CAZENAVE
Et nous devons construire le budget de l'année prochaine dans le même temps. Vous savez que cet objectif a été fixé à plus de 12 milliards d'euros d'économie. Et on verra, compte tenu de la révision de la croissance, il est fort probable que nous ayons à faire plus de 12 milliards d'économie supplémentaire l'année prochaine.

ANNE BOURSE
Les agences de notation rendront la note de la France au printemps. Est-ce que vous craignez une dégradation, et qu'est-ce que ça veut dire, là aussi, pour l'économie française ?

THOMAS CAZENAVE
Nous mettons tout en oeuvre pour nous adapter. Nous n'avons pas perdu de temps. Nous avons constaté que les recettes étaient moins importantes, que la croissance économique ralentissait, donc immédiatement, et je crois que c'est une décision inédite, d'annuler, d'annuler dans le budget de l'Etat dix milliards d'euros. Je pense que c'est un acte de responsabilité, de réactivité, et je pense que ça doit convaincre nos partenaires du sérieux de notre gestion des finances publiques, et surtout, de notre détermination avec Bruno LE MAIRE, du fait que nous ne laisserons pas les finances publiques dériver.

ANNE BOURSE
Ces agences de notation rendront leur note quelques semaines ou quelques jours, pour certaines, avant les élections européennes. Est-ce que ça pourrait donner quelques voix justement au Rassemblement national si la note était dégradée ?

THOMAS CAZENAVE
Ecoutez, moi, je n'ai pas de leçon de gestion des finances publiques à recevoir du Rassemblement national qui, à l'Assemblée, soutient à chaque fois des dépenses les plus importantes. Ce qui est certain, c'est que nous réagissons immédiatement, avec cette décision inédite de dix milliards que nous appliquons d'abord à l'Etat. On veut bâtir un Etat exemplaire, sobre, et je crois que c'est ça qui sera gage du sérieux et de la bonne gestion de nos finances publiques.

ANNE BOURSE
Le Rassemblement national, qui a annoncé l'arrivée sur sa liste de l'ancien patron de l'agence Frontex, qui est chargé du contrôle des frontières européennes. Quand est-ce que vous, vous aurez un candidat en tête de liste ? Il y a Bernard GUETTA qui était à votre place vendredi dernier, qui s'est dit intéressé. Quand est-ce que vous aurez un candidat ?

THOMAS CAZENAVE
On aura un candidat tout prochainement. Mais la bataille des européennes a déjà commencé. Nous défendons une vision de l'Europe puissante, une vision de l'Europe qui protège. On considère que face aux tumultes du monde, ensemble, nous sommes plus forts face au Rassemblement national qui se cache d'une certaine manière, qui cache son projet européen, qui a un projet de sortie, sortie des traités, et de fait, sortie de l'Union européenne, de détricoter l'Europe qui nous protège, qui nous protège face aux périls du monde. On le voit avec le conflit russe aux portes de nos frontières. Mais on l'a vu pendant la crise du Covid, on l'a vu pendant la crise économique.

ANNE BOURSE
Le Rassemblement national, il est dans l'arc républicain pour vous ?

THOMAS CAZENAVE
Le Rassemblement national, moi, j'étais parlementaire avant d'être ministre, ont des députés, des députés qui sont légitimes. Ils ont été élus par les Français. En revanche, je ne coconstruis rien avec le Rassemblement national. Je les combats, parce que…

ANNE BOURSE
Ils sont dans l'arc républicain, parce que ce matin, il y a une interview d'Emmanuel MACRON dans L'Humanité, qui dit qu'ils ne sont pas dans l'arc républicain, il y a quelques jours, Gabriel ATTAL disait : ils sont dans l'arc républicain…

THOMAS CAZENAVE
Mais ce n'est pas une question de mots. La question, c'est : est-ce qu'ils ont…

ANNE BOURSE
Ah, si, les mots sont importants quand même…

THOMAS CAZENAVE
Est-ce qu'ils ont des députés qui sont légitimes ? La réponse est oui. Ils ont été élus par les Français. Est-ce qu'on construit avec le Rassemblement national ? La réponse est non. Je les combats, nous les combattons. C'est une entreprise depuis le début de dissimulation, Ils arrivent cachés. On l'a vu sur les retraites, on l'a vu sur la loi Immigration, on le voit sur l'Europe. Donc on combat le Rassemblement national tout en reconnaissant que leurs représentants sont parfaitement légitimes, puisque ce sont les Français qui ont choisi qu'ils y siègent.

ANNE BOURSE
Il n'y a pas de divergences au sommet de l'Etat entre le Premier ministre et Emmanuel MACRON ?

THOMAS CAZENAVE
Je ne crois pas.

ANNE BOURSE
La grève à la SNCF se termine dans quelques minutes, à 8h, le préavis est terminé. Une incertitude plane déjà sur le week-end prochain. Etes-vous pour l'instauration d'un service minimum ?

THOMAS CAZENAVE
D'abord, le droit de grève, c'est un droit fondamental. En revanche, je suis comme beaucoup de Français, je considère qu'organiser cette grève au moment où des Français veulent partir en vacances, ont planifié leur départ en famille, c'est quand même… ça met beaucoup de gens dans une situation très difficile, délicate. Et je considère que le dialogue social doit quand même nous amener à trouver des solutions pour éviter de pénaliser des millions de Français qui attendaient ces vacances avec impatience.

ANNE BOURSE
Vous parlez de dialogue social, ça ne veut pas dire une nouvelle loi pour un service minimum ?

THOMAS CAZENAVE
Il y a des initiatives parlementaires, il y a des annonces…

ANNE BOURSE
Oui, c'est pour ça que je vous pose la question, notamment la droite et du Centre…

THOMAS CAZENAVE
Il y a des annonces de propositions de loi qui auront l'occasion d'être débattues. On verra le contenu de leur texte. Mais moi, j'en appelle surtout au dialogue et à la responsabilité, y compris des organisations syndicales. Je crois qu'on doit pouvoir faire grève dans notre pays. On doit pouvoir débattre, négocier, mais il faut aussi tenir compte du contexte, et le faire en plein week-end de vacances, de chassés-croisés, je ne trouve pas ça très responsable.

ANNE BOURSE
Merci Thomas CAZENAVE.

THOMAS CAZENAVE
Merci.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 20 février 2024