Texte intégral
Madame la présidente de la Commission européenne,
Chère Ursula Von Der Leyen,
Monsieur l'envoyé spécial du président des États-Unis d'Amérique,
Cher John Kerry,
Monsieur le secrétaire général de l'OCDE,
Cher Mathias Corman,
Cher Eamon Ryan,
Mesdames et Messieurs les ministres,
Je veux vous dire tout le plaisir que j'ai à participer aujourd'hui à ces 50 ans de l'Agence internationale de l'énergie. Elle a été créée en 1974 en pleine crise pétrolière et cette agence a été une réponse efficace à la crise pétrolière. Elle a créé des stocks stratégiques. Elle a garanti notre sécurité d'approvisionnement en énergie fossile. Tout le paradoxe est que 50 ans plus tard, en 2024, nous voulons nous débarrasser des énergies fossiles et que le défi a radicalement changé. Moins d'énergie fossile, plus d'énergie décarbonée et faire face à la crise climatique, voilà le grand défi de l'Agence internationale de l'énergie et notre grand défi collectif.
Il y a urgence à nous libérer des énergies fossiles qui représentent encore 80% du mix mondial, 60% de notre mix national. Cela doit nous amener à abandonner le plus vite possible, comme la COP l'a indiqué, le charbon et accélérer, comme la Commission européenne le fait, la décarbonation de nos usages. Nous devons avoir une stratégie mondiale de décarbonation de notre énergie. Alors comment ?
D'abord, pour avoir une stratégie efficace, il vaut mieux commencer par faire le travail chez soi. C'est ce que nous faisons en France et c'est ce que nous faisons en Europe. En France, notre stratégie est claire. Elle a été fixée par le président de la République, Emmanuel Macron, il y a maintenant plus de deux ans. Sobriété et efficacité énergétique. Nous avons réduit de 12% notre consommation d'électricité et de gaz l'hiver dernier, preuve que nos concitoyens sont prêts à faire ces efforts de sobriété et que cela ne dépend que de notre détermination.
En deuxième lieu, le développement des énergies renouvelables, avec ce défi considérable d'accélérer le déploiement des panneaux solaires ou des champs d'énergie éolienne.
Et enfin, c'est la singularité française, nous croyons à l'énergie nucléaire. Nous pensons même qu'elle est indispensable pour réussir la transition climatique et maintenir à la fois la croissance, l'industrie et la lutte contre le réchauffement climatique. Nous construirons donc 6 nouveaux réacteurs nucléaires à partir de 2035 et nous travaillons en collaboration notamment avec les États-Unis d'Amérique, sur les SMR, les Small Modular Reactors et sur les années les Advanced Modular Reactors parce que nous croyons que l'innovation en matière nucléaire est un facteur de décarbonation. Et je rejoins ici entièrement ce qui a été dit par le président de l'agence.
Nous devons aussi avoir une stratégie d'indépendance sur les minéraux critiques qui est portée avec beaucoup de détermination par la présidente Ursula Von Der Leyen, car ça ne sert à rien d'avoir l'indépendance énergétique sur les véhicules électriques, sur les batteries électriques ou sur les éoliennes. Si nous dépendons à 90% de la Chine pour le lithium, le cobalt ou les matériaux rares qui sont dans ces instruments décarbonés. Cette stratégie nationale, elle n'est effective et elle est efficace que dans un cadre européen. Et l'Europe doit apporter la preuve concrète qu'il est possible d'être un continent puissant économiquement et totalement décarboné. Je crois même que c'est cela le modèle européen.
C'est cela que défend la présidence de la Commission européenne, c'est cela que nous défendons à 27 : apporter la preuve tangible que nous pouvons être une grande puissance économique et un continent zéro carbone. Voilà notre ambition pour le XXI? siècle. Voilà l'ambition que nous portons et je salue toutes les décisions qui ont été prises par la Commission européenne et par Ursula Von Der Leyen, le Fit For 55, le Net Zero Industry Act ou le Critical Raw Materials Act qui répondent à tous les défis que j'ai mentionnés.
Je voudrais juste insister pour terminer, avant de mentionner ce que peut être l'orientation de l'agence dans les années qui viennent, deux risques dont nous devons être conscients.
Le premier risque est un risque social. Il existe un risque social majeur si nous n'accompagnons pas nos concitoyens et certaines filières économiques, industrielles ou agricoles. On l'a encore vu récemment dans la transition climatique. La transition climatique ne doit pas être une douleur, elle ne doit pas être une inquiétude et elle ne doit pas ruiner nos producteurs agricoles ou nos producteurs industriels. Elle doit être une solution, pas un problème. Et nous, décideurs politiques, nous devons avoir conscience qu'à chaque fois que nous imposons une norme, une règle environnementale, une obligation de transition sur le fioul pour passer du fossile à la décarbonation, pour passer du pétrole ou du diesel à l'électrique, il faut qu'il y ait une solution. Il ne suffit pas de dire : arrêtez avec vos tracteurs qui fonctionnent au diesel. Il faut qu'il y ait une solution avec des véhicules électriques. Il ne suffit pas de dire au secteur de la construction immobilière, il faut vous décarboner. Il faut aussi des solutions techniques. Il ne suffit pas de dire à l'aéronautique qu'il faut utiliser du SAF, du fuel décarboné ; il faut aussi avoir suffisamment de fuel décarbonée à un prix compétitif pour que cela ne ruine pas des secteurs industriels entiers ou ne mette pas en difficulté certains de nos compatriotes.
La deuxième alerte est liée à la première. Attention aux risques de grandes divergences énergétiques entre les nations et les continents. Nous, Européens, sous le leadership d'Emmanuel Macron, des chefs d'État et du président de la Commission européenne, Ursula Von Der Leyen, nous décarbonons vite et nous décarbonons bien et c'est cher. C'est coûteux. Quand nous investissons sur un nouveau four électrique. A Dunkerque sur le plus grand site industriel de production d'aluminium et d'acier en France et un des plus grands en Europe. Ce sont des investissements qui se chiffrent en milliards d'euros. Et l'aluminium ou l'acier qui va sortir de cette usine, il est 20% plus cher que l'acier ou l'aluminium qui est produit en Turquie, en Chine ou dans le reste de l'Asie. Il faut donc que nous fassions attention qu'il n'y ait pas d'un côté des pays qui produisent à des coûts très faibles avec une compétitivité plus forte et qui vendent bien leurs produits parce qu'il n'y a plus de level playing field et le continent européen ou d'autres nations qui produiraient des produits excellents du point de vue environnemental, mais trop coûteux du point de vue économique. Ce risque de grandes divergences économiques, je sais que la présidente de la Commission européenne en a pleinement conscience. Le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières est une première réponse efficace. Il faudra certainement réfléchir à d'autres réponses pour garantir tout simplement un commerce équitable. Car le risque de cette grande divergence énergétique entre ceux qui décarbonent vite et ceux qui ne décarbonent pas, c'est une nouvelle guerre commerciale entre ceux qui décarbonent et ceux qui ne décarbonent pas, ceux qui investissent dans la lutte contre le réchauffement climatique et ceux qui investissent moins ou moins vite.
C'est un des sujets majeurs, il me semble, des grands défis qui nous attendent pour le XXI? siècle. Un des grands sujets que le président de la République a soulevés à plusieurs reprises et que je voudrais rappeler ici. Un tout dernier mot enfin, sur le rôle de l'Agence internationale de l'énergie. Je pense que votre rôle, monsieur le Président, cher Fatih, est décisif et je vois au moins 4 rôles, quatre missions essentielles.
Le premier, c'est l'expertise. Nous sommes dans un monde où le mensonge vaut la vérité, où on peut dire n'importe quoi sur le climat, n'importe quoi sur le réchauffement climatique, n'importe quoi sur les énergies, n'importe quoi sur la science et ça devient de la vérité. Jamais votre expertise n'a été aussi précieuse parce que nous avons besoin de science, nous avons besoin de chiffres, nous avons besoin de savoirs, nous avons besoin de connaissances pour réussir la lutte contre le réchauffement climatique, et votre agence a un rôle déterminant à jouer.
Le deuxième rôle, c'est l'innovation. John Kerry l'a dit parfaitement dans son intervention : l'innovation est la solution. Si nous voulons conjuguer la croissance et le climat, si nous voulons à la fois avoir moins d'émission de CO2 et demain zéro émission de CO2, mais le même niveau de vie, le même accès au savoir, la même santé, le même accès à la planète ou le même accès aux différents savoirs ou le même accès ou à l'espace, nous devons impérativement accélérer sur l'innovation pour réussir notre transition climatique. La France, de ce point de vue-là, est un exemple puisque je rappelle qu'elle a réussi à découpler sa croissance et ses émissions de CO2. Preuve, pour revenir à ce que je disais sur la science, qu'il est possible d'avoir plus de croissance et moins de CO2 et que le découplage est accessible à toutes les nations qui le veulent.
Enfin, vous avez un rôle de dialogue, il est essentiel pour nous permettre d'échanger entre nous et je salue ce qui a été fait à Singapour et le dialogue de haut niveau qui a été mené ce matin.
Et enfin un tout dernier sujet, et je reprends ma casquette de ministre des Finances plus que de ministre de l'Energie, il faut continuer à nous battre pour le financement. Je sais que John Kerry le fait matin, midi et soir, 365 jours sur 365. Vous pouvez compter sur John Kerry, sur le soutien de la France et sur notre soutien collectif. Mais soyons aussi imaginatifs sur le financement que nous le sommes sur les nouvelles technologies dans une période où tous les budgets de toutes les grandes nations de l'OCDE sont contraints après la crise du COVID et après la crise ou l'inflation. Nous devons continuer à travailler sur de nouvelles possibilités de financement.
Comptez sur la France, comptez sur le président de la République, comptez sur l'ensemble des ministres du gouvernement français pour vous aider dans ce domaine.
Merci à toutes et à tous.
Source https://www.economie.gouv.fr, le 23 février 2024