Déclaration de M. Stéphane Séjourné, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, sur les relations entre la France et l'Argentine, le conflit en Ukraine et la négociation de l'accord entre l'Union européenne et les pays du Mercosur, à Buenos Aires le 19 février 2024.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Déplacement en Argentine ; Conférence de presse conjointe de M. Stéphane Séjourné, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, et de son homologue argentin, Mme Diana Mondino

Texte intégral

Muchas gracias. Por la primera vez en el día voy a hablar en francés. [Merci beaucoup. Pour la première fois aujourd'hui, je vais m'exprimer en français].

Muchas gracias, chère Diana,

Canciller [Madame la Ministre],

Mesdames et Messieurs,

C'est donc, tu l'as dit, en Argentine que j'ai souhaité effectuer mon premier déplacement en Amérique latine et ce n'est d'ailleurs pas un hasard parce que vous-même, vous avez choisi Paris, en décembre, tu l'as rappelé, avec une première visite à l'étranger. Cela en dit long sur l'amitié qui unit nos deux pays et donc merci pour ton accueil très chaleureux.

La relation entre la France et l'Argentine est historique et dense. Elle s'appuie sur des valeurs communes, notamment en matière de droits de l'Homme, qui rapprochent les deux pays dans les enceintes multilatérales. L'Argentine est un partenaire politique, avec lequel nous défendons les principes du droit fondamental face à de multiples crises. C'est aussi évidemment un partenaire économique, avec lequel nous cherchons à développer une relation tournée vers l'avenir. Les entreprises françaises sont présentes et nombreuses ici dans tous les secteurs. Par exemple sur le lithium elles vont d'ailleurs continuer à investir. Nos coopérations s'inscrivent au plus près des enjeux régionaux et mondiaux, et se sont conçues pour répondre aux besoins notamment de nos deux jeunesses, qui nécessitent évidemment beaucoup d'investissements à la fois économiques et culturels.

Les crises se bousculent dans le monde. Le monde se déstabilise comme nous l'avons évoqué à un certain moment avec Diana. Face à cela, plus que jamais, il faut se parler et mobiliser tous nos partenaires. Certains veulent opposer le "Nord" et le "Sud" et ils font de cette frontière une frontière artificielle et un prétexte pour que la fragmentation du monde se poursuive. Cette logique n'est pas fidèle à la réalité. C'est une logique que ne partage pas la France. Celle de l'amitié des peuples est beaucoup plus profonde, celle de tous les possibles partenariats que nous avons évoqués. En confiance et en amitié, nous avons pu évoquer les grands enjeux internationaux sur lesquels nous avons des convergences et pour lesquels nous coordonnons nos actions.

Notre détermination est pleine et entière pour soutenir l'Ukraine. C'est peut-être le premier sujet sur lequel nous avons un accord. Les autorités argentines ont exprimé leur soutien à l'Ukraine. Je le salue et me réjouis que le Président Milei ait pu rencontrer le Président Zelensky le 10 décembre dernier. Nous avons confirmé notre soutien durable à l'Ukraine, qui est une nécessité. C'est une nécessité pour l'Europe mais en réalité c'est une nécessité également pour le monde entier et je crois que nous partageons pleinement ces principes. C'est également un moment où la Russie s'en prend à l'Ukraine et assassine l'un de ses opposants Alexeï Navalny. Le régime de Vladimir Poutine a une fois de plus montré sa vraie nature.

Nous avons également évoqué la situation au Proche-Orient. Nous soutenons le droit d'Israël à se défendre dans le cadre du droit international, et accordons une priorité absolue à la libération des otages retenus à Gaza. Il y a trois compatriotes français qui sont encore retenus en otage. La situation sur le terrain est catastrophique et la position de la France est constante : les combats doivent cesser. Seule la solution des deux Etats garantira une paix juste et durable pour la région.

Ensemble, nous serons très actifs également, chère Diana, au sein du G20. Tous les deux et puis avec l'ensemble de nos partenaires. Ce sera l'occasion d'amplifier notre coopération et d'apporter notre soutien, aussi, à la présidence brésilienne. Elle est pleinement et elle doit pleinement s'engager pour faire de ces grands défis de notre temps des défis collectifs : climat, pauvreté, gouvernance mondiale : nous avons besoin de cette énergie et, également, d'un arbitre de consensus.

L'Argentine s'engage pleinement pour le multilatéralisme et sa force de dialogue. Je salue à ce titre le projet d'adhésion de l'Argentine à l'OCDE, nous avons évoqué ce point-là. Ce projet marque l'attachement du gouvernement argentin aux valeurs de la démocratie libérale. C'est d'ailleurs pleinement cohérent avec les efforts déployés pour que l'Argentine reprenne toute sa place dans les échanges internationaux. C'est donc très réjouissant, chère Diana.

Enfin, nous avons pu évoquer le projet d'accord commercial entre l'Union européenne et les pays du Mercosur. Vous connaissez la position de la France. La France est opposée à le signer en l'état parce qu'il ne répond plus aux exigences de notre temps. Les attentes de nos concitoyens, des deux côtés de l'Atlantique, notamment en matière climatique, environnementale et sanitaire, sont légitimes et justes. Nous devons donc travailler pour y répondre et être au niveau des ambitions politiques que nous nous fixons avec les pays du Mercosur.

Nous sommes attachés à pouvoir discuter, et je le dis ici avec une forme de solennité, d'un accord politique avec les pays du Mercosur au moment où les démocraties un peu partout dans le monde deviennent minoritaires. Les pays du Mercosur, dont l'Argentine, sont solidement et durablement ancrés du côté des démocraties libérales. Et cet ancrage, c'est aussi l'ADN de l'Union européenne et c'est pour cela que notre dialogue est si important. C'est pour cela que nous devons également trouver une voie de passage pour un dialogue constructif en dehors de cet accord.

Termino. Fue muy largo. [Je termine. J'ai été très long]. J'ai hâte que nos discussions puissent se poursuivre. Nos premiers échanges confirment l'esprit d'amitié et d'engagement qui caractérise la relation historique entre nos deux pays. Je serai là pour établir et prolonger ce dialogue entre nos deux peuples. Estoy aquí para estrechar políticamente la relación entre Francia y América Latina, y quiero abrir nuevas oportunidades con ustedes para el beneficio, creo, de nuestros dos pueblos tanto económicamente, culturalmente y en las relaciones que tendremos en las organizaciones internacionales. [Je suis ici pour renforcer politiquement la relation entre la France et l'Amérique latine. Je souhaite ouvrir avec vous de nouvelles opportunités pour le bénéfice de nos deux peuples, tant en matière économique et culturelle que concernant la relation que nous allons nouer dans les organisations internationales].

Muchas gracias por la visita y claramente sos bienvenida en París cuando vos quieras [Merci beaucoup pour cette visite. Vous êtes la bienvenue à Paris, lorsque vous le souhaitez].


Q - Monsieur le Ministre, une petite question sur le développement du jour, plusieurs capitales de l'Union européenne aujourd'hui ont commencé à convoquer leur Ambassadeur de Russie sur le cas d'Alexeï Navalny, le Président Biden a dit envisager des sanctions supplémentaires, je voulais vous demander si la France envisageait une démarche ou une initiative en ce sens, à la date d'aujourd'hui. J'en profite pour demander à Madame Mondino quelle est la position de son gouvernement à la suite du décès de M. Navalny.

R - Pour être très clair, j'ai demandé la convocation de l'Ambassadeur russe, aujourd'hui à 18h30, comme d'ailleurs un certain nombre de pays européens. Comme je vous le disais, le régime de Vladimir Poutine a une fois de plus montré sa vraie nature et donc dans ce cadre-là nous suivons [le mouvement], nous irons également dans cette procédure qui est la convocation de l'Ambassadeur.

Q - Buenas tardes, quisiera preguntarles puntualmente sobre la negociación del acuerdo Unión europea-MERCOSUR. Parece en este minuto estar en un punto muerto. Entiendo que tanto Argentina como Francia, a pesar de las diferencias con lo negociado hasta este punto, quieren un acuerdo, en otros términos pero lo quieren. Qué debería hacer cada bloque, digamos bloques en conjunto, para dinamizar estas negociaciones, y si estas negociaciones deberían recomenzar de cero o retomarse hasta lo negociado hasta 2018?

[Traduction de courtoisie : Bonsoir, je souhaiterais vous interroger à propos de la négociation de l'accord Union européenne-Mercosur, qui semble actuellement être au point mort. Je comprends que tant l'Argentine comme la France, malgré leurs différences avec ce qui a été négocié jusqu'ici, souhaitent un accord, un accord différent certes, mais qu'elles le souhaitent. Que devrait faire chaque bloc, disons chaque bloc dans son ensemble, pour dynamiser ces négociations? Est-ce que ces négociations devraient recommencer à zéro ou être reprises à partir de ce qui avait été négocié jusqu'en 2018?]

R - Pour être très clair, vous connaissez la position de la France sur l'accord en l'état, je viens de la rappeler. J'ai rappelé, et je le rappellerai aux pays du Mercosur, que notre coopération est aussi politique, et qu'au moment où les démocraties deviennent de plus en plus rares sur la planète, la plupart de ces pays, eux, élisent leurs responsables et partagent l'ADN en commun avec l'Union européenne, qui est la démocratie. Néanmoins, pour compléter, on trouvera d'autres éléments de discussion. On a un travail bilatéral, à la fois sur la coopération politique, sur la coopération culturelle, sur les éléments d'investissements en Argentine qui doivent être vus avec nos responsables politiques européens, la France évidemment et nos ambassades respectives, et sur ce sujet nous continuerons à travailler.

Q - Monsieur le Ministre, bonsoir, le voy a hacer una pregunta en castellano si usted me permite. Han mencionado, ambos cancilleres, la profundidad de los lazos históricos entre Francia y Argentina, quisiera saber más allá de estos vínculos que existen, que es lo que explica y justifica que el primer viaje de un ministro de relaciones exteriores de un miembro del G7 a la Argentina, sea del canciller Francés después de que el primer viaje de la canciller Mondino al internacional haya sido en Francia ? ¿Concretamente que quiere decir en la relación hoy? ¿De qué manera se vive la relación? Por otra parte, quisiera saber ya que se habló de eso hace un tiempo, si está en vista una visita del Presidente Milei a Francia y una visita del Presidente Macron a la Argentina?

[Traduction de courtoisie : Monsieur le Ministre, bonsoir. Je vais vous poser une question en espagnol si vous me le permettez. Vous avez mentionné, chacun des deux Ministres, la profondeur des liens historiques entre la France et l'Argentine. Je souhaiterais savoir, au-delà de ces liens qui existent, qu'est-ce qui explique et justifie que le premier déplacement d'un ministre des Affaires étrangères d'un membre du G7 en Argentine soit celui du ministre des Affaires étrangères français, après que le premier voyage de la Ministre Mondino à l'étranger ait été en France? Concrètement, qu'est-ce que cela signifie pour la relation aujourd'hui? Comment se vit cette relation? Par ailleurs, je souhaiterais savoir, car cela a été évoqué depuis un certain temps, s'il y aura une visite du Président Milei en France et une visite du Président Macron en Argentine?]

R - Dejaré los dos presidentes oficializar si habría que oficializar algo sobre las visitas. No es mi responsabilidad por el momento. No tengo noticias pero hubo intercambios de invitaciones, no sé cuándo se podría dar, pero se discuta también de eso.

[Traduction de courtoisie : je laisserai les deux Présidents l'officialiser s'il y a quelque chose à officialiser concernant les visites. Ce n'est pas ma responsabilité pour le moment. Je n'ai pas d'informations à communiquer mais il y a eu des échanges d'invitations. Je ne sais pas quand cela pourrait se concrétiser mais l'on discute aussi de cela].

Concernant tous les thèmes que nous avons abordés (l'Ukraine, le Sud global et le Nord global que certains pays essaient d'instrumentaliser pour leurs profits et pour leurs propres intérêts...) nous partageons l'idée que ce n'est pas seulement un problème pour l'Europe, mais que c'est aussi un problème pour le monde. A ce titre, le changement de position aujourd'hui de la Russie est un problème pour le monde entier.

Dans ce cadre, je veux dire que l'ensemble des pays du Mercosur comptent aujourd'hui pour l'Europe, comptent pour la France. On sera demain tous les deux au G20 pour préparer un certain nombre de débats qui devraient nous réunir sur un certain nombre de positions. Et puis encore une fois ce que je veux dire c'est que la France sera toujours du côté des démocraties. On peut avoir des désaccords politiques, et par ailleurs on en aura probablement, et on peut aussi avoir des désaccords entre les gouvernements sur des positionnements politiques ou sur des règles, mais la France sera toujours aux côtés des démocraties qui donnent la capacité aux peuples de décider par eux-mêmes et de choisir leurs représentants. C'est le cas aujourd'hui C'est le cas aujourd'hui dans la majeure partie de l'Amérique latine, c'est le cas en Argentine, donc gardons ce lien-là et cette relation entre nos deux peuples. Comme je le disais également au Président Milei, 18% aujourd'hui des Argentins ont des ascendances, de la famille ou du sang français, puisqu'entre le Béarn, entre le Pays Basque, entre un certain nombre de régions, au XXème siècle, beaucoup de nos Français sont venus ici fonder une famille, travailler, et donc oui, il y a des liens historiques entre nos deux peuples. C'est pour cela aussi que ce lien est incarné par cette visite ministérielle et je pense que c'est bien.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 février 2024