Texte intégral
ANNE BOURSE
Bonjour Christophe BECHU. Les annonces, hier, du Premier ministre ont visiblement mis les agriculteurs sur leur faim. Les actions continuent. Le dialogue devient-il impossible ?
CHRISTOPHE BECHU
Je ne crois pas du tout ça. Je crois qu'il y a un ras-le-bol qui s'est exprimé par rapport à des empilements normatifs, par rapport à des baisses de revenus. Et en l'espace de quelques semaines, ce sont 32 chantiers… 62 chantiers (pardon) qui ont été ouverts ; 32 qui ont déjà été refermés parce que les résultats ont été obtenus et une trentaine qui se poursuivent. 80%…
ANNE BOURSE
Vous voyez bien que ça ne suffit pas ?
CHRISTOPHE BECHU
Mais pendant des années, les agriculteurs ont parfois eu le sentiment qu'ils parlaient à des murs, des murs de normes, des murs de difficultés dans leurs relations avec la grande distribution. Et on est à quelques heures d'un moment qui, tous les ans, est l'occasion pour la grande famille de l'agriculture au sens large, de se retrouver, qu'il y ait des attentes après les annonces qui ont été faites, elles sont légitimes… Qu'on soit en train de travailler pour faire en sorte que ces attentes, elles soient comblées, c'est exactement ce que nous faisons. Quand je sortirai de ce plateau, j'ai précisément rendez-vous avec des organisations agricoles sur une partie des chantiers qui dépendent de mon ministère.
ANNE BOURSE
Justement, on voit bien la FNSEA… Vous dites que vous avez rendez-vous avec elle dans une heure. Elle a été reçue aussi à l'Elysée, à Matignon. Est-ce que c'est le seul interlocuteur ?
CHRISTOPHE BECHU
Non. Les autres organisations syndicales l'ont été également. On a une organisation syndicale qui a un poids à l'intérieur de l'agriculture démocratiquement par certains…
ANNE BOURSE
Qui est remis en cause d'ailleurs.
CHRISTOPHE BECHU
Mais qui, quand vous regardez les élections, qui dirigent la quasi-totalité des chambres départementales de l'agriculture et ce sont des élections qui…
ANNE BOURSE
Alors, pour être précis, il y a 102 chambres ; ils en dirigent 97, mais ils ont 55% des voix.
CHRISTOPHE BECHU
Oui, mais vous savez, de manière générale, en matière de démocratie représentative, il arrive que quand vous faites plus de 51% des voix, vous ayez plus de 51% des sièges. Ce n'est pas propre à l'agriculture.
ANNE BOURSE
Est-ce qu'on n'arrive pas à ce problème de représentativité qui fait qu'aujourd'hui, des agriculteurs sont toujours sur le terrain et font des actions ?
CHRISTOPHE BECHU
Vous savez, quand vous êtes le Gouvernement, vous discutez avec ceux qui sont légitimes et qui ont été démocratiquement désignés. C'est le cas aujourd'hui de ces 97 présidents de chambres. Et le poids de la FNSEA, objectivement, il est majoritaire dans la profession.
ANNE BOURSE
Le Premier ministre a martelé, hier, que l'agriculture fait partie des intérêts fondamentaux de la nation. Est-ce que, pour calmer la colère, les ambitions environnementales sont vues à la baisse ?
CHRISTOPHE BECHU
Je ne crois pas du tout ça. Vous vous rendez compte qu'aujourd'hui, 30% de ce que nous mangeons, on l'importe. Ce n'est pas une bonne nouvelle pour l'écologie. Se dire qu'on fait venir de loin des choses qu'on pourrait cultiver ici parce qu'on a les terres, parce qu'on a les femmes, parce qu'on a les hommes, parce qu'on a le climat, c'est un échec pour l'agriculture, mais c'est aussi un échec pour l'écologie. Si à force de prendre des règles, on met sous cloche une partie du pays et que cela aboutit à ce qu'on contribue à de la déforestation ailleurs…
ANNE BOURSE
Donc, il faut desserrer l'étau sur les normes environnementales ?
CHRISTOPHE BECHU
Il faut faire en sorte d'éviter que l'écologie finisse par s'opposer à l'écologie. Il y a des cas dans lesquels on a besoin de préserver des règles environnementales. Quand il est question de santé en particulier, il y a des lignes rouges. Il y en a d'autres où on a fini par mettre des choses qui sont tellement complexes qu'à la fin, l'écologie est sur du pair. Et je prends un exemple qui a été au coeur d'une partie des débats, les haies ; Tout le monde sait que les haies, c'est super ; c'est des corridors écologiques, c'est des réservoirs de biodiversité, c'est des lieux qui permettent de stocker du carbone. On a tellement de réglementation (quatorze) que chaque année nous perdons 20 000 kilomètres de haies. Moi, si à la fin, une règle, elle aboutit à ce qu'on s'éloigne de l'objectif, on a le droit de s'interroger sur la pertinence de la règle.
ANNE BOURSE
Vous parlez de la santé. Prenons l'exemple des pesticides. Vous maintenez l'objectif de diminution de 50% de leur usage d'ici 2030. Mais (il y a un mais), vous changez l'indicateur de référence qui permet de mesurer l'utilisation de ces pesticides. Les associations environnementales, depuis hier, sont vent debout ; parlent d'un tour de passe-passe. Ce nouvel indicateur, disent-elles, pourrait faciliter la baisse. S'agit-il, là aussi, d'un renoncement ?
CHRISTOPHE BECHU
Alors, on va se dire les choses de manière très claire. La France s'est engagée dans un plan de baisse des phytos. Qu'on raisonne en Européens sur un sujet de santé et sur un sujet agricole, non seulement ce n'est pas absurde, mais c'est même assez logique. Au nom de quoi on interdirait des produits en France et on laisserait entrer des produits qui viendraient d'Allemagne, d'Italie ou de plus loin, qui contiendraient ces produits dont on pense qu'ils ne sont pas bons pour la santé. Ce serait une grande hypocrisie.
ANNE BOURSE
Mais est-ce que cette nouvelle norme…
CHRISTOPHE BECHU
Avoir un indicateur européen, c'est un premier élément qui permet déjà qu'on objective ce que chacun fait.
ANNE BOURSE
D'harmoniser.
CHRISTOPHE BECHU
Et il faut comprendre qu'on a deux débats. On a un débat sur combien de pesticides on utilise et on en a un autre sur la dangerosité de ces pesticides. Moi, j'aimerais que pour la clarté du débat, tout le monde commence par reconnaître qu'au cours de ces cinq dernières années, dans ce pays, conformément aux engagements du Président de la République, nous avons éradiqué 97% des pesticides les plus dangereux, ce qu'on appelle les CMR 1. Et donc, une partie du débat y porte sur le fait de savoir s'il faut moins de pesticides ou s'il faut d'abord faire en sorte qu'il y ait moins de pesticides dangereux. Très clairement, on peut faire les deux. Et avec l'indicateur européen, on objectivera la situation par rapport à nos voisins. Ça ne nous empêchera pas de continuer à regarder d'où on vient sur l'usage global.
ANNE BOURSE
Je rappelle quand même qu'il y a 70 000 tonnes de pesticides qui sont utilisés en France par an. On est d'accord ?
CHRISTOPHE BECHU
On est d'accord. Et je redis, le Premier ministre a dit " nous maintenons nos objectifs de baisse. "
ANNE BOURSE
Les agriculteurs attendent désormais la parole du chef de l'Etat. Est-ce que vous savez à quoi va ressembler sa visite, samedi ? On parle d'un grand débat. Vous confirmez ?
CHRISTOPHE BECHU
Le Président de la République n'a jamais esquivé les sujets agricoles. Il va tous les ans au salon. Il prend toujours le temps de dialoguer, de discuter avec les agriculteurs. J'ai cru comprendre qu'effectivement, il était dans une optique, cette année, qui consistait à laisser encore plus de place au débat compte tenu du contexte. Il est attaché à ce secteur d'activité qui est crucial, pas seulement pour notre économie, mais aussi pour notre identité. Et je pense qu'il aura une parole forte.
ANNE BOURSE
Il y a un autre sujet qui vous occupe, un autre secteur : la pêche dans le golfe de Gascogne. 450 pêcheurs sont restés à quai pendant un mois pour préserver les dauphins. La pêche a repris hier. Alors, les conditions météo ne sont pas favorables. Est-ce que vous avez un retour de cette expérience ?
CHRISTOPHE BECHU
C'est encore un tout petit peu tôt. On a des premiers chiffres, mais il faut aussi toujours qu'on se méfie des variations météo, des courants, des vents qui peuvent fausser une partie du dispositif. Et donc il nous faut encore quelques jours pour être capables de faire un bilan de ce mois de fermeture. Ce que je peux dire, d'abord, c'est quand même signaler que les 450 bateaux ont parfaitement joué le jeu, que les contrôles qui ont été conduits ont permis de montrer qu'aucun bateau étranger n'est venu dans cette zone et que la sécurisation, à la fois par les autorités civiles et militaires françaises, a permis de s'assurer du respect pendant ce mois de fermeture de cette décision.
ANNE BOURSE
Pour l'instant, on ne sait pas si l'expérience sera renouvelée l'année prochaine parce que vous attendez les résultats. C'est ça ?
CHRISTOPHE BECHU
Je veux des retours d'expérience. Je veux savoir ce que ça a donné. Je veux qu'on fasse un tour d'horizon complet. Et je le dis, je salue ce qui a été la responsabilité des pêcheurs et nous ferons - y compris avec eux, avec les organisations non gouvernementales – un bilan.
ANNE BOURSE
Ils vont toucher rapidement leurs indemnités ?
CHRISTOPHE BECHU
On ouvre la plateforme dans les prochaines heures.
ANNE BOURSE
D'accord. Le Gouvernement serre la vis. 10 milliards d'économies dont un coup de rabot de 1 milliard sur MaPrimeRénov qui sert aux travaux de rénovation énergétique. Comment allez-vous aménager le dispositif pour garder les objectifs ? C'est toujours 200 000 logements à rénover ?
CHRISTOPHE BECHU
Pour être très clair, on était censé augmenter de près de 2 milliards d'euros les crédits de MaPrimeRénov. Donc, en disant " On fait 1 milliard de moins ", en fait, on fera moins de plus, mais on fera bien 1 milliard de plus que l'année dernière. On est donc bien en train d'accélérer sur MaPrimeRénov.
ANNE BOURSE
Oui, mais alors là, on fera…
CHRISTOPHE BECHU
Ce que je peux vous dire, c'est simple…
ANNE BOURSE
Eh bien, 1 milliard de moins.
CHRISTOPHE BECHU
Oui. Mais, Anne BOURSE, j'ai entendu que l'écologie est la variable d'ajustement d'une partie des coupes budgétaires. Pour l'année 2024, il y a 10 milliards de hausse globalement sur l'écologie qui était inscrite dans le budget.
ANNE BOURSE
Et vous maintenez les objectifs ?
CHRISTOPHE BECHU
Au lieu de 10, la hausse ne sera que de 8, compte tenu des coupes budgétaires parce que nous devons tenir compte d'une situation économique qui se dégrade. On va faire en sorte d'abord de simplifier le dispositif. Et je vais être clair avec vous. Début mars, avec la CAPEB et la FFB, nous finaliserons un dispositif qui va nous permettre de simplifier une partie de MaPrimeRénov parce qu'en 2023, on n'a pas dépensé tout l'argent que nous avions.
ANNE BOURSE
Donc vous maintenez l'objectif de 200 000 logements ?
CHRISTOPHE BECHU
On maintient l'objectif. Nous ne ferons pas 200 000 rénovations performantes en 2024. Pas à cause de la baisse budgétaire, parce que les résultats sur l'année 2023, où on en espérait aux alentours de 100 000, ils sont plutôt aux alentours de 70 000. Et pourquoi on en a fait 70 et pas 100 ? Pas parce qu'il n'y avait pas d'argent, parce que les règles, elles étaient tellement complexes qu'on a eu des difficultés à trouver assez de ménage. Donc cette année, nous simplifions pour augmenter le nombre de recours, pour écouter le retour de ce que nous disent les artisans et les professionnels du bâtiment…
ANNE BOURSE
Pour faciliter l'accès.
CHRISTOPHE BECHU
Parce que construire des dispositifs uniquement en chambre, ça ne marche pas bien à la fin.
ANNE BOURSE
Le 9 mars prochain, vous serez à Lille. C'est là qu'aura lieu le premier meeting de lancement de campagne de la majorité pour les européennes. Qui sera la tête de liste sur scène ?
CHRISTOPHE BECHU
Vous le saurez ce jour-là. C'est pour ça que je ne doute pas que vous serez…
ANNE BOURSE
On ne le saura même pas avant ?
CHRISTOPHE BECHU
Vous aussi à Lille, le 9 mars. Et mon travail aujourd'hui au sein du Gouvernement, ce n'est pas de désigner la tête de liste. Ça, c'est la responsabilité du Président de la République. Le plus important, au-delà de la femme et de l'homme qui sera choisi, c'est qu'on entende la voix de ceux qui disent qu'on a besoin d'Europe. Le concours de, à savoir qui tape le plus fort sur les institutions européennes, il a commencé de tous les côtés. Dans le contexte que nous connaissons, avec la guerre en Ukraine, avec la situation géopolitique au Proche-Orient, avec le retour possible de TRUMP aux Etats-Unis, avec les enjeux diplomatiques liés au dérèglement climatique, on a besoin d'Europe. Et aujourd'hui, on entend tous ceux qui vous expliquent qu'il faut moins d'Europe, moins d'Europe, moins d'Europe. Si on avait moins d'Europe, dans quelle situation on serait ? Que ce soit sur le plan agricole, que ce soit sur le plan géopolitique, que ce soit sur le plan y compris de notre sécurité ?
ANNE BOURSE
Mais ça provoque quand même quelques crispations au sein de la majorité de ne pas avoir de tête de liste pour l'instant, dont chez Horizons dont vous faites partie.
CHRISTOPHE BECHU
Oui, mais les crispations avant la désignation des candidats, j'allais dire que c'est une figure imposée. Il n'y a rien de nouveau dans ce domaine.
ANNE BOURSE
Merci Christophe BECHU.
CHRISTOPHE BECHU
Merci à vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 23 février 2024