Texte intégral
AMANDINE BEGOT
07h41, dans un tout petit instant, sur RTL, le ministre des Armées. Bonjour Sébastien LECORNU.
SEBASTIEN LECORNU
Bonjour.
AMANDINE BEGOT
Et bienvenue sur RTL. L'Ukraine peut-elle encore gagner cette guerre deux ans après le début de l'offensive russe ? Beaucoup s'interrogent. Vous répondez dans un tout petit instant. À tout de suite.
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YVES CALVI
RTL, 7h43, excellente journée à vous tous qui nous écoutez. Jusqu'où la France va-t-elle aller pour soutenir l'Ukraine face à la Russie ? Amandine, vous recevez ce matin le ministre des Armées, Sébastien LECORNU.
AMANDINE BEGOT
Sébastien LECORNU, samedi, ça fera deux ans qu'a débuté cette guerre en Ukraine, deux ans, c'est extrêmement long, et on a l'impression depuis plusieurs mois que la ligne de front ne bouge pas, ou en tout cas, qu'elle bouge très peu. Est-ce que l'Ukraine peut encore gagner cette guerre ?
SEBASTIEN LECORNU
Oui, alors, ce genre de guerre aussi nous réapprend, à nous autres, Occidentaux et nos opinions publiques aussi, ce que c'est que la patience et l'endurance. Au fond, on a eu plusieurs phases quand même dans la guerre, février 2022, début de l'agression par la Russie de l'Ukraine, grande guerre de mouvement, on se rappelle des armées russes qui rentrent en Ukraine, qui vont d'ailleurs jusqu'à Kiev, on se rappelle aussi les massacres de Boutcha. Et l'Ukraine qui, globalement, avait quand même préparé des plans de défense assez performants, se lance dans une contre-offensive qui permet de repousser les armées russes jusqu'à l'hiver 2022-2023. Un hiver particulièrement rude, on le sait, qui sèche en quelque sorte cette ligne de front. Et puis, au printemps dernier, printemps 2023, une contre-offensive qui n'a pas fonctionné comme nous le souhaitions, comme les Ukrainiens le souhaitaient, mais il faut bien le comprendre, qui n'a pas non plus permis à la Russie de reprendre la main. Et donc vous avez au fond une situation qui se stabilise sur la ligne de front, ligne de front, pratiquement de 900 kilomètres, peut-être un chiffre intéressant, depuis le 1er janvier, vous avez un grignotage de la partie russe vers la partie ukrainienne, qui est aussi grand que le département des Hauts-de-Seine. Donc de fait, vous avez raison, la ligne de front s'installe. Parfois, elle bouge de quelques mètres, parfois, seulement de quatre ou cinq kilomètres, et donc, il y a une forme d'endurance qui va se créer, parce que, bientôt, la raspoutitsa, c'est-à-dire le dégel, avec la part de boue, malheureusement qui va avec, qui va limiter les initiatives terrestres, ce qui explique aussi pourquoi la Russie mène des frappes dans la profondeur, notamment sur les infrastructures civiles. Et donc évidemment, un nouvel épisode qui va s'ouvrir, une nouvelle page qui va s'ouvrir dans cette guerre dans les semaines qui vont venir.
AMANDINE BEGOT
Cette guerre, la Russie ne la mène pas que sur le terrain militaire à proprement parler. Vous avez récemment évoqué des menaces, des tentatives de sabotage contre nos propres armées. Est-ce que vous pouvez très concrètement ce matin, nous nous donner quelques exemples ?
SEBASTIEN LECORNU
Il y a évidemment plusieurs choses à retenir. Le comportement de la Russie en 2024 n'est plus du tout celui qu'on a pu connaître en 2022, et évidemment, avant l'agression en Ukraine…
AMANDINE BEGOT
A l'égard de la France ?
SEBASTIEN LECORNU
De l'ensemble des alliés européens, américains compris, Amérique du Nord compris, mais singulièrement européens. Ça s'explique, comme je le disais, par le fait que la Russie est en difficulté sur le champ de bataille en Ukraine. Et de fait, oui, vous avez désormais des interactions qui sont autrement plus agressives, par exemple avec nos forces armées. Vous avez, au moment où on se parle des patrouilles en mer, des patrouilles aériennes qui permettent de garantir des libertés d'action en Méditerranée, en mer Baltique, en mer du Nord, en mer Baltique, plus rarement, en tout cas, aussi en mer Noire, évidemment, aujourd'hui. Eh oui, vous avez des interactions, c'est-à-dire des prises, des tentatives de prise de contrôle de la part des Russes d'un certain nombre de nos patrouilles, typiquement, il y a un mois, pour vous donner un exemple très concret, un système de contrôle aérien russe a menacé d'abattre des avions français en mer Noire alors que nous étions dans une zone internationalement libre, dans laquelle nous patrouillons…
AMANDINE BEGOT
C'est-à-dire que vous recevez un message au moment où l'avion est en train de…
SEBASTIEN LECORNU
Clairement, vous avez des opérateurs russes qui menacent des pilotes français d'abattre leurs aéronefs. Vous avez de cela quelques mois, un navire de guerre russe qui a mouillé en baie de Seine, dans les limites des eaux territorialement autorisées, comme pour venir intimider en quelque sorte la France. Donc il faut bien comprendre que c'est vieux comme la guerre froide, si je peux me permettre cette expression, mais que de nouveau, nous avons le retour d'un positionnement russe particulièrement agressif. Et à cela se rajoutent le cyber, l'informationnel, le chantage énergétique. Et donc on voit bien que la Russie joue avec les seuils en quelque sorte, en matière d'agressivité.
AMANDINE BEGOT
La Russie est en guerre contre la France, contre les puissances occidentales qui soutiennent l'Ukraine ?
SEBASTIEN LECORNU
C'est plus sournois et plus pervers que cela. C'était aussi le principe de la guerre froide, rappelez-vous, c'est de jouer avec les seuils. Et donc oui, vous avez une posture d'agressivité. Parfois, les attaques sont frontales et directes, c'est vrai sur le terrain cyber. Pour prendre encore un exemple peut-être concret pour illustrer les choses, il y a de cela maintenant quelques mois, une entreprise de défense importante française, je vais taire son nom, mais qui a réussi à repousser cette attaque cyber, mais, a vu une agressivité russe particulière pour tenter de saboter un certain nombre d'éléments de production, de munitions en l'espèce ou de matériels ou d'équipements militaires avec une attaque cyber frontale. Et ça, on va le voir de plus en plus, et c'est important pour nos auditrices et nos auditeurs, sur des infrastructures civiles, sur des mairies, sur des hôpitaux. Là, on a eu une menace…
AMANDINE BEGOT
On a eu un certain nombre d'attaques contre les hôpitaux…
SEBASTIEN LECORNU
Classiquement, on a plutôt une menace cyber qui peut plutôt être criminelle à des fins de chantage, de rançonnage. Mais en fait, on voit bien derrière, quand on enquête, quand on remonte, quand on attribue ces attaques, de plus en plus, ce sont des proxys russes qui sont derrière, avec toute la déstabilisation que cela peut donner, y compris pour notre économie, pardon, mais y compris pour une radio comme RTL.
AMANDINE BEGOT
Avec aussi une diffusion de fausses informations, vous le disiez, et là encore, à chaque fois qu'on remonte le fil, ça vient de Russie.
SEBASTIEN LECORNU
Oui, alors ça, c'est aussi très guerre froide. Avoir effectivement dans le champ informationnel, démocratique, injecté des informations qui sont fausses. On se rappelle tous par exemple du faux charnier de Gossi ; Gossi, c'est au Mali. L'armée française venait de quitter effectivement ce camp, qui est un camp français, pendant des années, et des soldats de Wagner, à l'époque, avaient déterré des cadavres d'un charnier pour reconstituer un faux charnier sur le terrain militaire français pour accuser l'armée française d'un crime de guerre qu'elle n'avait pas commis. Et ça, ça dit aussi quelque chose de la manipulation macabre, évidemment, en pariant sur la crédulité parfois de nos concitoyens avec les caisses de résonance des réseaux sociaux, des fermes à trolls, des robots qui viennent en plus derrière donner une caisse de résonance particulière.
AMANDINE BEGOT
Ces menaces, elles s'intensifient clairement, ces intimidations, vous les évoquiez. D'un mot, est-ce qu'il faut s'inquiéter à l'approche des élections européennes, à l'approche des JO aussi ?
SEBASTIEN LECORNU
Oui, alors, je ne mettrais pas forcément les deux sur le même plan, pour les Jeux Olympiques, évidemment, ça fait l'objet d'une concentration particulière des services, direction générale à la sécurité intérieure sous l'autorité de Gérald DARMANIN et la direction générale à la sécurité extérieure. Pour les élections européennes, c'est une certitude. Parce que déjà, en Europe, tous les pays de l'Union européenne vont voter le même jour. Donc par définition, ça crée une fragilité, puisque chaque démocratie va organiser son temps électoral. Et donc oui, il peut y avoir une velléité de la fédération de Russie, soit d'injecter des faux contenus pour avoir un faux débat, et pour troubler l'électeur au moment où il s'exprime, voire même être dans une tentative d'approche des différents candidats aux élections européennes, pour jouer sur la composition des listes. Il est trop tôt pour le dire, mais on surveille un certain nombre d'agissements qui sont tout à fait curieux.
AMANDINE BEGOT
Ce qui est sûr, Monsieur le Ministre, c'est que la France va continuer à aider l'Ukraine. Emmanuel MACRON l'a redit il y a quelques jours, il s'est engagé vendredi à donner 3 milliards d'euros d'aide supplémentaire. Deux jours plus tard, Bruno LE MAIRE annonçait 10 milliards d'euros d'économie. Le décret, d'ailleurs, vient tout juste d'être publié ce matin. Est-ce que vous comprenez, Sébastien LECORNU, que certains Français s'interrogent, qu'ils ne comprennent pas que, d'un côté, on donne 3 milliards d'euros à l'Ukraine dans une guerre, on le disait, qui a du mal à avancer et où on se demande même presque à quoi sert cet argent. Et en même temps, on demande au gouvernement français de faire des économies. Ça peut troubler, interroger.
SEBASTIEN LECORNU
Oui, alors, moi je comprends déjà que le contribuable puisse se poser la question, et c'est le rôle du gouvernement que d'y répondre. En tout cas, moi, je le vois bien dans l'Eure ou chez moi, à Vernon, les questions qui peuvent m'être posées. Peut-être un point de forme, parce que j'ai vu beaucoup de contrevérités sur les réseaux sociaux. Cette aide militaire qu'on apporte à l'Ukraine, ce n'est pas des virements ou de l'argent que l'on donne à l'Ukraine, c'est des lignes…
AMANDINE BEGOT
… Qu'on fait à l'Ukraine…
SEBASTIEN LECORNU
Exactement, ce sont des lignes de crédit que l'on ouvre pour les industriels français, NEXTER par exemple, MBDA pour produire des missiles, THALES pour produire des radars, qui donc créent de l'activité sur le territoire national français, et permettent ensuite de donner ces armements à l'Ukraine. Je précise…
AMANDINE BEGOT
Et l'Ukraine en paie une partie d'ailleurs, notamment les canons Caesar…
SEBASTIEN LECORNU
Alors, parfois, l'Ukraine achète des choses. Typiquement, les canons Caesar, l'Ukraine en achète une partie, et vous avez aussi parfois des remboursements européens qui peuvent se produire. Après, ça pose une question plus redoutable, c'est quel est le prix de notre sécurité ? Et comme on n'est plus au 16ème ou au 17ème ou au 18ème siècle où votre sécurité démarre à la frontière terrestre du pays, les temps ont changé. Il suffit de voir les prix à la pompe depuis deux ans maintenant pour voir qu'il y a des effets de cette guerre directement sur nos intérêts du quotidien. Il est certain que la sécurité de l'Europe passe par une victoire ukrainienne et que, au fond, il y a un narratif aussi qui monte, qui dit : peu importe ce qui va se passer à la fin, eh bien, non, une victoire russe ou une victoire ukrainienne, ça ne se vaut pas, ça ne sera pas la même architecture de sécurité en Europe, ça n'aura pas le même impact pour nous. Donc, oui, évidemment…
AMANDINE BEGOT
Est-ce que vous ajouteriez, quoi qu'il en coûte, pour reprendre une expression qu'on a… ?
SEBASTIEN LECORNU
Non, parce que c'est l'argent quand même du contribuable, et que de là où je suis, je fais attention à ce que chaque euro dépensé pour l'aide militaire à l'Ukraine déjà, est toujours une retombée pour nous-mêmes, soit, parce que ça nous apporte quelque chose. Pourquoi aussi on produit plus de canons Caesar aujourd'hui qu'il y a deux ans ? Parce que cette aide à l'Ukraine a permis aussi de financer indirectement une transformation de l'industrie française. Oui, on essaye aussi de faire attention à ça. Et je rajouterai aussi un dernier point, c'est la ligne rouge qu'avait donnée le président de la République, et j'y veille scrupuleusement, en aucun cas cela ne porte atteinte à notre propre défense ou à nos propres efforts de réarmement…
AMANDINE BEGOT
Ça n'affaiblit pas les stocks de l'armée française…
SEBASTIEN LECORNU
Eh bien, on ne peut pas dire qu'on est en danger, d'un côté, et de l'autre, évidemment, freiner ce réarmement.
AMANDINE BEGOT
Sébastien LECORNU, il n'y a pas que la guerre en Ukraine, il y a aussi cet autre conflit à nos portes, à moins de 5h d'avion de Paris, celui qui oppose l'Arménie à l'Azerbaïdjan. La France, d'ailleurs, livre du matériel militaire à l'Arménie.
SEBASTIEN LECORNU
Oui, je vais me rendre en Arménie tout à l'heure avec une délégation importante de parlementaires et d'industriels. C'est la première fois qu'un ministre de la Défense ou des Armées français se rend en Arménie…
AMANDINE BEGOT
Première fois dans toute l'histoire…
SEBASTIEN LECORNU
Dans toute l'histoire. Et je crois que la dernière visite d'un ministre de la Défense, tout court, occidental ou autre, ça doit être il y a dix ans, donc ça dit évidemment quelque chose. Oui, l'Arménie, qui est un pays ami, avec lequel la France a une relation particulière, je crois qu'on l'a encore vu hier soir évidemment au Panthéon, avec la cérémonie présidée par Emmanuel MACRON. On a une relation particulière. Il faut comprendre que l'Arménie est face à un défi de sécurité majeur, avec un enjeu de souveraineté, de protection de ses frontières liée effectivement à un certain nombre de menaces qui peuvent parvenir et venir d'Azerbaïdjan. Il y a des processus de discussions en cours, mais il en va de notre responsabilité d'aider l'Arménie tout simplement à assurer une posture de dissuasion et de défense. Donc mon propos est purement défensif. Mais comment effectivement on permet à EREVAN d'avoir des dispositifs demain de défense sol/air si jamais il y avait une attaque sur la capitale ? Comment on peut mettre des véhicules de transport de troupes blindés pour faire en sorte que les soldats arméniens ne soient pas en danger ?
AMANDINE BEGOT
Donc, c'est de la dissuasion. Ce n'est pas faire la guerre à proprement parler…
SEBASTIEN LECORNU
De toute façon, la France n'est jamais dans une position d'escalade. Ça, c'est notre diplomatie historique, et évidemment, nous la poursuivrons.
AMANDINE BEGOT
Toute dernière question, Sébastien LECORNU, vous vous êtes beaucoup impliqué dans les négociations après les attaques du Hamas contre Israël, vous vous êtes rendu sur place dans la région à plusieurs reprises. Il reste un peu plus de 130 otages, 132 otages d'après les derniers décomptes, je crois, de l'armée israélienne. Parmi eux, trois Français. Alors je sais bien sûr que c'est toujours très délicat de vous demander des informations pour des raisons évidentes de sécurité, mais est-ce que vous avez des informations récentes les concernant ? Des preuves de vie par exemple ?
SEBASTIEN LECORNU
De fait, c'est délicat. On entretient évidemment un contact permanent avec les familles par l'ambassade et le consulat général à Tel-Aviv. Les discussions se poursuivent par des canaux diplomatiques, par les canaux liés aussi à nos services qui servent à cela, évidemment, qui sont en pointe. C'est une priorité absolue pour nous, ça explique aussi ce pourquoi, en plus, évidemment des sujets éminemment préoccupants sur le terrain humanitaire, de ce qui se passe à Gaza, nous appelons sans délai à une trêve des combats, puisque, nous le savons bien, il n'y a pas de libération d'otage possible, pardonnez-moi, sans trêve.
AMANDINE BEGOT
Merci beaucoup, Monsieur le Ministre.
SEBASTIEN LECORNU
Merci pour votre invitation.
YVES CALVI
Des pilotes français menacés dans les airs, des navires russes en baie de Seine. La Russie joue avec les seuils en plus des attaques cyber, vient de nous dire le ministre des Armées. Bonne journée, Monsieur le Ministre.
SEBASTIEN LECORNU
A vous aussi. Merci beaucoup.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 23 février 2024