Texte intégral
M. Bruno LE MAIRE : "Je suis très heureux de participer pour la première fois au Conseil de l'énergie, avec Roland Lescure, qui va travailler à mes côtés sur cette question de l'énergie. Je voudrais commencer par saluer le travail remarquable qui a été fait par ma prédécesseure, Agnès Panier-Runacher, qui a un bilan exceptionnel sur ce sujet de l'énergie. Elle a participé à la transformation du marché de l'énergie qui était une ambition forte portée par le président de la République. Elle a également obtenu une évolution radicale de l'Union européenne sur la question du nucléaire, qui nous tient évidemment très à cœur. Je veux saluer le bilan de ma prédécesseure Agnès Pannier-Runacher, au moment où je prends ces nouvelles fonctions. L'enjeu, maintenant que les esprits ont évolué sur la question de la transition énergétique et sur la question du mix énergétique, chacun reconnaissant que la neutralité technologique est probablement la meilleure option et que la seule chose qui compte, c'est de réduire les émissions de gaz à effet de serre et donc de parvenir à notre objectif de zéro carbone, quel que soit le type d'énergie qui est employé. Maintenant que nous sommes d'accord là-dessus, il faut passer aux travaux pratiques. C'est ça l'enjeu majeur du point de vue énergétique aujourd'hui : passer aux travaux pratiques, c'est-à-dire le construire, les capacités énergétiques, que ce soit du renouvelable ou du nucléaire dont nous avons besoin pour atteindre nos objectifs de décarbonation et ce défi est un triple défi, c'est d'abord un défi industriel. Il va falloir que nous mettions les bouchées doubles pour construire les capacités, que ce soit sur le solaire, que ce soit sur l'hydraulique et que ce soit sur l'éolien pour atteindre nos objectifs. En matière industrielle, autant que ce soit avec des industries européennes, avec des produits réalisés sur le sol européen. Ce défi industriel est considérable : jamais l'Europe, depuis un demi-siècle, n'a eu devant elle un défi industriel de cette importance. Réaliser, six nouveaux EPR en France, avec une première réalisation à compter de 2035. C'est un défi industriel comme la France n'en a pas connu depuis un demi-siècle. Développer ses capacités renouvelables électriques partout, développer des réseaux en Europe, c'est un défi industriel comme on en a pas connu depuis un demi-siècle.
C'est en deuxième lieu un défi technologique. Il faut que l'Europe reste en pointe des technologies de décarbonisation et des technologies énergétiques. Nous avons des concurrents en Chine, au Canada, aux États-Unis. Il faut que nous nous donnions les moyens d'avoir les meilleures technologies sur toute la palette d'options énergétiques en Europe. Là aussi, ça peut concerner le renouvelable, les panneaux photovoltaïques avec des panneaux qui doivent être réutilisables, recyclables ou le nucléaire en travaillant sur les SMR ou sur les réacteurs à fusion. Enfin, c'est un défi financier. Chacun doit prendre la mesure de ce défi financier qui ne se chiffre pas en milliards d'euros ; il ne se chiffre pas en dizaines de milliards d'euros ; il se chiffre en centaines de milliards d'euros à l'échelle européenne. Nous souhaitons donc que tous les instruments financiers européens soient mis à disposition de cette ambition énergétique. Notamment pour les réacteurs nucléaires et j'ai eu l'occasion ce matin de réunir l'alliance du nucléaire. Nous allons produire un communiqué d'ici quelques instants. Nous réaffirmons notre détermination à réussir la décarbonisation avec l'aide de l'énergie nucléaire notamment. Nous réaffirmons notre demande de voir tous les instruments financiers européens mis à disposition aussi des réacteurs nucléaires et de la recherche en matière nucléaire ou de la formation en matière de métier du nucléaire. Nous proposons qu'un projet d'intérêt commun européen soit lancé dans les prochains mois, qui permettra justement de garantir le meilleur financement des technologies, des compétences et des investissements dont nous avons besoin, notamment sur les petits réacteurs modulaires. Ce projet d'intérêt collectif européen, il existe déjà sur l'hydrogène vert. Il existe sur les batteries, il existe sur les médicaments, nous souhaitons qu'il existe aussi dans le domaine des compétences nucléaires et des réacteurs modulaires. Nous pensons toujours sur la question du financement qu'il faut utiliser la Banque européenne d'investissement. Je rappelle qu'avant 2000, la Banque européenne d'investissement a financé jusqu'à sept milliards d'euros d'investissements sur le nucléaire. Après 2000, ça a été à peine un milliard. Il faut que la Banque européenne d'investissement revienne au premier plan sur le financement notamment de la recherche en matière nucléaire. Nous avons besoin des financements européens sur la filière du nucléaire et l'Alliance du nucléaire souhaite que cela se développe le plus rapidement possible. Ce sont les grands enjeux qui sont devant nous. Je le redis aujourd'hui : le défi c'est de passer aux travaux pratiques et le fait que le ministre de l'économie, des finances soit en charge de l'énergie avec le soutien précieux de Roland Lescure, je pense que c'est un message très clair, la détermination de la France à accélérer sur la réalisation des infrastructures nécessaires à la décarbonisation de l'Europe. Réseau, Énergie renouvelable, énergies renouvelables et nucléaire, passons aux travaux pratiques et accélérons.
Q : Concernant ces travaux pratiques sur le nucléaire, est-ce qu'il faudra un agenda législatif renforcé particulier pour la prochaine Commission au niveau européen ?
M. Bruno LE MAIRE : Il faut d'abord utiliser tous les moyens qui sont à notre disposition. Nous avons beaucoup de moyens à notre disposition. La Banque européenne d'investissement, les projets d'intérêts collectifs européens, Invest EU pour financer les investissements du nucléaire. Mais nous, notre conviction est très simple : nous ne réussirons pas économiquement et industriellement au XXIème siècle sans l'énergie nucléaire. Si l'Europe veut être dans la course en matière économique et surtout en matière de décarbonation et de transition climatique, il faut utiliser toutes les énergies à notre disposition : les énergies solaires et je pense qu'il y a beaucoup de travail à faire pour avoir des panneaux solaires de nouvelle génération qui soient recyclables et qui soient aux meilleurs standards en matière climatique ; l'énergie éolienne ; l'énergie éolienne offshore, qu'elle soit fixe ou qu'elle soit flottante ; et l'énergie nucléaire. Maintenant que nous avons gagné ce combat pour dire " quelle que soit l'option qui soit retenue, le plus important c'est qu'il y ait le moins de CO2 émis et qu'on gagne cette bataille, la transition climatique " utilisons tous les instruments à notre disposition.
M. Roland LESCURE : Je rajouterai : n'oublions pas que c'est le gage de la compétitivité de l'industrie européenne. Si on veut une industrie à la fois de l'énergie, mais l'ensemble de notre industrie compétitive, on va avoir besoin de développer beaucoup, beaucoup, beaucoup d'énergie décarbonée et pas chère. C'est aussi le gage essentiel que nos concitoyens puissent bénéficier d'énergie décarbonée et pas chère. Aujourd'hui en France, on a une des énergies les plus décarbonées, les moins chères d'Europe. Ça, c'est lié à des investissements qui ont été faits il y a 50 ans en France. On doit préparer l'Europe de l'avenir pour nos concitoyens et pour nos industriels.
Q : Vous parlez de neutralité technologique. Donc, il y a une sorte de contentieux entre la Commission et la France parce que la France n'a pas atteint ses objectifs de renouvelables pour 2020. Où en est cette situation ? La France est le dernier pays dans ce cas figure à ne pas avoir régularisé sa situation, soit en achetant des quotas d'énergie renouvelable à d'autres pays. Est-ce que la France est prête à le faire ? Est-ce que la France est prête sinon à s'acquitter de pénalités ?
M. Bruno LE MAIRE : La France ne va pas s'acquitter de pénalités. Nous allons trouver une solution avec la Commission européenne. Je redis que les objectifs désormais, ça ne doit plus être d'avoir tant de mâts d'éoliennes ici, tant de panneaux photovoltaïques ici : ça c'est l'Europe dont nous ne voulons plus, c'est-à-dire l'Europe qui fixe des objectifs trop contraignants et qui ne sont pas des objectifs climatiques satisfaisants. L'Europe que nous voulons, c'est une Europe qui se fixe des objectifs climatiques clairs en disant : on vise la neutralité carbone et puis après chacun se débrouille pour avoir le mix énergétique qu'il choisit souverainement. La France choisit souverainement son mix énergétique. Je pense que ce qui a été fixé par le président de la République est extrêmement clair : de la sobriété et de l'efficacité énergétique. C'est le premier pilier de notre stratégie, je tiens à le rappeler parce qu'il est sans doute celui qui est le moins visible mais peut-être un des plus importants. Le déploiement le plus rapidement possible des énergies renouvelables, que ce soit les panneaux photovoltaïques, l'hydraulique ou l'éolien offshore ou l'éolien terrestre. Et l'énergie nucléaire avec la réalisation de six nouveaux EPR. Donc, la France a des objectifs en matière climatique ; elle a des émissions de CO2 qui sont parmi les plus basses de tous les pays européens. Donc quand on réussit du point de vue climatique, on ne voit pas pourquoi nous payerions des pénalités.
Q : Sur la neutralité technologique, ça vaut aussi pour les voitures qui roulent en e-fuel ou biofuel ou seulement le nucléaire et le gaz ?
M. Bruno LE MAIRE : C'est un autre sujet, la question des choix qui ont été faits en matière d'industrie automobile. Ces choix, nous les avons validés. C'est la fin du moteur thermique à partir de 2035. Et c'est surtout l'accélération sur le véhicule électrique. Je crois que quand on a une stratégie, il faut s'y tenir. L'Europe a fait le choix du véhicule électrique. C'est un choix stratégique ; c'est un choix technologique. Nous devons tout faire pour réussir ce pari du véhicule électrique, ce qui veut dire investir dans l'ensemble de la chaîne de valeur, que ce soient les matériaux critiques, les batteries électriques ou la construction de véhicules électriques sur notre territoire. Donc voilà l'ambition qui est la nôtre en tout cas en France : réussir sur le véhicule électrique et avoir une industrie automobile en Europe aussi puissante au XXIe siècle qu'elle l'a été au XXe. Roland Lescure l'a parfaitement dit : le grand sujet économique du XXIe siècle, ce sera l'énergie. C'est ça qui fera la différence entre les pays qui réussissent et les pays qui ne réussiront pas. Avoir une énergie décarbonée pas chère, c'est le gage du succès économique au XXIe siècle. C'est la capacité à innover, c'est la capacité des véhicules électriques, la domotique électrique, de l'intelligence artificielle, des centres de données sur nos territoires. Donc, c'est ce pari là qu'il faut relever. Le défi économique du XXIe siècle, je le redis, c'est l'énergie"
source https://ue.delegfrance.org, le 6 mars 2024