Texte intégral
Merci beaucoup. Messieurs les Ministres, cher Gabrielius, cher Krisjanis, cher Margus, et enfin cher Dmytro.
Il était très important pour moi, vous le savez, d'être ici, à Vilnius, aujourd'hui, dans un moment si décisif pour le continent européen. Alors merci beaucoup de ton accueil, cher Gabrielius.
Nous nous retrouvons dans un format qui est, je dois dire, un format inédit. Un format inédit : vos trois pays baltes, la France, rejoints par un pays ami, l'Ukraine, que nous aidons depuis maintenant deux ans. Les échanges avec la Lettonie, la Lituanie et l'Estonie sont à la fois chaleureux et décisifs. L'expertise et la volonté des trois pays sont essentielles à notre unité européenne et au sursaut européen que nous avons évoqué dans l'ensemble des réunions, depuis maintenant plusieurs semaines ensemble. Vos peuples le savent d'ailleurs mieux que quiconque : dans ce qui se joue aujourd'hui, notre unité doit être à la hauteur des sacrifices passés de vos peuples et du sacrifice, aujourd'hui, du peuple ukrainien. Nous l'avons évoqué, et nous savons également les ravages que peut constituer et constitue aujourd'hui ce type de conflit. Des sacrifices pour la liberté, pour notre ADN européen, pour nos valeurs, pour notre démocratie. Il est donc naturel d'associer à cette rencontre notre collègue ukrainien. Chacun comprend que chaque heure compte pour renforcer maintenant notre coordination européenne. Je l'ai dit, l'heure est grave et le moment que nous vivons est décisif pour prolonger et renforcer notre soutien à l'Ukraine.
Le Président de la République a pris l'initiative de tenir à Paris, le 26 février, une conférence qui a rassemblé 28 chefs d'Etat et de gouvernement ou leurs représentants directs. L'objectif était clair : manifester notre unité dans notre soutien à l'Ukraine et notre détermination, qui doit être intacte, pour faire échec à l'impérialisme russe. Nous avons posé, d'ailleurs, les principes pour faire plus, faire mieux, mais également faire autrement pour l'Ukraine. C'était, je pense, un moment fort. Cette dynamique se poursuit aujourd'hui, et nous lançons y compris ce travail opérationnel entre nous, d'arrache-pied, pour organiser ces groupes de travail, ces consensus qui se sont construits dans cette réunion du 26 février.
Hier, nous avons accueilli, avec mon collègue du ministère des armées, une réunion de suivi par visioconférence. Elle a réuni 27 pays qui se sont d'ailleurs engagés avec nous dans cette dynamique. Vous avez d'ailleurs participé, tous les trois, à cette réunion. La Lettonie était présente. Je veux le dire nettement : nous avons bien progressé ; cette réunion de travail devait notamment identifier les moyens concrets de notre soutien à l'Ukraine, et également développer le "autrement" et l'ensemble des consensus que nous avions trouvés, les chantiers que nous avons ouverts, lors de la réunion avec le Président de la République.
Aujourd'hui, quelques heures après ces derniers échanges, nous avons notamment poursuivi la discussion ici, à Vilnius. Je vous en remercie. La présence de notre collègue ukrainien nous permet d'être au plus près des besoins exprimés par l'Ukraine. Nous discutons notamment des initiatives possibles en matière de lutte contre les ingérences étrangères, en matière de cyberdéfense et de structuration de notre soutien européen, sur tous les points que nous avons évoqués. Vos trois pays baltes savent combien la Russie est agressive et combien notre coordination doit être importante. L'ensemble de ces points feront notamment l'objet d'autres réunions et d'autres contacts entre nous, pour avancer.
Ensemble, nous faisons le même constat : nous ne pouvons pas prendre le risque d'une victoire russe en Ukraine, parce que son coût serait extraordinairement important pour nous tous, parce que nous savons bien que le Russie ne s'arrêtera pas là. Et je pense que vous êtes bien placés pour comprendre également le narratif et la grammaire de Vladimir Poutine. Nos partenaires baltes, polonais, moldaves, d'ailleurs, expriment souvent leurs inquiétudes, car leur frontière est à quelques kilomètres de la guerre. Je pense que cela change tout, également dans la perception que vous pouvez avoir de ce conflit. Ces inquiétudes sont non seulement légitimes mais, en plus, nous les partageons.
Face à ces défis, nous avons deux leviers déterminants : l'OTAN et rendre l'Europe pleinement souveraine et maîtresse de son destin. Vous connaissez mes convictions, les convictions de la France, en la matière. Ensemble, nous porterons ce sujet, celui d'une Europe qui n'a pas peur de défendre ses intérêts, qui n'a pas peur de défendre ses valeurs. Cette Europe adviendra si nous renforçons l'Europe de la défense. Elle sera maîtresse de son destin. Nous renforcerons d'ailleurs les capacités de nos industries de défense, s'il y a unité partagée sur les risques qui sont aujourd'hui encourus, que j'évoquais. Pour cela, nous devons changer d'échelle en matière de défense pour assurer notre propre sécurité et donner à l'Ukraine, à ton pays, cher Dmytro, la capacité de se défendre. Nous sommes résolument engagés dans ce travail. La stratégie européenne pour l'industrie de défense que vient de publier la Commission européenne le dit très clairement : nous achetons et investissons trop peu en Europe. Nous devons réunir nos efforts pour simplifier et faciliter l'acquisition conjointe de matériels européens et orienter nos instruments européens vers le renforcement des capacités de nos industries en Europe. C'est un message qui est important. C'est essentiel pour nous, pour l'Europe, pour notre avenir.
Pour cela, nous devons aussi réfléchir à nos outils et à nos financements. Comme l'a souligné le Président de la République française, nous avons su dire, par le passé, "whatever it takes" sur un certain nombre de points, notamment pour répondre à la crise financière. Nous devons aujourd'hui dire "whatever it takes"pour répondre à cette crise. Et j'ai entendu vos interventions, la question des lignes rouges est un élément à ne pas poser, aujourd'hui, dans ce type de conflit. Plus le temps avance, plus notre conviction grandit sur ce fait : quand vous vous donnez des lignes rouges à vous-même, cela donne un signal à l'adversaire, le signal qu'il peut avancer. Ce n'est pas en ce moment qu'il faut reculer, alors que nous vivons une crise existentielle pour l'Europe.
La France a apporté, depuis le 24 février 2022, plus de 3,8 milliards d'euros de soutien militaire à l'Ukraine. Nous venons également de signer, avec nos partenaires ukrainiens, un accord bilatéral de sécurité, le 16 février dernier, pour ajouter jusqu'à 3 milliards d'euros de soutien militaire. Ce sera d'ailleurs l'occasion d'un débat à l'Assemblée nationale et au Sénat, suivi d'un vote. Je salue à cet égard le caractère exemplaire de l'assistance de nos partenaires baltes pour fournir à l'Ukraine, et on compte beaucoup sur eux, sur les échanges, sur notre dialogue et notre étroite coopération dans toute la durée de ce conflit, qu'on souhaite la plus courte possible.
Nous continuons sur cette voie, ensemble, pour incarner ce sursaut stratégique que nous souhaitons tous, et que nous appelons de nos voeux. La Russie ne peut pas l'emporter et dans ce cadre-là, nous devons aujourd'hui ne rien nous interdire en termes de nouvelles actions. C'était aussi le message que je suis venu porter ici, sur lequel je crois, en tout cas, que mes homologues sont totalement d'accord.
Merci beaucoup.
(...)
R - Je rappelle les objectifs : faire plus, faire mieux, faire différemment et mettre en échec la Russie, sans faire la guerre à la Russie, en aidant les Ukrainiens, et en essayant, collectivement d'ailleurs, d'être au plus près des besoins des Ukrainiens. C'était l'objectif de cette réunion, et dans ce cadre du "faire différemment", le Président l'a rappelé, rien ne doit être exclu en termes de nouvelles actions. C'est cela qui a créé le débat européen, mais ce n'était pas une question qui était posée lors de la réunion en tant que telle. D'ailleurs, quand vous écoutez mes collègues, ils insistent sur les éléments de consensus, je l'ai dit. Je pense que 90% de cette réunion, le 26 février, étaient consensuels dans les actions à mener, y compris dans les chantiers à travailler. C'est pour cela que nous avons organisé une première réunion pour opérationnaliser ces chantiers, trouver des points de contact dans les pays qui nous permettent de fédérer. Je reprendrais les propos des uns et des autres. Nous faisons différemment, les uns et les autres, depuis le début, avec l'Ukraine. Il faut dédramatiser le fait d'avoir fait différemment ; certains ont donné du matériel militaire assez rapidement, d'autres se sont concentrés sur les munitions, d'autres ont été jusqu'à envoyer des avions, avec également des capacités de formation des pilotes, certains, des chars ; c'est le cas de la France, c'est le cas de l'Allemagne, c'est le cas aussi de l'ensemble des pays représentés. Vous voyez que les coalitions existaient déjà et la manière d'aider l'Ukraine était déjà différente. La Russie ne peut pas nous dire que, en faisant les choses différemment, les uns et les autres, pour justement être au plus proche des besoins des Ukrainiens, nous sommes divisés.
J'ai entendu dans cette réunion un soutien unanime à l'Ukraine. Ce n'est pas d'ailleurs à la Russie de dicter la politique étrangère de nos pays. Ce n'est pas à la Russie d'expliquer comment nous allons aider justement l'Ukraine dans les prochains mois et dans les prochaines années. Ce n'est pas à la Russie de nous expliquer cela. Ce n'est pas à la Russie d'organiser notre déploiement, nos actions, de mettre des lignes rouges. Et donc nous avons décidé, entre nous, d'opérationnaliser ces chantiers.
Encore une fois, l'unité européenne doit être faite autour du soutien à l'Ukraine. Tout ce qui participe à la polémique n'est pas bon, et dans les prochains jours, dans les prochains mois, dans les prochaines semaines, je pense que l'avancement des chantiers que nous avons décidés montrera qu'il y a là une efficacité et un retour sur la réunion du 26 février très utiles pour les Ukrainiens et pour les Français. J'ai une conviction : aider les Français, c'est tenir tête à la Russie. Tenir tête à la Russie, c'est aider les Français. C'est être patriotes dans un moment où les conséquences pour nous Européens d'un échec en Ukraine pourraient être dramatiques. Donc pour toutes ces raisons, je crois que nous sommes du bon côté de l'Histoire.
(...)
R - Vous ne posez pas la bonne question, celle que nous avons posée lors de la réunion. La question était de savoir comment faire plus, comment faire mieux, comment faire différemment dans le cadre de l'action que nous avons entreprise sur l'ambiguïté stratégique. Parce qu'aujourd'hui les pays européens étaient devenus peut-être trop lisibles sur leur stratégie. Faire plus, faire mieux, il y a un consensus. Je l'ai dit, ce sont les chantiers ouverts, on est en train de les opérationnaliser avec les collègues, on va organiser les choses. Et la France en tout cas se tient aux côtés des collègues qui souhaitent être les points de contact de ces chantiers, ou qui souhaitent prendre le lead sur un certain nombre de sujets. Il nous restera probablement encore quelques réunions à faire, mais en tout cas les choses avancent bien et je suis très content qu'il puisse y avoir des débouchés. Sur le "faire différemment", cela consiste à regarder la question du déminage, la question de la formation, la question de la coproduction industrielle pour voir comment nous pouvons aller plus loin. Et je l'ai dit, le cadre est assez clair : mettre en échec la Russie, sans faire la guerre à la Russie, tout en se rapprochant le plus possible des besoins exprimés par les Ukrainiens. Les Ukrainiens ne nous ont pas demandé d'envoyer des forces, ils nous demandent aujourd'hui des munitions. Par contre est-ce qu'on doit, nous-mêmes, expliciter toutes les lignes rouges qui doivent être tendues à la Russie, que nous devons nous-mêmes nous mettre ? Non. Evidemment. Que se passe-t-il s'il y a des attaques dans les pays baltes, pour la France ? Est-ce que je dois exclure, aujourd'hui, de venir en soutien ? Evidemment non.
Donc vous voyez bien que le sujet n'est pas une opération, puisque les Ukrainiens eux-mêmes ne nous le demandent pas. Mais nous n'excluons rien dans les prochains mois et nous tentons de faire mieux et de faire différemment sur le terrain. Alors oui, des opérations de déminage, cela pourrait engendrer des personnels civils ou militaires au sol, mais pas combattants ; des opérations notamment pour ce qui est du cyber, la question de la coproduction industrielle. Tous ces sujets doivent se poser, et je pense que certains pays sont allant pour aller vers de la co-construction avec l'Ukraine sur ces sujets-là.
Donc ne posons pas les mauvais débats. Parce que nous créons nous-mêmes des complexités européennes, ce qui fait que les divisions viendraient de nos rangs, ce qui serait instrumentalisé par les Russes. Et donc j'encourage tous les dirigeants européens à garder l'unité et à ne pas répondre à des questions qui ne sont pas posées.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 mars 2024