Interview de M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, à France Info TV le 14mars 2024, concernant le bilan de la tempête Monica, le plan national d'adaptation au changement climatique, la crise agricole, la sécheresse, les économies budgétaires en matière d'écologie et une proposition de loi sur la fast-fashion.

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Média : France Info TV

Texte intégral

ALIX BOUILHAGUET
Bonjour Christophe BECHU

CHRISTOPHE BECHU, MINISTRE DE LA TRANSITION ECOLOGIQUE ET DE LA COHESION DES TERRITOIRES DE FRANCE
Bonjour Alix BOUILHAGUET.

ALIX BOUILHAGUET
Le bilan de la tempête Monica s'élève à six morts et un disparu. Vous étiez d'ailleurs hier dans le Gard. Un adolescent donc est toujours porté disparu. Où en sont les recherches le concernant ?

CHRISTOPHE BECHU
Les recherches se poursuivent avec des espoirs qui sont évidemment minces, parce que sa petite-soeur de 4 ans, son papa qui ont déjà été retrouvés. Mais les secours, les gendarmes, les pompiers ratissent à la fois des endroits dans lesquels ils sont déjà passés, mais la décrue permet peut-être potentiellement de trouver ce qu'ils n'ont pas pu trouver auparavant, et continuent à explorer l'ensemble des alentours parce qu'on sait que ça fait partie de ce dont on a absolument besoin pour les familles.

ALIX BOUILHAGUET
Toutes les personnes décédées avaient un point en commun, elles ont toutes essayé de traverser en voiture un pont submersible. Quel enseignement vous en tirez ? Est-ce que ça veut dire qu'il faut les fermer ? Il faut les remplacer, ces ponts ?

CHRISTOPHE BECHU
Il y a près de 70 ponts submersibles dans le département du Gard. Et depuis des générations, ça existe pour une raison simple, c'est qu'on a ces épisodes cévenols, ces pluies extrêmement violentes, qui fait que si les ponts n'étaient pas submersibles, en fait, on aurait des bouchons qui se formeraient avec d'autres dégâts et d'autres risques. Il y avait des dispositifs de prévention, et on a effectivement, dans les témoignages que j'ai été recueillir auprès des maires, parfois des témoignages de gens où il y avait un garde champêtre sur le pont et des gens qui ont forcé le passage. On a sans doute une culture du risque à retrouver, avec, de façon très claire, d'abord un temps d'enquête qui permettra de savoir dans quelle mesure tout a été fait dans les règles de l'art. Mais je veux le dire aussi, dans un contexte de dérèglement climatique, dans un contexte où ce type d'épisode, normalement, n'arrive plutôt qu'à l'automne, le fait que ça arrive dès le printemps, parce qu'on a eu un mois de février qui a été le plus chaud de l'histoire, montre que cette culture du risque, il faut qu'on l'ait toute l'année, et que nos concitoyens prennent conscience que ce qui était, avant, quelque chose d'hypothétique ou de lointain est réel. Je pense aussi, par exemple, aux incendies au Nord de la Loire. Avant, ce n'était que dans le Sud ; maintenant, c'est partout qu'il faut être vigilant.

ALIX BOUILHAGUET
Alors justement, un plan national d'adaptation au changement climatique est promis pour l'été. Alors en clair, je résume à grands traits, c'est un plan pour se préparer à une France avec plus de 4 degrés d'ici à la fin du siècle. Alors plus de 4 degrés, ça veut dire plus de canicules, d'inondations, de sécheresse, d'incendies. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'il faut tout revoir, nos logements, nos écoles, nos entreprises, nos villes ?

CHRISTOPHE BECHU
C'est presque ça. Ça veut dire qu'il faut bien mesurer que 4 degrés, ce n'est pas avoir 4 degrés de plus un jour de printemps, et donc pouvoir se passer d'un petit pull. Non. 4 degrés, c'est un dérèglement climatique qui va au-delà du consensus scientifique qui nous dit : " Si vous dépassez le 1,5 de grand max de l'accord de Paris, on bascule dans autre chose ". C'est 40, 50% d'enneigement en moins, et donc la disparition de la neige dans toute une partie de notre pays, c'est une multiplication par cinq des risques de sécheresse par rapport à aujourd'hui. C'est le climat du Maroc ou de l'Andalousie dans une partie du Sud de la France. Donc c'est une évolution de ce qu'on peut planter, de ce qui pousse, de la manière dont les choses se passent.

ALIX BOUILHAGUET
Donc il y a 50 mesures sur ce plan ?

CHRISTOPHE BECHU
Il y a 50 mesures qui vont de la prévention des canicules, comme vous le dites. Parce que pour faire simple, la canicule, il y a 20 ans, c'était les personnes âgées. Dans une France à 4 degrés, c'est y compris des personnes en bonne santé qu'il faut qu'on soit capable de protéger, c'est repenser nos règles pour travailler en extérieur. Ce sont parfois des spécifications techniques, faire rouler des trains avec des températures qui dépassent les 50 certains jours ; être capable, bref, de repenser notre organisation. Et pourquoi ça suppose de le voir tôt ? Parce que même si ça peut sembler lointain, 2100, les arbres qu'on plante aujourd'hui, ils verront 2100. Donc le type d'essence qu'on a à planter dans les forêts aujourd'hui, après les incendies, il faut tout de suite qu'ils tiennent compte. Les bâtiments qu'on construit, il vaut mieux les faire en ayant une idée de ce à quoi ils devront être confrontés, plutôt que de risquer d'être obligé de les rénover dans 30 ou dans 40 ans parce qu'on ne l'aura pas anticipé.

ALIX BOUILHAGUET
Mais on a quand même le sentiment qu'il y aura, d'un côté, plus de réglementations et puis, de l'autre, eh bien, des populations qui vont être en colère contre ces réglementations, comme par exemple les agriculteurs. Comment est-ce qu'on concilie tout ça ?

CHRISTOPHE BECHU
D'abord en les incluant. Ce que je veux dire, c'est que les agriculteurs, ils vivent déjà l'adaptation. Quand vous avez aujourd'hui des récoltes qui sont un mois plus tôt qu'auparavant, quand vous manquez d'eau alors que vous aviez toujours été habitué à pouvoir en disposer, parce qu'on se retrouve avec plus d'eau l'hiver et moins d'eau l'été, on voit bien que c'est une évolution de nos réflexions et de nos modèles qui faut qu'on soit capable d'avoir. S'il y a d'un côté l'Etat, qui de toute sa hauteur, explique « On va faire comme ça », on aura un problème. Ce n'est pas la méthode sur laquelle nous sommes. La méthode, c'est qu'il y a un an, quand j'ai annoncé qu'il fallait qu'on se prépare à 4°, parce que c'était le consensus scientifique, on a lancé 256 groupes de travail. Ça peut sembler vertigineux, techno, peu importe. On l'a fait parce que l'enjeu, c'est d'éviter d'avoir des angles morts et de regarder, et on va commencer à décliner à partir du mois prochain. L'Agriculture s'adapte, l'immobilier s'adapte, le sport s'adapte. On va rentrer dans le détail.

ALIX BOUILHAGUET
On a quand même le sentiment et on l'a vraiment vu, notamment avec les agriculteurs, que pour les calmer, eh bien finalement, l'écologie a été sacrifiée. Il y a eu le gel des taxes sur le gaz non routier, la pause du plan Ecophyto, la pause aussi l'année dernière sur la zéro artificialisation nette. On sent qu'Emmanuel MACRON ne veut finalement pas braquer l'opinion et que du coup, il fait un peu de l'à-coups en matière d'écologie.

CHRISTOPHE BECHU
Vous savez, dans beaucoup de domaines, vous pouvez regarder dans le passé comment d'autres avant vous ont réglé des soucis ou comment les autres sont en train de le faire. En matière d'écologie, ce n'est pas le cas. Il n'y a pas un pays aujourd'hui sur la planète qui a trouvé la bonne formule pour être dans le bon rythme, dans le bon moment et pour embarquer sa population.

ALIX BOUILHAGUET
Mais il y a bien des à-coups, quand même. Le plan Ecophyto, ce n'est pas un bon signal.

CHRISTOPHE BECHU
Je vous réponds dans un instant. La colère agricole, ce n'est pas français, c'est partout en Europe et c'est même ailleurs dans le monde, avec en Inde, avec dans d'autres endroits du monde, les mêmes interrogations. Tout le sujet, c'est comment on évite que parfois l'écologie s'oppose à l'écologie. Quant au nom de l'écologie j'empêche de débroussailler parce que c'est la période de nidification des espèces, mais qu'au nom de l'écologie j'oblige à débroussailler parce qu'il faut éviter les départs de feux, comment je fais ? Quand, au nom de l'écologie, je renonce au curage des fossés et que, au nom de l'écologie, je me retrouve avec des inondations qui supposent qu'on cure, on voit que dans beaucoup de cas, on a empilé des dispositifs normatifs, parfois avec bonne foi, tout au long des années, mais qu'à la fin, quand vous regardez…

ALIX BOUILHAGUET
Donc il faut faire cette fameuse pause réglementaire européenne ?

CHRISTOPHE BECHU
On a besoin de simplification et je veux dire sur phyto, pour être extrêmement clair, qu'il y a beaucoup d'hypocrisie sur le sujet. Le premier plan Ecophyto dans notre pays, il a été voté en 2008. Vous avez tous les experts qui vous disent " il ne s'est pas passé assez de choses, il ne s'est rien passé entre 2008 et 2012, il ne s'est rien passé entre 2012 et 2018 ". Et les mêmes qui hier considéraient qu'on n'en faisait pas assez, défendent aujourd'hui le fait qu'on devrait continuer à faire ce que nous faisions. Donc qu'on dise : ce serait bien d'avoir un indicateur et pas seulement un indicateur français, et qu'on s'aperçoive qu'on a quasiment éradiqué les phytos les plus dangereux dans ce pays, 96% de moins au cours de ces cinq dernières années…

ALIX BOUILHAGUET
Donc vous dites « vous avancez ».

CHRISTOPHE BECHU
Il faut continuer à avancer, et si on avance sans les agriculteurs, on ne fera pas d'écologie. Un pays sans agriculture ne pourra pas dire qu'il est plus écolo, alors qu'on fera venir nos produits alimentaires du bout du monde.

ALIX BOUILHAGUET
Les Pyrénées-Orientales sont touchées par la sécheresse. Il n'a pas plu là-bas depuis combien de temps ?

CHRISTOPHE BECHU
Depuis 2 ans. Depuis l'été 2022, on n'a pas eu de vrais épisodes de pluie sur la quasi-totalité du département.

ALIX BOUILHAGUET
Vous dévoilez aujourd'hui la carte de l'état des nappes phréatiques. En France, on en est où ? C'est mieux que l'année dernière. Comment ? Est ce qu'il faut s'inquiéter pour cet été ?

CHRISTOPHE BECHU
C'est évidemment beaucoup mieux que l'année dernière. Et j'ai une pensée en disant ça, pour ceux qui trouvent qu'il n'a pas seulement plu d'avantage mais qu'il a plus beaucoup trop. Je pense évidemment aux inondés du Pas-de-Calais où nous étions avec le Premier ministre à nouveau il y a quelques jours. On a, pour dire les choses simplement, seulement un tiers du pays qui est en dessous des normales de saison. Mais dans ce tiers, on a des endroits qui nous entourent, qui nous inquiètent. Je veux dire une partie du pourtour méditerranéen, un petit bout de la Vallée du Rhône et surtout ce territoire des Pyrénées orientales qui est dans une situation atypique et terrible, parce qu'on sait qu'il y a besoin d'eau pour l'agriculture, il y en a besoin pour le tourisme. Et là-bas, on est vraiment dans une situation très compliquée. Alors on a bougé au cours de ces six derniers mois. C'est six projets de réutilisation d'eaux usées qu'on a acceptés, parce que ce sont des moyens concrets d'avoir des alternatives. Il faut qu'on prenne l'habitude, pas seulement là-bas, partout, de se dire que quand en moyenne un Français consomme 149 litres d'eau potable par jour et par personne, il y a évidemment des domaines dans lesquels on peut faire preuve de davantage de sobriété. Et donc il faut qu'on repense notre rapport à l'eau, en arrêtant de penser que c'est une ressource abondante. Et puis il faut parfois faire évoluer la nature de ce qu'on plante. Revoir potentiellement des projets qui seraient très consommateurs en eau, bref, réexaminer tout ça. Mais la vérité, en manière d'eau, c'est que ça se traite de territoire par territoire. On n'est pas sur un seul bassin. Vous avez des endroits dans lesquels aujourd'hui il y a trop d'eau, vous avez des endroits dans lesquels il n'y en a pas assez. Il faut de la décentralisation dans l'approche et il faut une approche qui se fasse avec les élus locaux.

ALIX BOUILHAGUET
Le gouvernement prévoit 10 milliards d'euros d'économies. Est-ce que vous pouvez nous dire aujourd'hui que votre ministère ne sera pas impacté ?

CHRISTOPHE BECHU
Mon ministère a été impacté, à hauteur de 2 milliards d'euros. Mais à la minute où je vous parle…

ALIX BOUILHAGUET
Ça n'ira pas plus loin ? Parce que 2 milliards c'est très très conséquent.

CHRISTOPHE BECHU
C'est très conséquent. Mais l'écologie c'est le domaine qui avait bénéficié de 10 milliards de plus pour l'année 2024. Donc on nous a retiré 2 milliards. Il en reste huit de plus que l'année dernière à la même date et on est toujours sur des niveaux historiques.

ALIX BOUILHAGUET
Vous ne vous êtes pas assez battu ?

CHRISTOPHE BECHU
Non, je considère qu'à un moment on ne peut pas non plus ne pas regarder en face une réalité qui fait que si demain on a une explosion des taux d'intérêt et qu'on doit mettre davantage d'argent pour rembourser la dette, ça en fera moins pour toutes les politiques ministérielles que l'on conduit. Et ensuite, quand vous regardez politique par politique, même si c'est évidemment toujours mieux d'avoir davantage de crédits pour la transition, il y a des domaines dans lesquels, cette année, il y a des sommes qu'on ne dépensera pas. Je pense à MaPrimeRénov', sur lequel on a d'abord besoin de simplifier avant de pouvoir augmenter le niveau de ce que nous dépensons.

ALIX BOUILHAGUET
Un dernier mot ? Une minute, rapidement. Votre groupe Horizons présente aujourd'hui une proposition de loi sur la fast-fashion. La fast-fashion, ces vêtements pas chers que l'on retrouve sur les plateformes. L'idée c'est d'en limiter les accès, d'interdire la publicité, de renforcer les informations pour le consommateur. Alors, certains dans l'opposition, notamment Les Républicains, disent que ce texte il manque d'ambition, ce sera finalement juste un effet d'affichage. On n'est pas impuissant face à ce phénomène de fast-fashion ?

CHRISTOPHE BECHU
Chacun est responsable. Vous savez, en un an, dans notre pays, on est passé de 41 vêtements à 48 en moyenne, achetés, par Français, de 2,8 à 3,3 milliards de vêtements au titre de l'année 2023. Ça, ce n'est pas le gouvernement qui l'a décidé, ce n'est pas un groupe d'opposition qui l'a décidé, c'est chacun de nous, dans nos comportements individuels. On ne peut pas continuer à laisser penser qu'en achetant des vêtements à 4 €, par des gens qui n'ont pas de boutique physique, qui les mettent dans des avions et qui sont responsables à la fin, de 20% de la consommation d'eau, d'un tiers des microplastiques qui se baladent dans les océans, et d'ores et déjà de près de 10% des émissions de gaz à effet de serre, ça n'a pas d'impact sur notre planète. Chaque semaine, il y a 15 millions de vêtements qui arrivent sur les plages du Gana et du Kenya, que nous Européens, on a porté seulement en moyenne 7 ou 8 fois. Il faut changer de comportements et ça sera un objet de concorde entre tous les groupes politiques aujourd'hui à l'Assemblée.

ALIX BOUILHAGUET
Eh bien on verra ça, merci beaucoup Christophe BECHU, bonne journée à vous.

CHRISTOPHE BECHU
Merci.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 15 mars 2024