Texte intégral
NICOLAS DEMORAND
Et avec Léa SALAME nous recevons ce matin le ministre de l'Economie et des Finances, il publie " La voie française ", voie "v.o.i.e ", chez Flammarion, en librairie mercredi. Questions-réactions au 01 45 24 7000 et sur l'application de France Inter. Bruno LE MAIRE, bonjour.
BRUNO LE MAIRE
Bonjour Nicolas DEMORAND.
LEA SALAME
Bonjour.
BRUNO LE MAIRE
Bonjour Léa SALAME.
NICOLAS DEMORAND
Et bienvenue à ce micro. Surprise du chef, ce livre, qui n'était pas annoncé dans les programmes des maisons d'édition, nous est parvenu au bureau du 7/10 à Inter la semaine dernière, alors qu'est-ce que ce livre, on se l'est demandé avec Léa, tant il diffère de vos précédents ouvrages, plus romanesques, plus intimes, là ça n'a rien à voir, c'est un livre politique, c'est un livre programme, qui décline point par point de grands leviers de réformes pour la France de ces toutes prochaines années. Bruno LE MAIRE, pourquoi ce livre à deux mois et demi des européennes, pourquoi faire entendre votre voix, " v.o.i.x ", aujourd'hui et de cette manière-là ?
BRUNO LE MAIRE
Tout simplement parce que le monde a changé, que la France a changé, que nous sommes dans un contexte totalement différent, géopolitique, la guerre en Ukraine, financier, l'argent est devenu cher, et économique et technologique avec le surgissement de l'intelligence artificielle, donc éprouvé le besoin, d'abord de faire le bilan de ce que nous avons fait avec le Président de la République depuis maintenant près de sept ans, et puis le besoin surtout de rester en mouvement, de rester à l'offensive, de dire voilà où nous pouvons aller, et voilà les cartes que la France peut jouer dans ce monde qui a radicalement changé en l'espace de quelques mois.
LEA SALAME
Où peut-on aller, c'est ce que vous demandez ce matin, on peut voir où on peut aller, mais c'est vrai qu'en lisant votre livre, Bruno LE MAIRE, on se dit lui il va en 2027. Je défie quiconque, même un enfant de dix ans, de ne pas voir, en lisant votre livre, et je pense que tout le monde vous l'opposera, tout le monde vous posera cette question, que ce livre-là est un livre programme qui ressemble à d'autres livres programmes qu'on a pu lire avant des présidentielles, " Révolution " d'Emmanuel MACRON, " L'avenir en commun " de Jean-Luc MELENCHON, c'est-à-dire un livre très précis où on donne, voilà les pistes de ce qu'il faut faire, de ce que je ferai si j'avais le pouvoir véritablement dans trois ans.
BRUNO LE MAIRE
Quand je fais un livre au programme, il m'est arrivé d'en faire un, il fait plus de 1000 pages, donc celui-là en fait à peine 130, donc vous voyez que ce n'est pas…
LEA SALAME
C'est une profession de foi déjà.
BRUNO LE MAIRE
Ce n'est pas un livre programme. Oui, c'est une profession de foi dans la France, ça je vous le confirme. La deuxième chose, c'est que je parle principalement d'économie, de situation économique, de créations d'emploi, de réindustrialisation, ce qui est dans mon champ de compétence, donc pour toutes ces raisons je veux vraiment… je me doutais de cette remarque, mais ce n'est pas un livre programme, c'est un livre qui dit voilà où nous en sommes, voilà ce que nous avons déjà fait et voilà le chemin du reste…
LEA SALAME
Vous n'êtes pas candidat, déjà ?
BRUNO LE MAIRE
Non, je ne suis pas candidat…
LEA SALAME
Ce n'est pas une manière de dire voilà…
BRUNO LE MAIRE
Donc je vous le dis très simplement Léa SALAME, je ne suis pas candidat, je suis ministre de l'Economie et des Finances, je vois le temps qui nous reste devant nous, je vois la nécessité d'accélérer les changements de notre modèle économique et de notre modèle social, au niveau national, comme au niveau européen, je vois une Europe qui est coincée entre une Chine interventionniste et des Etats-Unis de plus en plus protectionnistes, et qui le resteront après l'élection de novembre, et je dis mais, qu'est-ce que veut faire et qu'est-ce que peut faire la France et l'Europe dans cette situation ?
LEA SALAME
Eh bien on va voir, point par point.
NICOLAS DEMORAND
Oui, point par point. C'est un livre qui appelle à une refondation de certains des piliers du modèle français, vous voulez par exemple en finir avec l'Etat providence, vous voulez réformer en profondeur l'assurance maladie, l'assurance chômage, sur le plan des idées, sur le plan idéologique, assumez-vous que c'est un livre au libéralisme décomplexé ?
BRUNO LE MAIRE
Ah bah pas du tout, pas du tout, puisqu'au contraire je condamne dans les pages, quand je rappelle ce que j'ai fait comme ministre à l'Agriculture, le libéralisme décomplexé. Je pense que le libre-échange sans règles et sans équilibre est une folie. Je rappelle que, lorsque j'étais une fois encore ministre de l'Agriculture, j'ai combattu Mariann FISCHER BOEL qui à l'époque était commissaire à l'Agriculture, qui voulait importer tous nos bovins du Brésil en nous disant " ils sont moins chers là-bas ", je disais " eh bien oui, peut-être, mais ils sont meilleurs chez nous, ils sont produits dans des conditions environnementales satisfaisantes, ils protègent nos paysages, ils protègent notre activité sociale, donc il n'est pas question d'avoir un libre-échange débridé, pas question d'avoir une ouverture de nos frontières débridée. "
LEA SALAME
Oui, mais en France…
BRUNO LE MAIRE
Je plaide exactement pour l'inverse.
LEA SALAME
Oui, mais en France, vouloir en finir avec l'Etat providence…
BRUNO LE MAIRE
Mais ça c'est autre chose.
LEA SALAME
Ah bah si, c'est aussi la base de notre contrat social. Vous dites quoi ce matin, l'Etat providence est obsolète, il a fait son temps, il n'est plus efficace, voire c'est un élément bloquant du développement du pays ?
BRUNO LE MAIRE
Oui, bien sûr, c'est ce que je crois, je crois à un Etat qui protège, je crois à notre modèle social, je crois à l'hôpital public, je crois à l'école publique, je crois à la nécessité de protéger les plus faibles. Je crois qu'il serait bon – on rembourse aujourd'hui les fauteuils roulants - je pense qu'il serait bon de rembourser tous les fauteuils roulants de ceux qui n'ont pas d'autres choix que d'avoir des fauteuils qui sont faits sur-mesure et qui vont coûter 6000, 7000, 8000 euros, voilà ce à quoi je crois. En revanche je ne crois pas à l'accumulation de dépenses, année après année, qui deviennent des acquis sur lesquels on ne bouge pas. Quand nous mettons en place, avec le président de la République et le Premier ministre, un bouclier de protection tarifaire contre la flambée des prix du gaz et de l'électricité, le jour où la flambée des prix du gaz et de l'électricité a fini, eh bien on retire ces aides. C'est ça la différence entre un Etat providence, qui accumule les dépenses et qui ne revient jamais dessus, d'ailleurs aucune opposition n'a voulu revenir sur le bouclier tarifaire sur le gaz ou sur l'électricité, là où nous avons pris la responsabilité de le retirer, et un Etat protecteur qui lui protège quand c'est nécessaire, face au Covid, face à l'inflation, et je suis fier de la protection que nous avons portée à ce moment-là, et lorsque la situation revient à la normale, nous rétablissons les comptes pour que l'Etat puisse continuer à vous protéger.
NICOLAS DEMORAND
Vous suggérez, Bruno LE MAIRE, de faire évoluer le régime de remboursement des soins pour le concentrer sur les personnes les plus vulnérables, les plus âgées., ça veut dire quoi, que les soins seraient à terme remboursés en fonction des revenus des malades, est-ce que clairement vous voulez tourner la page de la Sécurité sociale dont on est très fiers en France, qui s'est ouverte après la Seconde Guerre mondiale, et vous dites là maintenant, ça y est, c'est caduc ?
BRUNO LE MAIRE
Mais certainement pas Nicolas DEMORAND, je veux vous rassurer…
NICOLAS DEMORAND
Expliquez-nous.
LEA SALAME
Expliquez-nous, parce qu'il y a quand même des lignes et des pages qui sont…
BRUNO LE MAIRE
Non, mais je vous rassure, je ne suis pas une caricature, j'essaye d'avoir une réflexion de long terme…
NICOLAS DEMORAND
Non, mais le Diable est dans les détails, donc expliquez-nous.
BRUNO LE MAIRE
Le Diable est surtout dans la caricature. Ce n'est pas parce que je viens de la droite que je serai hostile à un Etat qui protège et hostile à la Sécurité sociale, au contraire j'y suis viscéralement attaché. Simplement, je suis bien obligé de regarder un fait, la démographie de 2024 n'est pas la démographie de 1945, nous faisons moins d'enfants, nous avons un pays qui vieillit, nous avons des coûts de santé qui explosent. Les affections de longue durée c'était, il y a quelques années, 8 millions de personnes, c'est 12 millions aujourd'hui. Pourquoi ? Parce que nous vieillissons, parce qu'il y a de nouvelles pathologies chroniques comme l'asthme, parce qu'il y a plus de personnes qui sont touchées par Alzheimer, plus de personnes qui sont touchées par les cancers…
LEA SALAME
Mais du coup, quand vous parlez de mirage de la gratuité universelle, ça veut dire quoi sur l'assurance maladie, sur la Sécurité sociale ?
BRUNO LE MAIRE
Mais ça veut dire très concrètement que les personnes dont je viens de parler, je veux les protéger, je veux que chaque français qui vieillit ait une vie digne, et je sais que ça va coûter cher.
LEA SALAME
Alors, comment on fait ?
BRUNO LE MAIRE
Et, du coup, je dis très simplement à nos compatriotes…
LEA SALAME
Comment on transforme ?
BRUNO LE MAIRE
Si nous voulons protéger les plus faibles, les plus fragiles, les personnes qui vieillissent, les personnes en situation de dépendance, les personnes qui ont un accident de la vie très grave, eh bien il faut que nous tous, sur nos dépenses de santé, nous fassions plus attention. Quand nous doublons la franchise sur le médicament de 50 centimes à 1 euro, ça rapporte plus d'1 milliard d'euros, eh bien je pense que sur toutes ces dépenses du quotidien il faut responsabiliser chacun pour pouvoir protéger ceux qui en ont le plus besoin. C'est la différence entre un Etat providence qui finance tout, tout le temps, pour tout le monde, et l'Etat auquel je crois, qui protège réellement et totalement les plus fragiles.
LEA SALAME
Mais quand vous dites il faut transformer de manière drastique notre modèle social, et notamment l'assurance maladie, et que vous dites il faut concentrer le régime des remboursements sur les personnes les plus vulnérables et les personnes âgées, c'est-à-dire que qui ne sera plus remboursé si on transforme les choses ?
BRUNO LE MAIRE
Mais il ne s'agit pas de ne plus rembourser certaines personnes, c'est juste de regarder dans nos dépenses de santé. Je prends l'exemple des transports médicaux, le débat est sur la table, et je pense qu'il est bon que tout le monde le regarde sereinement. Nous dépensons plus de 5 milliards d'euros chaque année pour les transports médicaux, est-ce qu'on peut faire mieux pour moins cher ? J'en suis convaincu.
LEA SALAME
Comment alors, par exemple ?
BRUNO LE MAIRE
Et cet argent, il ne s'agit pas d'économiser pour le remettre dans le budget de l'Etat, il s'agit juste de répondre au besoin criant de financement des hôpitaux publics, des services d'urgence et des personnes qui sont les plus…
LEA SALAME
Quelle est votre proposition sur le transport médical par exemple, puisque vous dites ça coûte très cher, ça voudrait dire quoi ?
BRUNO LE MAIRE
Je dis juste que nous avons identifié des dépenses, comme les transports médicaux, sur lesquelles j'appelle toutes les oppositions à venir dialoguer avec nous, je les rassemblerai d'ici début avril, pour dire écoutez, au lieu de me faire systématiquement des propositions de dépenses nouvelles, Etat providence, faites-moi des propositions de recettes Etat protecteur, pour qu'on puisse mieux protéger ceux qui en ont besoin. Voici les sujets qui sont sur la table, quelles sont vos propositions là-dessus ? Il y a les transports médicaux, il peut y avoir d'autres choses. Nous avons été bien seuls quand nous avons défendu cette franchise à 1 euro pour les médicaments, eh bien je pense que c'était une décision responsable qui permet de garantir la protection de ceux qui en ont plus besoin.
NICOLAS DEMORAND
Sur l'assurance chômage, vous maintenez votre proposition d'aligner l'indemnisation des chômeurs de plus de 55 ans, vous détestez le terme de seniors, sur le droit commun, c'est-à-dire 18 mois pour tout le monde et pas 27 mois pour eux. Cette proposition, vous le savez, a heurté les chômeurs de plus de 55 ans qui cherchent du travail et auxquels on répond vous êtes trop vieux. Comment vous justifiez votre proposition ?
BRUNO LE MAIRE
Par le taux de chômage des seigneurs en France, qui est beaucoup trop élevé, par le taux d'emploi des plus de 55 ans – je n'aime pas le mot senior sans doute parce que je vais avoir 55 ans - mais je constate juste que nous avons un taux d'emploi des plus de 55 ans qui est un des plus faible de tous les pays développés, je trouve ça révoltant, quel gâchis de compétences, quel gâchis d'expérience.
LEA SALAME
Et vous pensez que si on réduit les allocations ça boostera le travail des seniors ?
BRUNO LE MAIRE
Je ne pense pas que ce soit la seule solution, il n'y a pas de solution miracle, je dis regardons cette solution-là parce qu'aujourd'hui, quelle hypocrisie, en réalité on vous construit tout un système qui vous met du chômage à la retraite directement et on se passe de vous, c'est révoltant, donc on peut travailler là-dessus. On peut aussi demander aux entreprises de faire davantage sur l'emploi des seniors. Les entreprises ont une responsabilité majeure pour garder les seniors dans leurs équipes. Et troisième chose, on peut inventer des dispositifs nouveaux qui existent ailleurs en Europe. J'ai fait une proposition très concrète, dire à ceux qui ont plus de 60 ans, parce que c'est très coûteux, et qui ont eu un travail pénible, donc ils ne veulent pas reprendre un travail à 100 %, vous prenez un travail à temps partiel, 80%, on vous garantit 90% de la rémunération et 100% des cotisations retraite, c'est attractif, c'est bon pour la société parce que ça fait reprendre un travail et c'est protecteur des gens parce que vous ne repartez pas à 100% si vous êtes fatigué, ou en difficulté, ou que votre travail était pénible, mais uniquement à 80% de votre temps.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 19 mars 2024