Déclaration de M. Stéphane Séjourné, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, sur l'accord de sécurité franco-ukrainien et la situation en Ukraine, au Sénat le 13 mars 2024.

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Circonstance : Déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat et d'un vote, en application de l'article 50-1 de la Constitution, relative au débat sur l'accord de sécurité franco-ukrainien et la situation en Ukraine au Sénat

Texte intégral


Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les Sénateurs, avant de répondre à vos interrogations, je souhaitais vous décrire ce que cet accord bilatéral représente à nos yeux.

Il vise tout d'abord à réaffirmer l'unité des Européens. Les attentes de nos partenaires sont fortes, autant à Berlin qu'à Helsinki, à Varsovie ou à Prague. Les pays européens se sont tous engagés à soutenir l'Ukraine malgré les divisions politiques et les différences partisanes qui existent dans les parlements nationaux comme au sein du Parlement européen. Cette unité se trouve précisément reflétée dans l'accord que nous vous soumettons aujourd'hui.

Mesdames, Messieurs les Sénateurs, tout d'abord, vous pouvez faire partie de l'opposition au Gouvernement et approuver cet accord.

Il me semblait bon de le réaffirmer.

Ensuite, il s'agit d'un accord pour la paix. En soutenant l'Ukraine, nous sauvegardons notre ADN européen, qui se caractérise par des principes et des valeurs. Nous avons en effet décidé qu'un pays ne pouvait pas en agresser un autre, qu'il ne pouvait violer ni le droit international ni la souveraineté territoriale d'un autre Etat.

Rappelons une évidence : cette guerre, c'est bien la Russie qui la veut, pas nous ! Et la paix, c'est bien l'Ukraine qui la demande, avec nous. Ne nous y trompons pas.

Enfin, c'est un accord pour l'histoire. Nous sommes à la croisée des chemins : l'agressivité inédite dont a fait preuve la Russie, notamment ces dernières semaines, le prouve. De la poursuite de notre engagement dépendront l'avenir des Européens et la capacité pour nos concitoyens de conserver la maîtrise de leur destin.

Les groupes politiques de cette assemblée ont soulevé plusieurs questions concernant les menaces pour la paix, le risque d'escalade, l'agriculture, l'élargissement des sanctions aux fonds financiers russes et les nouvelles ressources pour aider l'Ukraine.

Je veux tout d'abord répondre à ceux qui nous accusent de menacer la paix en aidant l'Ukraine. Il ne suffit pas, Mesdames, Messieurs les Sénateurs, de lever un drapeau blanc pour arrêter la Russie.

Ecoutez ce que nous dit Moscou : son but stratégique est la soumission complète de l'Ukraine. Hier, dans un entretien, Vladimir Poutine a déclaré : "Pourquoi négocier avec l'Ukraine, alors qu'elle est à court de munitions ?" Tout est dit ! Son objectif est bien de soumettre l'Ukraine, et toute faiblesse de notre part ne fera que le renforcer.

Nous devons tirer les conséquences d'un tel constat : seul un soutien massif et durable à l'Ukraine peut amener la Russie à revoir ses objectifs. Cela suppose non seulement de fournir un soutien militaire à la hauteur et de garantir la production de munitions et d'équipements sur le territoire européen, mais aussi de mettre l'Ukraine en position de force sur le terrain, pour qu'elle puisse négocier une paix juste et durable, selon les conditions qu'elle aura elle-même définies. Ce souhait des Ukrainiens, qui n'ont jamais demandé à être envahis, est aussi le nôtre.

On l'a vu ces dernières semaines : les Européens sont unis autour des accords qui favorisent le soutien à l'Ukraine ; tel est le cas de celui dont vous avez débattu aujourd'hui.

Certains, ici, ont dénoncé un risque d'escalade. J'entends leurs interrogations, mais n'inversons pas les choses. La Russie est le seul agresseur.

La Russie, seule, agite les peurs en brandissant la menace nucléaire et en menant des campagnes de désinformation et de déstabilisation de nos sociétés.

Cet accord bilatéral permettra de reprendre la main. D'ailleurs, l'accord de sécurité signé par le Président de la République et le président ukrainien, le 16 février dernier, est la suite logique des efforts qui ont été accomplis pour soutenir l'Ukraine dans la durée. Il n'y a donc ni escalade ni fantaisie : la réponse à cette agression est seulement forte et claire.

Depuis le premier jour du conflit, notre soutien à l'Ukraine a été continu, tout d'abord en matière humanitaire - j'y insiste d'autant plus que la Russie vise délibérément des populations et des infrastructures civiles et énergétiques.

Ainsi, la France a mobilisé près de 300 millions d'euros via les ONG, ses partenaires, les organisations internationales qui interviennent sur place et les opérateurs de la solidarité menés par le Centre de crise et de soutien économique du Quai d'Orsay, dans la perspective d'une reconstruction de l'Ukraine.

Evoquons aussi le soutien politique de la communauté internationale, qui, dans sa grande majorité, continue à se ranger derrière l'Ukraine. La France joue un rôle majeur pour que les crimes perpétrés par la Russie ne restent pas impunis. Elle appuie notamment les enquêtes ukrainiennes, comme à Boutcha, et celles de la Cour pénale internationale (CPI), et elle contribue à la formation de magistrats ukrainiens.

Vous avez évoqué un certain nombre de pistes pour renforcer le soutien financier à l'Ukraine, en s'attaquant aux avoirs russes. Nous sommes favorables à cette option, pourvu qu'elle respecte le droit international. En effet, la séquestration des avoirs russes pourrait nous conduire à violer nous-mêmes les normes internationales, ce qui nuirait à la crédibilité de notre argumentaire contre la Russie.

Concernant ces avoirs, la Commission européenne préconise la taxation des intérêts d'emprunt, une solution aussi évoquée par Kaja Kallas, la Première ministre estonienne. Cela permettrait de constituer des ressources propres de l'ordre de 100 milliards d'euros et garantirait aux Ukrainiens davantage de liquidités, et cela le plus rapidement possible.

J'en viens aux sanctions. Ne vous fiez pas aux statistiques publiées par la Russie : plusieurs pans de l'économie ne sont pas couverts par les statistiques, afin d'afficher des taux de croissance importants. En réalité, l'économie russe est devenue une boîte noire assez incohérente, et je doute de l'optimisme affiché par le Kremlin.

Pour notre part, nous constatons que les sanctions prononcées sont utiles, puisqu'elles renchérissent d'ores et déjà le coût de la guerre pour la Russie.

Au-delà de leur effet à court terme, ces sanctions auront des conséquences tout à fait significatives et durables sur la capacité de la Russie à financer son économie de guerre. Les ruptures d'approvisionnement, notamment, sont légion dès lors que le secteur des hautes technologies est affecté. Nous observons également, depuis le début du conflit, un important phénomène d'émigration de travailleurs russes très qualifiés, qui ne peut que nuire à l'économie du pays.

Plusieurs d'entre vous ont exprimé leurs inquiétudes sur un potentiel élargissement de l'OTAN à l'Ukraine via l'accord bilatéral de sécurité que nous avons signé. Or, celui-ci n'est en aucune manière un accord d'adhésion caché, contrairement à ce que j'ai pu entendre à l'Assemblée nationale - d'ailleurs, je salue les sénateurs pour la qualité de leurs interventions.

Il ne s'agit pas d'intégrer l'Ukraine à l'Union européenne ou à l'OTAN, ces projets d'adhésion ayant leur calendrier, leurs conditions et leurs exigences propres. Le Parlement aura d'ailleurs à s'exprimer sur le sujet. Prétendre le contraire, c'est faire croire à nos concitoyens qu'un simple accord bilatéral pourrait se substituer au débat public et aux chambres.

En conclusion, les mêmes débats ont lieu et les mêmes questions se posent chez tous nos partenaires qui ont signé ce genre d'accord bilatéral, comme le Royaume-Uni et l'Allemagne. Partout, il reste encore à convaincre l'opinion publique. Toutefois, sachez que les Etats européens manifestent la même constance dans leur engagement envers l'Ukraine, notamment les Etats baltes et la Pologne, qui craignent eux aussi une attaque de la Russie.

Ne soyons pas dupes de la menace au prétexte que nous serions éloignés de la frontière russe de quelques centaines de kilomètres de plus que d'autres pays européens. Cette guerre touche l'Europe tout entière, d'autant que celle-ci a une certaine idée de la paix. La guerre réveille chez chacun d'entre nous, dans chacune de nos familles, des souvenirs et des traumatismes qui ne sont pas si lointains.

J'en termine : Mesdames, Messieurs les Sénateurs, ce que nous vous demandons par ce vote, c'est tout simplement de continuer à rendre possible le soutien à l'Ukraine.


Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 avril 2024