Interview de Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé et des solidarités, à France Info le 28 mars 2024 sur la réforme de l'assurance-chômage et les négociations avec les partenaires sociaux.

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Média : France Info

Texte intégral

SALHIA BRAKHLIA
Bonjour Catherine VAUTRIN.

CATHERINE VAUTRIN
Bonjour.

JEROME CHAPUIS
Bonjour.

SALHIA BRAKHLIA
Oui, il y aura une nouvelle réforme de l'assurance chômage à l'automne prochain, c'est ce qu'a annoncé Gabriel ATTAL hier soir, et parmi les pistes envisagées, diminuer la durée d'indemnisation des chômeurs, de 18 mois aujourd'hui à 12 mois, écoutez la réaction de la CGT sur France Info, écoutez Sophie BINET.

SOPHIE BINET
Quand on baisse les droits des privés d'emploi, quand on raccourcit la durée d'indemnisation, on fait quoi ? On empêche aux privés d'emploi de construire un projet professionnel sérieux et de retrouver un emploi de qualité, et donc on enferme le pays dans des mini-jobs et on appauvrit l'ensemble du pays, c'est ça le projet politique du gouvernement.

SALHIA BRAKHLIA
C'est votre projet politique dit-elle.

CATHERINE VAUTRIN
Je crois qu'on a une vision totalement différente Sophie BINET et le gouvernement, parce que Sophie BINET est dans une logique où on laisse les gens dans la situation du chômage de masse, le pays crève du chômage de masse, notre difficulté c'est précisément d'accompagner celles et ceux qui sont au chômage vers l'emploi, et c'est vraiment la nécessité qui a été annoncée par le Premier ministre qui est de dire, parce que, on a d'ailleurs une étude de la DARES, qui sera rendue en juin, qui donne les premiers éléments, plus vous restez longtemps au chômage, moins vous avez de chance de retrouver un boulot, donc le sujet, le sujet, c'est vraiment chômage, formation, retour vers l'emploi dans des délais les plus court possibles.

SALHIA BRAKHLIA
En parlant d'étude de la DARES, lors de la dernière réforme en 2019, plus d'un million de chômeurs ont vu leur indemnité chômage baisser de 10 %, alors, oui, il y a eu des retours à l'emploi, plus rapides, mais pour des contrats courts, moins bien rémunérés, loin de l'emploi durable que vous prônez, Madame la ministre, ce n'est pas un problème ça ?

CATHERINE VAUTRIN
Vous faites allusion à une étude, qui est la première partie de l'étude, puisque le fonds sera rendu en juin, donc moi je n'ai pas pour habitude d'aller donner tous les résultats quand je n'ai pas tous les chiffres. Ce qui est certain, c'est que la difficulté, et là aussi les chiffres le démontrent, c'est que si vous êtes longtemps au chômage vous perdez votre employabilité, et donc formation = meilleure employabilité, = retour à l'emploi, et quelque part moi je veux tout de suite arrêter, quand j'entends certains dire « oui, vous allez faire d'un cadre un plongeur », d'abord, un, j'ai du respect pour le plongeur, deux, le sujet ce n'est pas d'aller faire du cadre un plongeur, c'est de regarder, avec le cadre, quelles sont d'abord ses aspirations, quelle est sa situation, quelle validation des acquis d'expérience on peut faire, quelle formation on peut lui apporter et quelle nouvelle partie de carrière il peut faire, et donc, quelque part, c'est un investissement social que d'accompagner celles et ceux qui sont dans une situation de chômage, parce que c'est leur permettre de rebondir. Et il ne faut jamais oublier que, aujourd'hui, la difficulté de notre pays, c'est que nous avons un taux d'emploi des jeunes qui est faible, 36 %, un taux d'emploi des seniors qui est tout aussi faible, 35 %, ce sont ces deux extrémités. L'ensemble c'est (...) % de taux de chômage, notre objectif, le Président de la République l'a dit, le Premier ministre l'a rappelé hier soir, c'est 5 %. Avec 5 % on répond aux besoins des offres des entreprises, parce qu'on a aujourd'hui des emplois non pourvus, et on règle nos comptes sociaux.

JEROME CHAPUIS
Et pour vous, du coup, il faut quelle durée d'indemnisation ? Hier le Premier ministre a dit on peut aller jusqu'à 12 mois contre 18 actuellement.

CATHERINE VAUTRIN
Vous avez entendu le Premier ministre hier, le Premier ministre a ouvert des pistes, parce que notre priorité c'est le dialogue social, en d'autres termes, j'ai entendu effectivement Sophie BINET, vous venez de le préciser, j'ai entendu Frédéric SOUILLOT, je ne vais pas citer tous les partenaires sociaux, l'idée c'est qu'on travaille ensemble. On sait très bien que ce sur quoi on peut travailler, qu'est-ce que c'est ? C'est d'une part les conditions d'affiliation, combien de temps faut-il travailler sur une période donnée pour bénéficier du chômage…

SALHIA BRAKHLIA
Alors, aujourd'hui c'est six mois, le but c'est de l'augmenter à combien ?

CATHERINE VAUTRIN
C'est six mois en 24 mois, c'est-à-dire en deux ans il faut avoir travaillé six mois, ça se discute. Je ne vais pas vous dire aujourd'hui c'est tant de mois, ça se discute, c'est une piste.

JEROME CHAPUIS
Ce qu'on a entendu hier soir c'est une position de négociation, ce n'est pas un point de départ ?

CATHERINE VAUTRIN
C'est une position de négociation. De la même manière, vous avez une deuxième position de négociation, qui est la durée d'indemnisation, c'est la deuxième piste qui a été évoquée par le Premier ministre, et la troisième piste que le Premier ministre a…

SALHIA BRAKHLIA
Attendez, vous allez trop vite sur la durée d'indemnisation, parce que le Premier ministre dit 12 mois, c'est 18 aujourd'hui…

CATHERINE VAUTRIN
Le Premier ministre a dit on peut regarder la durée d'indemnisation et il a précisé, « sans aller en dessous de 12 mois. »

SALHIA BRAKHLIA
Donc ça peut être 15 en fait, c'est ça ?

CATHERINE VAUTRIN
C'est vous qui le dites.

SALHIA BRAKHLIA
Non, mais vous voulez négocier à 15, c'est ça ?

CATHERINE VAUTRIN
Attendez, on va déjà se voir et discuter, on ne va pas commencer à apporter des conclusions avant d'avoir commencé, ce qui est certain c'est qu'on est parfaitement conscient qu'il y a nécessité d'accompagner, et je pense que ce qu'a dit le Premier ministre permettait de montrer que, bien évidemment, nous sommes conscients de la diversité des situations. La troisième piste que le Premier ministre a mise en avant, c'est cette notion qui est celle du montant de l'indemnisation en disant immédiatement « c'est une piste que je ne privilégie pas »…

SALHIA BRAKHLIA
Il n'est pas question d'y toucher ?

CATHERINE VAUTRIN
Je cite le Premier ministre, « c'est une piste que je ne privilégie pas », et je rappelle qu'il y a déjà eu une réforme sur le sujet pour celles et ceux qui sont indemnisés sur une base supérieure ou égale à 4900 euros par mois, ce n'est donc pas tout le monde.

JEROME CHAPUIS
Donc les deux points de la négociation, dont vous avez la charge, c'est la durée d'indemnisation et les conditions d'accès à l'indemnisation du chômage.

CATHERINE VAUTRIN
Et je vais vous en ajouter un troisième, c'est que rien n'interdit la créativité et de réfléchir à d'autres approches. Si on ouvre un dialogue, c'est pour regarder ce qu'on peut faire…

JEROME CHAPUIS
Vous pensez à quoi ?

CATHERINE VAUTRIN
On va y travailler, un dialogue ça nécessite de regarder, est-ce qu'il faut regarder des tranches d'âge, est-ce qu'il faut regarder comment au début…je suis personnellement convaincue qu'il faut effectivement essayer d'accompagner au plus vite pour reprendre au plus vite, ça se discute et il y a d'autres pistes qui peuvent être ouvertes.

JEROME CHAPUIS
Il y a l'objectif du plein emploi, mais il y a aussi l'objectif des équilibres, or, là-dessus, Marine LE PEN et Sophie BINET disent à peu près la même chose…

CATHERINE VAUTRIN
C'est bien, vous faites un joli rapprochement, Marine LE PEN et Sophie BINET…

JEROME CHAPUIS
Non, mais de fait…

CATHERINE VAUTRIN
Non, mais je note, pourquoi pas.

JEROME CHAPUIS
Après il y a des faits, c'est 20 milliards d'excédents qui sont prévus pour l'assurance chômage, de 2024 à 2027.

CATHERINE VAUTRIN
Non, pas du tout.

JEROME CHAPUIS
Alors allez-y.

CATHERINE VAUTRIN
Alors, le chiffre est faux, la trajectoire, telle qu'elle est écrite, on était en 2019, pour reprendre les choses, à -3,6 milliards, et la trajectoire elle est à 11 milliards en 2027. Mais pourquoi ?

JEROME CHAPUIS
+11 milliards, donc un régime excédentaire.

CATHERINE VAUTRIN
Un régime qui est… et pourquoi le régime était excédentaire ? Parce que le fondement de l'assurance chômage c'est de participer évidemment à l'indemnisation de celles et ceux qui sont au chômage, premier point, je rappelle, pour donner une idée, que là… je vous ai parlé d'investissement social, on est sur une logique, quelqu'un qui bénéficie de l'assurance chômage aujourd'hui, en moyenne c'est 23 320 euros par an, pour vous donner une idée, et globalement on parle de 2 600 000 personnes, la question, aujourd'hui, c'est que l'assurance chômage permette de financer la formation. C'est tellement vrai que si vous regardez le dispositif qui est le dispositif en fait d'accompagnement pour les compétences, qu'on appelle dans le jargon…

SALHIA BRAKHLIA
Non, mais vous entendez les critiques Catherine VAUTRIN, est-ce que vous faites cette réforme pour gagner de l'argent, pour faire des économies ?

CATHERINE VAUTRIN
Non, nous faisons cette réforme pour l'emploi, pour ramener les gens vers l'emploi, et un des codicilles pour les ramener vers l'emploi c'est de les former. Pour les former, il faut payer des formations, ce n'est pas complètement ridicule que l'assurance chômage permette un, d'indemniser, deux, de former, dans un seul objectif, ramener vers l'emploi.

SALHIA BRAKHLIA
Sauf que vous entendez ce que disent les économistes, si en période de hausse du chômage et de croissance nulle, ce qui est notre cas, on diminue les durées d'indemnisation, ça n'aura aucun impact sur le retour à l'emploi, les gens ne sont pas devenus paresseux, c'est juste qu'il y a plus de croissance, donc le chômage augmente. Vous l'entendez ce raisonnement ?

CATHERINE VAUTRIN
Personne ne dit, d'une part, que les gens sont paresseux, et ça je pense que c'est extrêmement important de le rappeler, deuxièmement, nous avons un marché du travail aujourd'hui qui montre qu'il y a des offres et il n'y a personne en face, et ce que les Français ne comprennent pas, c'est pourquoi est-ce qu'il y a des offres qui ne sont pas pourvues, et donc il faut faire se rencontrer celles et ceux qui cherchent un emploi et ceux qui en offrent.

SALHIA BRAKHLIA
Oui, mais c'est si un cadre et qu'il y a un emploi de plongeur, ça ne marche pas.

CATHERINE VAUTRIN
Non mais… on ne va pas être dans la caricature, et si on prend les différents types de population, je vais prendre un exemple, sur tous les métiers de l'humain, je suis aussi ministre de la Santé, aujourd'hui il y a des lits dans notre pays qui ne sont pas ouverts parce qu'il n'y a personne pour mettre au pied des lits, on recrute aussi bien des aides-soignantes, qu'on recrute des assistantes maternelles, eh bien, très concrètement, quand on inscrit les bénéficiaires du RSA, pour parler d'eux parce que c'est quand même 1 800 000 personnes, et qu'on les accompagne, qu'on les forme et qu'on les remet à l'emploi. La nouveauté, qu'est-ce qu'on a fait ? On les a tous automatiquement inscrits pour les connaître, pour lever les freins qui les empêchent d'aller vers l'emploi, pour ensuite les accompagner. Il y a une première cohorte, avec France Travail, 5000 personnes, il y en a exactement 60 % qui, au bout de six mois, étaient en formation ou en emploi, donc il y a des choses qui fonctionnent.

JEROME CHAPUIS
Catherine VAUTRIN, on vous retrouve juste après le Fil info.

(…)

JEROME CHAPUIS
Et la ministre du Travail, de la Santé, des Solidarités, Catherine VAUTRIN, vous allez donc remettre les partenaires sociaux autour de la table alors qu'ils ont signé un accord sur l'assurance chômage en décembre, qui n'est toujours pas validée dans les formes par le gouvernement, qu'ils terminent à peine leurs négociations sur le chômage des seniors. Est-ce qu'ils travaillent pour rien ?

CATHERINE VAUTRIN
Ils ne travaillent pas du tout pour rien. Ils étaient dans le cadre d'un accord, ils devaient rendre leur copie le 26 mars. Ils ont dit au Premier ministre qu'ils souhaitaient aller jusqu'au 8 avril, ce qui bien sûr a été accepté par le Premier ministre. Ils vont donc rendre leur copie ; on l'espère, présenter un accord. À ce moment-là, les textes prévoient qu'il soit transposé, je n'entre pas dans le détail de cette transposition. Derrière, nous ce que nous disons, c'est que la lettre de cadrage, c'est-à-dire ce qui fixe le cadre de l'accord, correspondait à la situation économique de septembre 23. Il ne vous a pas échappé que la situation économique de mars 24 n'est pas la même.

JEROME CHAPUIS
Donc l'accord qui a été signé en décembre dernier, il est caduc ?

CATHERINE VAUTRIN
Il n'est pas caduc, il ne correspond pas à la situation économique. La preuve, on vient de voir l'exécution 23 avec un déficit de plus de 15 milliards d'euros. Donc la question, c'est de leur dire : ce que vous avez fait, bien évidemment, vous êtes d'accord doit être transposé ; on vous propose de renégocier d'où la discussion d'une concertation et d'une nouvelle discussion qui s'enclenche, et à ce moment-là d'un atterrissage à l'automne, comme l'a dit le Premier ministre hier.

SALHIA BRAKHLIA
Mais renégocier pour éliminer ce qu'ils ont décidé parce que est-ce que vous allez demander aux partenaires sociaux d'aligner la durée d'indemnisation des seniors sur celle des autres chômeurs, à savoir douze mois ?

CATHERINE VAUTRIN
Mais vous imaginez bien que quand vous commencez une négociation, vous commencez par déterminer la négociation. Donc ce qu'on va regarder, c'est l'ensemble des éléments, comment on peut aller plus loin ? C'est ce qu'on vient d'évoquer il y a quelques minutes. Le chômage des seniors, c'est une priorité. Pourquoi ? Parce qu'on le voit, le taux d'emploi des seniors est très faible. Je le répète : 33 % pour les 60-64 ans, ce sont les plus éloignés de l'emploi. Notre volonté, c'est formation et, vraiment, retour dans les meilleures conditions possibles et c'est aussi être…

SALHIA BRAKHLIA
Mais diminution de la durée d'indemnisation là aussi.

CATHERINE VAUTRIN
Mais ça n'est pas qu'un sujet de diminution. Le sujet, c'est la…

SALHIA BRAKHLIA
Mais répondez-moi juste sur la durée d'indemnisation.

CATHERINE VAUTRIN
Je vous réponds que je ne vais pas vous donner une réponse à un moment où la négociation n'a pas commencé. Ce que je souhaite, c'est former, accompagner et être vigilant sur les conditions de licenciement des seniors. Ça aussi, c'est un point très important.

JEROME CHAPUIS
Mais vous voyez pourquoi on insiste ? Parce que quand on entend par exemple Bruno LE MAIRE dire « l'État doit reprendre la main sur l'assurance chômage de manière définitive », on se dit que finalement, ce que disent et ce que font les partenaires sociaux, ça compte peu.

CATHERINE VAUTRIN
Eh bien moi, je vais vous dire une chose, c'est que je suis ministre du Travail et que pour moi, le dialogue social, c'est le fondement du modèle social français et que le Premier ministre l'a redit hier, nous sommes attachés à ce modèle social.

JEROME CHAPUIS
Donc sans chercher la petite bête, il y a un désaccord quand même entre Bruno LE MAIRE et vous là-dessus.

CATHERINE VAUTRIN
Le sujet aujourd'hui, c'est de lutter contre le chômage de masse et de ramener nos concitoyens vers l'emploi. Ça passe par le dialogue social.

SALHIA BRAKHLIA
Vous lancez aujourd'hui le Haut conseil de la rémunération, Catherine VAUTRIN, de l'emploi et de la productivité. Il avait été annoncé il y a quelques mois par Élisabeth BORNE. Il va servir à quoi ?

CATHERINE VAUTRIN
Alors déjà, vous voyez, on parlait de dialogue social. Eh bien, je rends à César ce qui lui appartient : c'est une demande de la CFDT à la base, comme quoi, vous voyez, il y a des propositions qui voient le jour. Premier élément. Deuxième élément, c'est de travailler avec des représentants des partenaires sociaux – il sera présidé par Valérie DECAUX qui est la DRH de LA POSTE - pour travailler sur le fait finalement que le travail rapporte plus et paie mieux. C'est regarder les classifications dans les branches, c'est regarder les évolutions salariales.

SALHIA BRAKHLIA
Mais pardon, ça ce n'est pas le but des conférences sociales normalement ?

CATHERINE VAUTRIN
Mais le sujet aujourd'hui, c'est d'aller plus loin dans le détail branche par branche, de façon à rendre le travail plus rémunérateur.

JEROME CHAPUIS
La semaine en quatre jours, Gabriel ATTAL vous a demandé hier d'expérimenter cette semaine en quatre jours dans vos administrations. On parle bien de la semaine en quatre jours et pas de la semaine de quatre jours ; ça, on est bien d'accord. C'est-à-dire, le temps de travail hebdomadaire va rester le même, 35 heures.

CATHERINE VAUTRIN
Vous avez tout à fait raison. Ce que propose Gabriel ATTAL, c'est de travailler 35 heures, pour être précise, en quatre jours. L'idée au-delà… Alors effectivement, il nous le demande que l'État, à juste titre, soit un modèle et que donc, dans nos administrations, nous regardions comment on peut le mettre en place.

JEROME CHAPUIS
Vous regardez ou vous allez le tester vraiment ?

CATHERINE VAUTRIN
On va le tester. Pourquoi je dis ‘regarder ? Parce que suivant vos ministères, vous avez des approches qui peuvent être différentes. Je prends un exemple : ministère de la Santé, l'hôpital, il y a déjà des choses qui avancent beaucoup. Par exemple, des infirmières et des aides-soignantes veulent travailler en 9 heures parce que travailler en 9 heures, ça permet de travailler trois jours d'affilée et derrière, d'avoir ensuite un repos, ce qui permet de mieux articuler les temps de vie. Globalement, et je crois que c'est important qu'on se le dise, nos concitoyens souhaitent articuler vie professionnelle et vie familiale. Les modes de vie des familles ont changé, beaucoup de familles recomposées. On a les enfants une semaine, on ne l'a pas l'autre semaine, avoir du temps quand j'ai mes enfants, être plus disponible quand je n'en ai pas. On a aussi la suite de la Covid avec derrière tout le sujet de celles et ceux qui peuvent télétravailler versus ceux qui ne le peuvent pas. Donc on le voit…

JEROME CHAPUIS
Vous voyez venir les employeurs qui vont vous dire « c'est une usine à gaz, on ne va jamais y arriver ».

CATHERINE VAUTRIN
Non mais vous savez, moi je ne fais pas partie de ceux qui commencent à mettre en avant la machine « ah, ce n'est pas possible ». Ce que je propose, la réforme des 35 heures dont on a tellement parlé, elle a pratiquement 30 ans. Et donc je vais, comme me l'a demandé d'ailleurs le Premier ministre et je partage vraiment cette notion, je vais réunir l'ensemble des acteurs pour qu'on reparle travail. Quel est le sens du travail aujourd'hui ? Quelles sont les organisations potentielles ?

SALHIA BRAKHLIA
C'est-à-dire fini les 35 heures ?

CATHERINE VAUTRIN
Mais je ne vous dis pas que je vais remettre en cause les 35 heures, je vous dis « regardons comment on peut reprendre le travail dans toutes ses aspirations ». Vous êtes les premiers, comme moi, à constater ces nouvelles inégalités qui pourraient naître, par exemple télétravail versus non-télétravail. Tout ça nécessite qu'on réfléchisse, qu'on discute. Voilà un élément serein et tout à fait constructif du dialogue social.

SALHIA BRAKHLIA
Parmi les nouvelles idées évoquées par le Premier ministre, il y a aussi la semaine différenciée. Permettre, par exemple, aux parents divorcés de travailler moins la semaine où ils ont la charge de leur enfant, quatre jours, et puis plus celles où ce n'est pas le cas, cinq jours. Techniquement, comment ça va se passer ? Il faudra alerter son patron pour dire « j'ai divorcé » ?

CATHERINE VAUTRIN
C'est tout le sens de ce que je viens de vous dire sur la nécessité d'avoir incontestablement des assises du travail ou une COP - on appelle ça comme on veut. Dans tous les cas, on réfléchit sur les différents… Parce qu'il y a évidemment l'organisation de l'entreprise puis, on va se le dire, il y a aussi l'organisation des services publics, parce qu'il faut aussi avoir des gens qui soient en capacité de répondre. On est dans une société où nos concitoyens attendent des réponses rapidement…

SALHIA BRAKHLIA
Mais ça va concerner qui ? Uniquement les couples mariés ?

CATHERINE VAUTRIN
Bien sûr que non. Ça concerne toute la société et ça concerne toutes celles et ceux qui ont envie d'articuler différemment vie professionnelle et vie familiale. Derrière, on ne donne pas les conclusions avant d'avoir commencé à réfléchir. Ce que l'on dit, c'est on entend cette aspiration des générations qui arrivent aujourd'hui sur le marché du travail, qui veulent une meilleure articulation. On en discute.

JEROME CHAPUIS
Catherine VAUTRIN, vous êtes aussi la ministre de la Santé. Avec l'état catastrophique des finances publiques, Bercy appelle tous les ministères à faire des économies. Ça ne peut plus être open bar, notamment sur les soins médicaux. On parle notamment des affections longue durée. Elles concernent 20 % des patients, elles représentent les deux tiers des dépenses de l'assurance maladie. Est-ce que vous allez y toucher ?

CATHERINE VAUTRIN
Nous avons dit, j'ai dit, je redis, que nous ne touchons pas aux affections longue durée, je dis aussi que ça interpelle la ministre de la Santé et de la Prévention, parce que chaque année le nombre de Français en affection longue durée augmente de 2,5 %, ce qui veut dire qu'on a un enjeu de santé publique, de prévention, et que chacun d'entre nous soit conscient qu'il a un capital personnel à entretenir, qui est très important.

SALHIA BRAKHLIA
Vous, vous parlez de l'humain, mais ce n'est pas ce que dit…

CATHERINE VAUTRIN
Eh bien c'est aussi mon job de parler de l'humain, ça fait du bien de temps en temps.

SALHIA BRAKHLIA
Oui, mais ce n'est pas ce que dit Bercy, Bruno LE MAIRE qui dit « ça ne peut plus être open bar », vous êtes d'accord avec lui là-dessus ?

CATHERINE VAUTRIN
Non mais, ce que je dis très concrètement c'est que les dépenses de santé, comme toutes les dépenses de notre pays, méritent d'être regardées, regarder les dépenses de santé ne veut pas dire, demain, couper les remboursements, et je ne veux surtout pas que nos concitoyens imaginent qu'on va aller couper tous les remboursements, en revanche, oui, je suis la première à dire qu'il faut responsabiliser, je suis là depuis pas trois mois, et j'ai signé très concrètement le décret qui a augmenté la franchise sur les boîtes de médicaments, parce que c'était une responsabilité que chacun d'entre nous doit avoir, être soigné avec le bon médicament, au bon moment, ne pas gaspiller. Trois chiffres importants que chacun doit avoir en tête : 1 million de consultations par jour, médicales, 60 000 passages aux urgences et 41 milliards d'euros de prescriptions médicales par an, vous voyez que ce sont des budgets qui sont loin d'être négligeables, je ne regarde pas que les tableurs Excel, je pense à chacune et chacun des Français, et je leur redis, la prévention c'est la meilleure des économies.

JEROME CHAPUIS
Catherine VAUTRIN, on vous retrouve après le Fil info.

(…)

JEROME CHAPUIS
Une question à la ministre de la Santé, Catherine VAUTRIN. Autre piste d'économies, dans le transport médical cette fois, est-ce qu'il est question de diminuer, oui ou non, les prises en charge par la Sécurité sociale ? 6 milliards d'euros au total.

CATHERINE VAUTRIN
Il y a effectivement à regarder. Aujourd'hui, aucune décision n'est prise. 6 milliards d'euros, c'est quand même une somme conséquente. Probablement un peu d'économies à faire, même si je mesure les gens isolés, les difficultés pour venir pour ses soins. Mais je pense qu'on peut mutualiser un peu.

SALHIA BRAKHLIA
Mutualiser, c'est ce que vous dites. La Cour des comptes, elle, a fait notre proposition hier sur d'autres sujets : baisser drastiquement les aides pour les services à la personne, on parle des aides au ménage, jardinage, garde d'enfants, trop complexes, peu ciblés, c'est ce que dit Pierre MOSCOVICI au sujet de ces dispositifs. Vous êtes d'accord avec lui ?

CATHERINE VAUTRIN
Complexe, je ne trouve pas. Le CESU+ fonctionne très bien. C'est un vrai service, c'est un emploi, souvent un emploi pour les femmes, souvent déjà un emploi précaire et qui rend des vrais services. Donc moi j'y suis très attachée.

SALHIA BRAKHLIA
On ne va pas y toucher ?

CATHERINE VAUTRIN
J'y suis très attachée.

JEROME CHAPUIS
En examen à l'Assemblée nationale hier, l'article qui instaure un arrêt de travail pour les femmes atteintes de règles douloureuses et incapacitantes, a été rejeté par la Commission, article rejeté car la majorité a voté contre. Pourquoi ? Ce n'était pas un progrès ?

CATHERINE VAUTRIN
La majorité travaille sur l'endométriose. On y travaille beaucoup, parce que c'est effectivement une difficulté, en parler pour mieux la détecter. L'idée, c'est d'aller d'ici la fin de l'année, rembourser le test salivaire. Ça permet, un, évidemment de détecter la maladie. Deux, ça permet de la soigner, ça évite une errance médicale de sept ans. C'est un vrai progrès pour les femmes.

SALHIA BRAKHLIA
Oui, alors, il y a la prévention, mais quand même, l'article d'hier c'était treize jours d'arrêt par an, activable sous réserve de certificat médical pour menstruation incapacitante. Pourquoi c'était un problème pour vous ? Parce que ça coûte cher ?

CATHERINE VAUTRIN
Le sujet pour nous aujourd'hui, c'est d'avoir la capacité de soigner cette maladie. Et c'est le sens du travail qui a été fait par cette startup qui s'appelle ZIWIG, qui est absolument remarquable et qui apportera des vraies réponses. On aura le dernier test de la Haute Autorité de Santé au mois de juin prochain, pour un remboursement d'ici la fin de l'année, et ça sera un énorme progrès pour toutes les femmes concernées.

SALHIA BRAKHLIA
Mais pardon, Madame la Ministre, ce n'était pas ma question…

CATHERINE VAUTRIN
C'est ma réponse.

SALHIA BRAKHLIA
Pas question de faire d'effort sur les femmes qui…

CATHERINE VAUTRIN
On fait un énorme effort avec ce test, et je pense qu'il était attendu depuis très longtemps.

JEROME CHAPUIS
Vous parliez des règles douloureuses, c'est aujourd'hui la Journée de l'endométriose, vous l'évoquiez...

CATHERINE VAUTRIN
C'est pour ça que je vous en parle.

JEROME CHAPUIS
Vous avez prévu de lancer une campagne de sensibilisation.

CATHERINE VAUTRIN
Complètement. On va lancer une campagne, « en parler pour mieux la détecter ». Errance médicale en moyenne de sept ans. Vous voyez le calvaire pour ces femmes.

JEROME CHAPUIS
Catherine VAUTRIN, l'entretien se termine un tout petit peu plus tôt que d'habitude parce que vous avez des obligations administratives…

CATHERINE VAUTRIN
Je vais installer le Haut Conseil des rémunérations.

JEROME CHAPUIS
Dont vous nous parliez tout à l'heure, c'est un honneur. Donc on vous laisse filer. Merci d'avoir été avec nous.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 5 avril 2024