Déclaration de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, sur la réindustrialisation, à Sandouville le 29 mars 2024.

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  • Bruno Le Maire - Ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique

Circonstance : Visite officielle à l'usine Renault de Sandouville

Texte intégral


Cher Édouard,
Monsieur le directeur général, cher Luca De Meo,
Mesdames et messieurs les élus,
Mesdames et messieurs les salariés de Renault,

C'est à vous que je vais m'adresser en premier.

Vous savez que le directeur général de Renault, Lucas De Meo, est un homme de défi. Eh bien, il s'est fixé un nouveau défi et je suis sûr qu'il va le relever. C'est de me faire rouler en Renault alors que je suis arrivé en DS et que je roule depuis 30 ans en Peugeot. J'espère, cher Lucas, que vous relèverez ce défi avec le talent qui est le vôtre. En tout cas, je voudrais qu'on vous applaudisse pour tout ce que vous avez accompli depuis plusieurs années maintenant à la tête de Renault.

Merci à vous et merci à vous, salariés. Édouard Philippe l'a dit tout à l'heure en reprenant le propos d'un des salariés que nous avons croisés : cette journée est à marquer d'une pierre blanche. Elle est à marquer d'une pierre blanche parce que c'est une journée importante dans la réindustrialisation de la France, qui est notre grande bataille avec le président de la République, avec toute la majorité depuis 2017. C'est une bataille de longue haleine. C'est une bataille que nous sommes en train de gagner. Nous avons engagé cette bataille en 2017 avec le premier ministre Édouard Philippe, avec le président de la République. Et nous l'avons fait en faisant des choix courageux parce que c'est trop facile d'ouvrir les usines, d'inaugurer des sites industriels, sans revenir sur les combats que nous avons dû livrer à l'époque en 2017, avec le président de la République et le premier ministre Édouard Philippe.

Il y a ceux qui proclament la réindustrialisation et il y a ceux qui la font. Il y a ceux qui la souhaitent et il y a ceux qui assument les décisions difficiles qui permettent la réindustrialisation de la France.

Ces décisions, ce sont d'abord des décisions fiscales. Nous avons baissé l'impôt sur les sociétés. Nous avons allégé la fiscalité sur le capital parce que l'industrie, c'est du capital. Et quand on augmente les impôts sur le capital, on tue l'industrie française. Quand on a le courage, comme nous l'avons eu avec Édouard Philippe, avec la majorité, d'alléger la fiscalité sur le capital, on ouvre des usines et on crée des emplois industriels sur notre territoire.

Nous avons aussi baissé des impôts de production, ça a été mon grand combat à partir de 2019-2020 en ouvrant la voie à cette réflexion : est-ce que nous pouvons vraiment développer des usines en France alors que les impôts de production sont 7 fois plus élevés que nos concurrents allemands ? Dieu sait que les réserves ont été fortes. Dieu sait qu'il y a eu des obstacles. Dieu sait qu'on nous a dit des impôts de production, il n'y a aucun intérêt à les supprimer, à les alléger, c'est encore un cadeau qui est fait aux grandes entreprises. Non ! La baisse des impôts de production, c'est un cadeau qui est fait à l'industrie française et c'est un cadeau qui est fait aux ouvriers. Il fallait les baisser d'urgence. Nous l'avons fait et nous continuerons à baisser les impôts de production en France. Nous aurons supprimé totalement la CVAE d'ici 2027. Pourquoi est-ce que cette réindustrialisation est vitale pour la France ? Pourquoi est-ce que c'est la mère de toutes les batailles ?

D'abord parce que ça nous permet de renouer avec ce que nous sommes comme nation. Voir la R5 qui revit avec le même design, la même bouille sympathique, mais une technologie radicalement différente, c'est renouer avec ce que nous sommes comme nation et comme culture. C'est vital parce que cela permet de créer des dizaines de milliers d'emplois qualifiés, bien rémunérés, avec de l'intéressement, avec de la participation, avec de l'actionnariat salarié. Et je veux féliciter à nouveau la direction de Renault qui s'est engagée à avoir 10 % du capital de la société détenu par les salariés actionnaires. Je crois en l'intéressement. Je crois à la participation. Je crois à la juste rémunération de votre travail et de votre engagement. Et je crois que rien n'est meilleur pour l'économie française que d'avoir des salariés qui participent au capital de l'entreprise, qui sont actionnaires de l'entreprise, qui possède une part de l'entreprise parce qu'ils se sentent dépositaires et responsables de leur outil de travail.

On n'oppose plus, on rassemble ; on ne combat plus, on travaille ensemble dans la même direction. Et je dis au passage que si on est favorable à l'actionnariat salarié, eh bien, on n'est pas favorable à l'augmentation du prélèvement forfaitaire unique que nous avons fixé avec Édouard Philippe et Emmanuel Macron à 30% en 2017, parce que tous ceux qui nous disent qu'il faut augmenter l'imposition des dividendes et le prélèvement forfaitaire unique oublient qu'ils vont augmenter les impôts des salariés actionnaires. Je ne veux pas augmenter l'imposition des salariés actionnaires.

C'est la mère de toutes les batailles aussi parce que c'est ce qui va nous permettre de réussir la transition climatique. Quand on produit en France, on produit propre. Quand on produit en France, on réduit les émissions de CO2 dans le monde, rapatrier d'autres productions industrielles sur notre territoire, c'est aussi gagner la bataille climatique.

On voit ce qui est en train de se passer aujourd'hui. Nous avons cette transition climatique qui a ouvert une bataille industrielle féroce entre la Chine, l'Europe, les Etats-Unis pour faire venir sur notre sol la production d'éoliennes, de panneaux photovoltaïques, de véhicules électriques, d'hydrogène. Profitons de cette transition climatique pour accélérer la réindustrialisation de la nation française. C'est une opportunité historique, comme il s'en présente une par siècle. Nous avons des résultats. Nous avons depuis 2017 des résultats et pour moi, la réindustrialisation est un des plus grands succès économiques des 7 ans que nous avons passés au pouvoir avec le président de la République et la majorité. 100 000 zéro emplois industriels créés depuis 2017, 201 ouvertures d'usine en 2023, c'est un record.

De nouvelles filières dans un pays qui n'avait pas créé de nouvelles filières industrielles depuis 30 ans : la filière des batteries électriques est une filière construite de A à Z à partir de rien sur le territoire national, à partir de la volonté politique. Preuve que la volonté politique peut changer la donne, peut donner des résultats et peut permettre d'ouvrir des usines et de nouvelles filières.

Je me souviens, Édouard, il faisait référence tout à l'heure de ma première visite sur ce site de Sandouville, en 2008. C'était avec le président de la République de l'époque, Nicolas Sarkozy. Nous avions été accueillis avec des visages fermés, des mines graves et des salariés inquiets. Sandouville devait fermer. Nous sommes aujourd'hui 14 ans ou 16 ans plus tard accueillis Édouard Philippe, Luca De Meo, moi-même avec des sourires. Vos sourires font plaisir à voir, vos sourires justifient tous nos engagements politiques. Tout le temps que nous avons consacré avec Luca De Meo pour sauver Sandouville et ouvrir une perspective de 15 ans à l'usine.

Vos sourires sont la plus belle des récompenses. Vous avez réussi et nous avons sauvé Sandouville. Nous allons produire à Sandouville de nouveaux véhicules utilitaires électriques avec 550 emplois à la clé. Nous avons un avenir pour ce site qui va s'écrire pour au moins 15 ou 20 ans grâce à cette décision. Vous allez produire les véhicules utilitaires électriques les plus performants, les plus innovants au monde, parce que la place de la France en matière automobile, c'est d'être la première en termes d'innovation, la première en termes de technologie, la première en termes de produit, comme ceux que nous voyons derrière nous. Ces véhicules vont embarquer des batteries haute performance Verkor produites à proximité à Dunkerque. Parce que mener la bataille industrielle, c'est la mener de bout en bout depuis les matériaux rares qui sont nécessaires aux batteries électriques jusqu'à la production finale du FlexEvan, en passant par les raffineries, les gigafactories ou le recyclage de ces batteries. Et je peux vous dire que je me battrai avec toute l'énergie nécessaire pour chaque usine, pour chaque site industriel, pour les ouvrir, pour les développer ici à Sandouville, à Cléon ou à Dieppe.

Je me souviens aussi de ma première visite sur le site de Dieppe, le site d'Alpine. Il devait fermer. Nous avons eu une discussion les yeux dans les yeux avec Luca De Meo, au moment où il venait d'être nommé directeur général de Renault. Lucas est italien. Il connaît bien Ferrari. Il connaît bien les véhicules de sport italien. Je lui dis, le dernier véhicule de sport qui reste en France, qui est une partie de notre patrimoine industriel, c'est Alpine, c'est Dieppe. Donc on ne touche pas à Alpine, on ne touche pas à Dieppe.

Et je veux remercier une nouvelle fois Luca De Meo qui a compris qu'il y avait des intérêts économiques, qu'il y avait des intérêts industriels, mais qu'il y avait aussi un coeur qui bat dans une entreprise comme Renault. Un coeur qui bat pour des produits. Un coeur qui bat pour une histoire. Un coeur qui bat pour une culture. Un coeur qui bat pour Alpine. On ne touchera pas à l'usine Alpine de Dieppe et vous le devez à Luca De Meo. Cléon va basculer également massivement vers le moteur électrique avec 500 000 moteurs produit en 2024. Cléon va continuer à se développer. Renault va continuer à développer son empreinte industrielle sur le site national. Je veux vous en remercier et je veux remercier l'ensemble des salariés.

Je viens ici donner également de nouveaux objectifs à l'industrie française. D'abord un objectif de long terme, la France doit être la première nation industrielle décarbonée en 2040. Un objectif de moyen terme, augmenter la part de l'industrie dans le PIB national, augmenter le nombre d'usines, augmenter la création d'emplois industriels.

Enfin, un objectif de court terme, nous devons créer de nouvelles filières industrielles. Nous avons de très belles filières dans le luxe, dans la pharmacie, dans la filière aéronautique, évidemment dans l'automobile. Je souhaite que nous ouvrions dans les 10 années qui viennent de nouvelles filières non seulement dans les batteries électriques comme nous l'avons fait, mais aussi dans l'intelligence artificielle, dans les pompes à chaleur et dans les panneaux photovoltaïques. J'aurai l'occasion de m'exprimer sur ce sujet dans quelques jours. La filière du photovoltaïque, comme la filière des pompes à chaleur, a un avenir dans notre pays.

Alors, si on se fixe des objectifs, c'est pas mal et je le dis devant des salariés qui savent ce que c'est qu'une chaîne de production et ce que sont les exigences industrielles et économiques. Il faut répondre aux besoins de l'industrie. Il faut lui apporter, au-delà du cap qui a été fixé, des réponses concrètes à un certain nombre de ses besoins.

Le premier besoin de l'industrie française, c'est de la visibilité et de la stabilité fiscale. Je le dis avec force, ne jouons pas avec les impôts. Cela inquiète les Français, cela décourage les entreprises, cela éloigne les investisseurs. La stabilité et la visibilité fiscales sont un gage de confiance pour la consommation des ménages et pour les investissements des entreprises. Ne touchons pas aux impôts.

La deuxième chose dont ont besoin les entreprises, ce sont des compétences — Édouard Philippe l'a rappelé très clairement, il y a quelques instants — et ces compétences, je souhaite qu'elles se déclinent dans les lycées professionnels, dans les écoles de formation métier industriel. Je souhaite surtout qu'elles se traduisent par une féminisation des métiers industriels. J'ai vu qu'ici, ça faisait partie des engagements de Renault, avec l'objectif de parvenir à 50% de femmes sur le site industriel d'ici 2030.

Pour ce qui nous concerne, je souhaite que nous mettions en place des quotas dans les classes préparatoires aux écoles d'ingénieurs. C'est une idée que je défends depuis plusieurs années. Je considère que c'est aujourd'hui une condition indispensable si nous voulons avoir plus de femmes ingénieures dans notre pays. La France ne peut pas se résigner à avoir en 2024 moins de femmes ingénieures qu'elle en avait il y a 30 ans. Si nous voulons gagner ce combat de la parité dans l'industrie, de la parité pour les femmes ingénieurs, il faut des quotas dans les classes préparatoires aux écoles d'ingénieurs.

Troisième besoin de l'industrie, l'énergie décarbonée. Luca De Meo me le rappelait tout à l'heure, un véhicule électrique, c'est 1 000 euros des coûts de production d'électricité. La réalisation des six nouveaux EPR, le lancement de ce grand chantier du siècle que sera la construction de nouveaux réacteurs nucléaires doit permettre de répondre à ce besoin.

Enfin, le dernier point, peut-être le plus sensible, c'est celui des terrains. Il n'y a pas d'usine sans terrain, et Édouard Philippe l'a parfaitement rappelé.

Je vais donner les chiffres : nous avons besoin d'ici 2030 de 22 000 hectares de terrain pour construire des usines. Et je ne veux pas, comme ministre de l'Economie, me retrouver dans la situation invraisemblable de devoir refuser des investissements industriels représentant des milliards d'euros d'investissement et des milliers d'emplois parce qu'il n'y a pas de terrain disponible. Ce serait aberrant du point de vue économique et aberrant du point de vue écologique, parce que cela voudrait dire que ces produits qui pourraient être réalisés dans des conditions environnementales parfaites en France seront importés de pays qui ne respectent pas les mêmes normes environnementales. Donc il faut dégager des terrains pour l'industrie.

La première réponse, c'est les friches. Nous avons mis en place le fonds Friches, réhabilité 3375 hectares. C'est un grand succès de la politique de la majorité. Mais il faut être lucide, les friches ça prend du temps donc ce n'est pas une solution immédiate lorsqu'il y a un investisseur qui arrive et qui me dit “J'ai besoin d'un terrain de 75 ou de 100 hectares”.

Deuxième solution, c'est l'aménagement de fonciers industriels supplémentaires. Je vous annonce que nous aménagerons 1 500 hectares de fonciers industriels supplémentaires dans les trois plus grandes zones portuaires françaises : Le Havre, bien entendu, cher Édouard, Dunkerque et Marseille. Nous aménagerons ces 1 500 hectares de fonciers industriels avec le soutien de l'État actionnaire. C'est une décision que nous avons prise avec le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu.

Enfin, nous devons nous interroger sur la mise en oeuvre du ZAN, le zéro artificialisation net. Nous avons exclu les projets industriels verts du ZAN. Demandons-nous si nous ne devons pas faire de même pour tous les projets industriels qui respectent les normes environnementales les plus strictes. Je pense que c'est une question légitime et une question nécessaire si nous voulons dégager les terrains suffisants. Car je le redis, c'est bon pour l'environnement, c'est bon pour la planète de produire en France. Cela permet de réduire les émissions de CO2. Un produit qui est réalisé en France, c'est deux fois moins d'émissions de CO2 qu'aux États-Unis, c'est quatre fois moins d'émissions de CO2 qu'en Chine.

Enfin, le dernier obstacle à lever, c'est le changement de la doctrine européenne. L'Europe doit changer de doctrine industrielle. L'Europe doit changer de doctrine commerciale et nous devons profiter de l'approche des élections européennes pour défendre les intérêts économiques de l'Europe dans cette nouvelle mondialisation qui ne fait de quartier à personne. Il faut que nous puissions investir davantage dans l'industrie, c'est l'objet du crédit impôt vert. Il faut que nous portions l'idée d'avoir une obligation de contenu européen pour tous les marchés publics. Vous ouvrez un champ éolien offshore, il faut pouvoir dire que l'installation du champ éolien sera réservée à des produits réalisés suivant les normes industrielles et environnementales les plus strictes, donc en Europe. C'est ce que nous avons fait par exemple sur les subventions pour les véhicules électriques. Nous avons décidé de réserver ces subventions aux véhicules électriques à faible émission carbone, donc produits sur le sol européen.

Quel est le résultat ? La part des véhicules produits en Chine et immatriculés en France est passée de 41 % en décembre 2023 à la moitié 24% en février 24. Preuve que quand on défend ses intérêts et l'environnement, on obtient des résultats pour notre industrie, nos sites industriels et nos emplois. Alors vous le voyez, c'est pour Édouard Philippe, pour moi-même, une journée heureuse, car ce n'est pas simplement une journée où on inaugure une usine, c'est une journée qui ouvre une décennie d'activités, d'emplois et de prospérité pour Le Havre, pour la Normandie et pour la France.
Profitons de cette inauguration pour nous dire à quel point la France doit retrouver le goût du défi, le goût du risque. La France est une grande nation et une grande nation doit porter de grands projets. La réindustrialisation est un immense projet pour la grande nation française. Allons jusqu'au bout et prenons Sandouville comme exemple.

Merci à toutes et à tous.


Source https://www.economie.gouv.fr, le 5 avril 2024