Texte intégral
Mme la présidente
L'ordre du jour appelle le débat sur le thème « Quel grand plan pour l'emploi des seniors, après la réforme des retraites et celle de l'assurance chômage ? »
Ce débat a été demandé par le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (LIOT) et, à la demande de ce dernier, il se tient en salle Lamartine, afin que des personnalités extérieures puissent être auditionnées. La conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties. Nous commencerons par l'audition des personnalités extérieures.
Je souhaite la bienvenue à Mme Patricia Drevon, secrétaire confédérale au secteur de l'organisation, des outre-mer et des affaires juridiques de Force ouvrière (FO), à M. Yvan Ricordeau, secrétaire général adjoint de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), à M. Jean-François Foucard, secrétaire national en charge du secteur Parcours professionnels de la Confédération française de l'encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC) et à M. Samuel Tual, vice-président du Mouvement des entreprises de France (Medef), président du Medef Pays de la Loire.
Je vais donner la parole à chacun de nos invités pour une courte intervention liminaire, de cinq minutes, puis les questions de nos collègues vous permettront d'évoquer les points que vous n'auriez pas pu aborder.
(…)
Mme la présidente
La séance est reprise.
La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles.
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles
Depuis 2017, notre action suit un fil rouge : la libération du travail et de l'esprit d'entreprise. La France doit retrouver durablement le chemin de la croissance, et tous ceux qui le peuvent doivent pouvoir trouver un travail qui leur convient, un travail de qualité, porteur de sens et outil d'émancipation, notamment en matière de pouvoir d'achat. Un chômeur qui retrouve un emploi, c'est une respiration pour lui et sa famille.
Le meilleur indicateur de notre santé économique est le taux d'emploi des jeunes et des seniors. Nous avons conduit une action résolue en ce sens : transformation en profondeur du droit du travail, préservation de l'emploi et de l'industrie pendant la crise du covid grâce à l'activité partielle, investissements massifs dans la formation – compte personnel de formation (CPF), plan d'investissement dans les compétences des demandeurs d'emploi, développement historique de l'apprentissage –, valorisation du travail pour qu'il paie mieux – augmentation de la prime d'activité, suppression des cotisations salariales chômage et maladie, prime de partage de la valeur (PPV) dite prime Macron, loi du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat, dynamisation des dispositifs d'intéressement et du partage de la valeur.
Les politiques de l'emploi menées par le Gouvernement ont permis d'atteindre des résultats historiques : le taux de chômage, qui s'élevait à 9,6 % au début de 2017, est à son plus bas niveau depuis 2008 : plus de 2 millions d'emplois créés, voilà la réalité. Le plein emploi est à portée de main pour la première fois depuis quinze ans. Atteindre cet objectif est une priorité absolue.
Néanmoins, la situation n'est pas entièrement satisfaisante. Le taux de chômage structurel demeure élevé : 7,5 % au quatrième trimestre 2023, contre 3,1 % en Allemagne. Les difficultés de recrutement n'ont jamais été aussi intenses à court terme, notamment dans les secteurs de la santé, du social, de l'aide à domicile, du transport de voyageurs et de l'industrie. Elles perdureront à moyen terme – les métiers en expansion à l'horizon de 2030 sont déjà en tension. Le taux d'emploi reste encore trop faible, notamment chez les jeunes et les seniors : 32,2 % chez les 15-24 ans, contre 50 % en Allemagne ; 66 % chez les 50-64 ans, contre 78 % en Allemagne.
C'est pourquoi l'amélioration du taux d'emploi des seniors est la priorité du Gouvernement et de la ministre du travail, de la santé et des solidarités. Si le taux d'emploi des seniors n'a cessé de progresser en France depuis les années 2000, il reste très inférieur à la moyenne de l'Union européenne, en particulier pour les 60-64 ans. Or, la mobilisation des seniors dans notre économie est un levier important de croissance et de prospérité. Nos seniors ont du talent et de l'expérience. Il nous appartient de trouver des solutions pour leur permettre de rester en emploi ou de retrouver rapidement un poste.
La réforme des retraites de 2023 a contribué à l'objectif de plein emploi des seniors. Le décalage progressif de l'âge de départ en retraite permettra en effet d'augmenter le taux d'emploi de cette population. L'étude d'impact de la réforme estimait ainsi à 310 000 le nombre d'emplois créés. Ce sont autant de personnes qui, par leur expérience et leur talent, contribueront au bon fonctionnement de notre économie. Les mesures d'accompagnement de la réforme des retraites permettent par ailleurs d'adapter les conditions de travail des seniors. La retraite progressive a été étendue à la fonction publique, et il est plus facile pour les salariés d'y recourir. C'est un bon moyen pour les seniors de préparer leur départ à la retraite en réduisant leur durée de travail.
Le cumul emploi-retraite est désormais créateur de droits, dès lors que la retraite est liquidée à taux plein : cela permet aux seniors de choisir la façon dont ils entendent organiser leur temps, entre travail et retraite. La prévention de l'usure professionnelle a été renforcée, par la création du fonds d'investissement dans la prévention de l'usure professionnelle (Fipu), doté de 1 milliard d'euros sur cinq ans. L'harmonisation du régime social des indemnités de rupture conventionnelle, avant et après l'âge d'ouverture des droits à la retraite, a mis fin à l'incitation pour les entreprises à se séparer de leurs seniors avant l'âge de départ en retraite.
Pour atteindre le plein emploi des seniors, il faudra toutefois aller plus loin et travailler en particulier sur le maintien dans l'emploi des seniors. Il est établi qu'après la perte d'un emploi, les seniors peinent à réintégrer le marché du travail et connaissent plus souvent un chômage de longue durée. Un effort important doit donc être fourni. À cet égard, il faut souligner que 51 % des départs volontaires dans le cadre de ruptures conventionnelles collectives concernent des salariés de 57 ans et plus ; 21 % des salariés sortent du congé de mobilité par un départ en retraite ; un tiers des départs réalisés dans le cadre des plans de départ volontaires concerne les plus de 57 ans.
Nous devons par ailleurs renforcer l'accès des seniors à la formation. Cela passe par la lutte contre des stéréotypes persistants, en conséquence desquels les seniors sont moins souvent orientés vers la formation. Parmi les salariés qui ont utilisé le projet de transition professionnelle, la part des seniors de plus de 50 ans représente à peine 10 %. Pourtant, la formation augmente significativement les chances des seniors de retrouver un emploi.
L'insertion des seniors sur le marché du travail doit être favorisée, lorsqu'ils sont privés d'emploi.
Il convient également d'accentuer la prévention de l'usure professionnelle, ce qui suppose de travailler sur les transitions professionnelles, indispensables pour répondre aux aspirations des personnes à évoluer vers un nouveau métier, pour préparer une deuxième ou une troisième partie de carrière dans des conditions compatibles avec son état de santé et de fatigue, pour réagir aux mutations économiques qui peuvent entraîner le déclin de certaines activités, et pour préparer les compétences nécessaires aux métiers en tension ou d'avenir, notamment dans le cadre des transitions numériques et climatiques.
Il faut enfin mieux lutter contre les stéréotypes et les discriminations liés à l'âge, qui minent encore beaucoup trop notre pays, et assurer la transparence sur les pratiques, notamment par la création d'outils d'autodiagnostic.
Les partenaires sociaux, qui négocient actuellement sur l'ensemble de ces sujets, doivent rendre leurs conclusions lundi prochain. Le Gouvernement en espère une issue positive, qui lui permettra de revenir vers vous avec un projet de loi.
Mme la présidente
La parole est à M. Olivier Serva, dont le groupe a pris l'initiative de ce débat.
M. Olivier Serva (LIOT)
« Les seniors, bien loin de se tenir en retrait, en position d'assistés, participent activement à la construction de la société et du monde, […] et doivent donc être perçus comme une véritable richesse. » Je fais miens ces mots extraits du manifeste « Perspective » de Planet Media. Je souhaite, à travers cette question, appeler votre attention sur les conditions d'accès des seniors aux allocations chômage. Nous, membres du groupe LIOT, regrettons que l'emploi des seniors n'ait pas été un préalable à la réforme des retraites.
Le taux d'emploi des 55-64 ans s'élève à 56 %, et le taux de chômage augmente au fur et à mesure que les seniors prennent de l'âge. Ces derniers restent plus longtemps au chômage, et la réforme de l'assurance chômage a limité la durée d'indemnisation des plus de 55 ans en la faisant passer de trente-six à vingt-sept mois. Pire, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, Bruno Le Maire, envisagerait d'aligner cette durée d'indemnisation sur le droit commun, à savoir dix-huit mois. Néanmoins, les services du ministère du travail, de la santé et des solidarités ne jugent pas opportun cet énième rabotage des droits des travailleurs seniors, la précédente réforme n'ayant même pas encore été évaluée.
M. Bertrand Pancher
Excellent !
M. Olivier Serva
J'ai une pensée émue pour les personnes qui frappent à la porte de ma permanence en Guadeloupe et qui, malgré toute leur bonne volonté, ne trouvent pas de travail. Ce sont celles qui prennent un repas par jour, renoncent à se soigner ou subissent une procédure d'expulsion de leur logement, faute de moyens. Dans le même temps, 27 % des jeunes Guadeloupéens de 15 à 29 ans ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation, soit deux fois plus que dans l'Hexagone. Parmi eux, un sur cinq est diplômé. Je vous laisse donc imaginer à quel point la difficulté est de taille pour nos seniors.
Alors, madame la ministre, le groupe LIOT voudrait qu'au lieu d'appauvrir ceux qui le sont déjà, vous actionniez les leviers qui favorisent l'emploi des seniors, tels que la dégressivité des cotisations patronales au-delà de 55 ans ou encore l'amélioration des dispositifs de transition professionnelle.
M. Bertrand Pancher
Très bien ! Au moins c'est direct !
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
Je partage vos propos : oui, nos seniors sont une richesse. C'est pourquoi j'ai évoqué la lutte contre les stéréotypes, car on a tendance à méconnaître le rôle des seniors dans la société, en particulier leur engagement dans le monde associatif. Je connais l'attachement de votre groupe à cette dimension. Vous considérez, à juste titre, que le dialogue entre les organisations syndicales est un préalable à toute réforme. Le Gouvernement souhaite lui aussi que ces organisations trouvent un accord et un chemin, pour que nous puissions nous en saisir et le soumettre aux parlementaires qui en débattront et l'enrichiront. Le temps de la négociation est essentiel et je veux vous rassurer : s'agissant de l'indemnisation chômage, les négociations n'ont pas lieu à Bercy, mais bien à l'hôtel du Châtelet, avec la ministre du travail, de la santé et des solidarités. C'est une ancienne responsable syndicale qui vous parle : avant d'avoir un mandat d'élue, j'étais moi-même partie prenante du dialogue social, qui est – j'en suis convaincue – la pierre angulaire des améliorations à apporter à notre système.
Il faut faciliter l'accès rapide à une formation ou à une reconversion pour les personnes les plus âgées en situation de précarité, investir encore davantage dans la protection de leur santé et lutter contre l'usure professionnelle. Je sais que votre groupe est sensible à la question de la prévention. Tout doit être fait pour éviter les trop grandes difficultés de retour à l'emploi, notamment en luttant contre les discriminations à l'embauche : si nous y parvenons, nous aurons gagné une grande bataille. Comme vous, j'attends donc avec beaucoup d'impatience l'issue des négociations entre les partenaires sociaux.
Mme la présidente
La parole est à M. Jocelyn Dessigny.
M. Jocelyn Dessigny (RN)
Vous avez commencé votre propos introductif en disant que le Gouvernement voulait libérer le travail, et vous avez évoqué la réforme des retraites qui, selon vous, favoriserait l'emploi des seniors. Je ne peux vous laisser dire cela sans réagir. Non, la réforme des retraites n'a pas permis aux seniors de retrouver plus facilement un emploi ni d'améliorer leurs conditions de travail au sein de l'entreprise. En effet, rien n'a été fait pour l'emploi des seniors, ni dans cette réforme ni dans la loi de 2023 pour le plein emploi, qui a créé France Travail.
Il faudrait, à mon sens, changer de paradigme. La tendance actuelle est d'accompagner les seniors vers la préretraite ou de leur proposer des ruptures conventionnelles, afin qu'ils partent plus tôt à la retraite, alors qu'ils représentent une véritable richesse pour l'entreprise – sur ce point, je suis d'accord avec vous. En effet, ils ont acquis des techniques et une expérience, ils appartiennent à une génération qui fait preuve d'un certain savoir-être, recherché par les recruteurs, et ils ont l'amour de leur métier et l'envie de le transmettre. Ils représentent un exemple en matière de possibilités d'évolution interne, pour les jeunes générations qui intègrent une entreprise – exemple qui inciterait ces dernières à rester au-delà des six ou huit ans d'ancienneté moyenne au sein des entreprises.
Pour toutes ces raisons, nous devons changer de paradigme. Je ne sais pas très bien ce que l'État peut faire de lui-même, mais il faudrait accompagner davantage les entreprises dans la création de dispositifs adaptés : nous avons évoqué tout à l'heure, avec les partenaires sociaux, les contrats aidés ou encore les postes de travail occupés en binôme, qui permettent d'associer un senior avec un jeune apprenti, par exemple.
Quels moyens le Gouvernement entend-il mettre à la disposition des entreprises pour les aider à accompagner davantage les seniors, qui méritent d'être mieux considérés ?
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
Vous avez évoqué les effets de la réforme des retraites sur l'emploi des seniors. Les évaluations sont en cours et devront étayer ou infirmer ce que je vais vous dire. Toutefois, selon notre analyse, la réforme a permis de repousser l'horizon du départ à la retraite et d'offrir ainsi une chance supplémentaire aux seniors d'accéder à la formation. Celle-ci s'effondre actuellement pour les seniors, comme si l'entreprise ne croyait plus en leur capacité de rester et ne souhaitait plus investir dans ce capital humain. Or moins il est formé, moins le senior a de chance de rester dans l'entreprise et plus la sortie sera difficile. Car, ne soyons pas naïfs : il est plus compliqué pour un senior de retrouver un travail, de surcroît lorsqu'il approche de l'âge de la retraite. C'est ce qui explique le nombre de ruptures conventionnelles subies, qui deviennent une forme de préretraite non souhaitée par le salarié, alors même qu'il serait possible, en effet, d'imaginer un autre modèle.
Un autre modèle, qu'est-ce que cela signifie ? Il faudrait réinvestir dans la formation des seniors, dresser des bilans plus précocement – dans la société actuelle, un salarié peut exercer deux ou trois métiers différents tout au long de sa vie –, renforcer la retraite progressive, sous réserve qu'elle soit choisie par le salarié, et construire des dispositifs permettant de réduire le temps de travail de manière proportionnelle. Je pense également au cumul emploi-retraite, pour ceux qui sont en pleine santé et ont envie de continuer à travailler, parce que nous savons à quel point le travail crée du lien social. D'ailleurs, on ne travaille pas de la même manière selon qu'on est artisan, indépendant, qu'on exerce au sein d'un grand groupe ou d'un petit.
Cela rejoint ce que vous avez évoqué dans votre question : l'importance de créer des liens entre les plus jeunes et les plus âgés, d'autant ces deux populations présentent une vulnérabilité. Si nous voulons construire une société plus humaine, nous devons faire en sorte que les seniors s'impliquent davantage dans le tutorat des apprentis et transmettent non seulement un savoir-faire, mais aussi une culture. Plusieurs pistes peuvent favoriser cette proposition, sur le plan fiscal, économique ou par l'intermédiaire des contrats de travail. La ministre du travail, de la santé et des solidarités mène actuellement des discussions à ce sujet avec les organisations patronales et salariales. C'est une bonne piste, parce que nous ne gagnerions rien à opposer ces deux générations.
Mme la présidente
La parole est à M. Louis Boyard.
M. Louis Boyard (LFI-NUPES)
Il faut commencer ce débat en évoquant la réforme des retraites, adoptée grâce à un coup de force, en recourant au 49.3, puisque vous ne disposiez pas de la majorité à l'Assemblée nationale, pas plus que vous n'aviez le consentement de la majorité des actifs ni même des Françaises et des Français. D'ailleurs, selon les derniers chiffres dont nous disposons, le système des retraites reste déficitaire malgré la réforme, ce qui illustre le double échec du Gouvernement.
En plus d'être un échec politique et économique, la réforme des retraites augmente le chômage des seniors. La France compte encore davantage de personnes au chômage que d'emplois disponibles. Il y a 60 % de chômeurs de longue durée parmi les plus de 60 ans. Or le Gouvernement évoque désormais une deuxième phase de la réforme de l'assurance chômage : Gabriel Attal annonce vouloir supprimer l'ASS, et Bruno Le Maire souhaite réduire la durée d'indemnisation du chômage, qui passerait de vingt-sept à dix-huit mois pour les seniors.
Ma question est donc simple : alors qu'aucune étude ne démontre qu'une baisse des montants de l'assurance chômage ou de la durée d'indemnisation permettrait de remettre les gens en emploi, et que pratiquement aucun syndicat n'est d'accord avec cette thèse, pourquoi une telle réforme ? À cet égard, permettez-moi de citer la CFE-CGC qui disait tout à l'heure qu'il ne suffit pas de traverser la rue pour trouver du boulot ; la CFDT, qui déclare qu'elle s'opposera à toute proposition accusatoire ; ou encore la CGT, qui parle d'injustice. Je n'ai entendu qu'un seul interlocuteur qui a répété, mot pour mot, ce que n'arrêtent pas de dire les députés de la majorité et le Gouvernement : c'est le Medef. Autrement dit, il existe une thèse selon laquelle les gens ne seraient pas en emploi parce qu'ils percevraient une indemnisation du chômage trop élevée, pendant trop longtemps. Aucune étude, aucun syndicat ne confirme cette thèse, personne n'est d'accord, sauf le Medef !
Par conséquent, madame la ministre, disposez-vous d'un seul élément qui prouve qu'une baisse du montant et de la durée de l'indemnisation chômage permettrait d'améliorer l'emploi des seniors ?
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
Vous avez mentionné différents points, dont les pénuries d'emploi dans certains secteurs alors qu'il y a encore beaucoup de chômeurs de longue durée. Vous avez évoqué l'ASS et les propositions du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, qui n'ont pas encore été détaillées. Permettez-moi simplement de rappeler que c'est bien la ministre du travail, de la santé et des solidarités qui a la charge et la responsabilité de la question de l'emploi, et personne d'autre. Connaissant la ministre, je peux vous dire qu'elle accorde une importance particulière au dialogue social, qu'il soit syndical ou patronal. Vous comprendrez que je ne puisse m'exprimer sur une réforme ou des pistes qui ne sont ni précisées ni discutées ; ce sont, à ce stade, des hypothèses.
En ce qui concerne le chômage de longue durée, à l'heure où certains secteurs peinent véritablement à recruter, la vraie réponse, la mère des batailles, dirais-je, c'est l'adaptation des postes, la lutte contre l'usure et l'accompagnement des métiers du lien, en particulier du social. Actuellement, 10 000 emplois ne sont pas pourvus dans le domaine de la petite enfance ; les métiers du social craquent, en raison de conditions de travail difficiles et de faibles rémunérations – ces deux aspects sont essentiels et je n'élude rien – ; il en est de même, si l'on prend un peu de hauteur, des métiers de la santé.
Comment répondre à ces difficultés ? Il faut investir davantage dans la formation ou encore accroître la solidarité à la source – car lorsqu'on est senior, on éprouve davantage de pudeur à demander de l'aide. Le non-recours aux droits est élevé parmi cette population. La solidarité à la source, c'est considérer le senior qui recherche un emploi, ou qui subit un temps partiel, dans sa globalité, en lui apportant des réponses et des soutiens plus spécifiques, afin de lutter contre sa précarité.
Voilà, monsieur le député, les éléments que je peux vous apporter, avec une réponse très claire s'agissant de la réforme de l'assurance chômage, qui n'a pas encore fait l'objet de négociations et qui arrivera en temps et en heure. Le dialogue social est en cours ; nous attendrons de connaître, lundi prochain, les propositions des organisations syndicales avant de réfléchir à l'évolution de l'assurance chômage, si besoin est, puisque la situation économique a évidemment changé depuis le début de la législature.
Mme la présidente
La parole est à Mme Fanta Berete.
Mme Fanta Berete (RE)
Je remercie le député Serva et le groupe LIOT d'être à l'origine de ce débat. En cette période si particulière, nous entendons tout sur l'emploi des seniors. Pour ma part, j'ai choisi d'échanger avec plusieurs personnes de plus de 45 ans en recherche active d'un emploi en CDI. Voici ce qu'il en ressort : la rupture du contrat de travail est à 81 % des cas à l'initiative de l'employeur pour les cadres de cette tranche d'âge. Or lorsqu'on a plus de 45 ans, on a déjà connu beaucoup de situations d'emploi : des plans sociaux ou de redressement, des changements d'organisation et de fonctions dans des entreprises de taille intermédiaire (ETI), des petites et moyennes entreprises (PME) ou des grands groupes. On a parfois créé son entreprise ou accepté des missions de conseil ou de management de transition. Bref, on a bâti un socle de compétences, que l'on souhaite valoriser pour créer de la valeur ajoutée et être un levier de performance pour l'entreprise et pour l'économie française.
À plus de 45 ans, certains, durant leur parcours professionnel, ont déjà été inscrits jusqu'à huit fois à France Travail. Le collectif de personnes en recherche d'emploi que j'ai rencontré me résume ainsi la situation : certaines entreprises vous disent du jour au lendemain, alors que vous atteignez vos objectifs, qu'elles n'ont plus de missions pour vous et qu'elles souhaitent limiter leurs charges, en vous remplaçant par quelqu'un de plus jeune et, surtout, de moins coûteux. Disons-le franchement : l'âgisme est, en France, l'une des premières discriminations. C'est sur ce plan que nous devons travailler avec les entreprises car le senior, lui, est bien conscient de la nécessité de travailler et de cotiser, sachant qu'il lui reste quatorze ans pour préparer sa retraite.
La France est-elle prête à innover socialement et humainement, afin que nos seniors puissent aller au bout de leur carrière ? Pourrions-nous réfléchir à une loi positive, incitative, collaborative, inclusive, progressive, avec les entreprises, au cœur de la solution ? Car là est le secret, madame la ministre. Je représente le « en même temps » souhaité et voulu par la majorité. C'est l'ancienne DRH qui vous parle : je sais et j'ai vu comment on fait sortir les seniors des entreprises. Qu'envisagez-vous pour contraindre les entreprises à ne plus faire sortir en masse les seniors, afin que leur traitement ne se résume pas, ensuite, à des questions d'employabilité, de salaire ou d'arrêt maladie ? En d'autres termes, comment contraindre les entreprises à traiter les seniors en leur qualité d'êtres humains ? Vous avez répondu partiellement à mon collègue tout à l'heure, mais peut-être pourriez-vous préciser vos propos. Comment imposer au Medef de jouer son rôle ? Nous avons répondu présents lorsque les entreprises avaient besoin de nous ; nous avons besoin désormais des employeurs pour avancer.
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
En raison de votre expérience personnelle et professionnelle, vous avez un regard de praticienne, si vous me permettez l'expression. Nous ne sommes pas naïfs ; les situations sont très inégales. La réalité, c'est que la rupture conventionnelle est une forme de préretraite forcée. Et le retour à l'emploi est bien plus difficile pour les seniors, pour de nombreuses raisons. C'est pourquoi j'ai dit tout à l'heure que la réforme des retraites permettait de repousser l'horizon et de recréer de l'emploi. Certes, ce n'est pas la seule et unique solution, loin de là.
Il faut repenser la formation, je l'ai dit, parce que 10 % seulement des seniors sont formés – c'est dramatique ! D'ailleurs, s'agissant des seniors, vous parlez des plus de 45 ans, tandis que certains évoquent les plus de 55 ans et que d'autres considèrent qu'il faut s'intéresser à la question plus précocement encore. Il faut briser ce tabou et reconnaître que plus un salarié avance en âge au sein de l'entreprise, plus il apporte de richesse – ce n'est pas une question de coût. Il faut donc lutter contre cette discrimination – j'assume le mot – due à l'âge, qu'elle se traduise à l'embauche ou, parfois, à la sortie, au moyen d'un licenciement abusif.
Pour cela, nous pouvons saisir l'occasion donnée par l'un de vos collègues de la majorité présidentielle, Marc Ferracci, qui a fait adopter en première lecture à l'Assemblée nationale une proposition de loi visant à lutter contre les discriminations par la pratique de tests individuels et statistiques. Ce texte a légèrement évolué lors de son examen par le Sénat et reviendra avec certitude en commission mixte paritaire (CMP). Il permettra de réaliser davantage de testings et d'identifier les pratiques délictueuses, afin de contraindre ou de rappeler à l'ordre les entreprises qui recourent à une politique discriminatoire vis-à-vis des seniors – voilà, pour ce qui concerne l'aspect le plus ferme.
De l'autre côté, comment créer de l'employabilité ? Grâce à des emplois mieux accompagnés ou encore à une meilleure adaptation des postes. Nous savons qu'il existe de vraies difficultés de recrutement dans certains secteurs, parfois des secteurs d'avenir. Or quel est le trou dans la raquette ? C'est l'adaptabilité.
Les salariés devraient peut-être envisager une reconversion plus tôt dans leur carrière car malheureusement, une fois qu'ils sont cassés, ils sont condamnés à l'expérience d'un chômage de longue durée. Nous ne nous y résignons pas – vous non plus, je le sais. Trois leviers peuvent être actionnés : l'investissement dans la formation, la contrainte lorsque c'est nécessaire, et l'autodiagnostic pour favoriser l'évolution des représentations des seniors au sein des entreprises. Le Gouvernement sera au rendez-vous du dialogue social, même si les mesures dépendront aussi des retours des organisations patronales et syndicales attendus la semaine prochaine. J'aurais souhaité vous en dire plus, mais la ministre du travail, de la santé et des solidarités attend les conclusions des partenaires sociaux – vous le comprendrez.
Mme la présidente
La parole est à M. Bertrand Pancher.
M. Bertrand Pancher (LIOT)
Il y a un mois environ, lors d'une rencontre réunissant plusieurs parlementaires du groupe LIOT et le président du Medef, Patrick Martin, j'ai évoqué nos réticences à modifier les mécanismes de protection sociale. J'ai été très prudent dans mes propos – je me suis dit que si j'y allais trop fort, il risquait de mal le prendre. Il ne l'a pas mal pris du tout ! Il m'a répondu que le Medef ne souhaitait pas une telle réforme et qu'elle ne faisait pas partie des priorités des entreprises. Ce qui importe pour elles, c'est de relancer l'emploi et l'industrie, de travailler avec les partenaires sociaux et de s'assurer que le dialogue social se passe bien. Lors de la table ronde qui a précédé, les organisations syndicales nous ont dit que, de leur point de vue, modifier à nouveau les conditions d'indemnisation des chômeurs – en particulier des chômeurs de longue durée – était une absurdité.
Premièrement, quels acteurs demandent une telle réforme ? Quelles organisations, syndicales ou patronales, vous ont demandé de sabrer encore les prestations d'assurance chômage ? Si vous ne le savez pas, c'est grave ! Vous lancez des idées qui ne sont pas applicables.
Deuxièmement, vous nous dites de ne pas nous inquiéter car vous écouterez les partenaires sociaux dans le cadre du dialogue social. Mais quand ferez-vous taire Bruno Le Maire ? Il passe son temps, matin, midi et soir, à dire qu'il faut supprimer l'ASS et réduire les durées d'indemnisation. Ce n'est pas sérieux !
Troisièmement, je reprendrai la belle question d'Olivier Serva : alors que le taux de chômage et le coût de la vie sont plus élevés en outre-mer qu'en métropole, les indemnités chômage y sont plus faibles. Quand mettrez-vous fin à cette situation ?
M. Olivier Serva
Très bien ! Bravo !
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
Je ne parle pas au nom des organisations patronales – cela ne vous aura pas échappé. Je représente la ministre du travail, de la santé et des solidarités, dont la priorité est de garantir que l'emploi paye, d'éviter que les actifs soient au chômage, de relancer l'économie, de former les salariés, et d'adapter les postes. C'est son obsession et elle considère que pour y parvenir, nous devons nous appuyer sur le dialogue social – dont elle a la culture profonde.
Les questions liées au travail se décident au ministère du travail, de la santé et des solidarités. Entre le moment où les organisations syndicales ont commencé à discuter et aujourd'hui, la conjoncture a changé : nous observons un ralentissement économique. Dans un tel contexte, il n'est pas interdit de s'interroger et de débattre – c'est même précieux. Les contours de cette réflexion sont-ils posés ? La réponse est non. Il serait indélicat d'anticiper les réponses, alors que les conclusions ne sont pas encore connues. La ministre souhaite attendre les propositions des organisations syndicales et patronales, notamment sur les conditions d'indemnisation ; elles sont attendues mardi. Le débat parlementaire permettra d'avancer sur ces questions. Monsieur le président Pancher, nous n'avons aucun dogme, soyez-en certain.
Quant à créer des emplois grâce à la réindustrialisation, le Gouvernement ne ménage pas ses efforts. Roland Lescure, et avant lui, Agnès Pannier-Runacher, font leur maximum pour accompagner la réindustrialisation des territoires. Ces efforts sont payants : la création d'un emploi industriel génère cinq emplois induits dans le reste de l'économie. Le cap et le chemin sont les bons.
Dans les outre-mer, aux inégalités professionnelles s'ajoutent des inégalités démographiques. Il existe de fortes disparités entre les territoires : certains comptent davantage de jeunes et d'autres davantage de personnes âgées, et certains jeunes sont obligés de quitter leur territoire, faute d'emploi – c'est la réalité. Étant issue d'un mouvement et d'une famille politique qui croient en la territorialisation des politiques publiques, je souscris à la proposition formulée par Olivier Serva lors de la table ronde qui a précédé – je ne peux pas me renier. Nous devons envisager d'une manière spécifique les prestations sociales et l'accompagnement à l'emploi dans les territoires ultramarins. Nous devons avoir systématiquement le réflexe d'analyser les effets des politique publiques et des réformes, et prendre la mesure des besoins locaux afin de proposer des réponses territorialisées. Je suis très à l'aise avec cette proposition qui rejoint la position historique de ma famille politique.
Mme la présidente
La parole est à M. Louis Boyard.
M. Louis Boyard (LFI-NUPES)
Le fil directeur de votre propos se dessine. Dans vos réponses aux questions se rapportant aux annonces de Bruno Le Maire, vous avez d'abord indiqué que les décisions se prenaient au ministère du travail. Lorsque mon collègue vous a demandé quand Bruno Le Maire se tairait enfin, vous nous avez répondu que les décisions se prenaient au ministère du travail. Mais en avez-vous informé Bruno Le Maire ? (Sourires sur les bancs du groupe LIOT.)
Je vous ai interrogée sur les données probantes de la réforme. Je le répète, aucune étude ne prouve qu'il est efficace de réduire le montant ou la durée des prestations pour lutter contre le chômage – des universitaires l'ont souligné. Aucune organisation syndicale – même patronale – ne demande une telle réforme, à l'exception du Medef, qui reproduit mot pour mot les éléments de langage que nous entendons à longueur de journée. Vous me dites que vous ne pouvez pas me répondre car le dialogue social est en cours. Je vais donc changer mon angle d'approche.
Cette réforme de l'assurance chômage est la quatrième. Les trois dernières reposaient sur le même postulat : les chômeurs ne veulent pas retrouver un emploi parce qu'ils sont satisfaits du montant et de la durée de l'indemnisation ; réduire le montant et la durée d'indemnisation permet donc de combattre efficacement le chômage. La plupart des chômeurs vivent tout de même sous le seuil de pauvreté, je le rappelle – beaucoup ne sont même pas indemnisés ! Plutôt que de vous interroger sur la réforme à venir, je vous interroge sur les trois dernières. Aucune étude n'a prouvé l'efficacité de ces mesures, aucune organisation syndicale ne les demande, et seul le Medef adhère à votre discours. Pouvez-vous citer un seul fait qui prouve qu'une réduction du montant ou de la durée de l'indemnisation est efficace pour diminuer le taux de chômage ?
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
Vous m'invitez à dresser le bilan des précédentes réformes. Les conclusions des recherches académiques convergent : diminuer la durée d'indemnisation du chômage réduit le délai de retour à l'emploi. Toutefois, je ne suis pas de ceux qui pensent qu'une généralité est valable pour tout le monde. La question qui nous occupe est celle de l'emploi des seniors. Le public jeune a ses spécificités, le public senior également. Nous devons porter un regard bienveillant – pour ainsi dire, humain – sur les situations en fonction des tranches d'âge et adapter les réponses. Si vous le souhaitez, je vous transmettrai les recherches académiques qui étayent mon propos.
Depuis 2017, 2 millions d'emplois ont été créés. Nous n'avons jamais connu un taux d'emploi aussi élevé, ce qui prouve que les réformes du travail et l'accompagnement à la formation vont plutôt dans le bon sens. Notre gouvernement et notre majorité – sans toujours avoir bénéficié du soutien d'une large majorité –, ont favorisé le retour à l'emploi, y compris des jeunes. Plus de 1 million de contrats en alternance ont été créés, mais ce n'est pas l'objet de notre débat.
La création d'un bonus-malus sur les cotisations employeur d'assurance chômage et le durcissement des conditions d'éligibilité ont incité les entreprises à maintenir plus longtemps les salariés dans l'emploi. Mon propos répond aussi à la question de la députée Fanta Berete sur les réponses plus fermes – plus incitatives, pour utiliser un langage policé – à apporter pour lutter contre les discriminations liées à l'âge. La réforme de 2019 visait également à inciter les salariés les moins éloignés de l'emploi à retrouver plus rapidement un travail. Or les seniors sont davantage exposés au chômage de longue durée – il ne s'agit pas d'un chômage ponctuel. Nous devons éviter l'entrée dans le chômage de ces publics vulnérables, dont nous savons qu'ils y resteront plus longtemps.
Le rapport intermédiaire du comité d'évaluation de la réforme de l'assurance chômage initiée en 2019, qui a été rédigé par un comité scientifique, apporte des données descriptives. L'analyse montre que des mesures telles que le bonus-malus ou l'allongement de la période minimale d'affiliation ont eu des effets plutôt positifs. Cependant, les analyses de ce rapport ne sont pas suffisamment abouties. Nous manquons de recul sur certains profils : les femmes et les jeunes, en particulier, devraient faire l'objet d'analyses spécifiques. Il n'en reste pas moins que le taux de chômage des jeunes est passé de 23 % à 17 %. La ministre du travail, de la santé et des solidarités est également attentive à la qualité des emplois créés. J'espère vous avoir apporté un éclairage complémentaire.
Mme la présidente
Il n'y a pas d'autres questions.
M. Louis Boyard
Je veux bien en poser encore une, si c'est possible, madame la présidente. Les échanges sont intéressants.
Mme la présidente
Je dois respecter les équilibres entre les groupes politiques. Le débat est organisé à la demande du groupe LIOT, vous avez déjà eu la parole à plusieurs reprises et je n'ai pas reçu d'autres demandes de questions.
Le débat est clos.
Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 8 avril 2024