Texte intégral
CHARLES MAGNIEN
On va tout de suite ouvrir notre armoire à pharmacie, avec Roland LESCURE. Bonjour.
ROLAND LESCURE
Bonjour.
CHARLES MAGNIEN
Ministre de l'Industrie et de l'Energie. Et justement, c'est un leader de l'industrie française qui pourrait passer sous pavillon étranger : le laboratoire BIOGARAN, qui appartient au groupe SERVIER, et qui fabrique un tiers des médicaments génériques en France. Autrement dit, tous les Français ont chez eux sûrement des médicaments fabriqués par BIOGARAN. Mais on l'a appris hier, BIOGARAN est à vendre. Quatre repreneurs seraient sur le coup, dont deux labos indiens. Ce sont plus de 8 000 emplois sur le sol français qui seraient menacés, sans parler de notre souveraineté en matière de médicaments. Alors, Roland LESCURE, est ce que le gouvernement, est ce que la France peut s'opposer potentiellement à cette vente de BIOGARAN à des capitaux, à des labos étrangers ?
ROLAND LESCURE
Bon, d'abord, moi je regrette cette vente. Moi j'ai dit clairement aux laboratoires SERVIER, que je ne souhaitais pas qu'ils vendent BIOGARAN. S'ils souhaitent le faire, moi, je serai extrêmement ferme et j'examinerai toutes les conditions qu'on peut imposer à une transaction, dans deux dimensions extrêmement importantes. La première, vous l'avez dit, il y a un générique sur trois en pharmacie vendu en France, qui est du BIOGARAN. Donc moi je souhaite évidemment que l'approvisionnement en médicaments des Françaises et des Français soit assuré. Et la deuxième c'est la production. Il y a 39 sites industriels ; alors, BIOGARAN ne produit pas en France, mais il y a 39 usines en France qui produisent pour BIOGARAN. Donc, moi je souhaite évidemment…
CHARLES MAGNIEN
Oui, donc les 8 000 emplois sont en fait des sous-traitants de BIOGARAN…
ROLAND LESCURE
Exactement.
CHARLES MAGNIEN
Mais qui seraient directement menacés. Si un laboratoire indien rachète BIOGARAN et dit : on rapatrie la production en Inde…
ROLAND LESCURE
Non mais aujourd'hui, l'Amoxicilline générique, le Doliprane générique, l'Ibuprofène générique, tout ça, c'est fabriqué en France, pour BIOGARAN, et vendu en France dans les pharmacies. Donc à la fois l'approvisionnement et la production doivent être assurés. La question ce n'est pas, est ce que l'acheteur il est indien ou canadien…
CHARLES MAGNIEN
Donc juste, Roland LESCURE, qu'on soit clairs, vous ne bloquerez pas, par principe, si un acheteur étranger, indien notamment, veut racheter BIOGARAN.
ROLAND LESCURE
On a ce qu'on appelle la procédure investissements étrangers en France, qui nous permet de faire beaucoup de choses. Mais la question aujourd'hui, elle ne se pose pas dans ces termes. La question, c'est : est-ce qu'on aura des médicaments en France ? Est ce qu'ils seront produits en France ? Hier, j'étais dans la Sarthe. Vous savez ce que c'est ça ?
CHARLES MAGNIEN
Vous brandissez une paire de gants.
ROLAND LESCURE
Ce sont des gants chirurgicaux, faits dans la Sarthe. Ça fait 30 ans qu'on ne faisait plus de gants en Europe. Depuis hier, on fait des gants made in France. Et vous savez quoi ? C'est un investisseur canadien qui va les fabriquer.
CHARLES MAGNIEN
Donc vous n'êtes pas contre les investissements étrangers. Si un Indien veut racheter BIOGARAN, il pourra le faire. Mais vous mettrez des conditions.
ROLAND LESCURE
Vous savez ce qui m'énerve le plus dans cette histoire…
CHARLES MAGNIEN
A quelles conditions un Indien, un laboratoire indien, pourrait racheter BIOGARAN ? Quelles conditions fixera l'Etat pour ce rachat ?
ROLAND LESCURE
Ecoutez, d'abord, vraiment, je vais répondre à votre question, mais ce qui m'énerve le plus, c'est que ça fait maintenant des mois qu'on met en place une politique pro-active pour faire venir des grands laboratoires pharmaceutiques en France, PFIZER, AstraZeneca, NOVO NORDISK, les Canadiens qui vont faire des gants chirurgicaux, ils viennent en France et c'est le moment que choisit le laboratoires SERVIER pour vendre. Donc ça, je le regrette. Ensuite, oui, cette procédure nous permet de mettre des conditions drastiques. Un, pour assurer l'approvisionnement, et deux, pour assurer que l'empreinte industrielle, que la production soit faite en France.
CHARLES MAGNIEN
C'est-à-dire, vous diriez aux Indiens : vous pouvez racheter BIOGARAN, mais on maintient l'emploi et surtout la production de médicaments en France. La France doit avoir le même niveau d'approvisionnement en médicaments.
ROLAND LESCURE
Et l'approvisionnement. Exactement. Donc ça, ça fait partie des conditions qu'on est prêt à mettre, à une acquisition. Pour l'instant…
CHARLES MAGNIEN
Vous dites " qu'on est prêt à mettre ", qu'on va mettre ?
ROLAND LESCURE
Non, mais pour l'instant…
CHARLES MAGNIEN
Ou qu'on réfléchit à mettre ?
ROLAND LESCURE
Non mais pour l'instant, il n'y a pas de transaction, il n'y a pas d'offre, il n'y a pas de proposition. Moi, j'annonce aujourd'hui, je suis prêt à recevoir les acheteurs potentiels dans mon bureau, pour leur expliquer les conditions auxquelles nous serions éventuellement prêts à regarder ce type de transaction. Pour l'instant…
CHARLES MAGNIEN
Mais, avant de recevoir les repreneurs, vous allez recevoir peut-être SERVIER, non ? Essayer de convaincre SERVIER...
ROLAND LESCURE
Ah mais on les a reçus…
CHARLES MAGNIEN
Vous les avez reçus.
ROLAND LESCURE
On les a reçus SERVIER. On leur a dit qu'on était évidemment extrêmement contre, en fait, cette vente, et que, évidemment, on le regrettait, à un moment où, je le répète, la France est en train de devenir à nouveau attractive.
CHARLES MAGNIEN
Sauf qu'on sait pourquoi BIOGARAN ne veut plus produire en France de médicaments, pourquoi cette vente est envisagée, c'est parce que l'Inde, aujourd'hui, on le sait, produit beaucoup moins cher. L'Inde est surnommée " la pharmacie du monde ". Le fond du problème, c'est le prix des médicaments en France. Le directeur général de BIOGARAN, Jérôme WIROTIUS, était sur ce plateau il y a quelques mois face à Apolline. Ecoutez, il alertait déjà sur la question du prix.
JEROME WIROTIUS
Ça fait trois ans qu'on travaille là-dessus, avec les pouvoirs publics. Ça fait trois ans qu'on met, entre guillemets, une pression positive pour essayer de sortir par le haut de tout ça, parce que justement, les prix sont tellement bas en France, sur les 20 pays qui ont été comparés l'année dernière, la France est au 14e niveau. L'Italie, la moyenne des médicaments est à 38% au-dessus du prix français.
APOLLINE DE MALHERBE
Plus chère.
CHARLES MAGNIEN
Ça fait des années que SERVIER et BIOGARAN vous disent : vous ne payez pas assez cher les médicaments.
ROLAND LESCURE
Et vous savez quoi ? On est justement en train de changer ça. C'est pour ça que je suis énervé aujourd'hui. C'est, il y a un an, le président de la République a annoncé qu'on mettait en place une stratégie de relocalisation, qui repose sur trois leviers : des subventions, des commandes publiques privilégiées et des prix privilégiés pour des produits fabriqués en France et en Europe. On est justement en train de changer ça. Il y a des entreprises mondiales aujourd'hui, qui choisissent la France du fait de cette politique d'attractivité. Donc une entreprise française, au moment où ça change, choisisse de vendre son laboratoire générique, moi, je le regrette. Maintenant, on va travailler, si on continue à avancer avec cette transaction, avec les repreneurs potentiels, pour s'assurer que ces repreneurs-là, ils choisissent la France, à la fois les consommateurs français, qu'on ait des médicaments dans nos pharmacies, et les producteurs français, qu'on les produise chez nous.
CHARLES MAGNIEN
Parce que le risque concret, ce sont les pénuries, les ruptures de stocks. Si, BIOGARAN change de pavillon, on entend bien les conditions que vous voulez mettre à cette vente. Mais Roland LESCURE, là, ça vient complètement contrecarrer votre plan. Vous avez lancé un plan anti-pénurie il y a quelques semaines, une liste de 450 médicaments essentiels. Là, c'est toute la politique industrielle du médicament qui est remise en cause par cette vente.
ROLAND LESCURE
Eh bien non, au contraire, j'allais dire. Justement, ces conditions, elles sont cohérentes avec cette politique pour lutter contre les pénuries. Lutter contre les pénuries, c'est s'assurer à la fois qu'on innove et qu'on produit en France, qu'on livre et qu'on gère bien les livraisons dans les pharmacies, parce qu'aujourd'hui il y a sûrement de l'optimisation à faire. Et cette politique, elle est en marche. On a aujourd'hui mis de la pression pour les industriels. On n'a pas entendu parler de pénurie de paracétamol cette année, alors que c'était le cas il y a un an, parce qu'on a augmenté la production en France…
CHARLES MAGNIEN
Mais notamment avec BIOGARAN.
ROLAND LESCURE
Exactement !
CHARLES MAGNIEN
Mais si dans un an, BIOGARAN passe sous pavillon indien…
ROLAND LESCURE
Eh bien c'est la raison…
CHARLES MAGNIEN
... et que les Indiens préfèrent vendre le médicament à d'autres pays, on peut avoir une rupture dès l'hiver prochain.
ROLAND LESCURE
C'est la raison essentielle pour laquelle ces conditions seront drastiques.
CHARLES MAGNIEN
Elles seront drastiques.
ROLAND LESCURE
Bien sûr.
CHARLES MAGNIEN
Elles seront fixées quoi qu'il arrive, pour le rachat, on entend bien…
ROLAND LESCURE
Si on vient me voir avec une proposition, moi j'aurai des conditions.
CHARLES MAGNIEN
J'aimerais vous entendre sur un autre exemple, industriel, c'est le fabricant français de panneaux solaires SYSTOVI, qui est basé du côté de Nantes et qui a annoncé mercredi la fin de son activité. 87 salariés, et le patron qui dit : " Ça fait des mois qu'on se bat, mais là, on ne peut plus. Face au dumping chinois, c'est impossible d'être rentable en France en produisant des panneaux solaires ". Là, c'est encore un échec pour l'industrie, la réindustrialisation française.
ROLAND LESCURE
Ecoutez, on a l'année dernière des entreprises qui ferment, des entreprises qui ouvrent. On a ouvert 200 usines de plus qu'on en a fermé. Donc, malheureusement, oui, il y a des usines qui ferment. On est en train d'installer deux gigafactories de panneaux solaires en France, une à Sarreguemines, une à Fos. Donc malheureusement, il y a un enjeu de compétitivité pour SYSTOVI, on regarde ça de près, on va voir si on peut trouver un repreneur, là aussi avec des conditions de production en France. Mais, aujourd'hui, je souhaite vraiment affirmer, avec force, qu'on est plus qu'au verre à moitié plein aujourd'hui. On ouvre des usines en France. Il y en a qui ferment, il y en a qui ouvrent, il y en a 200 de plus qui ouvrent. On a créé 130 000 emplois industriels en France depuis sept ans. L'industrie française est en train de renaître. Et donc je veux... Non mais j'insiste sincèrement là-dessus…
CHARLES MAGNIEN
Oui oui, c'est terrible pour vous, parce que d'où votre colère, j'imagine, vis à vis de BIOGARAN et de SERVIER, parce que l'image est catastrophique, là, ce leader français qui passerait sous pavillon indien…
ROLAND LESCURE
L'image m'importe peu, moi c'est la réalité qui m'importe. Je veux qu'on produise en France et je veux qu'on puisse consommer en France.
CHARLES MAGNIEN
Et j'ai envie de dire : rendez-vous l'hiver prochain, on verra, surtout si ce labo est vendu et si ça a des conséquences dans nos pharmacies. J'ai une dernière question Roland LESCURE, vous êtes ministre de l'Industrie, mais aussi de l'énergie. On a suivi cette nuit la riposte israélienne en Iran. Conséquence immédiate sur le cours du baril, et on le sait, le cours du litre est déjà très élevé en ce moment en France. Ça va forcément grimper dans les jours qui viennent. On approche de la barre symbolique des 2 €. Bruno LE MAIRE avait promis de réactiver une indemnité carburant si on approchait de cette barre. Il parlait même de 1,95 le litre. Est-ce que vous plaidez pour une nouvelle indemnité de carburant ?
ROLAND LESCURE
Ecoutez, on va suivre la situation. Comme vous le voyez, ça bouge au jour le jour. Mais évidemment, on suit le cours du pétrole, on suit l'impact sur la pompe. On travaille aussi avec les distributeurs, vous le savez, TOTAL s'est engagé à maintenir son plafond à 2 €. Donc tout ça est suivi de très près. Je ne souhaite pas réagir de manière trop précoce à un événement d'une nuit, dont aujourd'hui tous les éléments ne sont pas…
CHARLES MAGNIEN
Non, mais le prix du litre à la pompe, là ça fait des semaines que ça grimpe. On en est à…
ROLAND LESCURE
Il est en dessous de 2 € dans la majeure partie des stations aujourd'hui en France. Il est même assez nettement en dessous, encore dans des grands distributeurs qu'on connaît bien.
CHARLES MAGNIEN
Et il en approche. Donc tant qu'on est en dessous des 2 €, pas de geste de l'Etat.
ROLAND LESCURE
On en reste là.
CHARLES MAGNIEN
Eh bien voilà, les consommateurs vous ont entendu, en tout cas ce matin, les automobilistes, Roland LESCURE…
ROLAND LESCURE
Non mais j'entends bien, j'entends bien…
CHARLES MAGNIEN
Non non, mais c'est important de le dire, de fixer en tout cas cette barre. Et puis je vous remercie surtout d'être venu réaffirmer…
ROLAND LESCURE
Merci à vous.
CHARLES MAGNIEN
... alors BIOGARAN pourrait être vendu, mais à des conditions que vous êtes venu fixer ce matin en direct sur RMC. Je vous remercie, Roland LESCURE, ministre de l'Industrie et de l'Energie, d'avoir été en direct pour réagir ce matin, donc, à ce qu'on a appris hier, la mise en vente du labo BIOGARAN.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 30 avril 2024