Interview de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, à BFM TV le 2 mai 2024, sur la situation économique de la France, les économies budgétaires, l'accord concernant les retraites à la SNCF, la politique industrielle, les élections européennes et les tensions lièes au conflit à Gaza à l'École de Sciences politiques de Paris.

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Média : BFM TV

Texte intégral

 

APOLLINE DE MALHERBE
Bonjour Bruno LE MAIRE.

BRUNO LE MAIRE
Bonjour Apolline de MALHERBE.

APOLLINE DE MALHERBE
Vous êtes le ministre de l'Economie, des Finances, de la Souveraineté industrielle et numérique. Eh bien, dis donc, ça fait trois mois que je vous attends, que je vous invitais régulièrement, que vous aviez toujours une bonne excuse, vous venez enfin…

BRUNO LE MAIRE
Je travaille, vous savez…

APOLLINE DE MALHERBE
Oui, c'est peut-être parce qu'il y a des bonnes nouvelles, surtout, non ?

BRUNO LE MAIRE
Non, c'est parce que je travaille, et que les bonnes nouvelles, elles ne tombent pas du ciel. Les bonnes nouvelles, elles viennent du travail, qui a été fait par le gouvernement, la majorité, le président de la République. Et donc, oui, nous sommes pour la cinquième année consécutive la nation la plus attractive pour les investissements étrangers en Europe, au bout de cinq fois, je pense que…

APOLLINE DE MALHERBE
C'est le dernier baromètre qui est tombé ce matin…

BRUNO LE MAIRE
Exactement. Et je pense qu'au bout de cinq fois, on peut reconnaître que ce n'est plus le hasard, c'est le résultat de la politique de l'offre, qui a été menée par le gouvernement depuis sept ans, et que nous continuerons à maintenir, parce qu'elle donne des résultats très concrets. Eh bien, c'est 40.000 emplois partout dans les territoires, partout dans les régions, pour nos compatriotes. C'est des usines qui ouvrent ou des usines qui s'agrandissent, c'est des perspectives de prospérité pour tous nos compatriotes. C'est ça que veut dire ce baromètre. Ça veut dire du travail et de l'activité pour tous les Français sur tout le territoire. Et c'est le résultat de notre politique économique.

APOLLINE DE MALHERBE
Et puisqu'on est sur les bonnes nouvelles, on va quand même en profiter. Il y a eu l'agence de notation Moody's. Son verdict était attendu et surtout redouté. Finalement, la note de la France n'a pas été dégradée. Il y a la croissance, la croissance du premier trimestre qui n'est finalement pas si mauvaise, puisque l'on gagne 0,2 %. En plus donc de cette information, sur le fait que la France est donc restée le pays d'Europe qui attire le plus d'investisseurs étrangers. Globalement, vous vous dites que peut-être qu'on repart dans la bonne direction ?

BRUNO LE MAIRE
Mais je n'ai jamais douté que nous étions dans la bonne direction et que notre politique économique était la bonne. La politique de soutien aux salariés, valorisation du travail, de soutien aux entreprises. Et oui, la croissance est là. 0,2 au premier trimestre. Ceux qui sont insincères, c'est les prévisionnistes qui ont dit qu'il n'y aurait pas de croissance. On accuse le gouvernement d'insincérité. Mais c'est le gouvernement qui a été…

APOLLINE DE MALHERBE
D'optimisme excessif sans doute…

BRUNO LE MAIRE
Oui, mais, on est là pour être optimiste et volontariste, pas pour jeter des sacs de cendres sur la tête des Français, comme beaucoup le font matin, midi et soir, parce que c'est leur fonds de commerce électoral, ce décadentisme permanent, cette idée que les Français n'y arrivent pas, alors qu'ils réussissent remarquablement bien. Nous avions dit en 2023, il y aura un point de croissance, on a fait 0,9. C'est le gouvernement qui était le plus sincère. Je dis depuis des semaines, sous une volée de critiques et de bois vert, que nous aurons de la croissance, que nous aurons une année 2024 qui sera solide. Certains prévisionnistes diraient ce sera 0,5 au maximum, on a déjà 0,5 de croissance cumulée…

APOLLINE DE MALHERBE
Donc vous maintenez votre prévision de 1 % de croissance pour 2024 ?

BRUNO LE MAIRE
Je maintiens notre prévision de croissance, dont la crédibilité vient d'être confortée par ce chiffre de l'INSEE, 0,2 ; je ne dis pas que c'est suffisant. Je ne dis pas qu'on ne peut pas faire mieux. Je dis juste que la France est dans la bonne direction, que son économie est solide, et qu'il serait bon surtout de changer d'état d'esprit, que ce pessimisme permanent. Je vois tous ceux qui avaient déjà le sourire aux lèvres en se disant Moody's et Fitch vont dégrader la note. Et qu'est-ce que c'est que cette façon de se réjouir sur les malheurs du pays ? Est-ce qu'il ne faudrait pas changer radicalement d'état d'esprit ? Avoir un état d'esprit optimiste, volontarisme ? Oui, Moody's et Fitch ont maintenu la note de la France. Pourquoi ? Parce qu'ils croient dans la crédibilité de la stratégie de rétablissement des finances publiques du pays, et parce qu'ils croient dans la puissance de l'économie française. C'est tout. Changeons d'état d'esprit…

APOLLINE DE MALHERBE
Il reste d'ailleurs une troisième agence de notation qui doit donner son verdict d'ici un mois, Standard and Poor's, vous êtes à peu près aussi optimiste ?

BRUNO LE MAIRE
Nous verrons, mais ce n'est, une fois encore, pas uniquement une question d'optimisme. C'est du travail, c'est de la volonté. Enfin, ces chiffres de croissance, 0,2, une croissance qui a été maintenue en 23, pas de récession, une croissance en 24 qui est solide et qui sera encore plus solide en 25 et en 26. Ces emplois qui ont été créés, ce classement de la France comme nation la plus attractive, tout ça, c'est le fruit de tout le travail des salariés, des chefs d'entreprise, des patrons de PME, des patrons de TPE, des commerçants, des artisans. Moi, je veux leur tirer mon chapeau ce matin, et leur dire : vous avez bien raison, contre l'état d'esprit qui est un état d'esprit sombre…

APOLLINE DE MALHERBE
Mais de qui, c'est-à-dire que…

BRUNO LE MAIRE
De continuer à faire preuve de volonté…

APOLLINE DE MALHERBE
Vous avez l'air de dire que, face à vous, il y aurait tous les pessimistes, voire même les pessimistes un peu Gargamel, qui se réjouissent du fait que ça aille mal, c'est qui ?

BRUNO LE MAIRE
Mais je ne sais pas, Apolline de MALHERBE, il suffit d'allumer sa télévision, de consulter ses réseaux sociaux. Là, c'est le pire…

APOLLINE DE MALHERBE
Donc c'est encore la faute des journalistes…

BRUNO LE MAIRE
Non, absolument pas. Je n'accuse jamais les journalistes, jamais. Ce n'est pas ma pratique démocratique. Et quand j'écoute La France Insoumise, quand j'écoute le Rassemblement national, quand j'écoute certains, quand j'écoute certaines oppositions, ils n'ont que la critique à la bouche, pas contre moi, ça, c'est le jeu démocratique contre les Français. Quand on dit qu'il va y avoir une récession, c'est contre le travail des Français qu'on s'exprime. Quand on fait preuve de trop de pessimisme, qu'on n'arrête pas de parler de décadentisme. C'était mieux avant. On n'est pas dans la bonne direction, ça va mal se passer. On joue avec les peurs des Français. Et dans le fond…

APOLLINE DE MALHERBE
Moi, je veux bien, mais Bruno LE MAIRE, il y a un moment où vous avez quand même tiré le signal d'alarme vous-même de manière très solennelle, un soir à 20h en disant…

BRUNO LE MAIRE
Mais sur les finances publiques, bien sûr…

APOLLINE DE MALHERBE
Il manque de l'argent. Il faut trouver en urgence 10 milliards. Puis, vous-même, vous êtes revenu, disant, finalement, il va peut-être même falloir 10 milliards de plus. Et puis, votre ministre du Budget qui dit peut-être 20 milliards l'an prochain, le président de la Cour des comptes qui dit : il va falloir 50 milliards. Enfin, moi, je veux bien, mais enfin, ceux qui sont peut-être un peu négatifs aujourd'hui, c'est vous ?

BRUNO LE MAIRE
Non, ne confondez pas deux choses très différentes, il y a deux façons de la politique…

APOLLINE DE MALHERBE
On comprend qu'on soit inquiet quand on vous entend…

BRUNO LE MAIRE
On peut faire de la politique avec le sens des responsabilités ou en jouant avec les peurs des Français. Je trouve que, aujourd'hui, dans le débat politique, beaucoup trop de responsables politiques, qui sont irresponsables en le faisant jouent sur la peur des Français, sur la peur de déclassement, sur la peur de relégation. Alors, que nous sortons d'une des crises économiques les plus graves que nous ayons connue depuis un siècle, le Covid, que nous sortons de la crise inflationniste la plus grave depuis les années 70, et que la France s'en sort remarquablement bien, grâce au travail une fois encore des Français, je pense que ça mérite d'être salué. Moi, ma responsabilité de ministre des Finances, c'est effectivement de dire : écoutez, là, il y a eu une difficulté, sur les recettes, en 2023, elles ont été moins bonnes que prévu, on corrige. Ce n'est pas jouer avec les peurs, c'est faire preuve de sens des responsabilités.

APOLLINE DE MALHERBE
Et on va rentrer dans le détail, il y a beaucoup de questions à vous poser, d'abord, sur, effectivement, ces économies, je n'y suis plus très bien, c'est-à-dire, vous aviez dit : 10 milliards, vous avez redit 10 milliards, est-ce qu'aujourd'hui, on cherche 20 milliards pour 2024 ? Mes comptes sont bons ?

BRUNO LE MAIRE
On a déjà trouvé 10 milliards d'euros, c'est le décret que nous avons signé le 21 février avec le Premier ministre, puis, il faut trouver 10 milliards d'euros supplémentaires. Nous y travaillons avec le ministre des Comptes publics, et là, les comptes sont bons.

APOLLINE DE MALHERBE
Alors, attendez, vous avez dit : on a déjà trouvé 10 milliards, dans ces 10 milliards, si je me souviens bien, il y en avait une partie qui était que vous demandez à chacun des ministères de faire des économies. Quand je regarde ce qui s'est passé au ministère de l'Education nationale hier, vous avez demandé à tous les ministères donc de faire des économies, et au ministère de l'Education de faire aux alentours de 700 millions. J'ai bon ?

BRUNO LE MAIRE
Oui, tout à fait.

APOLLINE DE MALHERBE
Le ministère de l'Education a donc regardé dans ce qui lui coûte, et a demandé aux recteurs, aux recteurs d'académies, de supprimer un tiers des heures supplémentaires des professeurs pour économiser tout de suite 100 millions d'euros. Tollé, reculade, C'est abandonné. Donc quand vous dites : on a trouvé les sous, eh bien, en fait, non, c'est-à-dire que quand on va en bas de la ligne, ils ne sont pas trouvés, vous, vous avez dit : on arrête, mais…

BRUNO LE MAIRE
Contrairement à ce que j'entends trop souvent, Bercy ne décide pas de tout. Le ministre de l'Economie et des Finances laisse la liberté totale à chaque ministre de décider où ils font les économies…

APOLLINE DE MALHERBE
Je veux bien, mais là, ils ne les trouvent pas…

BRUNO LE MAIRE
Il y a l'arbitrage qui est rendu avec le Premier ministre sur le montant global d'économies…

APOLLINE DE MALHERBE
Quand ils tentent de faire des économies, ça ne passe pas…

BRUNO LE MAIRE
On a déjà mis en place les 10 premiers milliards. On a par exemple réduit l'aide publique au développement. On a dit : voilà, les temps sont durs, on ne peut pas aider autant qu'on le souhaiterait les pays qui sont aujourd'hui les plus pauvres de la planète. Donc on va économiser 800 millions d'euros sur l'aide publique au développement. Et ainsi de suite, pour arriver aux 10 milliards d'euros d'économies…

APOLLINE DE MALHERBE
Donc, vous faites confiance…

BRUNO LE MAIRE
Maintenant…

APOLLINE DE MALHERBE
En gros, vous dites, ça, je m'en lave les mains, moi, je leur ai demandé de faire des économies. Maintenant, à eux de se débrouiller…

BRUNO LE MAIRE
Mais c'est à eux de discuter avec nous et de dire : voilà où nous voulons faire des économies. Mais les ministres…

APOLLINE DE MALHERBE
Mais là, c'est 100 millions, par exemple, puisque…

BRUNO LE MAIRE
Les ministres, comme la ministre de l'Education nationale, Nicole BELLOUBET, et je lui fais une confiance totale, ont la responsabilité de trouver les économies là où ils estiment que c'est le plus juste…

APOLLINE DE MALHERBE
… Théorique…

BRUNO LE MAIRE
Mais non, ce n'est pas que théorique, c'est très pratique, parce que c'est eux qui sont au contact…

APOLLINE DE MALHERBE
Eh bien, là, les 100 millions, c'est très pratique, c'est-à-dire que c'était un tiers des heures supplémentaires…

BRUNO LE MAIRE
C'est eux qui sont au contact de leurs administrations et qui disent : écoutez, là, c'est possible, là, c'est plus difficile. Ils ont une marge de manoeuvre. Un ministre, il a la responsabilité de son administration, de son budget. On lui dit : votre budget est réduit, à vous trouver les économies nécessaires.

APOLLINE DE MALHERBE
Donc il va falloir qu'il trouve ces 100 millions ailleurs. 20 milliards d'euros donc d'économies de différence avec le budget que vous aviez prévu. Et pourtant, pas de rectificatif budgétaire, ça passe ?

BRUNO LE MAIRE
Eh bien, le rectificatif budgétaire, c'est des décisions que nous prenons actuellement.

APOLLINE DE MALHERBE
C'est bizarre quand même.

BRUNO LE MAIRE
Vous voulez dire pas de loi finances rectificative ?

APOLLINE DE MALHERBE
Non, mais je veux dire, oui, politiquement, c'est quand même bizarre de ne pas retourner, c'est-à-dire que vous avez discuté d'un budget avec les députés. Vous faites finalement 20 milliards de différence par rapport à ce budget qu'ils ont signé, qui, finalement a été adopté. Et ne vous retournez pas devant l'Assemblée nationale.

BRUNO LE MAIRE
Mais nous avons la possibilité de le faire par décret, donc nous le faisons par décret. Le choix a été pris. La décision a été prise par le président de la République de faire ces économies par voie réglementaire. Est-ce que pour autant, ça réduit le débat parlementaire ?

APOLLINE DE MALHERBE
On comprend quand même en creux, Bruno LE MAIRE, que, voilà, le président a décidé, poliment, vous dites : c'est sa décision, je m'y range…

BRUNO LE MAIRE
Vous savez, comme ministre des Finances, la seule chose qui m'intéresse…

APOLLINE DE MALHERBE
Mais, ce n'est sans doute pas la décision que vous auriez prise…

BRUNO LE MAIRE
La seule chose qui m'intéresse, c'est qu'au bout du compte, on ait rétabli les comptes de la nation. Qu'on soit sous les 3% de déficit public en 2027, et que nous accélérions le désendettement de la France. Et est-ce qu'il y a un débat ? Bien sûr qu'il y a un débat. Eh bien, lundi, j'étais à l'Assemblée nationale, nous avons eu un débat avec les forces d'opposition. Mardi, j'étais au Sénat, il y a eu un débat avec les forces d'opposition. Et d'ailleurs, plutôt que de s'écharper sur le véhicule par lequel on va faire ces économies, j'ai tendu la main, et je tends la main à nouveau…

APOLLINE DE MALHERBE
Non, mais ce n'est pas du tout anodin, on va préciser les choses…

BRUNO LE MAIRE
Non, mais je tends… bien sûr…

APOLLINE DE MALHERBE
Pour que tout le monde le comprenne bien. En réalité, ce qui se joue là, c'est la question effectivement de la sincérité ou de l'insincérité d'un budget ou de la rectification d'un budget a posteriori quand les choses sont différentes…

BRUNO LE MAIRE
J'entends très bien, Apolline de MALHERBE, une fois encore, sur la sincérité, ne faisons pas…

APOLLINE DE MALHERBE
Pendant ce temps-là, vous avez quand même LR et une partie des oppositions qui ont dit : si vous venez devant l'Assemblée nationale avec votre budget rectificatif, avec cette loi de finances rectificative, nous déposerons une motion de censure, qui sera vraisemblablement signée par les autres oppositions. Et donc le gouvernement tombe !

BRUNO LE MAIRE
Ce qui – vous l'avouerez – n'est pas la meilleure incitation à faire une loi de finances rectificative. Si on vous dit : si vous déposez une loi de finances rectificative…

APOLLINE DE MALHERBE
Oui, eh bien, vous vous êtes dérobé…

BRUNO LE MAIRE
On renverse le gouvernement. Ce n'est pas une incitation à aller dans cette direction-là, mais peu importe. La seule chose qui compte pour la nation, l'intérêt supérieur de la nation…

APOLLINE DE MALHERBE
Si vous aviez eu le choix, vous vous seriez dérobé, vous, Bruno LE MAIRE ?

BRUNO LE MAIRE
C'est le rétablissement... Ecoutez, moi, je ne me dérobe jamais…

APOLLINE DE MALHERBE
Oui, c'est ça, vous auriez été, non, mais j'entends bien, vous auriez été…

BRUNO LE MAIRE
Ce n'est pas du tout mon genre de botter…

APOLLINE DE MALHERBE
Vous auriez été à l'Assemblée, vous auriez proposé ce budget rectificatif…

BRUNO LE MAIRE
La seule chose qui compte pour moi, c'est que les comptes soient rétablis, qu'ils soient rétablis dans un dialogue démocratique avec les forces d'opposition. Je leur ai tendu la main lundi à l'Assemblée, mardi, au Sénat, et je continue de leur tendre la main en leur disant : l'intérêt de la nation pour protéger les Français demain, s'il y a un nouveau Covid, s'il y a une crise géopolitique, c'est que les comptes soit rétablis, et qu'on ait les réserves financières pour protéger les Français. Travaillons ensemble, et je le redis ce matin à votre micro, à toutes les forces d'opposition, travaillons ensemble à ce rétablissement des coûts.

APOLLINE DE MALHERBE
Parmi les économies et les pistes pour faire encore des économies, pour réduire les dépenses, il y a l'idée de réformer l'assurance-chômage, et dans le même temps, dans le même temps, on a la SNCF, entreprise dont le capital est à 100% détenu par l'Etat, qui accepte dans une négociation avec ses salariés de revenir en gros sur les effets de la réforme des retraites. Vous avez bataillé sur cette réforme de retraites. Vous nous avez dit, à nous tous, Français, qu'il fallait faire des efforts, qu'il fallait travailler plus longtemps, que le compte n'y était pas. Et pendant ce temps-là, à la SNCF, ils ont obtenu de partir 2 ans avant l'âge légal, 18 mois avant l'âge légal précisément, avec 75% de leur salaire, vous trouvez ça normal ?

BRUNO LE MAIRE
C'est pour ça que cet accord n'est pas satisfaisant à mes yeux, et qu'il y a eu un dysfonctionnement. J'ai en partie, avec d'autres, la tutelle de la SNCF, et notamment la tutelle financière. Un accord est signé, qui engage effectivement les équilibres de la réforme des retraites, les équilibres financiers de la SNCF. Je n'ai pas été averti. Alors, je reconnais bien volontiers que c'est au président directeur général de la SNCF…

APOLLINE DE MALHERBE
Monsieur FARANDOU…

BRUNO LE MAIRE
De gérer les relations avec les organisations syndicales. Mais, le ministre de tutelle, un des ministres de tutelle, doit être tenu au courant. J'ai donc convoqué le président directeur général de la SNCF pour qu'il me rende des comptes sur cet accord, qui donne un sentiment de deux poids, deux mesures, qui est très provocant pour beaucoup de nos compatriotes qui travaillent dur, et qui ont accepté la réforme des retraites, et qui voient que cette réforme des retraites est nécessaire précisément pour financer notre régime de retraite par répartition, par solidarité. Donc j'ai convoqué monsieur FARANDOU, et je tiens à ce qu'il m'explique comment est-ce qu'il finance cet accord qu'il a conclu avec les syndicats sans, une fois encore, que nous soyons avertis.

APOLLINE DE MALHERBE
Quand ?

BRUNO LE MAIRE
Dans les tout prochains jours.

APOLLINE DE MALHERBE
Et s'il n'a pas une explication qui vous paraît suffisamment à la hauteur…

BRUNO LE MAIRE
J'attends une explication convaincante. Et je veux régler un dysfonctionnement.

APOLLINE DE MALHERBE
Mais est-ce que ça veut dire, Bruno LE MAIRE, que vous pourriez, en tant que, justement, tutelle de la SNCF, dire : eh bien, cet accord, on n'est pas d'accord ?

BRUNO LE MAIRE
Je vais écouter les explications du président directeur général de la SNCF. Mais la démocratie, pour moi, c'est la transparence. Je ne vais pas vous dire : j'ai été informé, ce n'est pas mal, non, voilà. Le ministre de tutelle, un des ministres de tutelle…

APOLLINE DE MALHERBE
N'a pas été informé…

BRUNO LE MAIRE
N'a pas été informé. Il apprend cet accord. Cet accord ne me paraît pas satisfaisant. Il pose des problèmes financiers. Je rappelle que nous avons trouvé 35 milliards d'euros…

APOLLINE DE MALHERBE
Oui, quand ils ont eu besoin, et qu'ils vous ont appelés, vous les avez trouvés, les sous.

BRUNO LE MAIRE
... il y a quelques années, lorsque la SNCF avait besoin de rééquilibrer ses comptes, je suis en droit de demander des comptes aussi.

APOLLINE DE MALHERBE
Mais, est-ce que – je vous repose la question – est-ce que vous avez les moyens, Bruno LE MAIRE, de revenir sur cet accord ?

BRUNO LE MAIRE
Je tiens à connaître les moyens de financement de cet accord. Le président directeur général de la SNCF doit nous rendre des comptes.

APOLLINE DE MALHERBE
TotalEnergies pourrait battre pavillon américain. Le patron de TOTAL a laissé entendre qu'il pourrait faire de Wall Street sa place de cotation principale. Le journal Les Echos parle même d'une distance croissante entre les champions du CAC 40 et l'Hexagone. TOTAL, j'ai quand même plusieurs questions à vous poser parce qu'on sent bien qu'il y a eu une forme de bras de fer quand même, parfois de soutien, souvent, mais aussi de bras de fer, quand vous avez estimé que TOTAL n'avait pas joué le jeu. Et là, ils envisagent ce projet, partir quand même pour une cotation américaine. D'abord, est-ce que vous prenez ce projet au sérieux ?

BRUNO LE MAIRE
Bien sûr je prends ce projet est sérieux.

APOLLINE DE MALHERBE
Est-ce que vous le redoutez ?

BRUNO LE MAIRE
Je ne suis pas là pour redouter, je suis là pour faire en sorte que cela n'ait pas lieu. Parce que je pense que c'est une décision qui est grave. Nous avons besoin de TOTAL. J'ai eu l'occasion à plusieurs reprises de dire à quel point c'était un atout pour la France d'avoir une grande compagnie pétrolière comme TOTAL, avec par exemple lorsqu'il y a des prix de l'énergie qui explosent, les prix des carburants qui explosent, un géant de la distribution, et de la distribution de pétrole, d'essence ou de diesel, qui dit « je vais plafonner à moins de 2 € le prix du carburant à la pompe ». Eh bien, si vous n'avez pas TOTAL, vous ne pouvez pas le faire. Donc c'est important de garder TOTAL. C'est important de garder le siège social de TOTAL en France, et c'est important que la cotation principale de TOTAL reste en France.

APOLLINE DE MALHERBE
Ils vous entendent, ils vous écoutent ? Moi, ce que je voudrais comprendre, c'est, est-ce qu'il n'y a pas entre vous…

BRUNO LE MAIRE
On me dit, mais j'ai eu l'occasion…

APOLLINE DE MALHERBE
... une forme presque de provoc, de chantage ? Au fond, c'est un peu une manière de vous dire : écoutez, lâchez-moi.

BRUNO LE MAIRE
Non, ce n'est pas comme ça que doivent fonctionner les relations entre le ministre de l'Economie et des Finances…

APOLLINE DE MALHERBE
Ah, je veux bien croire que ce n'est pas comme ça que ça doit fonctionner, mais est-ce que ce n'est pas comme ça que ça fonctionne ?

BRUNO LE MAIRE
... et un dirigeant d'une entreprise aussi importante que TOTAL. Ce qui doit nous guider, comme pour les finances publiques, comme pour l'économie, c'est l'intérêt supérieur de la Nation. Est-ce que l'intérêt supérieur de la Nation est de garder le siège social de TOTAL en France et la cotation principale de TOTAL en France ? Oui. Et donc je me battrais pour cela, parce que c'est l'intérêt supérieur des Français. Alors, de quoi est-ce que TOTAL a besoin ? TOTAL a besoin de financements. Je pense que la meilleure façon de répondre aux besoins de TOTAL, c'est de mettre en place ce pour quoi nous nous battons avec le président de la République, l'Union des marchés de capitaux.

APOLLINE DE MALHERBE
Oui, mais est-ce que ce n'est pas une manière de vous dire : n'envisagez même pas la taxe sur les superprofits ?

BRUNO LE MAIRE
Non mais c'est TOTAL me dit : la taxation sur les superprofits, en l'espèce, c'est une taxation sur les rachats d'actions que nous envisageons de mettre en place. Je pense qu'on peut le dissocier de cette question de la cotation et de la présence de TOTAL en France, avec son siège social. TOTAL me dit : « Nous avons un problème de financements, nous n'arrivons pas à trouver de financements ». Ma réponse est : « Nous allons mettre en place une union des marchés de capitaux, pour que vous puissiez lever des sommes beaucoup plus importantes, à l'échelle européenne, pour vos activités, notamment vos activités dans la transition énergétique. Nous ferons cette union des marchés de capitaux. Vous pourrez lever l'argent nécessaire. Donc vous n'avez plus de raison d'aller vous faire coter à New York ».

APOLLINE DE MALHERBE
Il y a un des sous-traitants de STELLANTIS, MA France, qui fabrique des châssis et des cabines, qui risque le dépôt de bilan. STELLANTIS, dont le patron est quand même rémunéré 36,5 millions d'euros, on l'a appris la semaine dernière. Qui délocalise donc cet équipementier en Turquie, parce que ce serait moins cher là-bas. Est-ce que vous trouvez ça normal ?

BRUNO LE MAIRE
Je réunirai toute l'industrie automobile, toutes la filière automobile, lundi, avec le ministre de l'Industrie, Roland LESCURE. Cette industrie, elle traverse une phase qui est difficile, la transition du véhicule thermique au véhicule électrique. Une transition comme ça, il en arrive une fois par siècle. Je veux accompagner la filière automobile comme je le fais depuis maintenant 7 ans. Et pour accompagner filière automobile, il faut que chacun joue le jeu, et que les grands donneurs d'ordres, que ce soit STELLANTIS et RENAULT, aient une attention beaucoup plus forte à leurs sous-traitants et la situation de leurs sous-traitants, cela fera partie des discussions que…

APOLLINE DE MALHERBE
Vous estimez donc qu'ils ne doivent pas lâcher MA France.

BRUNO LE MAIRE
J'estime que les donneurs d'ordres, STELLANTIS et RENAULT, dans cette période de transition qui est très brutale, très rapide, où la concurrence est féroce, notamment avec la Chine, doivent faire attention à leurs sous-traitants. Ça a toujours été ma ligne de politique économique, que ce soit sur l'aéronautique, sur l'énergie, sur l'industrie automobile. Les grands doivent faire attention aux petits.

APOLLINE DE MALHERBE
Monsieur BOLLORE, tiens, dit aussi qu'il va lancer peut-être une nouvelle usine de, méga-factory de batteries.

BRUNO LE MAIRE
Je ne vais pas vous annoncer toutes les bonnes nouvelles ce matin…

APOLLINE DE MALHERBE
Mais pourquoi pas ?

BRUNO LE MAIRE
J'en garde encore quelques-unes pour les semaines à venir.

APOLLINE DE MALHERBE
Mais celle-là, ça veut dire, si je comprends bien, qu'elle est dans votre manche.

BRUNO LE MAIRE
Vous verrez.

APOLLINE DE MALHERBE
Elle est dans votre manche.

BRUNO LE MAIRE
Vous verrez. Les présidents de région qui sont très impliqués, le président de la région Bretagne, le président de la région Grand-est, et je salue leur implication, parce qu'on a beaucoup travaillé ensemble depuis des mois sur ce projet, donc laissez-nous encore un petit peu de temps.

APOLLINE DE MALHERBE
Mais vous êtes prêts, Bruno LE MAIRE, vous pouvez le dire.

BRUNO LE MAIRE
Laissez-nous encore un peu de temps.

APOLLINE DE MALHERBE
Oui, ok. Donc, la super nouvelle est dans la manche, mais vous attendez un peu pour la donner plus officiellement. Tiens, ATOS, qui est chargé d'une partie de la cybersécurité des Jeux Olympiques, notamment, ATOS en très grande difficulté, vous avez annoncé que vous proposiez de racheter les activités les plus sensibles, les plus sensibles notamment sur la question du nucléaire ou sur la question En effet, de la cyber sécurité. On en est où ?

BRUNO LE MAIRE
J'ai déposé une lettre d'intention le week-end dernier, ce qui veut dire que nous protégerons, comme je l'ai toujours indiqué, toutes les activités stratégiques d'ATOS, que ce soit sur cyber, la sécurité, sur les supercalculateurs ou dans le domaine nucléaire. Et je tiens à dire face aux critiques, que nous avons fait ça au bon moment. Certains nous disaient : " Ah, il fallait agir beaucoup plus tôt ". Mais enfin, agir beaucoup plus tôt, ça veut dire quoi ? Ça veut dire que l'Etat éponge les dettes à la place des créanciers ou des actionnaires. Enfin, très franchement, le contribuable, si on était intervenu beaucoup plus tôt, il serait fondé à dire " Mais, monsieur LE MAIRE, pourquoi est-ce que vous épongez les dettes à la place des banques, des créanciers ou des actionnaires ? ". J'interviens au bon moment, quand c'est nécessaire pour protéger, sans dilapider l'argent du contribuable.

APOLLINE DE MALHERBE
Bruno LE MAIRE, vous avez entendu les mots qui ont été lancés à l'endroit de Raphaël GLUCKSMANN dans les cortèges des manifestations du 1er mai ? " Casse-toi, Palestine vivra. PS : salaud ". Comment vous voyez ce moment politique ?

BRUNO LE MAIRE
C'est pathétique. C'est pathétique de la part de tous ceux qui prononce ces mots. J'apporte évidemment mon soutien à Raphaël GLUCKSMANN dans ce qu'il a vécu il y a quelques heures. Cette violence n'a pas sa place dans le débat public. Mais, dans le fond, ça dévoile aussi le vrai visage de la France insoumise. Cet événement, comme d'autres, depuis des semaines et des mois, la France insoumise, c'est à la fois la France intolérante et la France islamiste. Voilà ce qu'est devenue la France Insoumise, un parti intolérant, qui, lorsqu'il voit qu'il perd pied, devient brutal, violent. On l'avait déjà vu dans l'attitude de monsieur MELENCHON il y a quelques années. Et la France insoumise, c'est aussi la France islamiste, parce qu'ils récupèrent la colère sur Gaza. L'inquiétude sur Gaza qui peut être légitime. On est tous bouleversés par ce qui se passe à Gaza, pour défendre des positions politiques de séparatisme, de valorisation de l'islam le plus radical, au détriment d'ailleurs de beaucoup de nos compatriotes musulmans qui voient ça avec beaucoup d'effroi parce qu'ils savent que ça va se retourner contre eux. Donc tout cela est condamnable. Tout cela doit être combattu avec la plus grande fermeté et le plus grand calme.

APOLLINE DE MALHERBE
Il y aura tout à l'heure, à 10h00, une réunion à l'École de Sciences politiques de Paris, à l'Institut d'école Sciences politiques de Paris à 10h00, avec à la fois les professeurs, la Direction, les étudiants. Tous les étudiants sont invités, des différentes obédiences, si je puis me permettre, puisque désormais chacun est un peu dans sa case. Qu'est-ce que vous en attendez ? Est-ce que vous en espérez quelque chose ? Le regard de Gabriel ATTAL sur la situation de blocage de la semaine dernière était très dur. Est-ce que vous aussi, vous estimez que ce qui se passe à Sciences-Po est néfaste ?

BRUNO LE MAIRE
Une école, c'est fait pour étudier et débattre. Ce n'est pas fait pour avoir des confrontations violentes, comme celles qu'on voit sur les campus américains. Qu'est-ce qu'on veut ? Que la violence qu'on voit sur les campus américains arrive en France ? Ou est ce qu'on veut que la France reste une Nation de lumières, de sciences, de savoirs, d'études, de débats, de tolérance ? C'est ça qui se joue actuellement. Donc tous ceux qui croient et qui sont l'immense majorité des étudiants, évidemment, dans le débat, dans le savoir, dans l'échange d'idées, dans la confrontation des idées, doivent respecter les idées des autres, admettre le débat et refuser toute forme de violence, toute forme d'intimidation, toute forme de blocus. Une université, c'est libre, ce n'est pas fait pour être bloqué.

APOLLINE DE MALHERBE
D'ailleurs, ça s'appelle l'Institut libre d'études politiques.

BRUNO LE MAIRE
Exactement.

APOLLINE DE MALHERBE
Bruno LE MAIRE, merci d'être venu répondre à mes questions. Vous êtes le ministre de l'Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 3 mai 2024