Déclaration de M. Emmanuel Macron, président de la République, sur les relations entre la France et la Chine et les tensions internationales, à Paris le 6 mai 2024.

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Circonstance : Conférence de presse conjointe de M. Emmanuel Macron, Président de la République, et de M. Xi Jinping, Président de la République populaire de Chine

Texte intégral

Monsieur le Président, la simple lecture qui vient d'être faite des accords montre l'importance de votre troisième visite d'Etat. La France est heureuse et fière de vous accueillir pour ces deux jours, en effet, pour cette troisième visite d'Etat et ce 60ème anniversaire de l'établissement de nos relations diplomatiques dans un moment où le contexte international requiert plus que jamais une coordination étroite entre nos deux pays.

Après Paris aujourd'hui, nous serons demain dans les Hautes-Pyrénées. Dans la continuité de votre étape à Lyon en 2014, de nos échanges dans la Villa Kérylos à Beaulieu-sur-Mer près de Nice, en 2019, nous allons continuer d'ancrer chaque moment fort de la relation franco-chinoise dans un territoire. C'est la même chose que nous avons fait en Chine. Après Xi'an et Shanghai, j'avais eu l'occasion de visiter Canton en avril 2023. Je souhaite à nouveau vous remercier chaleureusement pour votre accueil et les longs échanges que nous avons eus ensemble à cet égard.

Comme j'ai pu le dire à plusieurs reprises, nous vivons en effet un tournant historique où les menaces sont à un niveau inédit et le risque de fragmentation du monde considérable. Dans ce contexte d'instabilité, les relations entre la Chine et la France, par leur profondeur historique, le respect mutuel, la confiance établie, je crois, peuvent jouer un rôle utile au-delà de la relation bilatérale, plus largement pour la relation entre l'Europe et la Chine, et la stabilité du monde.

Je vous remercie, à cet égard, d'avoir accepté ce matin une réunion trilatérale avec la Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, qui a permis d'évoquer la relation sino-européenne et les grands conflits d'Ukraine et du Proche-Orient, de clarifier notre agenda commun et d'éviter justement toute logique de bloc, mais plutôt de bâtir des convergences.

Nos échanges de ce matin, l'échange en format restreint que nous avons eu, puis en format élargi, nous ont permis d'avancer sur plusieurs dossiers. D'abord, nous avons évidemment abordé la guerre d'agression de la Russie contre l'Ukraine. Loin de se limiter au continent européen, ce conflit a des conséquences structurelles sur l'ordre international, tel que nous le connaissons depuis la Seconde Guerre mondiale. Nous partageons avec la Chine, membre permanent du Conseil de sécurité, la même volonté de préserver le cadre de la Charte des Nations Unies qui fixe le principe de respect de l'intégrité territoriale et de la souveraineté des Etats. Les autorités chinoises l'ont rappelé à plusieurs reprises et je veux ici vous en remercier.

Ensuite, nous avons voulu, ce matin, expliquer l'impact de ce conflit sur la sécurité européenne et notre détermination à soutenir l'Ukraine aussi longtemps et autant que nécessaire. Sans sécurité pour l'Ukraine, il ne peut y avoir de sécurité de l'Europe. Pour autant, nous ne sommes en guerre ni contre la Russie, ni contre le peuple russe, et nous n'avons pas non plus une approche consistant à rechercher un changement de régime à Moscou. Il ne faut pas là inverser les rôles. C'est le pouvoir russe qui souhaite s'en prendre au régime démocratique ukrainien et qui n'a cessé d'étendre ce conflit. Nous respectons les liens anciens qui unissent la Chine à la Russie ainsi que les efforts qui ont été déployés pendant des décennies pour stabiliser cette relation. Au vu de cette histoire complexe, nous accueillons favorablement les engagements des autorités chinoises à s'abstenir de vendre toute arme, toute aide à Moscou et à contrôler strictement l'exportation des biens à double usage. C'était ce que vous m'aviez dit très clairement, Monsieur le président, il y a un peu plus d'un an, ce que vous avez réitéré. Je crois que la longueur et la qualité de nos échanges sur ce sujet sont une source de réconfort. Nous devons maintenir un étroit dialogue sur cette question et sur la guerre en Ukraine, en particulier au vu des informations que nous pouvons avoir sur tel ou tel contournement par telle ou telle entreprise.

Nous sommes aussi convenus de mettre en place une coordination pour tenter d'obtenir des progrès sur les questions humanitaires et contribuer aux efforts en vue de parvenir à une paix juste et durable, c'est-à-dire respectueuse du droit international et de toutes ses règles. À ce titre, je vous remercie du moment de coordination que vous avez souhaité avant l a visite du président Poutine en Chine, ce qui permettra aussi d'avoir un agenda commun et de pouvoir identifier les volontés ou non d'aller vers cette paix durable, c'est-à-dire celle qui permet seule la paix, la sécurité et la stabilité de toute la région, et c'est-à-dire une paix qui seule respecte le droit international.

Une conférence sera organisée par la Suisse le mois prochain, nous en avons parlé, et suite à vos concertations, nous pourrons revenir sur ce sujet, mais nous partageons le même objectif, à court terme, la sûreté nucléaire, la sécurité alimentaire, les questions humanitaires, mais plus largement obtenir une solution juste et durable, pleinement respectueuse du droit international et de notre Charte.

Nous avons également échangé sur le conflit au Proche-Orient et la montée des tensions dans l'ensemble de la région. Nous partageons à ce titre les mêmes préoccupations et les mêmes objectifs, à savoir parvenir à un cessez-le-feu immédiat pour libérer les otages, protéger les populations, faciliter la délivrance de l'aide humanitaire, encourager une désescalade régionale et rouvrir une perspective politique. Il n'y a pas de double standard, ni pour la Chine, ni pour la France.

Cela vaut aussi pour l'Iran, dont la fuite en avant nucléaire porte de nombreux risques. A ce titre, nous avons eu un long échange et notre souhait de pouvoir pleinement nous coordonner sur ce sujet. Nous avons pu évoquer les inquiétudes aussi sur les crises et tensions en Asie de l'Est, y compris sur la situation entre les deux rives du détroit et en Corée du Nord, qui accélère ses programmes balistiques et nucléaires. Je veux ici vous remercier de la très grande clarté que la Chine a eue sur cette question et votre engagement pour la dénucléarisation pleine et entière de la péninsule. Nous avons une doctrine claire, établie, son irréversibilité, son caractère pleinement transparent et les mécanismes de suivi qui vont avec.

Forts de ces convergences de vue, nous pensons ensemble qu'une trêve olympique pour tous les théâtres de guerre peut être une occasion de travailler à un règlement durable dans le plein respect du droit international. Et je vous remercie, Président, durant notre entretien, d'avoir justement manifesté votre volonté de vous engager dans la même direction qui consistera à demander à toutes les parties prenantes une trêve olympique durant nos Jeux à venir.

Nous avons ensuite abordé la question centrale de notre relation bilatérale. Nous savons les différents dossiers qui sont ouverts aujourd'hui au niveau européen. Nous y sommes longuement revenus ce matin avec la présidente de la Commission, elle a pu exprimer la nature des initiatives qui avaient été lancées et leur cadre. Vous avez pu aussi pouvoir clarifier plusieurs éléments.

Je veux ici dire de manière très simple que, d'abord, l'Union européenne est aujourd'hui le continent et le marché le plus ouvert au monde. La deuxième chose, c'est que notre politique commerciale, économique, technologique n'est dictée par personne. Nous la souhaitons souveraine, c'est-à-dire indépendante. Et nous la souhaitons ouverte, confiante, mais nous voulons être en capacité de protéger nos intérêts à l'égard de tous. Elle n'est pour autant dictée par aucune montée des tensions à l'international. C'est pourquoi ce que nous souhaitons, ce que nous voulons, c'est un cadre de concurrence loyal, c'est-à-dire des règles réciproques, légitimes, et nous avons ainsi pu, sur l'ensemble des dossiers, clarifier les différents éléments pour assainir la relation économique et lui donner un nouvel élan lorsque, sur différents secteurs, des éléments de non-réciprocité apparaissaient, qu'il s'agisse de tarifs, d'éléments réglementaires ou de mécanismes d'aide. Je pense que c'est par le dialogue et le travail de nos équipes que nous pouvons avancer.

A cet égard, je remercie le Président aussi de son ouverture quant aux mesures provisoires sur le cognac français, et le souhait de ne pas les voir appliquées pour ce qui est des mesures provisoires. Plus largement, nous souhaitons continuer l'accès au marché chinois dans les secteurs de l'agroalimentaire, de l'aéronautique, des cosmétiques, de la finance. L'agroalimentaire, en particulier, fait l'objet de plusieurs contrats importants signés aujourd'hui.

Ensuite, nous encourageons aussi les investissements conjoints en France dans les hautes technologies, comme ceux d'Envision, de XTC, dans la vallée des batteries, près de Douai - j'étais présent moi-même à ces occasions. Nous soutenons ces partenariats équilibrés qui permettent plus d'investissements dans notre pays, et nous souhaitons pouvoir avoir de nouveaux projets de développement, qu'il s'agisse de batteries, de véhicules électriques, de solutions technologiques ou de plateformes d'innovation. Enfin, notre agenda se prolonge naturellement sur les grands défis mondiaux.

Je veux ici dire combien le rapprochement, la vision commune entre la Chine et la France a, à chaque fois, permis de nourrir un agenda, d'avancer. C'est celui qui a permis les accords de Paris sur le climat, celui qui a permis de bâtir sur la biodiversité des avancées inédites, de Kunming à Montréal jusqu'à Nice, et celui que nous allons poursuivre pour la Conférence des Océans qui s'organisera à Nice au printemps prochain. C'est aussi ce qui nous conduira à agir ensemble sur les questions climatiques et de biodiversité, tant pour le G20 que pour les COP à venir, dont celle de Belém et pour donc la Conférence des Océans à Nice.

En parallèle, nous allons maintenir un dialogue étroit sur les prochaines étapes du Pacte de Paris pour les peuples de la planète dit 4P. Je vous remercie encore de la présence de votre Premier ministre à cette occasion, en juin dernier. Une action ensemble sur les dettes des pays les plus vulnérables, sur la Zambie, le Tchad, le Ghana ou le Sri Lanka et la poursuite de nos initiatives finance en commun pour coordonner le travail de nos banques de développement et banques multilatérales.

Nous allons également, ensemble, continuer d'agir en matière d'intelligence artificielle. Nous partageons la même volonté d'éviter une fragmentation du monde sur cette question si structurante. La France aura organisé, en février 2025, le prochain sommet sur la gouvernance de l'intelligence artificielle. Notre souhait est que cela se fasse en étroite coordination avec la Chine, et je vous remercie là aussi de la clarté de vos propos à cet égard. Cette convergence se prolonge dans le domaine culturel que nous allons célébrer tout au long de cette année qui n'est pas simplement celle du 60e anniversaire de nos relations diplomatiques, mais l'année du tourisme culturel franco-chinois. Nous avons acté un nouvel accord-cadre qui permettra de faciliter le déplacement des oeuvres entre la France et la Chine. Plus de 300 événements dans plus de 30 villes en Chine, y compris des expositions, du mobilier national, du musée Cernuschi, d'artistes contemporains comme Claude Viallat ou Annette Messager, de tournées nationales de la Comédie-Française, de l'Orchestre de l'Opéra royal de Versailles, du Ballet de l'Opéra national de Bordeaux, mais également des comédies musicales ou des expériences immersives verront le jour. Et nous aurons l'occasion d'accueillir en France des collections inestimables, en particulier au musée Guimet et dans la plupart de nos grandes institutions culturelles.

Nous mettrons en oeuvre aussi tout ce qui est nécessaire pour accueillir dans les meilleures conditions la délégation sportive chinoise lors des Jeux olympiques et paralympiques de Paris et tous les spectateurs qui se déplaceront à l'occasion.

Dans la continuité de ma visite à l'université de Canton, l'année dernière, l'université Sun Yat-sen, les anciens étudiants chinois ayant effectué une partie de leur scolarité en France pourront bénéficier également d'un visa d'une plus longue durée pour, là aussi, bâtir ce qui est une vieille tradition entre nos deux pays, cette culture estudiantine qui a formé tant de générations, y compris dans votre pays, les plus éminentes. Ce sont ces jeunes générations chinoises et françaises qui auront à faire vivre le dialogue entre nos deux pays et continueront de porter les valeurs universelles auxquelles nous croyons.

Voilà, Monsieur le Président, ce que je souhaitais dire, en vous remerciant à nouveau pour votre présence à Paris aujourd'hui, sur le Col du Tourmalet demain, en France, pour cette troisième visite d'Etat qui, dans un moment si délicat de notre planète, est ô combien importante.

Merci à vous et votre épouse d'être parmi nous avec cette délégation de haut niveau. Et je vous cède maintenant la parole.