Interview de M. Franck Riester, ministre délégué, chargé du commerce extérieur, de l'attractivité, de la francophonie et des Français de l'étranger, à Radio J le 15 mai 2024, sur les violences en Nouvelle-Calédonie, l'attaque meurtrière contre un fourgon pénitentiaire, Choose France, le déficit du commerce extérieur, l'accord CETA avec le Canada et la langue française aux Jeux olympiques de Paris.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Franck Riester - Ministre délégué, chargé du commerce extérieur, de l'attractivité, de la francophonie et des Français de l'étranger ;
  • Christophe Barbier - Journaliste

Média : Radio J

Texte intégral

CHRISTOPHE BARBIER
Franck RIESTER, bonjour.

FRANCK RIESTER
Bonjour.

CHRISTOPHE BARBIER
Et bienvenue. L'actualité est tragique. Et là, cette nuit, un mort en Nouvelle-Calédonie. Est-ce qu'il faut, comme le réclame Sonia BACKES, la présidente de la région Sud, déclarer l'état d'urgence ?

FRANCK RIESTER
Ecoutez, Gérald DARMANIN, ministre de l'Intérieur et des outre-mer, est en charge évidemment du retour au calme et à l'ordre. Et je lui fais toute confiance pour prendre les dispositions qui s'imposent en fonction de la situation. Ce qui est certain, c'est qu'il y a un couvre feu le soir. Et que, en ce qui concerne la mobilisation des forces de l'ordre, de police, gendarmerie, elle est totale. et la mobilisation de l'État est totale. On ne peut pas accepter cette situation qui est intolérable. Le Président de la République, d'ailleurs, cette nuit, s'est exprimé suite au vote à l'Assemblée nationale. Vous le savez, le projet de loi constitutionnelle d'élargissement du corps électoral…

CHRISTOPHE BARBIER
Le corps électoral avait été gelé en 2007 en prévision des trois référendums. Ils se sont tenus. Le rattachement à la France a été proclamé trois fois. On réélargit le corps électoral à de nouveaux électeurs.

FRANCK RIESTER
Voilà. Dans le cadre évidemment de respect de la démocratie. Le Président de la République a dit qu'il ne réunirait pas le Congrès. Vous savez s'il y avait un vote à l'Assemblée, un vote au Sénat. Donc on pourrait réunir le Congrès pour entériner cette réforme constitutionnelle…

CHRISTOPHE BARBIER
Pas avant la fin juin, a-t-il dit…

FRANCK RIESTER
Pour laisser le temps, encore une fois au dialogue, aux débats, aux négociations entre loyalistes et indépendantistes pour peut-être avoir un projet plus large, plus ambitieux d'une certaine façon, sur les réformes institutionnelles pour la Nouvelle-Calédonie. Je crois que c'est un signal à la fois de volonté de rétablir l'ordre en Nouvelle-Calédonie et en même temps de main ouverte au dialogue et à la discussion pour permettre de sortir par le haut de cette situation.

CHRISTOPHE BARBIER
Il faudrait quasiment de nouveaux accords de Matignon ?

FRANCK RIESTER
Non, je ne sais pas. Ce qui est certain, c'est que suite à ce troisième référendum d'autodétermination, la place a été faite au dialogue et à la négociation pour pouvoir permettre d'aller plus loin dans la réforme institutionnelle, avoir finalement eu des institutions nouvelles pour la Nouvelle-Calédonie. Il n'y a pas eu suffisamment, pour l'instant, d'accords. Là, il y a une belle opportunité à se saisir de ce vote du Parlement français pour aller plus loin et trouver les voies qui permettront à la Nouvelle-Calédonie, dans la République, de s'inscrire dans l'avenir.

CHRISTOPHE BARBIER
L'autre actualité tragique, c'est l'évasion de Mohamed AMRA, avec deux morts, deux gardiens, deux mondes de l'administration pénitentiaire tués. Tout le monde a vu les images d'une violence inouïe. Qu'est-ce que ça signifie sur notre sur notre société ?

FRANCK RIESTER
Je ne sais pas.... Sur la société, sur le monde entier, ou du fait du trafic de drogue, il y a une violence, une violence exacerbée, avec des pratiques qui sont évidemment terribles, horribles, qui nous ont tous marqués. On a tous été frappés. Moi, il se trouve que j'étais en visite à Val-de-Reuil pour visiter une entreprise américaine qui investit dans des nouvelles chaînes de production…

CHRISTOPHE BARBIER
Vous étiez tout près.

FRANCK RIESTER
J'étais tout près et je peux vous dire que tout le monde était sidéré. Les Français entiers, dans leur intégralité, ont été sidérés par ce qu'il s'est passé. Il y a une mobilisation totale de l'Etat pour retrouver et sanctionner évidemment celui qui s'est évadé et ses complices. Évidemment, nous sommes aussi tous, avec les victimes, avec leurs familles et avec tous les agents pénitentiaires qui font un travail remarquable, difficile et avec qui nous sommes en totale solidarité aujourd'hui.

CHRISTOPHE BARBIER
Ils sont en colère aujourd'hui, ces personnels. Ils veulent fermer les prisons, ils veulent faire la grève ; on les comprend. Ils veulent plus d'armements. Est-ce que c'est la réponse ? Des armes de guerre face à des armes de guerre ?

FRANCK RIESTER
Ecoutez, ce qu'il faut, c'est qu'ils soient protégés et ils le sont. S'il y a besoin d'aller plus loin, évidemment, le Gouvernement est à l'écoute. Le garde des Sceaux recevra d'ailleurs les représentants des organisations syndicales tout à l'heure. Il y aura une minute de silence, à 11h, dans tous les établissements pénitentiaires. Nous sommes mobilisés, solidaires avec eux. Et s'il y a besoin, ici ou là, d'aller plus loin dans la sécurité des personnels, bien évidemment, il faut le faire.

CHRISTOPHE BARBIER
Le reste de votre semaine, heureusement, était beaucoup plus positif. On aurait dû commencer par ça d'ailleurs, ce matin, s'il n'y avait pas eu ces tragédies. Choose France, le sommet de l'attractivité française, s'est tenu. 56 projets, 15 milliards ; je ne me trompe pas ?

FRANCK RIESTER
C'est ça.

CHRISTOPHE BARBIER
Combien d'emplois ?

FRANCK RIESTER
10 000.

CHRISTOPHE BARBIER
C'est garanti, sûr et durable ?

FRANCK RIESTER
Écoutez, après, on suit évidemment les engagements, voir si…

CHRISTOPHE BARBIER
Et ça apporte 10 000 emplois ?

FRANCK RIESTER
Si les engagements sont tenus... Mais en tout cas, ce sont les prévisions faites par les entreprises, de création directe d'emplois. Quand vous créez une usine, vous allez recruter 50 personnes, mais il y a aussi les emplois qui sont créés par les entreprises qui construisent l'usine, qui construisent les machines qui vont dans l'usine quand ce sont des machines françaises. Parfois ce sont des machines qui viennent de l'étranger, on le sait. Mais enfin, en tout cas, ça peut être des machines françaises. Et puis aussi, toutes les entreprises qui, ensuite, vont travailler à la maintenance, à l'entretien, à fournir tel ou tel matériel à l'entreprise et à l'usine pour qu'elle tourne. Donc ce sont 10 000 emplois directs, mais c'est une dynamique économique et territoriale importante derrière. Et ça fait suite à l'annonce, il y a quelques jours précédents Choose France, des résultats 2023 de l'attractivité du pays. Et c'est une nouvelle fois, la France... C'est ce baromètre Ernst & Young (EY) qui dit qu'elle est à nouveau - la France - championne d'Europe en matière d'attractivité pour les investissements étrangers. C'est-à-dire que pour la cinquième année consécutive, la France a accueilli plus d'investissements étrangers que la Grande-Bretagne, que l'Allemagne. Et je vais vous donner un chiffre particulièrement saisissant ; les investisseurs étrangers en 2023 ont investi six fois plus en France dans des usines qu'en Allemagne, trois fois plus qu'en Grande-Bretagne. Ce qui montre que la réindustrialisation du pays que le Président de la République a appelé de ses voeux, que le Gouvernement met en oeuvre par une politique de l'offre. Vous savez, cette politique qui vise à améliorer l'environnement des affaires, à baisser la fiscalité des entreprises, à réformer le marché du travail, à miser sur la recherche et l'innovation, à faire en sorte qu'il y ait davantage de formations dédiées aux besoins des entreprises en matière de qualifications. Cette politique-là, elle fonctionne, elle a des résultats parce que ces résultats de la France, championne du monde des investissements étrangers, ce n'est pas le fruit du hasard, c'est le fruit d'une politique. Alors, c'est le fruit aussi de choix qui avaient été faits auparavant, pour les infrastructures de transports. C'est aussi l'accès à une énergie décarbonée à bas coût. C'est ce que nous disent tous les investisseurs. Et cette politique, il faut la poursuivre, continuer d'investir dans les infrastructures de transports, continuer d'investir dans une énergie électrique, décarbonée et pas chère : le nucléaire et les énergies renouvelables.

CHRISTOPHE BARBIER
Une partie de l'opposition à gauche réclame de remettre à plat tout le système d'aide. Cette opposition considère que les aides sont trop généreuses et que pour de l'argent donné à des entreprises qui créent vraiment des emplois, il y a beaucoup d'effets d'aubaine.

FRANCK RIESTER
Oui, mais vous savez, si on commence à être dans la comptabilisation de l'emploi à l'emploi, on bloque le système et finalement, on casse la dynamique de la croissance. Comme je vous le disais, la création d'emplois, elle, n'est pas figée ; ce sont les emplois directs, mais ce sont aussi les emplois dits indirects. Ce que ne comprennent pas souvent les élus de gauche, c'est que l'économie n'est pas quelque chose de statique, ce n'est pas quelque chose d'arithmétique, c'est quelque chose de dynamique. C'est pour ça que les 35 heures étaient une énorme erreur. L'idée de penser qu'on pouvait partager le travail, non. L'économie, c'est quelque chose de dynamique, plus, c'est un cercle vertueux ou un cercle vicieux. Et pour qu'un cercle soit vertueux, il faut que les entreprises aient confiance, qu'on leur fasse confiance et qu'on leur dise « oui, on sait que la question du coût du travail est importante dans votre temps, la compétitivité du pays. » Et pour que le coût du travail soit le plus bas possible, il faut aussi des aides pour permettre de continuer à financer notre protection sociale, mais en même temps, vous donner les moyens de vous battre à armes égales avec la compétition du monde entier.

CHRISTOPHE BARBIER
Ce cercle vertueux de la croissance, il peut suffire, comme le croit le Président de la République, à régler nos problèmes de comptes publics, de déficits de dettes ? Ou est-ce qu'il ne faudra pas, à un moment donné, serrer la vis sur le social et les dépenses et puis, peut-être augmenter la fiscalité des personnes ?

FRANCK RIESTER
On a fait, vous savez…

CHRISTOPHE BARBIER
L'assurance chômage.

FRANCK RIESTER
La réforme sur les heures supplémentaires, sur l'assurance chômage, sur les retraites. C'est pour qu'il y ait un volume de travail plus important. Et ça, oui, c'est important, il faut le faire, il faut continuer. Et s'il faut aller plus loin... Et nous pensons qu'il faut aller plus loin avec, vous savez, une réforme du travail... du marché du travail, je dirais numéro 2, après ce qu'on avait fait en 2017, qui est en préparation, d'aller plus loin sur la réforme de l'assurance chômage. Il faut continuer de faire en sorte que dans notre pays, il y ait un volume de production de travail plus important. Et puis, il faut continuer à avoir l'environnement des affaires le plus favorable en simplifiant... Et là, c'est le gros chantier qui est devant nous. On n'a pas fait suffisamment ; on le reconnaît bien volontiers. Il faut qu'on aille plus loin. Il y a un projet de loi qui est en préparation. Il y a des propositions de loi, c'est-à-dire d'origine parlementaire, qui sont d'ores et déjà en discussion, notamment la proposition de loi HOLROYD pour simplifier la partie des services financiers, pour que l'attractivité de la France, notamment de Paris, soit encore plus importante en matière financière. Il faut continuer de faciliter la vie des entreprises. À mon niveau, en tant que ministre du Commerce extérieur, je travaille à un plan de simplification pour que ce soit plus facile d'exporter, notamment la dématérialisation, la digitalisation des démarches. Donc tout ça, c'est notre priorité. Mais il ne faut surtout pas remettre en cause les fondamentaux qui sont reconnus par les entreprises aujourd'hui et les investisseurs étrangers pour choisir la France ; de l'électricité à bas coût, décarbonée ; un coût du travail maîtrisé ; un soutien à la recherche et à l'innovation et des talents qui sont soutenus et valorisés.

CHRISTOPHE BARBIER
Alors, le déficit du Commerce extérieur reste quand même impressionnant dans notre pays. Il y a le poste énergétique, et puis, on a appris que la moitié quasiment de ce déficit, ce sont nos échanges avec la Chine. Est-ce qu'il faut faire comme monsieur BIDEN, avec les véhicules électriques, taxer beaucoup plus les produits chinois ?

FRANCK RIESTER
Il faut qu'effectivement on continue et accélère ce qu'a voulu Président la République dans son discours de la Sorbonne 1 et qu'on a commencé à mettre en oeuvre en Europe, c'est la fin de l'Europe naïve en matière commerciale ; c'est de bâtir un vrai bouclier commercial.

CHRISTOPHE BARBIER
Au niveau européen ?

FRANCK RIESTER
Au niveau européen.

CHRISTOPHE BARBIER
C'est un peu de protectionnisme, il faut dire le mot.

FRANCK RIESTER
C'est de la protection. Parce que le protectionnisme, ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'on gèle tout échange. Non, on ne veut pas geler tout échange, on veut continuer à échanger. On a besoin d'exporter. 30%, par exemple, des exportations sont liées aux investissements étrangers dans notre pays. Si demain on ferme les portes de nos frontières, les investisseurs étrangers ne viendront plus en France, ou ne viendront plus en Europe.

CHRISTOPHE BARBIER
Donc, il faut être malin, souple ?

FRANCK RIESTER
Il faut être malin. Il faut continuer d'aller chercher l'ouverture des marchés, parfois en ayant des accords commerciaux pertinents, utiles pour le pays. C'est, par exemple, l'accord avec le Canada. Et puis, des fois, il faut se protéger davantage. Et c'est pour ça que nous avons soutenu et mis en oeuvre un certain nombre d'instruments au niveau européen, notamment sous présidence française, pour mieux se protéger, pour, par exemple, davantage de réciprocité dans l'ouverture des marchés publics, pour davantage de concurrences loyales, notamment pour les véhicules électriques. Vous savez qu'il y a une enquête actuellement en cours au niveau de la Commission européenne, pour voir si les subventions chinoises sont bien réelles. On pense que oui. Et dans quel cas, quelle réaction ? Et la réaction, évidemment qui tombe sous le sens, c'est d'augmenter les tarifs douaniers pour rééquilibrer la concurrence avec la production européenne.

CHRISTOPHE BARBIER
Vous citiez l'accord CETA avec le Canada ; il ne devait pas venir au vote avant les européennes, mais les communistes vont profiter de leur niche parlementaire. Est-ce que ça sera rejeté comme ça l'a été au Sénat par la droite ?

FRANCK RIESTER
Ils profitent de leur niche parlementaire pour débattre d'une proposition de résolution, donc avec aucun impact sur le processus de ratification de l'accord. L'occasion pour moi de réitérer que, bien sûr, le texte de ratification reviendra à l'Assemblée nationale. Il est déjà venu à l'Assemblée nationale en 2019 ; il avait été voté d'ailleurs à l'Assemblée nationale. Il est allé au Sénat où il était battu par une alliance contre nature électoraliste, entre les communistes et les socialistes et les LR qui pourtant avaient négocié et conclu cet accord. On comprend que, et le Parti socialiste et les LR ont perdu complètement leur boussole politique économique. Et ça reviendra à l'Assemblée nationale le moment venu. Le moment venu, c'est quand ? Ce n'est pas dans une période électorale, pour ne pas que ce soit instrumentalisé à des fins électoralistes. Et quand on aura un bilan provisoire fait par la Commission qui sera rendue d'ici la fin 2024 et quand la mission parlementaire voulue par le Premier ministre sur les mesures miroirs.... Vous savez, ce sont ces mesures qui permettent la réciprocité dans les normes de production, d'être rendues là aussi d'ici fin 2024-début 2025.

CHRISTOPHE BARBIER
En un mot, est-ce qu'on parlera français aux Jeux olympiques de Paris ? Vous êtes le garant de la francophonie.

FRANCK RIESTER
Oui, et c'est un engagement très fort. Et notamment, il y aura une traduction pour tous les résultats de toutes les disciplines pendant les JO. C'est une première fois où on va garantir la langue française partout pendant les JO.

CHRISTOPHE BARBIER
Y compris pour les résultats ?

FRANCK RIESTER
Y compris pour les résultats.

CHRISTOPHE BARBIER
Franck RIESTER, merci et bonne journée.

FRANCK RIESTER
Bonne journée.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 16 mai 2024