Interview de Mme Prisca Thevenot, ministre déléguée, chargée du Renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement, à Radio J le 28 mai 2024, sur la frappe qui a causé des victimes civiles à Rafah, les élections européennes, la situation en Nouvelle-Calédonie et le débat sur la fin de vie.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Radio J

Texte intégral

JOURNALISTE
Tout de suite, l'invitée de Christophe BARBIER, Prisca THEVENOT, ministre déléguée chargée du Renouveau démocratique.

CHRISTOPHE BARBIER
Prisca THEVENOT, bienvenue.

PRISCA THEVENOT
Bonjour.

CHRISTOPHE BARBIER
On va commencer par cette actualité tragique à Rafah, après la frappe qui a causé des victimes civiles. Benyamin NETANYAHOU a dit : "C'est un incident tragique". Est-ce que cela vous suffit, comme explication ?

PRISCA THEVENOT
C'est clairement un drame innommable. Et le président de la République l'a rappelé hier, nous appelons à un respect du droit international, ce n'est pas la première fois, nous le réitérons. Et bien évidemment à un cessez-le-feu immédiat. Toute la lumière doit être faite sur ce qui s'est passé.

CHRISTOPHE BARBIER
Israël mène l'enquête. Deux terroristes étaient ciblés, ils ont été éliminés, dit Tsahal, mais peut-être y a-t-il eu des éclats de missiles qui ont mis le feu au campement. Est-ce que vous faites confiance à Israël pour cette enquête ?

PRISCA THEVENOT
Ce à quoi je fais confiance, c'est rappeler le bon sens, en fait. Nous devons être dans un respect du droit international. Un cessez-le-feu immédiat, la libération des otages. Et c'est une urgence maintenant. Ça fait plusieurs mois que nous le disons, que nous le répétons, que nous œuvrons aussi pour cela avec un ministre des Affaires européennes et étrangères qui est à la manœuvre, bien évidemment, je parle de Stéphane SEJOURNE. Je pense qu'il est important très vite que nous appelions à un cessez-le-feu qui soit respecté.

CHRISTOPHE BARBIER
Le président de la République a confié hier son indignation. Certains disent : "Non, il faut aller au-delà, il faut des sanctions contre Israël". Est-ce que c'est la voix du Gouvernement français aujourd'hui ?

PRISCA THEVENOT
La voie du Gouvernement français, elle est diplomatique, et je vous le dis encore une fois, elle n'est pas simplement ici à travers des micros, elle se fait directement par voie d'échanges sur le terrain, auprès de nos alliés, dans la zone, avec les pays qui nous aident par exemple à faire du fret humanitaire sur place, 100 millions d'euros en 2023, 100 millions d'euros en 2024, avec le Dixmude qui a été mobilisé. Je le rappelle encore, la ligne est claire : libération des otages, permettre un cessez-le-feu immédiat et durable. Permettre le convoi humanitaire de se dérouler, et une solution politique à deux États. Parce qu'il est aussi important de penser à l'après.

CHRISTOPHE BARBIER
Certains considèrent que l'action du procureur de la Cour pénale internationale, qui dans un même acte, a rassemblé le Hamas et NETANYAHOU pour crime contre l'Humanité, a finalement renforcé NETANYAHOU.

PRISCA THEVENOT
Deux points. Le premier, c'est qu'il n'y a pas d'équivalence à mettre entre un État démocratique et le bras armé terrorisme qui est le Hamas, cette organisation terroriste. Ça, c'est un premier point. Ensuite, rappeler que la France est un État de droit, et en État de droit, nous respectons les organisations internationales et indépendantes. Et je pense que cela, je le dis aujourd'hui, il est important de le rappeler, et c'est la position de la France qui d'ailleurs a été mentionnée lorsque le ministre des Affaires européennes et étrangères a été interpellé en "Questions au Gouvernement" la semaine dernière, devant la représentation nationale.

CHRISTOPHE BARBIER
Pour qu'il y ait deux États, certains disent, eh bien il faut gagner du temps, il faut que la France, comme d'autres pays, reconnaissent aujourd'hui l'État palestinien. C'est ce qu'a encore réclamé hier, par exemple, Raphaël GLUCKSMANN.

PRISCA THEVENOT
Il n'y a pas, il n'y a pas de tabou sur la reconnaissance d'un État palestinien, pour la France. C'est une position qui est historique et qui a été rappelée par le président de la République. Maintenant, la question, c'est au-delà de l'enjeu symbolique, c'est est-ce que ça sera efficace aujourd'hui ? En l'état actuel, non. Nous devons faire en sorte que les conditions soient réunies, parce qu'il doit pouvoir y avoir un avant et un après.

CHRISTOPHE BARBIER
Une des conditions, ça serait qu'émerge un pouvoir légitime côté palestinien, débarrassé du Hamas ?

PRISCA THEVENOT
Je crois que vous avez la réponse dans votre question.

CHRISTOPHE BARBIER
Le président de la République était en voyage en Allemagne, en visite d'État, la première depuis l'an 2000. Il a dénoncé hier "un vent mauvais en Europe". Que faut-il entendre ?

PRISCA THEVENOT
Il ne faut rien entendre. Il faut regarder, il faut constater. Nous avons effectivement en Europe une vague de populisme, de nationalisme, qui est bien là et qu'il faut, qui n'est pas simplement une menace, qui est une réalité. Nous avons eu en Hongrie, en Pologne, en Italie, des recettes de l'extrême droite qui ont été mises en place. Et ça, il faut pouvoir le regarder avec des effets concrets, dans le quotidien des habitants de ces pays. Des zones anti LGBT qui ont été mises en place, des droits, des droits féminins qui ont été remis en cause, comme le droit à l'avortement. Et ça, nous devons pouvoir le regarder. Et ensuite, sur d'autres enjeux qui font partie des préoccupations légitimes des Français, par exemple, sur le contrôle de l'immigration. Eh bien, les recettes deux extrêmes droites, là encore, a été fausse et a fait mentir ces paroles. On le voit avec par exemple avec Giorgia MELONI, qui nous a expliqué qu'elle mettrait en place par exemple un blocus maritime ; dès qu'elle a vu le premier bateau arriver près des côtes, qu'est-ce qu'elle a fait ? Elle a appelé l'Europe.

CHRISTOPHE BARBIER
Si les électeurs se tournent vers les populistes, c'est aussi parce qu'ils ont l'impression que les modérés échouent face à tous ces problèmes.

PRISCA THEVENOT
Ce que j'entends surtout, j'étais à Nîmes la semaine dernière, j'étais à Meudon, à Ville-d'Avray, j'étais aussi à Bordeaux il n'y a pas longtemps, ou à Brive, ou à Tulle, ce que j'entends, c'est aussi beaucoup de colère, et ça, il faut le regarder de façon très concrète. Et cette colère, elle s'exprime parce que beaucoup de Françaises et de Français ont l'impression qu'il n'y a pas de signe égal entre l'action politique qui est menée au niveau européen et leurs problématiques du quotidien. Eh bien, notre rôle, en tout cas mon rôle en tant que membre du Gouvernement, responsable du Renouveau démocratique, c'est de rappeler que si, ce signe égal, il existe ; sur la santé, sur les enjeux d'emploi, mais également sur les enjeux de protection, de sécurité. Sur le sujet de la santé, on l'a vu avec la crise Covid, nous continuerons à le porter, par exemple avec un grand plan de lutte contre le cancer, que nous mènerons en termes de recherche au niveau européen. Sur l'économie, le plan de relance aujourd'hui, les 1 milliard, les 1 000 milliards, pardon, d'investissements demain au niveau européen, pour continuer à être souverain et indépendant. Et pardon, je termine, sur l'enjeu de la sécurité et de la protection de nos frontières, le Pacte asile migration, hier, et demain, le renforcement de notre Europe de la défense. Voilà des choses concrètes, qui répondent au quotidien des Français.

CHRISTOPHE BARBIER
Mais ces solutions-là prendront des années avant de produire des résultats, alors que les populistes sont aux portes, là, et que les gens ont l'impression que c'est le remède miracle.

PRISCA THEVENOT
Pardon encore une fois, mais vous dites là... il n'y a pas de remède miracle. Je le dis encore une fois. Il faut regarder aussi, parce que je peux entendre la phrase du "oui, mais ça fait trop longtemps, on attend, on attend". Mais regardons, en fait, ce qu'on a fait, au cours des sept dernières années, au niveau national et au cours des cinq dernières années au niveau européen. Notre bilan aussi est là pour attester de notre volonté de continuer à agir et de notre capacité à lier paroles et actes. Sur les sujets, je vous l'ai dit, sur les sujets de santé, nous l'avons mis en place, sur les sujets de réindustrialisation, nous l'avons fait aussi, sur les sujets de protection de nos frontières et de sécurité, nous l'avons fait aussi. Et ça, nous devons assumer d'avoir une légitimité, une cohérence, au niveau national et européen. Je ne me résigne pas à ce que demain la moitié de la délégation française qui représentera notre voix, notre parole au niveau européen, soit une politique de la phrase facile et de la chaise vide. Ce n'est pas possible. La France, on ne peut pas accepter que l'Europe se défasse, voire même qu'on n'y ait plus notre place en tant que Français. C'est une réalité, et ça, franchement, c'est dans 10 jours. Ce qui va se jouer dans 10 jours, c'est ce qui va être déterminant pour nos vies, pour les 5, 10, 15 prochaines années. C'est ce qu'on va laisser en héritage à nos enfants aussi.

CHRISTOPHE BARBIER
10 jours. Comment peut-on rattraper un retard tel que du simple au double ? C'est ce qu'il y a dans les sondages entre Valérie HAYER et Jordan BARDELLA.

PRISCA THEVENOT
Là, vous savez, ce n'est ni la députée d'hier, ni la ministre d'aujourd'hui, c'est la militante de tous les jours qui vous le dit : moi, tant que les urnes sont vides, je continue à mobiliser et je tiens à le dire, nos militants sont sur le terrain, nos sympathisants sont mobilisés. Nos députés, le Gouvernement, nous sommes tous mobilisés pour faire mentir les sondages. Et nous sommes capables de le faire. Nous l'avons déjà fait en 2019. Nous allons continuer à le faire. Ce n'est pas simplement un sujet d'égo, comme pourraient nous le faire croire certains, et je ne cite personne ici directement, comme pourraient nous le faire croire certains. L'enjeu qui est nous dépasse, et ça, nous devons le comprendre. Vous savez, le président de la République, quand il parle de démocratie, oui, la démocratie est fragile, et attention à ne pas trop nous y habituer. Dans les moments que nous voyons et que nous traversons, certaines phrases sont dites avec le sourire, mais derrière le sourire se cache une toute autre réalité. Et moi, je peux vous le dire de façon très claire, en ayant été une ancienne députée, au niveau national, je peux vous le dire, quand certaines paroles s'envolent, les écrits restent. Il y a eu des amendements pour faire la différence en France entre les Français et les Français binationaux, qui n'auraient pas le droit d'avoir les mêmes travails que les autres. Il y a eu des amendements aussi pour remettre en question la place des femmes et le droit des femmes. Tout ça, ce sont des réalités aujourd'hui. Il faut que nous le regardions en face.

CHRISTOPHE BARBIER
Le président de la République a même décidé de monter sur le ring. Il est prêt à débattre avec Marine LE PEN dans le cadre de ces élections européennes. "Idée surprenante", a dit Edouard PHILIPPE. On a connu meilleur soutien quand même.

PRISCA THEVENOT
Edouard PHILIPPE est un homme fort de la présidence d'Emmanuel MACRON, et vous le voyez encore aujourd'hui, on nous a souvent dit qu'on ne savait pas avoir notre propre parole. Nous avons aussi des nuances au sein de la majorité, et ce sont...

CHRISTOPHE BARBIER
Il est indépendant.

PRISCA THEVENOT
Et ce sont ces nuances, ce sont ces nuances qui font aussi notre force. Nous avons commencé MoDem En marche. Nous sommes aujourd'hui MoDem En marche, Renaissance avec l'UDI, le Mouvement radical. Nous avons toujours bien évidemment Horizons, Territoires de progrès. Nous continuons à nous élargir, et ça, c'est important de le dire aujourd'hui. Nous sommes cette seule force politique d'attractivité. Parce que oui, nous sommes lucides.

CHRISTOPHE BARBIER
Il faudra un seul candidat, quand même, pour l'après MACRON, dans toute cette famille disparate, sinon c'est perdu.

PRISCA THEVENOT
Pardon, c'est encore loin. Déjà, moi vous savez, chaque chose en son temps, étape par étape. Ma première étape, immédiate, c'est le 9 juin.

CHRISTOPHE BARBIER
Ce qui est loin géographiquement, mais qui est dans l'actualité, c'est la Nouvelle-Calédonie. L'état d'urgence est terminé, le couvre-feu demeure. Vous croyez au retour au calme, là, ça y est, on a passé le pire ?

PRISCA THEVENOT
Si la situation tend à se normaliser, elle est encore fragile. Et ça, il faut pouvoir le dire. C'est pour ça qu'effectivement, il y a eu un renforcement des forces de l'ordre sur place, avec un état d'urgence qui a été décrété. Nous avions 1 700 hommes et femmes mobilisés pour les forces de l'ordre de sécurité intérieure sur place, elles sont aujourd'hui à 3 000. Il y a près de 458, je crois, forces de l'ordre, en plus, qui vont arriver. Et puis aussi, il y a un appel au retour au calme qui est envoyé par l'ensemble des parties prenantes politiques coutumières sur place. Et ça, nous devons le respecter, parce que ce ne sont que les conditions qui permettront d'avoir à nouveau un dialogue possible.

CHRISTOPHE BARBIER
Le président de la République a évoqué la possibilité d'un référendum au niveau national pour tous les Français sur le sujet néo-calédonien. "Erreur historique", dit Manuel VALLS. Où est-ce que cela va aller ? Comment ça va aboutir ?

PRISCA THEVENOT
Je pense que le président de la République est garant des institutions, et à ce titre, il doit en rappeler le fonctionnement et les possibilités ouvertes. Il a juste rappelé que quand un projet de loi constitutionnelle était adopté de la même façon par les deux chambres, alors c'était une possibilité. C'est simple, il n'y a pas objet à polémiquer dessus, simplement à réapprendre à lire notre Constitution.

CHRISTOPHE BARBIER
Et en 88 d'ailleurs, les Accords de Matignon avaient fait l'objet d'un référendum national.

PRISCA THEVENOT
Oui. Je pense qu'aujourd'hui, avant de s'engouffrer dans des polémiques qui n'ont pas lieu d'être en ce moment, l'enjeu que nous avons en tant que responsable politique, puisque vous en citiez un, c'est d'appeler au calme, au retour au calme et à l'ordre, qui ne seront que des moyens possibles pour un accord qui pourrait être discuté et mis en place.

CHRISTOPHE BARBIER
Un débat sur la fin de vie a commencé dans l'hémicycle désormais. Est-ce que le Gouvernement a été débordé, à partir d'un projet raisonnable, par des ultras de la fin de vie ?

PRISCA THEVENOT
Le Gouvernement a été respectueux. Respectueux déjà, d'une voix qui a été entendue depuis longtemps, pas simplement depuis 2017, depuis un certain moment, sur la fin de vie, comment pouvons-nous parler de fin de vie ? Et nous sommes un pays développé, où nous devons être capables d'en parler, de mettre le sujet sur la table. C'est la raison pour laquelle il y a eu d'abord des travaux parlementaires qui ont été faits, par différents parlementaires d'ailleurs, Yaël BRAUN-PIVET à son époque.

CHRISTOPHE BARBIER
Olivier FALORNI.

PRISCA THEVENOT
Exactement. Agnès FIRMIN-LE BODO. Cela a débouché par le président de la République qui a convoqué une convention citoyenne, qui s'est prononcée sur ça, qui a débattu, qui a travaillé, qui a rendu ses conclusions, qui ont servi de base pour un projet de loi. Ce projet de loi suit son chemin législatif en Commission spéciale. Et je tiens à saluer le travail extrêmement rigoureux, respectueux, qui a été fait par les membres de la Commission spéciale, et l'arrivée hier en Hémicycle. Je pense que nous devons être en capacité de continuer à respecter ce travail parlementaire qui est en train d'être fait. Et là, pour le coup, c'est l'ancienne parlementaire qui vous le dit.

CHRISTOPHE BARBIER
Si vous étiez encore députée, vous sauriez que voter exactement ?

PRISCA THEVENOT
Eh bien, le texte est, pardon, et je vous le redis encore, je suis une ancienne parlementaire, et je pense que nous devons respecter ce temps parlementaire. Il vient de commencer tout juste dans l'hémicycle.

CHRISTOPHE BARBIER
Ça va faire bouger les consciences.

PRISCA THEVENOT
Mais les lignes vont bouger, les débats vont se mettre en œuvre. Ça va aussi pouvoir éclairer le débat public et médiatique. Mais je pense que, attention à vouloir trop vite raconter l'histoire, avant d'avoir lu le livre. Laissons ce beau travail parlementaire se faire. Nous avons en plus une pluralité politique aujourd'hui en France qui permet de dire que toutes les tendances sont représentées. Et j'insiste encore une fois, c'est un sujet éminemment profond, personnel, et nous devons être en capacité de le respecter.

CHRISTOPHE BARBIER
Un mot sur vous pour terminer. Annabelle l'évoquait, vous avez pris beaucoup de coups depuis que vous êtes porte-parole. Comment vous le vivez ?

PRISCA THEVENOT
Je pense qu'il faut apprendre à prendre de la distance. Moi, j'assume. Je suis une militante, une militante. Je défends un projet politique, une ambition pour notre pays. Et je le dis d'autant plus que ce pays, j'en suis fière, je l'aime. J'en ai hérité de mes parents qui, eux, ne sont pas nés ici, et j'ai envie de le transmettre à mon tour à mes enfants. Alors si ça envoie quelques quolibets, quelques coups bas, de temps en temps, eh bien si c'est le prix à payer, ce n'est pas grave, je suis prête à continuer à défendre mon pays.

CHRISTOPHE BARBIER
Ça va secouer encore d'ici 2027.

PRISCA THEVENOT
Ça va continuer à secouer, mais je pense que je suis assez bien ancrée. Et puis j'ai arrêté de mettre des talons. Je suis ancrée dans mes ballerines.

CHRISTOPHE BARBIER
Prisca THEVENOT, merci, bonne journée.

PRISCA THEVENOT
Merci


Source : Service d'information du Gouvernement, le 28 mai 2024