Interview de Mme Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, à France Inter le 2 septembre 2024, sur la rentrée scolaire, les difficultés de recrutement des enseignants, le budget de l'éducation nationale et le brevet des collèges.

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Intervenant(s) : 

Média : France Inter

Texte intégral

NICOLAS DEMORAND
Et avec Léa SALAME, nous recevons ce matin dans « Le Grand entretien », la ministre démissionnaire de l'Education nationale. Questions et réactions au 01 45 24 7000 et sur l'application France Inter. Nicole BELLOUBET, bonjour.

NICOLE BELLOUBET
Bonjour.

LEA SALAME
Bonjour.

NICOLAS DEMORAND
Et bienvenue. Il est de coutume en chaque rentrée scolaire de recevoir au micro de France Inter le ou la ministre de l'Education nationale, coutume que nous maintenons ce matin, mais reconnaissez tout de même qu'il y a une forme d'incongruité à vous recevoir alors que vous êtes démissionnaire et que vous expédiez les affaires courantes. La situation pour vous, et plus généralement, est un poil baroque, non ?

NICOLE BELLOUBET
Juste avant de répondre à votre question, permettez-moi simplement de souhaiter une excellente rentrée à nos douze millions d'élèves, à leurs parents, à nos professeurs et à l'ensemble de la communauté éducative.

NICOLAS DEMORAND
Ça, c'est fait.

NICOLE BELLOUBET
C'est fait, et c'est nécessaire, je crois. Situation baroque oui et non, évidemment, nous sommes dans l'attente de la nomination d'un nouveau gouvernement. Et donc, j'exerce mes fonctions de la manière qui sied pour la gestion des affaires courantes. Mais vous savez, franchement, je suis à ma tâche depuis plusieurs jours, plusieurs semaines, bien sûr, mais plusieurs jours pour préparer cette rentrée scolaire. Les services de l'Education nationale travaillent, les services académiques aussi. Et nous devons aujourd'hui accueillir nos douze millions d'élèves. C'est quelque chose qui est incontournable. Donc nous sommes là.

LEA SALAME
Et justement, vous êtes là aussi parce qu'il y a beaucoup de réformes qui ont été annoncées ces dernières semaines, ces derniers mois, pour cette rentrée. Et on voulait savoir avec vous si ces réformes vont entrer en application ou si elles seront suspendues, on va venir réforme après réforme, mais d'abord, pour commencer, parce qu'il y a de l'incertitude, vous le savez, il y a de l'incertitude des parents d'élèves, des enseignants, des élèves eux-mêmes…

NICOLE BELLOUBET
Je l'entends…

LEA SALAME
Notamment sur le brevet, ils ne savent pas s'il y aura un brevet, on va y venir. Mais d'abord…

NICOLE BELLOUBET
Si, il y aura un brevet…

NICOLAS DEMORAND
Alors, lequel ?

LEA SALAME
Enfin, s'il faut, non, s'il faut le brevet pour rentrer au lycée, on va y venir. Mais Emmanuel MACRON a pris un engagement à l'été 2023, il y aura un professeur dans chaque classe, avait-il dit. Cet engagement est-il tenu ce matin, y a-t-il ce matin un professeur dans chaque classe en France ?

NICOLE BELLOUBET
Nous sommes… nous faisons vraiment tout pour qu'il y ait un professeur devant chaque classe. Et très honnêtement, il y a énormément de situations qui sont complètement résolues, je n'exclus pas que quelques cas ponctuels, soit, parce qu'un professeur est malade depuis hier, soit, parce que nous avons eu, sur des disciplines très techniques, une difficulté à recruter, je n'exclus pas qu'ici et là, il y ait quelques professeurs absents. Mais dans l'immense majorité des situations, les professeurs sont là, et c'est heureux…

LEA SALAME
Vous avez des remontées déjà des chiffres ?

NICOLE BELLOUBET
Oui, bien sûr, mais nous les avons, vous savez, nous travaillons depuis plusieurs mois, et je le redis, je salue toutes les équipes académiques et du ministère qui travaillent, nous avons depuis des mois préparé cette rentrée, et donc je suis en mesure de dire que dans l'immense majorité des cas, nous avons des professeurs devant les classes.

NICOLAS DEMORAND
Dimanche, Sophie VENETITAY, la secrétaire générale du SNES-FSU, disait : on manque de professeurs. Il n'y aura pas un professeur devant chaque classe à la rentrée, c'est une certitude. Elle le redit ce matin, elle évoquait plusieurs milliers de postes non pourvus lors des concours…

NICOLE BELLOUBET
Non, mais nous partons…

NICOLAS DEMORAND
Attendez, je finis, lors des concours de recrutement de juin dernier, qui s'ajoutent aux postes non pourvus des années précédentes, elle évoque 3 000 postes non pourvus. Est-ce que c'est un chiffre que vous confirmez ou que vous démentez ?

NICOLE BELLOUBET
Je pense qu'il y a une petite confusion. Effectivement, il y a eu 3 000 postes prévus pour les concours qui n'ont pas été pourvus. Mais depuis, nous avons travaillé. Et nous avons recruté parfois depuis le 1er juin des personnels contractuels qui ont suivi, pour certains d'entre eux, une formation qui leur permet d'être aujourd'hui armés devant les classes. Donc cette manière de répéter tout le temps : il y a 3.000 postes non pourvus, elle ne veut rien dire. Elle se situe par rapport aux postes qui étaient prévus pour les concours et qui effectivement n'ont pas recruté. Mais aujourd'hui, nous avons évidemment comblé ces déficits.

LEA SALAME
Vous redemandez ce matin que cette question du recrutement reste une priorité du prochain gouvernement…

NICOLE BELLOUBET
C'est une exigence…

LEA SALAME
Renforcer l'attractivité du métier de professeur, et vous le savez, ça passe par la reconnaissance et ça passe par le salaire.

NICOLE BELLOUBET
Absolument. C'est vraiment pour moi la priorité des priorités du prochain ministre de l'Education nationale, la formation à la fois initiale, c'est-à-dire liée au recrutement et la formation continue. Parce qu'on ne peut pas vivre 40 ans en étant professeur sans avoir des formations continues. Et donc pour moi, ces deux éléments sont indissociables. Je le redis ici, et c'est une priorité absolue. Vous avez raison, l'attractivité, c'est un point essentiel. D'autres pays d'Europe sont dans la même situation que nous, je le dis simplement par point de comparaison, mais avoir proposé un concours à bac plus 3, suivi de deux années de formation qui étaient rémunérées, qui sont professionnalisantes, rémunérées à 1.400 et 1.800 euros, cela me semblait-il contribuer à l'attractivité, j'imagine que le prochain gouvernement reprendra ce dossier.

LEA SALAME
Il y a une petite discordance, c'est un détail, mais important, sur le budget 2025 de l'Education nationale, alors, bon, il y aura un nouveau gouvernement qui va écrire un nouveau budget, mais à l'heure où nous parlons Gabriel ATTAL, démissionnaire, a affirmé dans ses lettres plafond qu'il y aurait une augmentation de 900 millions du budget de l'Education nationale par rapport - en 2025 - par rapport à 2024, mais vous, dans votre conférence de presse, si j'ai bien compris, il n'y aura pas d'augmentation, ni de baisse.

NICOLE BELLOUBET
Je ne vais pas détailler ici devant vous des choses très techniques sur lesquelles nos auditeurs seraient perdus, ce n'est pas l'objet, je dis simplement que, de mon point de vue, le budget de l'Education nationale doit être sanctuarisé parce que c'est un budget essentiellement de masse salariale, que cette masse salariale grossit chaque année, ce qui est bien logique avec les augmentations, etc., et donc nous avons besoin de moyens pour mener les politiques qui sont les nôtres et pour faire de l'Education Nationale cette première priorité qui a été revendiquée par le président de la République.

NICOLAS DEMORAND
Nicole BELLOUBET, sur les réformes annoncées par votre prédécesseur Gabriel ATTAL, qui sont censées donc entrer en vigueur en cette rentrée, il y a de l'incertitude, Léa le disait il y a quelques instants…

NICOLE BELLOUBET
Il y a aussi des certitudes.

NICOLAS DEMORAND
Oui, mais on va commencer par lever des incertitudes. Les élèves, les parents, pensent que l'obtention du brevet devient obligatoire pour le passage au lycée, vous avez semblé revenir sur ce sujet lors de votre conférence de presse mardi dernier, que répondez-vous à l'inquiétude, à l'angoisse des parents et des élèves, le brevet est-il obligatoire ou non pour entrer au lycée ?

NICOLE BELLOUBET
A ce stade, pas du tout. Je le redis clairement, les textes qui avaient été envisagés ont été gelés, donc au moment où je vous parle, le brevet n'est pas du tout obligatoire pour entrer au lycée, et je pense, mais le prochain gouvernement le décidera, qu'il serait un peu tard aujourd'hui pour modifier cette situation pour un brevet qui va se passer dans quelques mois, donc voilà où nous en sommes…

LEA SALAME
Vous espérez que cette mesure annoncée par Gabriel ATTAL n'entre pas en vigueur sur cette année ?

NICOLE BELLOUBET
Il appartiendra au prochain gouvernement de décider ce qu'il en sera, mais cette année cela me semble un peu tard. Par ailleurs, cette année, je le redis ici, nous avons préparé des textes qui devraient être, eux en revanche, pouvoir être, qui devraient pouvoir être pris, qui modifient les modes de calcul du brevet, notamment en donnant un peu plus d'importance aux épreuves terminales qui compteront pour 60 % de la note finale.

LEA SALAME
Donc, à ce stade, ce que vous pouvez nous dire c'est que, un jeune qui n'a pas, un élève qui n'a pas le brevet, pourra quand même passer au lycée.

NICOLE BELLOUBET
Je pense que ce sera le cas pour la rentrée prochaine, absolument.

LEA SALAME
Autre réforme censée entrer en vigueur cette rentrée, les groupes de niveau voulus par Gabriel ATTAL…

NICOLE BELLOUBET
Non, les groupes de besoins.

LEA SALAME
Oui, je sais, vous appelez ça les groupes de besoins…

NICOLE BELLOUBET
Non, mais ce n'est pas la même chose.

LEA SALAME
Oui, enfin, ce n'est pas la même chose, mais c'est quand même un groupe à effectifs réduits avec des élèves en difficulté.

NICOLE BELLOUBET
Ce qui importe, moi je l'ai toujours dit, ce qui importe c'est que nous aidions nos élèves dans l'apprentissage des matières fondamentales, les autres également, mais dans l'apprentissage des fondamentaux, pour cela tous les dispositifs que nous pouvons prendre pour aider les élèves, pour répondre à leurs besoins, sont des dispositifs pertinents. Et c'est la raison pour laquelle j'ai laissé un peu de pragmatisme aux établissements, je leur ai dit nous vous donnons des moyens, il y a en l'occurrence plus de 1500 postes qui ont été donnés, nous vous donnons des moyens et vous mettez en place des dispositifs pour prendre en charge les besoins des élèves. Et ces groupes, qui sont constitués, pourront l'être un peu différemment selon les établissements, nous avons, nous, donné un schéma, mais si chaque établissement, en fonction de sa situation, le met en place de la manière qui lui convient, c'est tout à fait respectable.

LEA SALAME
L'organisation choisie par les collèges varie beaucoup, vous le dites vous-même, 20 % des collèges ont reçu des postes supplémentaires, les autres doivent bricoler, disent-ils, en supprimant des options ou des…

NICOLE BELLOUBET
Il y a des situations très différentes, bricoler n'est pas toujours le mot, mais enfin, je l'entends, j'entends que ça puisse être perçu comme cela.

LEA SALAME
C'est ce qu'on a entendu dans certains reportages…

NICOLE BELLOUBET
Je comprends.

LEA SALAME
Vous, ces groupes de besoins, vous les trouvez utiles ?

NICOLE BELLOUBET
Moi je trouve que ce qui est utile, Madame SALAME, je le redis ici, c'est tout ce qui peut répondre aux besoins de nos élèves. Aujourd'hui, dans les classes, bien plus qu'à mon époque, ou même peut-être à la vôtre, les besoins des élèves sont différents. Nous prenons en charge des élèves extrêmement différents, il faut pouvoir répondre à ces besoins différenciés, c'est donc des traitements différents, dans des situations, mais qui ne doivent pas remettre en cause l'hétérogénéité, et c'est évidemment des professeurs formés à la pédagogie différenciée.

NICOLAS DEMORAND
Nicole BELLOUBET, l'uniforme à l'école, vous n'en n'étiez pas une grande fan, seuls 90…

NICOLE BELLOUBET
C'est votre interprétation, mais…

LEA SALAME
Vous aviez parlé de fariboles il y a quelques années.

NICOLAS DEMORAND
Fariboles, oui ; seuls 90 établissements sur 50 000 vont finalement tester l'uniforme, ça fait 0,13 % des élèves, c'est cher également, « Le Parisien » ce matin donne le prix des uniformes pour différents établissements, 130 000 euros à Levallois, 120 000 à Rueil-Malmaison, 70 000 à Bezons, beaucoup d'argent, il ne serait pas mieux employé ailleurs ?

NICOLE BELLOUBET
Nous avions fixé une somme de 200 euros par uniforme et par élève, pris en charge à moitié par l'Etat, moitié par les collectivités territoriales, nous avons voulu expérimenter cela, nous avions dit que nous aurions établissements expérimentateurs, il y en a 90, cette expérimentation sera évaluée. Elle est intéressante sur le climat scolaire, sur l'égalité entre les jeunes, et je trouve que cela méritait vraiment d'être mis en œuvre.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 10 septembre 2024